On ne peut évidemment pas écrire « état libertaire », même si cela ferait un titre bien équilibré !
L’état libéral postule que la libre entreprise est source de progrès. On est dans un monde de compétition politique et sociale. lLs meilleurs hommes parviennent aux meilleures places. Les meilleures entreprises dominent les marchés. Les meilleurs chercheurs sont honorés et récompensés. Quant aux autres, ils tiennent leur place entre le fond et la surface, en fonction de leurs efforts et de leurs mérites. Cette organisation sociale postule, pour faire croire qu’elle n’est pas injuste, que tous les hommes naissent libres et égaux et qu’ils partent de la même ligne de départ. Ce postulat est d’emblée faussé car il admet que certains peuvent être plus entreprenants que d’autres, font de meilleurs efforts. Et l’on est bien obligé d’admettre que les plus douées le sont par nature ou par héritage, ce qui fausse d’emblée la compétition car il est évident que tout le monde ne part pas du même point. On croit pouvoir se contenter de dire que tous les hommes naissent libres et égaux en droits, mais en droits seulement.
La compétition est le trait le plus discutable de l’ambiance libérale. La compétition suppose qu’il y a des vainqueurs et des vaincus et place ces derniers sous la dépendance du bon vouloir, voire de la charité, des premiers. De toute façon, le libéralisme ne vise pas l’égalité. Il vise une société économiquement productive et hiérarchisée. Cette hiérarchie peut avoir plusieurs facettes: au 19ème siècle, les dynasties des « maîtres de forges » se sont emparés de l’outil de production. Il disposaient du pouvoir de donner du travail, du pain et un logement, ce qui rendait l’ouvrier complètement aliéné. Perdre son travail, c’était tout perdre. Ces industriels s’enrichissaient, mais parfois aussi se ruinaient. A leur seule, et relative défense peut être avancé le fait qu’ils généraient du travail. Un souvent misérable travail, mais du travail quand même. Puis est venue l’entreprise financière. Là, peu d’emploi, peu de salaires, peu de distributions de richesses.
L’état libéral ne défend pas le peuple. par définition. Tout au plus est-il contraint d’édicter quelques lois pour éviter les abus immoraux: travail des enfants, congés payés, durée légale du travail, etc., en cédant peu à peu et à contre-coeur sous la pression des mouvements sociaux. Malgré ces quelques aménagements, l’état libéral ne protège pas l’ouvrier puisqu’il est incapable d’empêcher le chômage ou l’habitat insalubre. L’état libéral est de connivence avec les riches.
L’état communiste d’inspiration marxiste prétend défendre le peuple. Il s’empare des moyens de production avec l’ambition de fournir à chacun travail, nourriture, logement. Il y a là légitimité, car on ne voit pas pour quelle raison les travailleurs qui produisent la richesse n’en récolteraient pas les fruits. Quand il prétend instaurer la « dictature du prolétariat », il veut dire par là que seuls ceux qui produisent peuvent décider des affaires politiques et économiques.
Ainsi présenté, le principe est simple et clair : la terre aux paysans, l’usine aux ouvriers. Mais ce principe trouve vite ses limites. peut-on dire « l’école aux instituteurs » sans s’interroger sur ce que les enseignants doivent dispenser. Peut-on dire « l’armée aux soldats ». Bien évidemment non. Pour fonctionner, le système a besoin d’une sorte de charpente de direction. C’est le parti. Le parti est le lieu où s’élabore la politique. Jusque là, on n’aurait rien à dire.
C’est ainsi que la politique industrielle sociale est décidée, au final, en haut (le « soviet » suprême) puis descend jusqu’à la commune ou l’usine ou l’atelier. Du coup, elle dépossède l’ouvrier de la gouvernance de sa vie. Dans les bonnes formes d’application, chacun aura au mieux son logement et son travail, mais devra exécuter un plan à la création duquel il n’aura pratiquement pas contribué. Dans cette formule, le travailleur est un perpétuel exécutant assisté.
Le système communiste, dans les déclinaisons connues, installe le parti sur un modèle hiérarchique. Il y a tout un empilement de structures jusqu’à la plus haute qui dispose de tous les pouvoirs. Se constitue alors une oligarchie qui progresse dans l’échelle du parti. au prix de l’obéissance voire de la servilité. Faute d’une extrême rigueur morale, l’organisation devient quasi féodale, pire que l’organisation libérale, en raison de la toute puissance du parti. Et elle a vite fait de devenir dictatoriale et paranoïaque.
Le monde communiste aurait pu fonctionner sur le modèle de son idéal. Nombre de militants du parti le pensaient, le croyaient, parfois même contre l’entêtement des faits. Plus dure fut leur déception.
Tout au plus, l’organisation a pu fournir le travail, le vivre et le couvert dans des conditions déplorables comme en U.R.S.S..
L’organisation anarchiste est tout autre. On peut dire qu’elle part de la base, là où sont les lieux de production : la mine, l’usine, l’atelier, l’exploitation agricole et ceci ne supporte pas la moindre exception. L’outil de production est destiné exclusivement à faire vivre ceux qui le font fonctionner avec des régulations ou des exceptions pour assurer la solidarité. Chacun participe à la production et en relève les fruits. Dans les applications qui ont été faites de ce principe (dans les S.C.O.P? , par exemple), on a admis des différences de salaire selon la charges des responsabilités, mais tout en ménageant une rémunération digne et suffisante pour les moins payés. Pour le coup, les différences entre les rémunérations les plus faibles et les plus élevées sont notoirement moins importantes que dans le monde capitaliste.
L’outil de travail est la propriété des travailleurs qui peuvent partager avec de nouveaux venus, en même temps que d’autres restituent leur part à leur départ. Comme les ouvriers sont propriétaires de leur entreprise, aucun dividende n’est évidemment versé à qui que ce soit. Seules peuvent être réservées de sommes destinées à l’investissement ou à la solidarité ou au financement de services collectifs qui ne sont pas producteurs de richesse. Il n’y a guère de différence avec un kholkose, sauf… qu’il n’y a pas de parti.
L’absence de parti ou de ligne directrice du parti fait l’originalité et la difficulté de cette organisation. Mais on en décèle alors la difficulté, car la structure politique, sociale et économique ne peut être seulement composée par la concaténation des organisations de base. Ici vient donc le risque de la création d’une ossature autoritaire comme le parti dans l’univers communiste. La solution de ce problème réside dans la notion de coordination. Ces coordinations sont crées pour des périodes plus ou moins longues, à l’initiative de celui ou de ceux qui convainquent de la nécessité. On peut se référer à l’exemple des coordinations ouvrières ou étudiantes qui naissent au moment de mouvements sociaux ou de revendication. Naturellement, l’absence de familiarité avec cet exercice peut conduire à un certain désordre qui ne peut qu’être aplani avec l’habitude.
La coordination est un lieu d’expression et de décision ouvert. Le niveau d’ouverture peut être plus ou moins large : chacun peut s’exprimer ou seuls les délégués peuvent le faire. Ici vient la notion de « délégué ». Un député, par exemple, est un personnage qui se fait élire pour 5 ans et qui, entre temps, ne rend pas compte à ses électeurs et confisque, d’une certaine façon, le pouvoir. A contrario, le délégué est choisi, élu, pour une coordination donnée, avec une mission donnée. Il n’appartient pas forcément à un groupe ou un syndicat. La durée de son mandat peut être longue ou courte, mais ce qui est déterminant est qu’il rend compte, de façon permanente, de son action devant ceux qui l’ont mandaté.
L’existence de coordinations et de délégués fait toute la différence : ils sont temporaires, à géométrie variable, et suivis de très près par les mandants.
Nombreux sont ceux qui croient que cette manière d’organiser la société est impossible en raison même de sa souplesse. Pourtant le nombre de structures qui existent dans le monde libéral est gigantesque : conseils de parents d’élèves, conseils syndicaux, conseils et assemblées associatives, conseils d’école ou d’université et naturellement conseils municipaux, d’agglomération, généraux, régionaux, députés, sénateurs, etc., etc.. Le nombre n’est donc pas mis en cause. Seule la souplesse peut créer ce qu’on pourrait prendre pour une difficulté supplémentaire, ce qui n’est pas démontré, et qui surtout se présente comme un gage majeur de démocratie.
Notes d’économie politique 46 – 18 mars 2010