Mon Internet est en panne. Comme ça. Vendredi, quand je suis rentré chez moi, mon routeur s’est mis à me narguer.
Quand je suis assis devant le clavier de mon ordinateur, je peux voir, en portant mon regard vers la gauche, un objet bleu qui porte le nom savant de « Wireless-G ADSL Gateway », en français, Modem-Routeur ADSL WiFi. La particularité de cet objet est son extrême monotonie. De gauche à droite, quatre témoins verts sont allumés ou éteints en fonction du nombre d’ojet connectés actifs. Un autre dénommé « Wireless » clignote à peu près sans arrêt. Et puis il y en a deux autres: l’un se nomme « DSL », l’autre « Internet ». Quand le premier est au vert, cela veut dire que la liaison physique avec l’autocom de France Telecom va bien. Autrement, il est éteint (quand il n’y a pas de liaison) ou il est clignotant (quand il est en train d’établir la liaison). Quand celui-là n’est pas au vert fixe, pas d’Internet.
Et puis il y a l’autre, celui qui se nomme Internet; celui-là a 4 états: éteint, vert clignotant, vert fixe ou ROUGE. Et pour que j’aie accès à Internet, il faut donc aussi que ce témoin soit vert.
Vendredi, il était rouge. D’une belle saloperie de rouge, de ce rouge sournois qui vous regarde avec l’air de te dire « nique nique nique ».
Devant un tel état, l’utilisateur averti que je suis redémarre la bête: On abaisse l’interrupteur au dos sur « O », puis sur « I ». Et, opération qui prend 2 ou 3 minutes, on voit tous ces petits lumignons venir à nous, l’un après l’autre. Mais, horreur, le DSL eut du mal et l’Internet, quoique vert un court instant, s’est écroulé dès que j’ai eu la mauvaise idée de regarder la page d’accueil de mon opérateur à nom d’agrume.
Après quelques vérifications à l’aide de l’accès web au routeur, il a bien fallu se rendre à l’évidence: mon « provider » ne me providerait plus rien du tout.
Oh, ce n’est pas la panne qui m’épouvantait. C’est l’horrible épreuve de l’assistance sur une plate-forme située on ne sait où, avec des opérateurs qu’on devine. Tous ceux qui sont passés par là en gardent un souvenir traumatisant.
D’abord, c’est inévitable, on n’a pas le numéro qu’il faut.
Musique – Bonjour, vous êtes sur le site d’assistance des téléphones agonisants. – Nous vous rappelons que vous pouvez vous connecter sur le site de notre assistance, www.agrume.fr (Vraiment la phrase à la con quand on n’a plus d’Internet !). Musique.
Si vous voulez ceci, tapez 1, si vous voulez cela, tapez 2, si vous voulez un massage cardiaque tapez 3, Si vous téléphonez pour votre accès Internet, tapez le 3900, 33 centimes d’euro la minute. Chacun remarquera qu’il est inévitable de tomber dans le cas du hors-cas où il faut composer un autre numéro.
Un coup de barre et ça repart.
– Bienvenus sur le site de l’agrume.
– Si vous téléphonez pour qu’on vous dépanne, tapez 1
– Si vous téléphonez pour qu’on vous étripe, tapez 2
– Si vous ne téléphonez pas et que vous entendez ce message c’est que vous avez des hallucinations.
Pendant tout ce temps vous casquer 0,33€ la minute. Encore que mon provider, celui qui a un nom d’agrume, me promet que la facturation ne commencera que lorsque je serai entré en relation. C’est déjà pas mal, parce qu’à raison de 10 minutes d’attente, cela fait déjà 2,33€ non dépensés. Cela tombe bien parce que:
– Désolé. Tous nos opérateurs sont en ligne. Le temps d’attente est de 5 à 8 minutes.
J’imagine le plateau d’assistance avec les mecs en train de se la couler douce, pendant que les clignotants des appels se multiplient. Et les assistants en train de se poiler:
– Record battu, les mecs: Y’en a 127 qui attendent. Ca s’arrose !
Au bout d’un quart de siècle, une voix lointaine vous susurre:
– Bonjour Monsieur. C’est Zanzibar qui vais m’occuper de votre problème.
Zanzibar a un accent. Il n’est pas tourangeau, la Touraine étant réputée, à tort, comme étant l’endroit où l’on parle le mieux le français. Il pourrait être de la cité des 4000, mais il ne laisse pas traîner certaines syllabes. Non. Il doit être marocain.
– Monsieur, donnez-moi votre numéro de client ?
– Quel numéro de client ?
– Celui qui est sur vos factures.
– Voilà qui est très intéressant attendu que mes factures sont sur Internet et que je n’ai plus d’accès à Internet.
– Bon, alors donnez-moi le numéro de la ligne.
Je donne.
– Et votre nom ?
Je donne.
– Et votre adresse ?
Qu’est-ce que sa peut lui foutre, mon adresse ! C’est pour m’envoyer sa soeur. Et voilà. Comme il est sans doute marocain, on va dire que mon propos est raciste. Quand je parle à un français et que je dis « Et ta soeur », il comprend bien ce que cela veut dire, en général « elle bat l’beurre ». Mais avec un maghrébin, il va penser des choses. Alors, je concède.
– Est-ce bien nécessaire ?
– Oui absolument.
J’obtempère, car cette hésitation m’a coûté 30 secondes à 0,33€, la minute. Pas question de digresser ou de se laisser aller à agonir son interlocuteur d’injures. Voilà pourquoi le temps d’attente n’est pas facturé. Il se rattrapent avec des questions à la con. Enfin il me demande:
– Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
Alors, j’explique. Je lui donne tous les détails en termes professionnels: « syncho », « login », « password », « adresse IP », « DSLAM », … Problème. Ou bien le mec n’y comprend rien, ou bien il fait semblant. Il me pose des questions qui montrent qu’il n’a pas bien suivi. Puis il finit par me dire que l’on doit suivre la procédure. Le gars doit avoir un papelard écrit pas des grosses têtes ergonomes. Probablement efficace pour répondre à un mec qui n’était pas là le jour de la distribution des cerveaux. Mais, pour moi, je viens de lui faire un bilan de la santé de l’installation comme un secouriste de la Croix Rouge le ferait d’un blessé de la route.
Le grave problème est que, comme je suis très féru de ces questions, le mec n’entrave rien à ce que je raconte, mes histoire de « synchro », de « login », d’adresse IP, notamment parce qu’il doit suivre une « procédure ».
Au bout d’un moment d’un dialogue que je ne qualifirai pas de sourds, mais de malentendants, il prend une attitude sentencieuse pour me dire:
– D’accord Monsieur, je vous rappelle dans dix minutes.
– Sûrement pas, réponds-je. Je la connais celle-là.
Alors il jure, il parjure, il contrejure. Je finis par accepter de raccrocher, car discuter pour savoir si on raccroche ou non à 0,33 € la minute, cela dissuade.
Le temps passe: 10, 20, 30… minutes. Je prends mon dîner. Et tout et tout. Rappeler mon cul! Je me suis fait baiser une fois encore par ce gros con qui est parti et qui n’a rien trouvé de mieux pour se débarrasser de moi à la fin de son service.
C’est moi qui rappelle. Et ça recommence:
– Si vous téléphonez pour qu’on vous torture encore un peu, composez le 1…
– Désolé. Tous nos opérateurs sont en ligne. Le temps d’attente est de 8 à 12 minutes…
Et re-musique. Gna gna gna. Nous faisons tout pour écourter votre attente, poil à ma tante. Gna gna gna. C’est tellement bien fait que lorsqu’un opérateur répond on a déjà envie de le transformer en chaleur et lumière.
– Bonjour Monsieur. C’est Mohamed qui vais m’occuper de votre problème. Donnez-moi votre numéro de client.
Et voilà que ça recommence. D’une seule traite, je lui donne tout. Perdu. J’ai dépassé les capacités de son buffer cérébral. Il ne faut pas lui en donner tant à la fois. Pour anticiper après mes coordonnées, je poursuis:
– Et maintenant, je vais vous donner l’adresse de ma soeur.
Là, je sens que les mec est partagé entre désir de m’envoyer chier parce que je me fous de sa gueule et celui de connaître ma soeur et l’obligation professionnelle, surtout depuis que les communications sont enregistrées. Il y a donc un blanc et j’ai envie d’ajouter: « Tu sais, elle a des gros nibars, ma soeur », mais je me retiens. Ça va me coûter trois euros de palabres.
Alors, je recommence toute l’histoire. La synchro, l’adrese IP, Bla, bla.. Et voilà que l’autre veut que encore suivre sa procédure, que je retape mes identifiants, que je fasse un reset qui va effacer toutes mes règles de firewall. Je finis par lui faire connaître mon niveau en informatique.
Encore un blanc. Est-ce que je lui donne d’adresse de la femme de mon pire ennemi, pour le réveiller.
Mais le pire arrive. Le mec ne sait plus. C’est évident qu’il ne sait plus. Sa procédure est fondée sur le fait que le client est un gros con qui ne sait pas faire marcher son bel appareil ! Alors, il incrimine mon filtre de tête de ligne, mon gentil filtre-maître. Il n’a plus que ça à se mettre sous la dent. Rien, pas moyen de lui faire admettre qu’il faut que ses petits copains de l’autocom se déplacent pour contrôler ce qui se passe sur le DSLAM. Comme il se fait tard, et que je suis épuisé, je mets fin à l’inutile entretien. Il a dû m’en coûter 10 euros.Pour que dalle.
Le lendemain, je me mets en chasse d’un filtre-maître. On ne sait jamais. J’en trouve un à grand peine.
Là, je dois aller ramper dans les soupentes du grenier, me vautrer dans les toiles d’araignées. Essayer de comprendre, parmi tous ces fils, ce qui servent à quelque chose et qui font quoi. Installation bien embrouillée comme seuls les agents de France Télécom savent les faire et, plus prodigieux encore, savent les dépanner.
Je le pose et reviens vers mon cher routeur avec des espoirs immenses.
Le cher routeur est toujours au rouge. Le con !
Je fais tout un tas de manips. Le cher routeur me nargue comme Brasse-Boullion regardant Folcoche.
Et troisième essai au 3900: temps d’attente de 5 minutes.
Quand me dira-t-on:
– Tous nos opérateurs se sont mobilisés pour être entièrement disponibles pour vous être agréable et venir à bout de cet incident dans les meilleurs délais. Le temps d’attente est de zéro minutes, zéro secondes. Parlez, cher et valeureux client.
Après deux siècles, une voix:
– Bonjour ! Je suis un renard. Tu es responsable de ta rose.
Non, il n’a pas dis cela, mais plus prosaïque;
– Bonjour, je m’appelle Fetnat et je vais…
Pour sûr, cette fois-ci c’est un black. Je suis peut-être tombé sur une plate-forme au Sénégal.
Et ça recommence… Le nom, l’adresse, le tour de poitrine de ma soeur, la longueur de mon organe en action, la procédure. Ah, la procédure. La grande procédure de merde de chien noir. Si j’avais le goût de dépenser des euros encore, je lui dirais ce que j’en pense de la procédure. Qu’elle me les brise menu. Qu’il se la mette bien au chaud avant que je ne la lui fasse bouffer tout en lui défonçant le crâne à la hallebarde. Je vais le tuer. Je vais le massacrer, le pendre par les pudenda et lui faire crier « Bonjour, je suis le renard, s’il te plait, apprivoise-moi ».
Pour le coup je le harcèle à mort… J’entends par la parole.
Pour se venger, il me met en attente payante.
Il revient, pose une question. Mais là où je le bluffe, c’est que, grâce à l’application de gestion de mon routeur, je vois la même chose que lui. Peut-être même plus vite que lui. Quand y a la synchro, quand y a pas. L’adresse IP qui vient et repart, et tout et tout.
Il me remet en attente payante. Puis revient. Il m’annonce qu’on va faire expertiser ma ligne.
Je commence à m’agiter (à vrai dire, je suis déjà très agité) pour lui dire que je ne mettrai pas un sou dans cette expertise.
Il me précise que c’est gratuit. Ouf !
Alors, il me la fait au pompeux. Qu’un expert va expertiser ma ligne de façon experte… L’expert sera sans doute un technicien compérent dont je ne mets pas les connaissances en cause. Voilà 24 heures que je demande qu’on aille voir sur ce putain de DSLAM et sur cette putain de paire de cuivre qui va de l’autocom à chez moi pour comprendre pourquoi j’ai un aussi fort affaiblissement du signal. Mais Fetnat veut me faire sentir profondément la faveur qu’on me fait. Au fond de lui-même je suis persuadé qu’il prie le ciel pour que ce soit mon installation qui merde.
– Et l’expert va vous téléphoner.
– Quand ?
– Mardi (c’est dans trois jours, je renonce à discuter, on est à plus de 30 minutes à 0,33 €), à l’heure qui vous convient.
– Bon, disons à 14 heures.
– Non, ce n’est pas possible. A 15 heures
– Alors ce n’était pas la peine de me dire que c’est quand je veux.
Je le remercie en lui faisant valoir combien ses grandes compétences m’ont permis de progresser dans le trou de misère dans lequel je me suis trouvé plongé.
Je crois bien qu’il m’a cru.