Catégorie dans 08-L’Université et moi

L’Université et moi : 7-Mai 1968

En quittant l’école de la rue St Benoît ce 3 mai 1968, je ne savais pas que je venais de faire mes dernières minutes de TP, pour cette année universitaire-là. Et que la prochaine n’allait pas reprendre avant 8 mois.

Je me suis alors trouvé avec trois rôles.

Le premier était celui de l’enseignant, un peu étonné quand même, comme mes collègues, de la tournure que prenaient les évènements. Je me rendais volontiers au Laboratoire de Psychologie Génétique dont je dépendais pour analyser les évènements avec les enseignants statutaires. J’étais, naturellement, un peu en retrait, compte tenu de ma position d’enseignant vacataire. Mais je me suis toujours efforcé d’être là. Par intérêt, par curiosité.

Le deuxième était celui de vacataire à 1/2 temps à l’Institut National de Recherche Pédagogique. J’y travaillais au service Statistique. Je m’y rendais donc, au moins au début du mois de mai, aux jours et heures prévus. Comme tout un chacun, ma productivité n’était pas excellente, compte tenu des circonstances  environnantes. Mias j’étais à mon poste.

Le troisième était celui de l’étudiant. Et là j’étais fort intéressé. Un peu inquiet pour certains excès, mais très solidaires des revendications concernant l’enseignement supérieur, puis concernant l’ensemble de la vie sociale dès que celles-ci émergèrent.

Dès que les amphithéâtres furent ouverts après la réouverture de la Sorbonne, avec d’autres enseignants nous étions souvent dans les assemblées. Pas trop dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, mais dans les plus petits amphis, notamment à Censier, où les ordres du jour annoncés concernaient la vie universitaire et l’enseignement de la psychologie.

Puis les choses devinrent ce que l’on sait. A partir, grosso modo, de la mi-mai, les questions dominantes ne concernèrent pas l’Université.

Puis tout au long du mois de juillet, chacun partit en vacances.

Au retour, à partit d’octobre, l’Université se remit à revivre avec ses propres questions. La première, terre à terre, était celle des examens qui n’avaient pas eu lieu. La deuxième était celle de la réforme des enseignements. Car les universitaires étaient bien convaincus des problèmes et disposés à revoir beaucoup de choses. Surtout qu’on s’attendait à une évolution positive des moyens. Il y eut donc beaucoup de séances de discussion, certaines entre enseignants, mais le plus souvent en présence et avec les étudiants. Ce ne fut pas trop difficile en psychologie car rares étaient les excessifs.

J’y étais. Rien ne me forçait à y être puisque mon contrat ne portait que sur l’année 1967-68. J’y étais à la fois parce toutes ces discussions m’intéressaient et qu’accessoirement, j’avais bien envie de conserver mon travail pour l’année universitaire à venir. Les choses allèrent même très loin parce que je fus même chargé de l’organisation matérielle (horaires, salles) de la deuxième année de psychologie, celle où j’intervenais. Et je fus même chargé d’organiser les inscriptions pédagogiques qui eurent lieu, je crois, en décembre. Je dois ces responsabilités, peut-être, à mon côté pragmatique. Quand une proposition tait adoptée, j’avais l’habitude, sans qu’on ne me demandât rien, de l’opérationnaliser. Et quand on revenait le lendemain en séance, j’avais des solutions concrètes et applicables à proposer. Je crois que c’était bien vu parce qu’on avançait.

Je participai aux examens qui furent, on doit bien le reconnaître, ce qu’ils furent. Je me fis même sermoner par un statutaire parce que mes notes étaient trop sévères. je fis le nécessaire, un peu à contre coeur. Je participai aussi à la grande délibération dans une immense salle où il y avait plein d’enseignants et d’étudiants. Il y eut naturellement beaucoup de reçus.

Lorsqu’il fut annoncé que des postes d’assistants seraient créés en Psychologie, je fis, naturellement, un peu de lobbying. Ma candidature fut soutenue par plusieurs statutaires, dont le directeur du Laboratoire, Pierre Oléron. Et je fus élu (en décembre, je crois avec effet rétroactif au 1er novembre). Je pense sincèrement n’avoir pas démérité pour obtenir ce poste. Pendant toute la période troublée, j’étais là, je m’étais impliqué avec beaucoup de sincérité sans vraiment rien espérer de plus que ce que j’avais déjà.

Ce fut quand même une grande chance. A 24 ans et 2 mois, j’entrai dans l’Enseignement  Supérieur. C’était beaucoup plus que ce que j’aurais pu espérer.

Au début de chaque année universitaire, je raconte cette histoire à mes étudiants. Surtout pour leur dire que leur avenir professionnel peut dépendre fortement de l’implication qu’on met dans une tâche. A un moment, on devient presque indispensable. Et s’il y a une opportunité, on est bien placé pour en bénéficier. Lorsque, quelques années auparavant, j’avais travaillé un mois d’été au Service des Périodiques de l’Education Nationale, je m’étais vu proposer, pour des raisons analogues de « rester ».

© Jean Pierre Dufoyer, décembre 2008

L’Université et moi : 6-Mes débuts vacataires

Me voici donc entré avec ravissement dans le monde merveilleux de l’Université. Un prodige que je n’aurais jamais osé imaginer. La porte était entrouverte. Il me fallait entrer et me maintenir. Tout n’était pas joué d’avance.

Je fis donc au mieux ce que j’avais à faire. Je complétai mon travail par quelques vacations de recherche qui consistaient à dépouiller des questionnaires. Et, chaque mercredi et chaque vendredi après-midi, j’étais Moniteur de Travaux Pratiques sous la houlette d’Alain Danset qui était alors Assistant au Laboratoire de Psychologie Génétique dirigé par le Pr Pierre Oléron, en compagnie de ma camarade d’études Annick Guérin. Le laboratoire était niché dans les hauts de la Sorbonne. On entrait par la porte du 41, rue St Jacques. Il y avait là l’escalier A et un ascenseur. Si on « avait la clé », on montait par l’ascenseur. Sinon, on se tapait les quatre étages, quatre étages de Sorbonne, pour dire vrai, ce qui est bien autre chose qu’un immeuble d’habitation, même ancien.

Le travail de moniteur était très agréable. On installait les postes de travail dans un grand couloir. Chaque poste comprenait une table pliante (qu’on dépliait) et quatre chaises pliantes (qu’on dépliait). On déposait le matériel. C’était Alain Danset qui allait chercher les étudiants à la porte de l’école élémentaire. C’est lui aussi qui allait chercher les enfants dans les classes. Les moniteurs surveillaient le travail des étudiants, répondaient aux questions et intervenaient si nécessaire, travail intéressant qui demandait parfois un peu de tact avec les personnes d’âge qui croyaient tout savoir. Je n’en avais sans doute pas assez. Mon collègue Jacques Lautrey qui a fait une très belle carrière à l’Université, m’a dit se souvenir de moi, à cette époque. Il paraît que je « n’étais pas commode ».

Par chance, une opportunité se présenta à la rentrée de Novembre 1967. Une réforme avait aspiré les assistants et les maîtres assistants vers des travaux dirigés. Il fallait des enseignants pour assurer les travaux pratiques. Je devins donc « Chargé de Cours Complémentaire ». Du coup, je me trouvais en première ligne. Heureusement, Alain n’était pas loin. L’entraînement d’avoir fait quelques cours l’année précédente me fut bien utile. Je crois que tout se passa aussi bien que possible.

Je me pris à espérer, tout en m’accusant intimement de n’être pas assez instruit en Psychologie,  Je me pris à espérer un poste d’Assistant. Je vis, naturellement, arriver d’autres chargés de cours. Arriva notamment Josette Shun qui devait devenir Josette Marquer. Comme elle avait été introduite par la femme de Pierre Oléron, elle obtint un poste plus vite que moi. Ce que je sais de l’implication de Josette depuis, me laisse penser que c’était mérité. J’aurais juste préféré qu’elle fut nommée un peu après moi. C’est tout.

Cette année universitaire fut très agréable. J’avais cet emploi de Chargé de Cours. J’avais aussi dégotté un mi-temps au Service de Recherche de l’INRDP (Institut National sz Recherche er de Documentation Pédagogique), rue d’Ulm à Paris. En même temps, j’étais censé commencer une thèse. Mes semaines étaient bien occupées.

Le vendredi 3 mai 1968 vint bouleverser la donne. Au petit matin, mon fils Bertrand naissait. A 13H30, j’étais rue St Benoît pour ces Travaux Pratiques. Quand j’en ressortis après 16H30, le Quartier Latin était en effervescence.

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

L’université et moi : 5-Comment j’ai donné mon premier cours de Psychologie à 22 ans

Il se passe des choses étonnantes dans la vie. Des circonstances. Des hasards qui se présentent et qui deviennent fructueux pourvu qu’on les prenne à pleine main.

C’était en novembre 1966. J’étais donc étudiant en psychophysiologie et je redoublais les deux certificats. A ma défense, il faut dire que je n’étais pas le seul, car les études en Sorbonne ne nous préparaient pas au choc du Quai St Bernard. Et voici que je suis passé, en fin d’après-midi, à l’angle de la rue des Écoles et de la rue St Jacques. Je savais qu’en entrant par cette porte de la rue St Jacques et en montant 5 étages, je trouverais le Laboratoire de Psychologie Génétique.

Pris d’une inspiration subite, je montai donc et me présentai. Je dis que je venais pour postuler pour un emploi de Moniteur de Travaux Pratiques. Ces moniteurs avaient pour fonction d’aider l’enseignant dans les écoles: ils installaient et rangeaient le matériel, allaient chercher les enfants et pouvaient répondre, s’ils s’en sentaient capables, aux questions.

Je fus reçu par un enseignant, alors assistant, à qui je dois probablement toute ma carrière. Et même si certains évènements nous ont éloigné par la suite, cela n’enlève rien à ma gratitude et mon respect. Cet homme était Alain Danset et remplissait aussi des fonctions administratives dans le laboratoire. J’entrai donc dans son minuscule bureau. Et il me fit raconter plein de choses, comme il en était capable. Puis il me déclara qu’il n’y avait pas d’emploi de moniteur disponible.

Mais que…

Mais qu’il pouvait m’offrir un petit travail rémunéré à la vacation : traduire un article scientifique publié en anglais. Ce que j’acceptai derechef. Alors, entouré de tous les dictionnaires, je mis quelques jours à traduire le texte avec une motivation et une attention soutenues.

Quand je revins, quelques jours plus tard, Alain prit lentement connaissance de mon travail alors que j’étais assis sur la seule chaise visiteur de son local, coincée entre le bureau et la cloison. Mon coeur battait à fond. J’étais en train d’essayer d’entrer dans ce monde mythique des laboratoire universitaires. La lecture terminée, Alain me posa quelques questions, apporta quelques commentaires et me demanda à brûle pourpoint:

– Pourriez-vous bâtir une manip de TP avec cette recherche.

Une « manip » de TP était une situation expérimentale qu’on proposait de faire dans les séances pour étudier tel ou tel aspect du développement. En fait, il y avait trois axes : l’examen clinique avec Colette Chiland dont j’ai parlé ci-avant, des séances où l’on reproduisait des situations inventées par Piaget et des séances expérimentales où l’on reproduisait des expériences de Psychologie Expérimentale de l’enfant. C’était le cas. Et je dis « oui ».

Les deux étapes ultérieures vinrent presque naturellement:

– Pouvez-vous rédiger le polycopié préparatoire ? Ce document était distribué à l’avance avec une présentation du thème, le mode opératoire et les traitements prévus. Je répondis « oui ».

– Pouvez-vous faire la conférence préparatoire ? Il s’agit d’une heure de cours au quart de la promotion pour présenter de manière théorique et technique la séance en question. Je dis « oui ».

Lorsque je rentrai chez mes parents, le week end qui suivit ce dernier entretien, j’attendis qu’ils me posent leurs sempiternelles questions un peu inquisitoriales sur mes études, je répondis avec un air détaché que tout allait bien et que dans quelques jours, j’allais donner mon premier cours en fac.

J’avais 22 ans ! Ma licence n’était pas finie. Autres temps, autres moeurs.

Alain qui n’était pas satisfait des bavardes  monitrices qui l’accompagnaient se fit violence et les congédia tout en me demandant si je pouvais lui trouver quelqu’un de sérieux pour faire la paire avec moi. C’est ainsi que je lui présentai Annick Guérin, qui avait été pendant une année ma camarade d’études. Quand elle se maria, un an ou deux plus tard, elle prit le nom de son mari. C’est ainsi qu’Annick Cartron fit ses premiers pas à l’université et finit par en devenir Vice-Présidente.

En janvier 1967, je donnai mon premier cours de Psychologie au centre Censier.

st-jacques.1227740658.JPG

La Sorbonne * Le 46 rue St Jacques

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

L’université et moi : 4- Mes études de Psychologie

Je dois le reconnaître, je ne fus guère déçu par mes études en Psychologie. Bien sûr, il y a toujours des profs qui sont spéciaux. Voire très spéciaux. Il y avait, par exemple, une certaine Henriette B…, qui était une vraie peste. Une vraie méchante, dirai-je. Et notre pire hantise était de ne pas la rencontrer à l’oral. Il y avait des cours brillants, comme celui de Pierre Gréco où je ne comprenais pas tout, des cours besogneux, comme ceux de Pierre Oléron, des cours soporifiques comme celui de Maurice Debesse qui atteignait un âge très canonique.

Et puis et surtout, il y avait tout un tas d’aspects pratiques qui ont malheureusement disparu, et que je regrette.

Il y avait Thérèse Lemperrière qui nous faisait des « Présentations de Malades » à l’Hôpital Ste Anne. Si l’on procédait ainsi aujourd’hui, tous les comités d’éthique nous tomberaient sur le poil. Il est vrai que… Le professeur et le malade étaient assis sur une estrade et s’entretenaient. Cette présentation avait été préparée par une introduction pendant laquelle elle attirait notre attention vers ce que nous devions voir ou entendre. Et, après, évidemment, il y avait un commentaire. Il est vrai que la vidéo a maintenant remplacé tout cela. Mais, à cette époque, nous n’aurions pas eu la moindre occasion  de toucher d’aussi près la réalité des maladies mentales.

Il y avait aussi les Travaux Pratiques de Psychologie de l’Enfant. Pratique également abandonnée. On était reçu dans les écoles et là, installés autour d’une table par groupes de 2 ou 3, on recevait un enfant soit pour un entretien, soit pour un test, soit pour une expérience. Évidemment, on apprenait plein de choses même si l’on se gardait bien de révéler quoi que ce soit à quiconque. C’était très constructif. C’est là que j’appris toutes les bases de l’examen psychologique de l’enfant, sous la conduite de Colette Chiland, à l’époque assistante, que je retrouvai plus tard dans le groupe des enseignants etqui m’appelait « Jean Pierre » sur un ton qui aurait pu laisser croire qu’elle était ma mère. Mes collègues cliniciens vont voir dans mon témoignage un beau délire (Ah Freud !). Tant pis ou tant mieux. Je ne saurais qu’être flatté de faire partie de fils (spirituels) de Colette Chiland. Et quid du contre-transfert ?

Cette pratique (des travaux pratiques) a duré assez longtemps, j’y ai même participé plus tard comme moniteur puis comme enseignant. Puis les parents des écoliers ont fini par s’apercevoir que leurs enfants passaient entre les vilaines mains des vilains psychologues. On comprend alors que les directeurs et les inspecteurs aient fait machine arrière. Il est resté la vidéo, et les stages. Mais les stages c’est pour la quatrième ou la cinquième année, alors que dans ces TP, on recevait des étudiants débutants. C’était tout de suite motivant.

Et puis, il y eut la psychophysiologie, où nous avons maltraité des grenouilles et des rats et dessinés des cerveaux qu’on retirait de grands cristallisoirs pleins de formol. On faisait aussi des enregistrements électro-encéphalograhiques sur nous-mêmes ou d’autres étudiants et tout un tas de choses scientifiques et pratiques sur des paillasses.  C’était bon.

Oui, on peut dire que c’était le bon temps, car on était assez proche de la réalité de la personne. Tout cela a bien changé, souvent au profit de la parlote.

Mes études de psychologie furent honorables : je fus ajourné en juin la première année, mais reçu en septembre, en particulier avec une mention assez-bien en Psychologie de l’Enfant (ce qui décida de ma carrière, plus tard).

Pour la psychophysiologie, il me fallut, comme à beaucoup, m’y reprendre à deux fois. Mais j’obtins une mention à l’un des deux certificats.

Mais le prodige vint d’ailleurs. En janvier 1967, j’avais 22 ans, je n’avais pas terminé ma licence, et pourtant je donnai mon premier cours au Centre Universitaire Censier. Cela mérite un exposé détaillé.

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

L’Université et moi : 3-L’entrée en Psychologie : premières sensations

On dit que j’ai échoué en Lettres Modernes. Point du tout. Ce sont les Lettres Modernes qui ont échoué. J’étais là, plein de disponibilité et de ferveur, disposé à analyser le moindre petit pied de la Légende des Siècles. Et voici qu’il me fallut me colleter avec le Lai de Lanval. Et d’ailleurs, qui sait aujourd’hui ce qu’est un « lai » et « de Lanval » de surcroiît ?

Je m’inscrivis donc en Psychologie et pour la première année, au Certificat de Psychologie Générale qui était commun avec la Licence de Philosophie et au Certificat de Psychologie de l’Enfant qui était spécifique.

Et voici que mon père, conseillé par je ne sais qui, m’apporta deux livres qu’il avait emprunté à la Bibliothèque des Cheminots de Paris Austerlitz, à lire avant la rentrée (qui à cette époque heureuse avait lieu début novembre): L’Introduction à la Psychanalyse de Sigmund Freud et le Traité de Psychologie de Norman L. Munn (ou plutôt la traduction en français de ce manuel américain). J’y découvris deux univers très différents. Sans doute Freud fut-il celui qui m’étonna le moins, car on m’avait, bien sûr, déjà parlé de Psychanalyse. Mais je fus quand même frappé par la prudence de l’auteur. Car Freud, comme dans beaucoup d’autres ouvrages, se montre hésitant. Il utilise des circonlocutions, des métaphores. Ou, plutôt, expose bien la différence entre les faits de parole de ses clients sur le divan et les hypothèses explicatives qu’il construit. C’était une vraie leçon d’humilité. L’inventeur de la Psychanalyse faisait part de ses hésitations, voire de ses incertitudes. Je dois dire que j’ai souvent regretté, par la suite, que ses successeurs connaissent moins l’usage du conditionnel. En particulier Mélanie Klein que j’ai toujours considérée comme une cinglée quand elle nous parle de « fantasme de dévoration du sein maternel ». René Zazzo l’a clouée en palant des « vaticinations de Dame Mélanie Klein ». Même si j’ai une dent contre Zazzo pour son attitude lors de ma thèse, j’incline à penser comme lui.

Quant à Munn, ce fut une découverte. Tous ces rats qu’on faisait souffrir et toutes ces expériences… Découverte ! Car, en fait de Traité de Psychologie, celui de Munn était un Traité de Psychologie Expérimentale. Mais je survécus et j’appris quelque chose: c’est qu’il existait bien des voies d’études du psychisme et que rien ne pouvait prouver que l’une était meilleure que l’autre tant que les auteurs se gardaient de confondre les hypothèses et les conclusions. Cette attitude, dont je découvris par la suite qu’elle était scientifique, ne m’a jamais quitté. Cela m’a valu l’inimitié de certains psychanalystes. Les expérimentalistes sont plus sereins.

Cette première année de psychologie fut très heureuse. J’y rencontrais une jeune personne avec qui j’allais partager quelques mois de ma vie. Ce ne fut pas sans incidence sur mes choix car elle était encore en cure psychanalytique. Fut-ce l’effet de cette compagnie ? Je m’ennuyais assez peu en cours. Il y avait même des intervenants brillants comme Pierre Gréco, un bon élève de Piaget (mais j’avoue que je ne comprenais pas tout). Gréco maîtrisait totalement les concepts piagetiens. Mais nous, pauvre auditoire. Mais c’était brillant. Que dis-je brillant, suprême. Le privilège rare d’écouter un prof qui parle sans notes et sans ennui. A la fin, on apllaudissait à tout rompre.

Il y eut Daniel Lagache, le samedi matin à 8 heures dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Pourquoi cette admiration ? L’horaire et le jour étaient difficiles et je ne me souviens pas qu’il fut un grand orateur. Et il faisait un cours sur le « Deuil Pathologique », pas de quoi danser la java ou le rock ! Et cette détresse lorsque je compris qu’il nous parlait d’une de ses patientes qui s’étaient immolée par le feu. Et là j’ai approché toute la solitude et la grandeur du thérapeute dans la souffrance qu’il s’autorisait à laisser percevoir à ses élèves. Et il nous apprenait aussi combien notre expérience et notre savoir étaient bien peu de choses… Et, en même temps, par son expérience même, il nous apprenait aussi le droit à l’erreur.

Daniel Lagache fut de ceux qui comprirent très tôt que, malgré les diverses méthodes d’approche, la Psychologie, en tant qu’elle s’efforcer d’expliquer le fonctionnement de l’être humain, était une et indivisible. Beaucoup des petits maîtres qui lui ont succédé, l’on oublié.

Dans la catégorie monstres sacrés, il y eut aussi Paul Fraisse.  Pourtant pas un brillant enseignant. Ni même un brillant chercheur. Au jour d’aujourd’hui, il serait classé en troisième ou quatrième ligne.

Je crois bien qu’il faisait un cours sur l’apprentissage. Un cours de Psychologie Expérimentale. Pas vraiment marrant. Mais il y avait quelque chose que j’ai compris plus tard, quand j’ai su qu’il était très croyant, tout l’humanisme qui l’animait derrière les expériences de laboratoire qu’il nous exposait sans jamais perdre l’homme de vue. Un expérimentaliste comme lui ne pouvait être totalement sec.

J’ai eu l’immense terreur et l’immense privilège d’être interrogé par Paul Fraisse à l’oral. J’ai survécu. Je crois bien, même, avoir obtenu une note honorable.

A un an près, j’aurais pu entendre Jean Piaget. Mais il avait regagné Genève. Pierre Oléron lui avait succédé.
Oléron était un enseignant épouvantable. Les applaudissements, à la fin de chaque cours, étaient misérables. J’ai su, par la suite qu’il détestait faire des cours. Il était parvenu à la chaire de Psychologie Génétique, à la suite de Piaget, apparemment comme troisième homme dans une situation où des considérations politiques et diverses ne permettaient pas de faire un choix. Je sais que René Zazzo était l’un des postulants. Je ne sais plus qui était l’autre, peut-être Merleau-Ponty. En tous cas, Zazzo était de gauche, communiste, disait-on. Et en ces temps-là ce n’était pas un avantage hors des territoires culturels dominés par le Parti.

Je reparlerai plus tard de Pierre Oléron, parce que je devais le cotoyer de nombreuses années.

J’eus aussi le privilège de suivre les enseignements de Maurice Debesse. L’homme était très âgé, avait probablement dépassé l’âge de la retraite. Il mérite cependant un mot pour avoir cristallisé la recherche pédagogique de l’époque. Aujourd’hui, on a tendance à se tordre de rire en lisant ce qu’il a écrit sur la Crise d’Originalité Juvénile. Pour l’époque puritaine et gaullienne, c’était quelque chose. Je crois que Debesse et la plupart des enseignants de Pédagogie, appartenaient à des mouvements d’Education Nouvelle. J’en étais aussi quelque peu, ayant préparé mon Diplôme de Moniteur de Colonies de Vacances (eh oui ! c’était le nom) avec les C.E.M.E.A. qui étaient un repaire de gauche dans lequel je m’étais bien repéré.

Et puis il y avait Juliette Favez-Boutonnier. Je n’en parle pas pour ses cours de psychanalyse qui n’avaient pas le charisme de ceux de Lagache. Non, mais après son cours, nous nous retrouvions à quatre, dans un café, avec Josiane Delhemmes, Annick Guérin et Viviane Hazan pour réunir et mettre en ordre nos notes pour le Bulletin de Psychologie.

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

L’Université et moi : 2-Rencontre avec la politique

Ma formation politique était très incertaine. A l’âge de 14 ans, j’étais très Algérie Française, sans doute sous l’influence d’un copain de lycée, interne à Lakanal et que ses parents restés à Oran, avaient envoyé là pour ne pas compromettre ses études. Le putsch de 1958 m’amusa beaucoup. A vrai dire, je n’y comprenais pas grand chose. L’arrivée de de Gaulle ne me troubla point, tant j’étais immergé dans l’anti Quatrième République qui avait cours en ces temps-là.

Mais lorsque le péril du service militaire en Algérie vint me tourner autour, je commençais à réfléchir autrement. Et puis, il y avait les témoignages sur la torture, même si les attentats aveugles me répugnaient profondément.

Quand de Gaulle négocia avec le F.L.N., j’y vis une trahison et quand Bastien Thiry fut exécuté, j’y vis un crime.

J’arrivais donc à la Sorbonne, plein de sentiments contradictoires.

J’y découvris l’U.N.E.F. et un havre qu’était la salle du G.L.M.. Le Groupe de Lettres Modernes, section de l’U.N.E.F., disposait sous les toits, en haut de l’escalier A de la Sorbonne, d’une salle d’une certaine superficie. Dans ce local, il y avait des tables et des chaises, des affiches et des débats politiques. C’était chauffé. Le balai ne devait pas y entrer souvent. Mais c’était commode et plus économique qu’un bistrot du Quartier Latin. Mais ce n’était jamais calme. J’y découvris toutes les tendances: les communistes s’affichaient clairement. Mais il y avait aussi d’autres groupes, qui participeront sans doute à la formation des groupuscules en 68, se disaient plus à gauche. Et, dans ma naïveté, je n’avais pas imaginé qu’on pût être plus à gauche que le P.C..

Je peux laisser à un historien spécialiste la classification de toutes ces tendances. Mais en tout cas, elles s’exprimaient dans le local du GLM et je les écoutais. Tout Algérie Française que j’aie pu être (ce que je me suis bien gardé de dire par crainte de finir en hachis – il n’y a pas si longtemps que j’ai osé l’avouer), le fond de ma personne était de gauche. Et puis la pression de l’état gaullien se faisait de plus en plus sentir sur ma culture philosophique assez fortement teintée d’existentialisme.

Au hasard des rencontres, je me trouvais impliqué par les socialistes. A ce moment, la Ligue Française de l’Enseignement, repaire socialiste de tous temps, cherchait une entrée à l’Université. Avec quelques camarades de rencontre, je me trouvai donc impliqué dans la création du Cercle Laïque des Étudiants de Paris, ce qui donnait le sigle bizarre de CLEP que quelques mauvais sujets traduisirent rapidement en « clebs ». Je crois bien que j’en étais vice-président. Nous organisâmes pour commencer un débat sur un sujet d’actualité: orientation ou sélection à l’Université. Non, ce n’est pas une blague. Comme quoi, il y a des thèmes qui sont éternels. La Ligue loua une salle à la Mutualité. Il y vint une poignée d’auditeurs qui n’avaient rien à faire là parce que leur position était déjà déterminée.
Je sais que le C.L.E.P. continua un peu, mais sans moi.
Mais si cette année de Lettres Modernes fut nulle du point de vue de mes études universitaires, j’en sortis politiquement avancé. Ma position était de gauche, mais hors de toute organisation qui ne me semblait conduire qu’à l’embrigadement. Le pire exemple était celui des communistes fidèles béats d’une religion qui avait fini par piétiner l’évangile marxiste, au moins dans les pays de l’Est. Quant aux groupuscules ou aux trotskistes, il ne valaient guère mieux, sans compter qu’un certain nombre me paraissaient cinglés.
J’étais un peu mal à l’aise de ne pouvoir me retrouver dans aucune de ces structures. Il fallut 1968 pour que je fasse connaissance avec le point de vue libertaire qui ne m’a jamais quitté depuis surtout quand je découvris que l’anarchie n’était pas ce qu’on voulait me faire croire.

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

L’université et moi : 1-Avant la Psychologie

C’était une fin d’après-midi, disons de novembre 1966. J’étais alors étudiant en psychologie et je terminais ma licence. Je terminais lentement. Car l’année précédente, je m’étais fait royalement coller aux deux certificats de psycho-physiologie, à la session de juin, comme à la session d’octobre.

En fait, la licence de psycho était bizarre. Elle était délivrée à la fois par la Faculté des Lettres et Sciences Humaines et par la Faculté des Sciences. On pouvait la prendre par les deux bouts. Après une première année scientifique ou littéraire, on passait d’abord les certificats correspondants, puis on allait dans l’autre faculté passer le reste.

J’étais « littéraire ». J’avais commencé mes études universitaires par une propédeutique lettres en même temps qu’une hypokhâgne de second choix. Mais j’avais passé deux bacs (à l’époque on en passait deux) assez scientifiques: un bac C en première (avec mention bien, madame !) et un bac de Sciences Expérimentales en terminale (avec mention assez-bien, pas si mal, mais moins bien, quand même). Mais, au fond de moi, je n’avais guère envie de faire des études scientifiques. Je voulais être prof de français. J’étais donc tout naturellement allé vers des études littéraires.

Le proviseur du lycée Henri IV, une vieille peau que j’avais déjà fréquenté en seconde à Lakanal, n’avait pas voulu de moi dans son hypokhagne renommée. J’avais donc échoué, de nouveau, au Lycée Lakanal dans une classe ou l’on pouvait préparer Normale Sup, mais qui, en fait ne nous préparait qu’à l’ENSET (Ecole Normale Supérieure de l’Enseignement Technique), qui avait une section pour les profs littéraires. On avait quand même de sacrés profs ! Il y avait, notamment, un certain Monsieur Cavalier qui était un bon, enseignait le français de façon pas trop ennuyeuse, très compétent sur le théâtre et qui m’énervait profondément parce qu’il détestait Jean Vilar.

Un jour, je déposais sur son bureau cette méchants strophe:
Jean Vilar, Jean vilain,
C’est d’la boue et du crottin.
Jean Vilar, Jean vilain,
Aura mon pied au bas des reins.

Je ne sais pas pourquoi j’écrivis ceci qui ne correspondait absolument pas à mon point de vue. Peut-être était-ce pour stigmatiser l’argumentaire de celui qui critiquait tant l’artiste. De toute façon, je ne sais plus ce qu’il advint de la chose.

En même temps, j’étais inscrit en fac, où je ne pouvais pas aller, car j’étais très pris au lycée, sauf à un cours d’Histoire Romaine de Pierre Grimal que je trouvais très intéressant.

Pendant un trimestre, je restai interne parce mes parents n’avaient pas voulu me livrer aux tentations de la chambre en ville. Mais on peut toujours se divertir, si l’envie nous prend. Nous avions de longues heures d’études non surveillées (car nous étions réputés « grands »).  Je n’ai pas le souvenir d’une grande concentration. Je m’acheminais parfois en rampant presque sous la chaise d’un élève qui portait une grande blouse grise dont les deux pans pendaient de part et d’autre du siège. Le grand jeu était donc d’y glisser silencieusement du papier journal préalablement froissé et… d’y mettre le feu.

Je n’ai jamais réussi à incendier la blouse. Mais les sauts en l’air de son propriétaire valaient le spectacle.

En même temps, j’avais fini par trouver une chambre en ville et je mis mes parents devant le fait accompli. Et comme c’était une chambre au pair, ils ne pouvaient même pas avancer l’argument financier. C’était à Sceaux, chez un monsieur Diamant-Berger qui pourraient bien être Henri, le cinéaste. Je devais donner des cours du soir aux enfants. Des pestes qui ne voulaient pas de cours, ce qui m’arrangeait bien.

Et j’étais souvent amoureux. Disons que c’était un état naturel. Je revois les visages. Pas tous les prénoms. Je me souviens de la souffrance d’entendre un autre élève me raconter comment il était « sorti » avec l’une d’elle. Il y eut  celle que je surnomme Chloé . A l’époque on « sortait ». Les filles étaient très, très, très , très… prudentes. Après coup, je les comprends et, à vrai dire, je ne le regrette pas. Vu de maintenant, cette quasi chasteté à quelque chose de franchement sublime et romantique.

C’est dire aussi que les résultats universitaires furent à la hauteur de ma concentration au travail. Pas une note supérieure à 5 sur 20 au concours. Et j’échouai aussi à Propé en juin.

Foin des avatars. Je me réinscrivis pour octobre à Propé en changeant les matières: dissertation française, version anglaise et géographie (qui remplaça l’aléatoire dissertation philosophique et que j’étudiai vite fait pendant les vacances). Et je fus reçu. sans mention, je dois l’avouer : la pente était savonneuse.

Et je m’engageai pour des études de Lettres Modernes.

Ce que j’ignorais, c’est qu’il fallait comprendre « lettres modernes » par opposition aux « lettres classiques ». Et non l’étude de la littérature contemporaine, comme je l’espèrais. Les Lettres Modernes commencent en 1500 ! Je me souviens, en particulier, d’une étude du Lai de Lanval digne la recherche de la chair dans le corps d’une étrille. Je n’ai rien contre les étrilles, ni contre le Lai de Lanval. C’est un poème qui ne manque pas de qualités dès lors qu’on l’a déjà traduit de sa langue ancienne. Mais de là à passer une heure par semaine pendant une année dans l’amphithéâtre Durkheim, sur ce sujet ardu. Dur.

Il y avait aussi un autre piège. Il se nommait Radio-Sorbonne. Hé oui ! Nombre de cours étaient diffusés à la radio. On pouvait donc les écouter chez soi, d’une oreille attentive ou… distraite. Mais pire, l’heureux propriétaire que j’étais, pour l’époque, d’un magnétophone, ne se privait pas d’enregistrer le cours en remettant à plus tard d’ouïr l’ennuyeux cours sur Lanval. » Plus tard » devint « bien plus tard », pluis « calendes grecques », puis jamais.

La pente savonneuse s’accentua très fortement. La sanction méritée vint : échec aux deux sessions assorti d’un trouble d’orientation, les lettres modernes n’étant vraiment pas ce qu’il me fallait.

Mais l’échappatoire vint en même temps. Cette année-là, le concours des IPES (Institut de Préparation à l’Enseignement Secondaire*) fut ouvert en psychologie. C’est la note de Propé, deuxième session, qui servait de classement. Je repassai donc Propé et… ne fut pas admis au concours.

Mais, pour le coup, je décidais d’entreprendre des études de psychologie.

* On suivait les cours de fac. On avait du soutien pour préparer le CAPES et l’Agrégation. Et on était payé !

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008