Voici ce que m’a confié la personne qui m’a communiqué cette lettre:
« Les parents de Paul Lescop étaient des amis de mes grands-parents. Les deux familles avaient en commun une haine viscérale des allemands qui leur avaient déjà pris des fils, mais aussi et surtout ils partageaient cette croyance inébranlable en des lendemains qui chantent… Ma grand-mère avait été chargée de recopier la dernière lettre du jeune Paul afin de la diffuser. Elle en a gardé un exemplaire soigneusement plié dans le tiroir de sa machine à coudre.Je ne sais pas si elle l’a relue de temps en temps, toujours est-il qu’à sa mort, mon père a hérité de l’objet et de son précieux contenu. La clé du tiroir avait été égarée et ma curiosité m’a poussé à jouer les cambrioleurs avec la fragile serrure.
Au milieu de vieux papiers, d’une broche représentant le drapeau Soviétique et de tout ce que contient habituellement un tiroir de machine à coudre, j’ai découvert cette lettre jaunie et calligraphiée comme on le faisait à l’époque. Je l’ai lue, j’ai pleuré et aujourd’hui encore lorsque je la relis pour moi ou pour mes fils je sens les larmes monter à la pensée de ce jeune homme qui prie ses parents de surmonter l’insurmontable »
Paul Lescop, 25 ans.
Suresnes, 10 avril 1942, 5 heures.
Chers Parents,
Hier encore, vous me disiez d’écrire, voilà c’est fait. Mais que vous dire, sans doute savez-vous déjà ce qui est advenu de moi. Tout à l’heure on va venir me chercher, c’est ma dernière lettre que j’écris.
Que vous dire que vous n’ayez déjà compris. Sois courageux petit père, on s’est disputé quelquefois, cela n’empêchait pas de nous aimer. Courage, pense que tout démobilisé je me considérais comme soldat, c’est en soldat que je vais tomber.
Ne pleurez pas, cela n’avancerait rien. Embrassez tout le monde pour moi, Jeanne et Henri, Jean et sa femme, Hélène, Daniel, Claire et Maurice. Continuez à vous occuper des enfants, parlez-leur de moi de temps en temps, qu’ils ne m’oublient pas trop vite. Tachez de consoler Grand-Mère à qui cela va faire beaucoup de peines. Je ne vous dirai rien de tout le reste de la famille, je sais que tous auront de la peine, mais je ne regrette rien, j’ai fait ce que je croyais devoir faire.
Mes chers Parents, je vais vous manquer, mais au moins les 7 mois de prison que je viens de faire vous auront un peu habitué à mon absence ; celle-ci sera définitive mais il faut bien partir un jour.
Il y a encore beaucoup de joies dont je vais être privé, il y a aussi énormément de peines que je n’aurai pas. Je n’aurai pas le temps de souffrir et cela doit vous consoler un peu. Je n’aurai pas connu la maladie et la mort ne me fait pas peur. L’aumônier vient de venir me voir pour savoir si je voulais me mettre en règle, il voulait même me baptiser, j’ai évidemment tout refusé.
Chers Parents, que vous dire qui puisse faire votre peine plus légère, que j’aurai la mort que j’ai voulu, vous le savez bien. J’aurai voulu une dernière fois vous serrez sur mon cœur, je ne le puis ; mais vous savez bien que ma pensée va vers vous.
Je n’au aucun ami personnel à vous recommander, pas même une femme, cela vaut mieux sans doute, mais il est une chose que je regrette, c’est de ne pas avoir d’enfant qui puisse après moi continuer ce pourquoi j’ai vécu. Bah ! Qu’importe, c’est fini et qui sait ce qui se passera d’ici peu. Confiance en l’avenir, je l’ai et je suis assuré de ne pas avoir lutter en vain. Il est dit dans l’Evangile qu’il faut que la graine meurt pour donner des fruits, de cela je suis persuadé et les fruits seront abondants et la récolte riche.
Adieu mes chers Parents, adieu mes chers amis,
Vous trouverez sous la signature, le dernier baiser de celui qui donna sa vie pour son idéal et sui saura tomber le sourire aux lèvres.
Vous fils affectionné,
Paulo
Je reviens de penser que c’est demain la fête petit mère, permets-moi de te la souhaiter quand même bonne sinon heureuse.
Paul Charles Marie Lescop, était né à Brest le 1er Mars 1917. Employé du gaz, il demeurait à Nanterre. Il a été fusillé au Mont Valérien le 10 avril 1942