Archive dans 29 novembre 2008

L’Université et moi : 6-Mes débuts vacataires

Me voici donc entré avec ravissement dans le monde merveilleux de l’Université. Un prodige que je n’aurais jamais osé imaginer. La porte était entrouverte. Il me fallait entrer et me maintenir. Tout n’était pas joué d’avance.

Je fis donc au mieux ce que j’avais à faire. Je complétai mon travail par quelques vacations de recherche qui consistaient à dépouiller des questionnaires. Et, chaque mercredi et chaque vendredi après-midi, j’étais Moniteur de Travaux Pratiques sous la houlette d’Alain Danset qui était alors Assistant au Laboratoire de Psychologie Génétique dirigé par le Pr Pierre Oléron, en compagnie de ma camarade d’études Annick Guérin. Le laboratoire était niché dans les hauts de la Sorbonne. On entrait par la porte du 41, rue St Jacques. Il y avait là l’escalier A et un ascenseur. Si on « avait la clé », on montait par l’ascenseur. Sinon, on se tapait les quatre étages, quatre étages de Sorbonne, pour dire vrai, ce qui est bien autre chose qu’un immeuble d’habitation, même ancien.

Le travail de moniteur était très agréable. On installait les postes de travail dans un grand couloir. Chaque poste comprenait une table pliante (qu’on dépliait) et quatre chaises pliantes (qu’on dépliait). On déposait le matériel. C’était Alain Danset qui allait chercher les étudiants à la porte de l’école élémentaire. C’est lui aussi qui allait chercher les enfants dans les classes. Les moniteurs surveillaient le travail des étudiants, répondaient aux questions et intervenaient si nécessaire, travail intéressant qui demandait parfois un peu de tact avec les personnes d’âge qui croyaient tout savoir. Je n’en avais sans doute pas assez. Mon collègue Jacques Lautrey qui a fait une très belle carrière à l’Université, m’a dit se souvenir de moi, à cette époque. Il paraît que je « n’étais pas commode ».

Par chance, une opportunité se présenta à la rentrée de Novembre 1967. Une réforme avait aspiré les assistants et les maîtres assistants vers des travaux dirigés. Il fallait des enseignants pour assurer les travaux pratiques. Je devins donc « Chargé de Cours Complémentaire ». Du coup, je me trouvais en première ligne. Heureusement, Alain n’était pas loin. L’entraînement d’avoir fait quelques cours l’année précédente me fut bien utile. Je crois que tout se passa aussi bien que possible.

Je me pris à espérer, tout en m’accusant intimement de n’être pas assez instruit en Psychologie,  Je me pris à espérer un poste d’Assistant. Je vis, naturellement, arriver d’autres chargés de cours. Arriva notamment Josette Shun qui devait devenir Josette Marquer. Comme elle avait été introduite par la femme de Pierre Oléron, elle obtint un poste plus vite que moi. Ce que je sais de l’implication de Josette depuis, me laisse penser que c’était mérité. J’aurais juste préféré qu’elle fut nommée un peu après moi. C’est tout.

Cette année universitaire fut très agréable. J’avais cet emploi de Chargé de Cours. J’avais aussi dégotté un mi-temps au Service de Recherche de l’INRDP (Institut National sz Recherche er de Documentation Pédagogique), rue d’Ulm à Paris. En même temps, j’étais censé commencer une thèse. Mes semaines étaient bien occupées.

Le vendredi 3 mai 1968 vint bouleverser la donne. Au petit matin, mon fils Bertrand naissait. A 13H30, j’étais rue St Benoît pour ces Travaux Pratiques. Quand j’en ressortis après 16H30, le Quartier Latin était en effervescence.

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

Note sur la crise

Commentaire de: Liberalisme et économie de marché

« Dans une économie de marché, on ne peut blâmer des entrepreneurs d’être allés là où était le profit. Si faute il y a eu c’est celle des gouvernants »

On peut aussi avoir une autre vision de cette phrase:

Le libéralisme et la mondialisation ont générés la titrisation (transfert des risques de solvabilité) et l’apparition de normes comptables internationales privilégiant les aspects court terme aux investissements longs termes de sorte que l’optimum économique d’une compagnie va à l’encontre de sa prospérité. Car si elle privilégiait sa situation long terme, elle s’exposerait à une minimisation de sa valeur de marché et donc à un risque de rachat notamment de compagnie qui privilégieraient l’économie financière à l’économie réelle.

L’immaturité ce situe vraisemblablement plus au niveau des décideurs politiques internationaux, dont bon nombre d’entre eux ne peuvent pas justifier d’un niveau de DEUG en économie s’il existe encore.

Bertrand Dufoyer

La journée ordinaire d’un écolier

Texte reçu sur Internet:

« 

darcos.1227896613.jpgLa journée de Lou 3 septembre 2014

Lou est assis à sa place, parmi ses 32 camarades de CP. Il porte la vieille bLouse de son cousin, éculée, tachée, un peu grande. Celle de Jean-Emilien, au premier rang, est toute neuve et porte le logo d’une grande marque. La maîtresse parle, mais il a du mal à l’entendre, du fond de la classe. Trop de bruit. La maîtresse est une remplaçante, une dame en retraite qui vient remplacer leur maîtresse en congé maternité. Il ne se souvient pas plus de son nom qu’elle ne se souvient du sien. Sa maîtresse a fait la rentrée il y a 3 semaines, puis est partie en congés. La vieille dame de 65 ans est là depuis lundi, elle est un peu sourde, mais gentille. Plus gentille que l’intérimaire avant elle, il sentait le vin et criait fort. Puis il expliquait mal.

Du coup LOU ne comprend pas pourquoi B et A font BA, mais pas dans BANC ni dans BAIE ; ni la soustraction ; ni pourquoi il doit connaître toutes les dates des croisades.

On l’a mis sur la liste des élèves en difficulté, car il a raté sa première évaluation.

Il devra rester de 12h à 12h30 pour le soutien. Sans doute aussi aux vacances. Hier, il avait du mal à écouter la vieille dame pendant le soutien ; son ventre gargouillait.

Quand il est arrivé à la cantine, il ne restait que du pain. Il l’a mangé sous le préau avec ceux dont les parents ne peuvent déjà plus payer la cantine.

Il a commencé l’école l’an dernier, à 5 ans. L’école maternelle n’est plus obligatoire, c’est un choix des mairies, et la mairie de son village ne pouvait pas payer pour maintenir une école. Son cousin Brice a eu plus de chance ; il est allé à l’école à 3 ans mais ses parents ont dû payer. La sieste, l’accueil et le goûter n’existent plus, place à la morale, à l’alphabet ; il faut vouvoyer les adultes, obéir, ne pas parler et apprendre à se débrouiller seul pour les habits et les toilettes : pas assez de personnel.

Les enseignants, mal payés par la commune, gèrent leurs quarante élèves chacun comme une garderie.

L’école privée en face a une vraie maternelle, mais seuls les riches y ont accès.

Mais Brice a moins de mal, malgré tout, à comprendre les règles de l’école et ses leçons de CP. En plus, le soir il va à des cours particuliers, car ses parents ne peuvent pas l’aider pour les devoirs, ils font trop d’heures supplémentaires.

Mais LOU a toujours plus de chance que son voisin Kévin ; il doit se lever plus tôt et livrer les journaux avant de venir à l’école, pour aider son grand- père qui n’a presque plus de retraite.

LOU est au fond de la classe. La chaise à coté de lui est vide. Son ami Saïd est parti, son père a été expulsé le lendemain du jour où le directeur (un gendarme en retraite choisi par le maire) a rentré le dossier de Saïd dans Base élèves. Il ne reviendra jamais. LOU n’oubliera jamais son ami pleurant dans le fourgon de la police,) à coté de son père menotté. Il paraît qu’il n’avait pas de papiers…

LOU fait très attention : chaque matin il met du papier dans son cartable, dans le sac de sa maman et dans celui de son frère.

Du fond, LOU ne voit pas très bien le tableau. Il est trop loin, et il a besoin de lunettes. Mais les lunettes ne sont plus remboursées. Il faut payer l’assurance, et ses parents n’ont pas les moyens. L’an prochain LOU devra prendre le bus pour aller à l’école. Il devra se lever plus tôt. Et rentrer plus tard. L’EPEP (Etablissements publics d’enseignement primaire) qui gère son école a décidé de regrouper les CP dans le village voisin, pour économiser un poste d’enseignant. Ils seront 36 par classe. Que des garçons. Les filles sont dans une autre école.

LOU se demande si après le CM2 il ira au collège ou en centre de préformation professionnelle. Peut-être que les cours en atelier sont moins ennuyeux que toutes ces leçons à apprendre par coeur. Mais sa mère dit qu’il n’y a plus de travail, que ça ne sert à rien. Le père de LOU a dû aller travailler en Roumanie, l’usine est partie là -bas. Il ne l’a pas vu depuis des mois. La délocalisation, ça s’appelle à cause de la mondialisation. Pourtant la vieille dame disait hier que c’était très bien la mondialisation, que ça apportait de la richesse. Ils sont fous, ces Roumains !

Il lui tarde la récréation. Il retrouvera Cathy, la jeune cousine de maman. Elle fait sa deuxième année de stage pour être maîtresse d’école, dans la classe de Monsieur Luc. Il remplace Monsieur Jacques, qui a été renvoyé, car il avait fait grève. On dit que c’était un syndicaliste qui faisait de la pédagogie. Il y avait aussi madame Paulette en CP ; elle apprenait à lire aux enfants avec de vrais livres ; un inspecteur venait régulièrement la gronder ; elle a fini par démissionner. Cathy a les yeux cernés : le soir elle est serveuse dans un café car sa formation n’est pas payée. Elle dit : « A 28 ans et bac +5, servir des bières le soir, faire classe la journée, c’est épuisant». Surtout qu’elle dort dans un salon chez LOU, elle n’a pas assez d’argent pour se payer un loyer.

Après la récréation, il y a le cours de religion et de morale avec l’abbé Georges. Il faut lui réciter la vie de Jeanne d’Arc et les dix commandements par coeur. C’est lui qui organise le voyage scolaire à Lourdes, à Pâques. Sauf pour ceux qui seront convoqués pour le soutien.

LOU se demande pourquoi il est là ,

– Pourquoi Saïd a dû partir,

– Pourquoi Cathy et sa mère pleurent la nuit,

– Pourquoi et comment les usines s’en vont en emportant le travail,  – Pourquoi ils sont si nombreux en classe,  – Pourquoi il n’a pas une maîtresse toute l’année,  – Pourquoi il devra prendre le bus,  – Pourquoi il passe ses vacances à faire des stages,  – Pourquoi on le punit ainsi,  – Pourquoi il n’a pas de lunettes,  – Pourquoi il a faim.

Projection basée sur les textes actuels, les expérimentations en cours et les annonces du gouvernement trouvées sur le net.

 

L’université et moi : 5-Comment j’ai donné mon premier cours de Psychologie à 22 ans

Il se passe des choses étonnantes dans la vie. Des circonstances. Des hasards qui se présentent et qui deviennent fructueux pourvu qu’on les prenne à pleine main.

C’était en novembre 1966. J’étais donc étudiant en psychophysiologie et je redoublais les deux certificats. A ma défense, il faut dire que je n’étais pas le seul, car les études en Sorbonne ne nous préparaient pas au choc du Quai St Bernard. Et voici que je suis passé, en fin d’après-midi, à l’angle de la rue des Écoles et de la rue St Jacques. Je savais qu’en entrant par cette porte de la rue St Jacques et en montant 5 étages, je trouverais le Laboratoire de Psychologie Génétique.

Pris d’une inspiration subite, je montai donc et me présentai. Je dis que je venais pour postuler pour un emploi de Moniteur de Travaux Pratiques. Ces moniteurs avaient pour fonction d’aider l’enseignant dans les écoles: ils installaient et rangeaient le matériel, allaient chercher les enfants et pouvaient répondre, s’ils s’en sentaient capables, aux questions.

Je fus reçu par un enseignant, alors assistant, à qui je dois probablement toute ma carrière. Et même si certains évènements nous ont éloigné par la suite, cela n’enlève rien à ma gratitude et mon respect. Cet homme était Alain Danset et remplissait aussi des fonctions administratives dans le laboratoire. J’entrai donc dans son minuscule bureau. Et il me fit raconter plein de choses, comme il en était capable. Puis il me déclara qu’il n’y avait pas d’emploi de moniteur disponible.

Mais que…

Mais qu’il pouvait m’offrir un petit travail rémunéré à la vacation : traduire un article scientifique publié en anglais. Ce que j’acceptai derechef. Alors, entouré de tous les dictionnaires, je mis quelques jours à traduire le texte avec une motivation et une attention soutenues.

Quand je revins, quelques jours plus tard, Alain prit lentement connaissance de mon travail alors que j’étais assis sur la seule chaise visiteur de son local, coincée entre le bureau et la cloison. Mon coeur battait à fond. J’étais en train d’essayer d’entrer dans ce monde mythique des laboratoire universitaires. La lecture terminée, Alain me posa quelques questions, apporta quelques commentaires et me demanda à brûle pourpoint:

– Pourriez-vous bâtir une manip de TP avec cette recherche.

Une « manip » de TP était une situation expérimentale qu’on proposait de faire dans les séances pour étudier tel ou tel aspect du développement. En fait, il y avait trois axes : l’examen clinique avec Colette Chiland dont j’ai parlé ci-avant, des séances où l’on reproduisait des situations inventées par Piaget et des séances expérimentales où l’on reproduisait des expériences de Psychologie Expérimentale de l’enfant. C’était le cas. Et je dis « oui ».

Les deux étapes ultérieures vinrent presque naturellement:

– Pouvez-vous rédiger le polycopié préparatoire ? Ce document était distribué à l’avance avec une présentation du thème, le mode opératoire et les traitements prévus. Je répondis « oui ».

– Pouvez-vous faire la conférence préparatoire ? Il s’agit d’une heure de cours au quart de la promotion pour présenter de manière théorique et technique la séance en question. Je dis « oui ».

Lorsque je rentrai chez mes parents, le week end qui suivit ce dernier entretien, j’attendis qu’ils me posent leurs sempiternelles questions un peu inquisitoriales sur mes études, je répondis avec un air détaché que tout allait bien et que dans quelques jours, j’allais donner mon premier cours en fac.

J’avais 22 ans ! Ma licence n’était pas finie. Autres temps, autres moeurs.

Alain qui n’était pas satisfait des bavardes  monitrices qui l’accompagnaient se fit violence et les congédia tout en me demandant si je pouvais lui trouver quelqu’un de sérieux pour faire la paire avec moi. C’est ainsi que je lui présentai Annick Guérin, qui avait été pendant une année ma camarade d’études. Quand elle se maria, un an ou deux plus tard, elle prit le nom de son mari. C’est ainsi qu’Annick Cartron fit ses premiers pas à l’université et finit par en devenir Vice-Présidente.

En janvier 1967, je donnai mon premier cours de Psychologie au centre Censier.

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La Sorbonne * Le 46 rue St Jacques

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

L’université et moi : 4- Mes études de Psychologie

Je dois le reconnaître, je ne fus guère déçu par mes études en Psychologie. Bien sûr, il y a toujours des profs qui sont spéciaux. Voire très spéciaux. Il y avait, par exemple, une certaine Henriette B…, qui était une vraie peste. Une vraie méchante, dirai-je. Et notre pire hantise était de ne pas la rencontrer à l’oral. Il y avait des cours brillants, comme celui de Pierre Gréco où je ne comprenais pas tout, des cours besogneux, comme ceux de Pierre Oléron, des cours soporifiques comme celui de Maurice Debesse qui atteignait un âge très canonique.

Et puis et surtout, il y avait tout un tas d’aspects pratiques qui ont malheureusement disparu, et que je regrette.

Il y avait Thérèse Lemperrière qui nous faisait des « Présentations de Malades » à l’Hôpital Ste Anne. Si l’on procédait ainsi aujourd’hui, tous les comités d’éthique nous tomberaient sur le poil. Il est vrai que… Le professeur et le malade étaient assis sur une estrade et s’entretenaient. Cette présentation avait été préparée par une introduction pendant laquelle elle attirait notre attention vers ce que nous devions voir ou entendre. Et, après, évidemment, il y avait un commentaire. Il est vrai que la vidéo a maintenant remplacé tout cela. Mais, à cette époque, nous n’aurions pas eu la moindre occasion  de toucher d’aussi près la réalité des maladies mentales.

Il y avait aussi les Travaux Pratiques de Psychologie de l’Enfant. Pratique également abandonnée. On était reçu dans les écoles et là, installés autour d’une table par groupes de 2 ou 3, on recevait un enfant soit pour un entretien, soit pour un test, soit pour une expérience. Évidemment, on apprenait plein de choses même si l’on se gardait bien de révéler quoi que ce soit à quiconque. C’était très constructif. C’est là que j’appris toutes les bases de l’examen psychologique de l’enfant, sous la conduite de Colette Chiland, à l’époque assistante, que je retrouvai plus tard dans le groupe des enseignants etqui m’appelait « Jean Pierre » sur un ton qui aurait pu laisser croire qu’elle était ma mère. Mes collègues cliniciens vont voir dans mon témoignage un beau délire (Ah Freud !). Tant pis ou tant mieux. Je ne saurais qu’être flatté de faire partie de fils (spirituels) de Colette Chiland. Et quid du contre-transfert ?

Cette pratique (des travaux pratiques) a duré assez longtemps, j’y ai même participé plus tard comme moniteur puis comme enseignant. Puis les parents des écoliers ont fini par s’apercevoir que leurs enfants passaient entre les vilaines mains des vilains psychologues. On comprend alors que les directeurs et les inspecteurs aient fait machine arrière. Il est resté la vidéo, et les stages. Mais les stages c’est pour la quatrième ou la cinquième année, alors que dans ces TP, on recevait des étudiants débutants. C’était tout de suite motivant.

Et puis, il y eut la psychophysiologie, où nous avons maltraité des grenouilles et des rats et dessinés des cerveaux qu’on retirait de grands cristallisoirs pleins de formol. On faisait aussi des enregistrements électro-encéphalograhiques sur nous-mêmes ou d’autres étudiants et tout un tas de choses scientifiques et pratiques sur des paillasses.  C’était bon.

Oui, on peut dire que c’était le bon temps, car on était assez proche de la réalité de la personne. Tout cela a bien changé, souvent au profit de la parlote.

Mes études de psychologie furent honorables : je fus ajourné en juin la première année, mais reçu en septembre, en particulier avec une mention assez-bien en Psychologie de l’Enfant (ce qui décida de ma carrière, plus tard).

Pour la psychophysiologie, il me fallut, comme à beaucoup, m’y reprendre à deux fois. Mais j’obtins une mention à l’un des deux certificats.

Mais le prodige vint d’ailleurs. En janvier 1967, j’avais 22 ans, je n’avais pas terminé ma licence, et pourtant je donnai mon premier cours au Centre Universitaire Censier. Cela mérite un exposé détaillé.

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

Révocation de Valérie Pécresse

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– Pour être en train de foutre un bordel sans nom à l’Université.

– Pour vouloir une recherche-cavalerie par des chercheurs asservis.

– Pour vouloir une recherche futile avec des publications bâclées d’un intérêt nul et que, de toute façon, personne ne lira.

– Pour vouloir des enseignants surchargés d’heures de cours et de copies à corriger, qui feront des enseignements médiocre et superficiels.

– Pour vouloir livrer l’enseignement supérieur et la recherche à l’évaluation des évaluateurs autoproclamés omnicompétents.

– Pour vouloir, in fine, faire financer l’enseignement supérieur par de forts droits d’inscription et des crédits du privé selon les modèles outre-atlantiques.

Déflagration des conditions de travail des Enseignants-Chercheurs : quelques rappels

Au moment où un projet de décret tente de « moduler » la durée des services des enseignants-chercheurs des universités, il convient de faire quelques rappels.

 

On se contentera de remonter aux temps de la prise de service de la classe d’âge approximativement la plus âgée encore en fonction. En 1969, les « assistants » devaient effectuer 125 heures de service annuel, les « maîtres-assistants » 150 et les « professeurs » 75. Ces différences étaient liées à la différence des fonctions. Les professeurs étaient titulaires de « chaires », on dira maintenant responsables d’équipes de recherche et devaient donc diriger des thèses. A l’opposé, les assistants étaient de jeunes enseignants qui préparaient leur thèse. Le temps d’enseignement était donc allégé pour cela.

 

En ce temps-là, l’année universitaire était « normale ». La rentrée se faisait fin octobre début novembre et les examens étaient terminés assez tôt dans le mois de juin. Il restait donc un temps suffisant pour écrire des ouvrages, des articles scientifiques et participer à des congrès nationaux ou internationaux qui se déroulaient pendant la saison d’été. On pouvait mettre aussi cette période à profit pour effectuer les recherches qui demandaient une grande disponibilité et qui étaient incompatibles avec un temps partiel destiné à donner des cours.

 

Naturellement, la préparation des enseignements tenait une grande place. Il était coutumier de ne pas refaire le même cours d’une année sur l’autre. Au pire, il était indispensable d’actualiser les enseignements ce qui représentait une charge significative. Il faut aussi faire remarquer que les universitaires ne peuvent s’appuyer beaucoup sur des manuels ou des ouvrages de synthèse pour la bonne et simple raison que ce sont eux qui les écrivent. A charge pour eux de réunir toute la documentation, ce qui implique, on le comprend bien, un important travail de recherche bibliographique.
Contrairement à l’idée reçue, les universitaires ne bénéficiaient pas de « grandes vacances ». Leur sort était globalement comparable à d’autres emplois de la fonction publique.

 

Leur rémunération était assortie d’une « prime de recherche », correspondant grosso modo à un 13ème mois (quasiment non revalorisée depuis 30 ans), mais qui n’était versée qu’à ceux qui se consacraient totalement à l’université et excluait ceux qui exerçaient simultanément dans le cadre du statut une activité privée. Dans certaines disciplines, comme en Psychologie Clinique, cette activité pouvait être recommandée puisqu’elle contribuait à l’expérience, voire aux travaux de recherche, des enseignants

 

En 1984, tous les enseignants du supérieur sont passés à 192 heures (équivalent TD). Ceci veut dire que celui ou celle qui ne  « fait » que des enseignements en petits groupes de 40 doit y consacrer 192 heures, mais que celui qui « fait » des cours devant de grands auditoire peut faire moins d’heures (la règle étant dans ce cas : 1 heure de cours compte comme 1,5 heure de TD). Tout le monde fut perdant dans cette affaire qui représentait une augmentation de la charge d’enseignement de 30% pour les maîtres-assistants et beaucoup plus de 100 % pour les professeurs. Naturellement ceci ne pouvait se faire qu’au détriment du temps consacré à recherche et qu’au détriment de la qualité des enseignements.
Naturellement, les salaires n’étant pas très élevés (aujourd’hui, un maître de conférences débutant, qui a une thèse et a déjà publié quelques articles scientifiques, touche un peu plus de 1700 euros, nets par mois), les enseignants peuvent être tentés par des heures « complémentaires ». Souvent, il s’agit aussi d’une nécessité, voire d’une obligation, quand les postes statutaires ne sont pas assez nombreux ou que les recrutements tardent à venir.  Ceci arrange bien le Ministère des Finances, car, dans ce métier, ces heures sont moins bien payées que les heures normales. On notera qu’il ne s’agit point d’heures « supplémentaires », mais « complémentaires ».

 

Naturellement, il y a toutes les charges : charges légitimes de préparation des cours et des TD, charges de correction, charges de jury d’examen, charges de « tutorat » des chargés de cours. Aucune n’est indemnisée. Et certaines peuvent être très lourdes. Un enseignant qui fait un cours devant une promotion de première ou seconde année a généralement plusieurs centaines voire presque un millier de copies à corriger. Et ensuite faut-il établir et transmettre des bordereaux de notes à l’administration. Aujourd’hui, avec les enseignements semestriels et l’accroissement des contrôles continus, ces charges ont largement été triplées. Et cette brève énumération ne tient pas compte des multiples tâches de coordination pédagogique et de toutes les charges administratives associées…

 

Plutôt que d’augmenter les salaires, les lois Jospin offraient la possibilité aux enseignants qui s’investissaient ailleurs que dans le secteur privé, c’est-à-dire, dans l’administration universitaire, les responsabilités pédagogiques ou encore dans la recherche, de recevoir un supplément sous forme de primes. Malheureusement, on s’est vite rendu compte que cette prime n’était pas pour tous. Et voici qu’un décret en préparation prévoit que les universitaires auront l’obligation de fournir un certain nombre de publications scientifiques dans des revues tous les 2 ans (peu importeront l’importance de leur contenu et les difficultés matérielles et temporelles de l’approche utilisée) sous peine d’une part, d’être éliminé d’une structure de recherche et d’autre part, de voir augmenter les heures de leur service jusqu’à 100%, et ceci sans retour possible vers une activité de recherche !  Plus encore, ils devront publier dans des revues dites à fort « impact factor », chiffre qui représente le nombre d’articles cités dans la revue, et partant sous-représente un grand nombre de domaines de recherches  spécialisés.

 

Il faudra aussi valider les processus de l’évaluation dont on imagine bien qu’ils posent de nombreuses questions qui vont de la méthode à la compétence des évaluateurs.

 

Selon M-F Fave-Bonnet (2002), « si l’on se réfère aux rares statistiques sur les taux d’encadrement, la France, malgré le nombre remarquable de recrutements d’enseignants-chercheurs, reste un des pays où le nombre d’étudiants par enseignant est des plus élevé : selon l’OCDE ( 2002), la France se place derrière l’Italie ( 22,6) avec un taux d’encadrement de 18,3 en 2000, loin devant l’Espagne( 15,9), les États-Unis ( 13,5), l’Allemagne ( 12,1), le Canada ( 9,8) et la Suède ( 9,3) »…. Les enseignants chercheurs font face  « à une accumulation incontrôlable de tâches diverses. La conséquence a été l’allongement de l’année universitaire qui réduit le temps consacré à la recherche et déporte, de ce fait, celle-ci dans les périodes de vacances : « La recherche, pour beaucoup, devient une conquête permanente, gagnée de haute lutte contre soi-même et ses proches » (Berthelot, 1992). »

 

Dans les pays anglophones, l’expression « Publish or perish » a été largement remplacée par « Publish quick and dirty ». Est-ce bien cela que nous voulons ? La multiplication des articles « Kleenex », pour la plupart non lus et jamais cités, avec ses effets pervers dénoncés depuis plus de 10 ans ! Quid de l’innovation et de la créativité dans la recherche ? Hypothèses nouvelles, risquées, recherches à  long terme, quand on a une obligation de résultats… rapides.  Surprise des étudiants de Master qui apprendront qu’il faudra orienter leur travail comme ci, comme çà, pour pouvoir en faire une publication ! Des groupes d’experts réfléchissent et définissent des axes prioritaires pour les années à venir dans lesquels il sera obligatoire de se mouler pour obtenir un financement des travaux. Quelle méconnaissance des attributs du développement des connaissances !  Comme l’a écrit  un collègue,  « J’y vois surtout un appel formidable au développement de stratégies visant à optimiser la densité de publication en même temps qu’un retour à des modes de fonctionnement excessivement locaux et autocratiques. Serait ce au moins pour améliorer la qualité de la recherche et de l’enseignement ? Je n’ai pas clairement encore compris en quoi. »   Nous non plus.

 

– BERTHELOT, J.-M., PONTHIEUX, S. (1992). « Les enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur : revenus professionnels et conditions d’activités », Documents du CERC (Centre d’études des revenus et des coûts), n° 105, Paris, La Documentation française.
– FAVE-BONNET,  M.-F. (2002). Conflits de missions et conflits de valeurs : la profession universitaire sous tension, Connexions, 78, 31-45.
– OCDE-CERI. (2002). Regards sur l’éducation : les indicateurs de l’OCDE, Paris, OCDE.

 

(1) On trouvera en ligne un excellent aperçu de ces problèmes dans les revue de question de Peter A. Lawrence, concernant la recherche, intitulée « The mismeasurement of science » (Par exemple sur : http://www.dcscience.net/lawrence-current-biology-2007.pdf) et celle de Robert E. Haskell, concernant l’enseignement, intitulée « Academic Freedom, Tenure, and Student Evaluation of Faculty: Galloping Polls in the 21st Century. ERIC/AE Digest » (Par exemple sur : http://findarticles.com/p/articles/mi_pric/is_/ai_3749946279).

 

Carolyn Granier-Deferre
Jean Pierre Dufoyer
Maîtres de Conférences
Institut de Psychologie
Université Paris Descartes

Libéralisme et économie de marché: même combat

Certains croient pouvoir poser un distinguo entre économie de marché et libéralisme. Par exemple, certaines « motions » du Parti Socialiste voudraient pouvoir s’inscrire dans l’environnement mondial de l’économie de marché. C’est reconnaître la légitimité de la concurrence comme facteur de développement.

La « synthèse » se présenterait donc comme suit: le marché est dynamisant. Il incite à l’effort puisqu’on doit le prendre en compte tant dans les objectifs que dans les moyens. Par contre, certaines activités ne peuvent être développées au nom de l’interdiction ou la régulation du « fais ce que voudras » lorsqu’elle portent en germe une contradiction avec l’intéret général. C’est le libéralisme contrôlé, donc ce n’est plus le libéralisme.

Ce distinguo assez subtil est-il véritablement opérationnel ou n’est-ce pas un raionnement fumeux ? Dans Le Monde daté du 21 novembre 208, on trouve en page 3 un article de Sylvain Cypel intitulé Le crépuscule de l’automobile américaine. L’argumentaire général peut être résumé de la façon suivante : aux USA, à l’opposé de ce qui est en Europe, par exemple, les dérivés du pétrole sont restés bon marché. L’absence de taxe n’a pas pu empêcher la montée du prix du litre d’essence à la pompe quant le prix du baril montait. Mais, au final, le prix payé par l’automobiliste restait bien inférieur à ce que payait un français ou un espagnol.

 

 

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Du coup, les constructeurs américains, jusqu’à ces derniers temps, n’ont absolument pas investi dans l’économie de carburant. Ils ont continué à produire de grandes berlines, de gros 4×4 et de gras et gourmands pick-up. Pendant ce temps, les européens et les asiatiques concevaient les modèles que nous connaissons et pénétraient de façon importante le marché des U.S.A.. Et lorsqu’au jours présents le client américain se met à rechercher, pour des raisons économiques, civiques et écologiques des véhicules moins gourmands, ni Ford, ni General Motors, ni Chrysler n’ont eu de modèles à proposer.

Et l’on est frappé de lire, dans l’article, cette citation de David Cole, fils d’un ancien P.D.G. de General Motors, défendant les constructeurs nationaux: « Dans une économie de marché, on ne peut blâmer des entrepreneurs d’être allés là où était le profit. Si faute il y a eu c’est celle des gouvernants ». ce qui revient somme toute à dire: excusez-nous d’être aussi profondément immatures. C’est parce que vous nous avez mal éduqués. Voilà qui, au moins, a l’avantage d’une grande sincérité : le contenu de la citation montre autant d’immaturité que le comportement qu’elle commente. On en revient toujours aux mêmes questions. La seule recherche du profit et, il faut aussi le dire, du profit maximal, est le seul moteur de cette économie. Point de politique industrielle. Tout et tout de suite. Et quand les choses vont mal, on se retourne vers la puissance publique pour demander de l’aide en mettant en balance des milliers de pertes d’emplois. Sans vergogne.

On en revient toujours là.

Notes d’économie politique  39 – 25 novembre 2008

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