Archive dans 25 avril 2008

Sarkozy, la spéculation et le libéralisme

Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy se montre scandalisé par la spéculation.
Il prend l’exemple de l’affaire de la Société Générale et stigmatise l’usage d’instruments financiers qui n’ont d’autre objectif que de générer du profit. Est-il encore assez naïf pour croire que les investissements des banques vont vers des paquets de participation au capital d’entreprises qui contribuent au développement industriel et social ? Est-il tant ignorant du fonctionnement de la Bourse, depuis que tout ceci est informatisé et mondialement relié, où des « traders » n’ont d’autre travail que d’acheter ici ce qu’ils vont revendre plus cher au plus vite ailleurs ou même de vendre des titres qu’ils ne possèdent pas encore en spéculant sur une baisse. Le jeu de la bourse est devenu une immense et honteuse loterie.
Il stigmatise aussi la spéculation sur les matières premières et plus encore sur les denrées alimentaires ce qui a pour effet d’augmenter la famine dans le monde.
Mais que va-t-il faire ? Que peut-il faire ? Va-t-il fondre sur les fonds de pensions américains qui spéculent à la hue et à la dia sur tout ce qui bouge ? Va-t-il faire injonction au moins aux sociétés financières françaises de consacrer une large part de leur richesse au développement économique et social même si cela fait diminuer les profits ? Va-t-il faire voter une loi imposant une proportion suffisante d’offres de micro-crédit ?
Le Président de la République Française en est réduit aux lamentations. Dès lors qu’il a fait siens les principes du libéralisme économique, il ne peut rien. Il ne peut rien dans le monde. Il ne peut même rien en France, sauf à se libérer de ce même libéralisme pour se retourner vers une économie administrée. C’est à dire mettre en oeuvre le programme de la gauche de 1981.
Quand j’étais jeune et qu’on m’expliquait que les multinationales des U.S.A. pouvaient dominer de larges parties du monde, je me disais que c’était pure exagération. Quand on m’expliquait le le coup d’état de Pinochet au Chili était financé par la C.I.A. et certains groupes, je me disais qu’il y avait une part de romanesque dans cette idée.
Et pourtant ne sont-ce point Areva et Aibus et quelques autres, avec leurs intérêts, qui sont à l’origine des missions d’envoyés de la France en Chine qui se présentent le pantalon baissé ? Et pourtant n’est-ce pas Monsanto qui, par lobbies interposés, tient la main des députés et des sénateurs en train de voter au nom du peuple ?
Tout ce qu’on m’a raconté dans ma jeunesse est bien en dessous de ce qui est arrivé et continue d’arriver depuis.

Notes d’économie politique 17 – 25 avril 2008

Comment organiser le « mammouth » (1)

Le « mammouth », bien sûr, c’est l’Education Nationale. Ce monde souffre de maux endémiques depuis tant et tant d’années qu’il devient pratiquement impossible d’y changer des choses. Et pourtant. Les enseignants ne sont pas heureux, au moins un nombre significatif d’entre eux. Les autres membres du personnel ne le sont pas davantage. Et voici que se profile le serpent de mer de l’avancement « au mérite » dont j’ai expliqué précédemment l’impossibilité.

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Une des maladies du mammouth est son gigantisme. Une entreprise de 1,2 ou 1,3 millions d’employés (!) avec pour moitié, à peu près, les « productifs », ceux qui transmettent les connaissances, et pour l’autre moitié tous ceux qui les administrent. On imagine ! Quelle entreprise pourrait vivre avec 50% de son effectif employé à des tâches de gestion. Évidemment aucune !

Le gigantisme est le produit d’une histoire jacobine qui a eu autrefois son sens plein. Lorsque l’instruction est devenue obligatoire, c’était évidemment une mission de l’état de former et recruter les maîtres, de les déployer là où il le fallait, de garantir la position sociale de ces derniers. Il était hors de question de confier cela aux maires, sachant que nombre d’entre eux, à cette époque n’avaient pas forcément un niveau d’instruction, même moyen. De plus, l’état se présentait comme le garant de l’égalité des chances.

C’est dans ce contexte que fut créée l’école publique avec toute la grandeur de sa mission. Tous les historiens de l’éducation diront qu’elle n’a pas failli à sa mission et qu’elle fut à la fois le fondement de l’avancée sociale et de la démocratie. En étant laïque, publique et obligatoire, elle se plaçait au dessus des courants idéologiques et formait des hommes libres.

Quand l’instruction primaire fut mise en place, l’instruction secondaire était largement l’apanage des religieux. Elle était payante et socialement sélective. La mise en place de l’enseignement secondaire public vint donc tout naturellement. Face au collège des jésuites, on offrit l’alternative du lycée républicain. Certains noms étaient symboliques: Condorcet, Lakanal et naturellement Jules Ferry. Mais, ce faisant, on créait ainsi un appel social qui, au fil des ans, a rempli sa mission. La scolarisation jusqu’à 16 ans a encore contribué à élargir les population demandeuse. Il y a 50 ans, le Certificat d’Etudes Primaire était un sésame pour la vie professionnelle dans nombre de métiers. Aujourd’hui, c’est le baccalauréat voire davantage.

Ce gonflement des effectifs scolarisés a entraîné le gonflement des effectifs des maîtres qui a entraîné le gonflement des effectifs de gestion, mal contrôlés dans une forme ministérielle jacobine dans laquelle l’état voulait conserver son pouvoir sur tout.

Alors on a inventé des choses risibles comme les directeurs d’école qui n’avaient aucune autorité hiérarchique sur les instituteurs et le principal ou le proviseur qui ne devaient la leur qu’à leur charisme personnel. Et qui, par conséquent, n’en ont aucune quand le charisme leur fait défaut. Imaginons une entreprise dont le patron n’est pas le patron et dans laquelles les employés dépendent d’une grosse structure externe. Imaginons une usine d’un grand groupe où les ouvriers dépendent d’un service de ressources humaines externes et non point du chef de production local qui n’a pas le pouvoir de recruter si de licencier. Imaginons, en plus, que certains membres du personnel dépendent d’une direction et les autres d’une autre.

Une école primaire, c’est comme cela. Les maîtres dépendent de l’inspecteur, le personnel de service de la commune et le directeur n’a pas de véritable pouvoir sur tout ce monde. La situation des collèges, des lycées et des facultés est comparable. Certes un proviseur de lycée participe à l’évaluation des professeurs, mais, au final, c’est de l’inspecteur d’académie que ces derniers dépendent.

Voilà comment, le nombre aidant, on fabrique un mammouth.

Les affameurs

Voici que certains pays sont au bord ou dans la crise alimentaire.

Pourquoi cela ?

Il y a les causes structurelles. L’afrique, par exemple, qui pourrait assez facilement parvenir à l’autosuffisance alimentaire se trouve importer des produits qu’elle pourrait cultiver ou dont elle pourrait se passer. Qui a dit que les habitants de la planète devaient tous consommer les mêmes produits ?

speculateurs.1208547635.jpgQu’est-ce qui a provoqué cela ? Ce n’est pas difficile à comprendre. Le commerce international, dérégulé, voire corrompu ou corrupteur. Pourquoi ? Parce qu’il y trouve largement son compte en revendant au monde les produits africains et en vendant aux africains les produits transformés chez leurs anciens colonisateurs. Le Nigéria exporte du pétrole brut qu’il pourrait tout aussi bien raffiner sur place. Les pêcheurs du lac Victoria exportent la Perche du Nil en filets et se contentent des arêtes.

Et pour tout arranger, voici les spéculateurs. Les spéculateurs qui se sont fait étriller par la « crise » des sub-primes ont encore de l’argent. Eh oui ! Allez savoir pourquoi et comment. Ils ont encore de l’argent ! Et que font les spéculateurs faute de pouvoir s’adonner aux joies morbides des sub-primes ? Ils achètent tout ce qui passe en attendant que cela augmente. Alors, ils achètent n’importe quoi: du riz, du sel, du sucre, du pétrole, etc. Et comme leur demande dépasse l’offre, les prix sont à la hausse. C’est bien le but. Et quand le kilo de riz augmente de 20% en Europe, il n’y a pas trop de cris. Mais quand il augmente dans des pays dont la population est au seul de pauvreté, il y a des émeutes et des victimes. Les occidentaux font l’effort pour acheter le riz au prix proposé, mais râlent beaucoup. Ils râlent et ils achètent. Mais pas les Africains, parce que c’est au dessus de leurs moyens.

Alors, que vont-ils manger ? On ne sait Et voici que le riz aymente de 10, 20, 30% au bénéfice des spéculateurs qui n’ont rien d’autre à faire toute la journée sinon essayer de vendre plus cher qu’ils n’ont acheté et d’acheter moins cher qu’ils ne vendront.

Pendant ce temps des centaines de milliers d’humains crèvent encore plus de faim. Et, s’il se trouve qu’une aide arrive, elle aura été financée par les contributions et les impôts des travailleurs des classes moyennes ou modestes de pays mieux nantis.

Si cela n’est pas de l’enrichissement sans cause, je veux bien qu’on me pende.

Notes d’économie politique 16 – 18 avril 2008

Les fonctionnaires au mérite ? Existe déjà et c’est le bordel

Saches, ami lecteur, que celui qui ici même écrit est un fonctionnaire. Et que la notation au mérite, il connaît pour en profité. Car, au moins dans le « corps » qui me concerne cela existe ou a plus ou moins existé. Et c’est le bordel.

Déjà, une petite histoire vraie.

Soit une P.M.E. de 35 salariés, répartis en deux services avec deux cadres pour les « encadrer ». Et puis il y a un patron qui voit bien ce qui se passe, mais pas le détail. C’est un patron pour qui, selon l’expression, « de minimis non curat praetor ». Il se repose donc sur les avis de ses cadres. Et l’un d’entre eux est dynamique et toujours soucieux de valoriser tel ou tel de ses subordonnés. Et l’autre est une couille molle et peureuse. Le premier obtiendra donc plus d’avancées au mérite que le second.

Une autre histoire vraie.

Soit le Ministère de l’Education. Là, quelques petits milliers de maîtres de conférences qui travaillent dans toutes les universités. Comment le patron, le ministre va-t-il faire cette promotion au mérite ? Il va déléguer. A qui ? Aux présidents des universités. Si cela se passe comme dans l’exemple précédent, ce sera évidemment le bordel. mais comment le ministre peut-il avoir une bonne idée ? Il ne peut pas.

Alors, il dit quoi le ministre ? Il regarde son budget et il dit que seuls 5% des maîtres de conférences peuvent être « hors classe ».

Déjà souci: il y a peut-être 8% des intéressés qui le méritent. Ou seulement 3%. Allez savoir ! Mais comment faire pour le savoir ? Il est bien évident que ceci est très compliqué à déterminer avec des critères sérieux. D’autant plus que ceux qui pourraient le mieux avoir un point de vue, les supérieurs hiérarchiques directs, pour autant que cela existe, ne détiennent les cordons de la bourse. D’où la nécessité d’un critère global du genre 5% de l’effectif. Critère très imparfait, c’est le moins qu’on puisse dire.

Et comment trouver ces 5% ? S’il y en a déjà 5% en activité, il faut attendre que certains partent. Soit on les tue, ce qui ne se fait pas habituellement. Soit on profite des départs à la retraite. Alors, sur cette base, on connaît le nombre de promotions qu’on pourra accorder, ce qui n’a rien à voir avec l’activité des promouvables.

Mais comment les répartir entre les université ? Et comment les répartir entre chaque faculté dans chaque université ? Et comment les répartir entre chaque service d’enseignement dans chaque faculté ? Par un grand marchandage dans lequel les qualités des intéressés sont le dernier des critères. Actuellement, tout ceci se traduit par le résultat qui est le nombre de promotions autorisés par faculté. Et là, le meilleur comme le pire sont possibles.

L’auteur de ces lignes pourrait volontiers dire que les critères sont justes, car il a bénéficié ainsi de plusieurs promotions au choix. Pourtant, il connaît des collègues qui n’en n’ont pas tant obtenu et qui n’en étaient pas moins méritants, éventuellement sur d’autres critères. Et dans les groupes ou conseils qui répartissent ces promotions, il y a naturellement des représentants élus des syndicats. Et je connais aussi des collègues qui n’on jamais été syndiqués que pour avoir plus de chances de profiter des promotions.

Depuis que travaille à l’université (40 ans), j’ai vu plutôt le régime des promotions au choix se resteindre plutôt que de s’étendre, simplement à cause de la difficulté, dans une aussi grosse structure, d’user de critères vraiment objectifs à la fois localement, mais aussi transversalement entre tous les établissements. Ce système produit beaucoup d’injustices.

Une solution serait d’appliquer « small is beautiful ». Avec de vrais managers dans chaque faculté. Et non pas des directeurs élus, redevables envers leurs électeurs. Si cette piste était exploitée, pourquoi pas, elle impliquerait un changement profond des règles de fonctionnement. Mais la monumentale ADMINISTRATION CENTRALE accepterait-elle que la gouvernance des établissements lui échappe ? Voilà qui est fort peu probable.

Non, « Islam » n’est pas un prénom comme les autres

Je me permets de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas à propos du problème posé à la chaîne de télévision Gulli par la sélection pour une émission d’un enfant se prénommant « Islam ».

Islam n’est pas un nom ou un prénom d’une personne. Islam est le nom d’une religion. Ce qui n’est pas la même chose que de prénommer son fils Mohammed ou Jésus ou David. C’est un peu comme si l’on choisissait « Catholique » ou « Protestant ». On ne me fera pas croire que nommer son fils « Islam » n’est pas un acte militant d’affirmation d’appartenance. C’est, naturellement, un droit inaliénable, mais dès lors que ce militantisme est exposé et médiatisé, cette attitude n’est pas laïque.

Au delà des mots, il y a aussi la connotation. Et celle-ci peut varier au cours du temps. Un commentateur disait qu' »Islam » n’est pas différent de « Christian », ce qui est à la fois vrai et faux. D’abord « Christrian » n’est pas littéralement « Chrétien ». Mais, de plus, au fil des temps, la proximité sémantique s’est fortement atténuée dans l’esprit de tout un chacun. Peu de gens savent d’où vient ce prénom. Quand je rencontre une personne qui s’appelle Christian, je ne pense ni au Christ, ni à chrétien. Il n’en est pas de même pour « Islam ». Islam est le nom d’une religion connue de tous et pratiquée. Cette correspondance est exacerbée, de surcroît, par le fait que, dans le monde présent, un certain nombre de fanatiques commettent les plus grands crimes au nom de l’Islam. Ce qui n’est évidemment pas fait pour une simplification sémantique. Quand on prononce Islam, je suis touché par des représentations contradictoires. Tous les musulmans que je connais sont pacifique et tolérants. Mais il y en a d’autres qui ne le sont vraiment pas. Islam est donc un identifiant polysémique, et très contradictoirement !

C’est là, à mon, avis, qu’il y a problème. Car il n’est pas simple, pour les non musulmans, de faire la part entre les qualités certaines de cette religion et les actes effroyables perpétués par certains. De même qu’il a fallu longtemps pour faire la différence entre l’Evangile et les horreurs de la « Sainte » Inquisition.

J’ose présumer que les parents d’Islam sont de bonne foi. Ils le montreront en prenant acte des explications raisonnables qu’on peut leur fournir et les excuses des responsables de la chaîne Gulli qui ne cherchaient probablement pas à les offenser. S’ils devaient, comme on peut le craindre à cause de la plainte et de la médiatisation de cette affaire, profiter de cette situation pour exiger une compensation financière, ils se mettraient dans une position peu conforme avec les principes de la religion qu’ils ont souhaité mettre en avant en prénommant leur fils de cette façon.

Les avions américains cloués au sol

accident-avion.1208300186.jpgJ’ai découvert par hasard, dans la presse, qu’il y a quelques jours, une bonne partie des avions américains (j’entends des U.S.A.) avaient été et sont encore cloués au sol. La raison ? Fort simple. On a découvert que nombre d’entre eux présentaient certains défauts graves et des risques pour la sécurité des voyageurs.

Comment cela, direz-vous, il n’y a donc pas de contrôles ? Et si, il y avait des contrôles mais il faut croire que ceux-ci avaient été mal faits ou que, plus simplement encore, les compte-rendus avaient été falsifiés. Et puis, évidemment, quand la chose est devenue publique, les compagnies concernées ont dû interrompre les vols avec le type d’appareil mis en cause.

Mais pourquoi en est-on arrivé là ?

Ce n’est un secret pour personne. Dans le domaine du transport aérien, une guerre sauvage s’exerce pour capter le plus de clients possible. Et, pour la majorité des clients, la chose la plus attractive est le prix du voyage. Et tous les managers des grandes compagies et tous les responsables savent bien, qu’à court terme, cette situation est dangereuse. Or, comme il faut bien vendre ses billets au prix le plus bas possible, on rogne. On rogne sur tout. On ne se contente plus de baisser les salaires (dans certains cas, ce n’était pas scandaleux). Un pas capital a été franchi: on rogne sur la sécurité.

En plus, les compagnies sont à l’affut d’acahts ou d’O.P.A. pour grossir. Le rève de tout chef d’entreprise est d’éliminet toute la concurrence pour faire des prix à sa convenance. Mais voilà. On n’en est pas là. Alors, comme on ne peut pas se libérer de la concurrence, on rogne

C’est la loi libérale de la libre concurrence. Pas ou peu d’arbitrage. Un contrôle d’état superficiel ou sommaire. A qui deviendra le plus gros… A quel prix.

Lorsque Air France était une compagnie nationale donc l’actionnaire majoritaire était l’état, on imaginait pas de tels faits. Les voyages aériens étaient chers et la politique de sécurité et de contrôle sérieuse et sévère. Maintenant tout est possible. L’entreprise privée Air France ne doit des comptes qu’à ses actionnaires. Et elle n’est pas comptable de ses victimes. Les assurances sont faites pour cela. Encore heureux qu’en France, il y ait la D.G.A.C. qui soit encore sur un profil de service public.

Lorsqu’on a affirmé, il ya quelques années, que la privatisation des compagnies de transport aérien conduirait à la diminution des dépenses de sécurité et à l’augmentation du risque, les libéraux vertueux, la main posée sur le coeur, on juré-craché qu’il n’en serait rien.

Les faits en provenance des Etats-Unis prouvent le contraire.

Notes d’économie politique 15 – 15 avril 2008

Grève au « Monde »: je suis très inquiet

launedumonde.1208213005.jpgJe ne suis pas de ceux qui vont se plaindre. Ne pas recevoir Le Monde demain ne sera pas une catastrophe. Je dis « demain » car mon facteur ne me l’apporte que le lendemain. Vers onze heures. Ce qui fait que je trouve le journal dans ma boîte après que le numéro du lendemain soit paru. Mais ce n’est que moyennement grave. Le Monde est un journal qu’on peut lire avec un peu de retard. Ce n’est pas France-Info !

Et c’est là que cette grève devient un grave symptôme. Naturellement, il est bien possible qu’un bon contrôleur de gestion trouvera que les dépenses du journal pourrait être resserrées. Que tous les journalistes ne sont peut-être pas aussi productifs qu’il le faudrait. Mais c’est le lot de toutes les entreprises. Rien de terrible.

Ce qui est terrible, c’est que la presse de qualité, et je mets dans ce panier tout le groupe, avec Télérama et Courrier International, etc, que cette presse donc ne puisse pas vivre avec une certaine aisance. Peut-être est-il exact que la stratégie de Colombani et du directoire de l’époque n’était pas la bonne. Mais il faut bien noter que toute la presse en prend plein la gueule. Ou plutôt toute la presse qui n’est pas asservie à certains groupes, comme Le Figaro qui est en train de mourir à petit feu. Voyez Libération. Et je ne dirai rien de L’Humanité. Car on a pu critiquer, de façon légitime, l’Huma pour son sectarisme, ce n’est pas l’existence de ce journal qui a mis la démocratie française en péril.

D’ailleurs, j’ai bien l’impression que, depuis que je suis en état de savoir lire, c’est à dire plus d’un demi-siècle, aucun journal n’a mis la démocratie en péril. Et cette liberté de la presse est bien l’une des fondamentales garanties de cette liberté. Inutile que je fasse un dessin. Et l’on me dit que la presse « gratuite » est florissante, financée par la publicité. Il n’y a pas de liberté gratuite. Encore moins si votre vie dépend de quelques annonceurs.

J’ignore si les grévistes du Monde ont tort ou raison. Mais ce qui est certain, c’est que, d’une certaine façon, ils font grève pour la préservation de notre outil d’information et de leur outil de travail. Ils le font, je le crains, dans une indiférence presque générale et, en tout cas, dans l’indifférence des pouvoirs publics. Et, quand je pense à tous les démocrates qui, depuis la Révolution Française, se sont battus, parfois au prix de leur vie, pour la liberté, au premier rang de laquelle se trouvait la liberté de la presse, j’en suis à la fois révolté et consterné.

Mai 1968 : 20 – L’esprit de mai

[Mai 1968: commencer au début]

Les évènements de mai 1968 ont laissé des souvenirs qui disparaîtront avec les témoins et des traces dans la société qui persistent et persisteront. Les souvenirs des témoins et participants ne sont évidemment pas tous les mêmes. Par exemple, pour mon compte, je tiens que la jonction avec les ouvriers ne fut pas. Ou peu. Ou de façade. On sait que les étudiants qui s’y sont rendus n’ont pas toujours été bien reçus dans les usines. Et c’était bien normal. Que pouvaient bien savoir ces oisifs, ces enfants de privilègiés, de la vérité du monde du travail ? Et pourtant la démarche de ceux qui se sont rendus à Billancourt n’était pas exempte d’une certaine générosité. Elle était aussi le fruit d’un bouleversement de la conscience de classe. Ces jeunes intellectuels, en d’autres temps, n’auraient peut-être pas eu tant à faire de la classe ouvrière. En cherchant un rapprochement, ils tentaient de franchir les limites de la classe des bourgeois dont ils étaient issus. Sans doute part d’une crise d’adolescence. Mais aussi, comme je l’ai indiqué, l’effet de la contemplation du monde: guerres est-ouest par peuples interposés, guerres de décolonisation, guerre d’Algérie. Nous avions un fort sentiment d’être manipulés par des forces amorales et presque dictatoriales.

L’esprit de mai, c’est d’abord ce refus de la force lourde et sourde.

Ce refus s’est cristallisé sur une question d’entrée dans une résidence universitaire sur fond de répression sexuelle. Mais il était bien plus étendu. Il est probable que nous, les jeunes, étions moins habitués ou moins tolérants à toutes les formes d’opression que ne l’étaient les ouvriers, probablement fatalistes et sans espoir véritable de changement significatif de leur condition. Cette pression sociale a constitué le terrain sur lequel des acteurs un peu plus politisés ou organisés n’ont pas eu de mal à mobiliser un grand nombre sans vraiment avoir imaginé que c’était possible.

On dit que l’esprit de mai est la contestation. Et la contestation systématique de l’ordre établi. C’est à la fois vrai et faux. C’est constestation évidemment. Mais il faut l’entendre au sens de la dialectique du philosophe qui doute systématiquement de ce qui est asséné sans être universellement justifié. Par exemple, il n’est pas justifié d’affirmer qu’une entreprise a nécessairement besoin d’un patron ayant tous les pouvoirs puisqu’il existe d’autres modèles d’organisation d’entreprise. Il y a et il y a eu, naturellement, des excès et des excessifs du rejet. C’est inhérent à la nature. Mais il n’est pas légitime de nous condamner simplement parce que nous passons toute chose au crible de notre esprit critique. J’ai écrit sur ce blog un billet que j’ai intitulé « Eloge de la dialectique « . L’esprit de mai, c’est fondamentalement cela: la dialectique.

Naturellement cela a heurté les tenants de l’ordre quand nous avons, dans notre univers étudiant, contesté le pouvoir mandarinal des professeurs titulaires de leurs chaires. Dans leur position sociale, ils se présentaient un peu comme des descendants de la scholastique et d’Aristote, même s’ils enseignaient une philosophie bien dubitative. Leur conseil à la Faculté des Lettres, avait été décrit dans un tract gauchiste par cette formule pleine d’humour: « des fantoches qui font des pantalonnades ». Et pourtant l’enseignement universitaire a fondamentalement changé à partir de 1968. Et nombre de ces changements qui faisaient partie de nos revendications, sont devenus aujourdhui modèles évidents et monnaie courante: travail en petits groupes, contrôle « continu » des connaissances, etc.. La structure même de l’Université a changé: elle était déjà collégiale, mais se limitait au collège des professeurs. Avec la loi Edgar Faure, sont entrés dans les conseils de gestion toutes les catégories de personnel et les étudiants. Ceci dure depuis 40 ans. Et même si la loi Pécresse veut augmenter les pouvoirs du Président de l’Université, sa légitimité démocratique par l’élection n’a pas été remise en cause.

Hors de l’Université, le changement social le plus spectaculaire a été et est encore la libération de la sexualité. Je ne dirai rien des « expériences » hippies ou autres. Elles sont marginales. Simplement sont venues logiquement les lois sur la contraception et sur l’avortement. Et nous avons pu, pendant quelques années, selon l’expression consacrée, « jouir sans contrainte »1 (je m’amuse fort d’un Sarkozy qui a parlé d’exterminer l’esprit de mai 68 et qui expose publiquement sa vie et qui me semble bien parti pour aimer jouir sans contrainte). Et la situation sociale de la femme a commencé à changer. Pas sans mal, tant les habitudes étaient ce qu’elles étaient. Je mes souviens m’être senti mal à l’aise, en 1969, en conduisant un landau dans lequel se trouvait mon fils, pour nous rendre chez sa nourrice. J’avais crainte qu’on se retourne sur mon passage tant le spectacle d’un homme poussant un landau me paraissait incongru en relation avec mon statut supposé de mâle. Aujourd’hui, ces craintes font rire !

L’esprit de mai porte aussi en lui une part de morale sociale. Même s’il est athée, il ne rejette pas l’idée de s’aimer, un peu, les uns les autres. C’est la déclinaison de ce principe dans les rapports quotidiens qui a donné tant de chaleur aux rencontres qu’on a pu faire, notammment dans la deuxième quinzaine de mai. Et ce qui est très fort, c’est que n’avons pas eu beaucoup d’efforts à faire pour nous sourire et nous parler dans la rue. C’était simple et naturel comme pour des randonneurs qui se croisent en montagne. Cela a été rangé très vite. Mais c’est trerrible. Aujourd’hui un type assez jeune m’agresse dans le RER parce que je serre le troupeau pour que d’autres personnes puissent encore monter. J’avais déjà connu cela il y a quelques semaines. En 68, nous en aurions ri et nous aurions invectivé le pouvoir. Le retour de la compétition sociale qui ne fut pas loin à venir après les évènements a vite détruit tout cela. De mon point de vue, c’est ce qui a existé de plus beau et de plus grand pendant les évènements: ces valeurs d’accueil d’autrui et de tolérance parce que toute compétition sociale avait disparu au profit de valeurs de solidarité. Même les groupuscules ne s’invectivaient plus beaucoup. Evidemment, il n’est pas certain que nous aurions été aussi tolérants avec les fascistes. Notre angélisme n’allait pas jusqu’à l’histoire de la joue droite et de la joue gauche. Mais on ne les voyait pas. Ou, au moins, pas des lieux que je fréquentais.

Enfin, l’esprit de mai, c’est l’indépendance d’esprit vis à vis des structures caporalisatrices qui fondent leur pouvoir sur le peuple comme le sont les syndicats et les partis. Ce n’est pas le rejet. Tout n’est pas mauvais. Mais c’est une terrible méfiance dont il est quotidiennement visible qu’elle est méritée. Toute forme de pouvoir est suspecte et dangereuse. Toute compétition sociale l’est autant. C’est dire combien il y a loin entre l’esprit de mai 1968 et la réalité de la France d’aujourdhui.

[Suite ]

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1- Je dis « pendant quelques années » parce que cette dramatique arrivée du SIDA a tout flanqué en l’air. A partir du moment où l’on pratiquait une bonne contraception, faire l’amour ne dépendait que du désir de chaque partenaire. Certes, il y avait toutes ces maladies, syphilis, blennorragie, herpès. Mais on savait les soigner convenablement. Et de toute façon, ce n »était pas léthal. Aujourd’hui, tout partenaire est un suspect qui peut vous conduire à la mort. Et il ne suffit pas de se protéger de l’insémination, comme nous avions à le faire, puisque c’est beaucoup compliqué par le fait que d’autres sécrétions peuvent aussi être contaminantes.

Besson et le numérique

besson.1179506772.jpgJ’entends, ce matin, Eric Besson qui justifie sa « mission » de Secrétaire d’État à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques et du développement de l’économie numérique (Ouf !). Il déclare notamment en poncif bien éculé que « la France ne doit pas rater le tournant du numérique ». Ou bien il ne croit pas ce qu’il dit, mais il faut bien qu’il justifie son emploi, ou bien il y croit et alors c’est un aveu d’ignorance voire d’incompétence.

La France n’a jamais raté le tournant du numérique. Bien avant d’autres, France Télécom, alors entreprise publique, a déployé des centaines, des milliers de kilomètres de fibre optique, bien avant bien d’autres pays européens. C’est devenu en téléphonie un superbe réseau numérique (« Numeris ») déployé sur le réseau physique nommé « Transpac ».

La seule erreur commise a été « d’inventer » le Minitel. Cet outil, déployé bien avant que d’autres pays ne disposent de l’équivalent pour le public, était un outil numérique. Son défaut a été de rendre des services (depuis combien d’années peut-on commander un billet de train par Minitel ?), pendant que d’autres qui n’en disposaient pas, déployaient Internet. Comme le Minitel rendait bien des services, le besoin d’Internet ne s’est pas autant fait sentir qu’ailleurs. C’est à ce moment que nos ministres qui n’y connaissaient rien se gargarisaient des « autoroutes de l’information ».

Puis Internet est venu. Un peu plus tard qu’ailleurs, il est vrai, mais le retard a été vite rattrapé au point que les Français se classent maintenant parmi les premiers.

Quant aux applications, qu’Eric Besson ne se casse pas la tête. Notre savoir faire vaut bien celui des autres.

Il ne reste plus à notre Judas qu’à faire dérouler encore plus de fibre pour que tous les usagers disposent d’un authentique haut débit.

Roule…