Quand des évènements historiques ne sont consignées que dans quelques gestes reproduis en autant ou un peu plus de grimoires copiés par des copistes qui ne connaissaient ni l’imprimerie, ni la machine à écrire, ni le copier-coller, le nombre de sources est donc fort limité. Chaque chercheur y va de son édition critique commentée à sa façon. Mais là, combien de centaines de milliers de lignes vont être écrites ? Que de thèses en perspective. On imagine: les évènements de mai 1968 à travers les témoignages des bloggeurs du journal Le Monde… Et ainsi de suite… Naturellement, cela risque d’être un peu impressionniste et mal structuré.

On peut dire aussi que le mémorialiste aurait pu attendre le cinquantenaire, nombre plus prestigieux. Mais il se trouve qu’en 2018, je devrais avoir 73 ans et que je ne suis point certain d’avoir toute les facultés nécessaires à ce moment-là. Sans compter qu’il y a même une probabilité pour que je soie mort. Cette affaire de date est peut-être l’explication de la grande charrette littéraire qui nous attend. Avoir eu 20 ans en 68, c’est en avoir 60 aujourd’hui. Les auteurs vivant se disent que le temps n’est pas infini.

Un autre souvenir fort est la peur quand on se trouve en face d’une ou deux compagnies de CRS qui sont prêtes à charger. L’uniforme est noir, le bouclier et le casque cachent ce qu’on pourrait entrevoir du visage. Pour le coup, les CRS n’ont rien d’humain, car rien ne permet d’apercevoir, ne serait-ce que fugitivement, la moindre expression. Avec la matraque à la main, on sent que cette chose est prête à tout. C’est pourquoi j’avoue que j’ai une certaine admiration pour les suicidaires qui ont le courage de s’avancer, les mains nues, vers cette pieuvre noire. Les CRS n’ont rien d’humain. C’est fait pour. C’est peut-être aussi pourquoi il était si facile de crier “CRS SS”.

Et pour finir, une vraie image cette fois, car je n’étais pas en position de le voir comme cela. Mais d’autres l’ont photographiée. L’immensité de la manifestation du 13 mai.