L’Université et moi : 7-Mai 1968

L’Université et moi : 7-Mai 1968

En quittant l’école de la rue St Benoît ce 3 mai 1968, je ne savais pas que je venais de faire mes dernières minutes de TP, pour cette année universitaire-là. Et que la prochaine n’allait pas reprendre avant 8 mois.

Je me suis alors trouvé avec trois rôles.

Le premier était celui de l’enseignant, un peu étonné quand même, comme mes collègues, de la tournure que prenaient les évènements. Je me rendais volontiers au Laboratoire de Psychologie Génétique dont je dépendais pour analyser les évènements avec les enseignants statutaires. J’étais, naturellement, un peu en retrait, compte tenu de ma position d’enseignant vacataire. Mais je me suis toujours efforcé d’être là. Par intérêt, par curiosité.

Le deuxième était celui de vacataire à 1/2 temps à l’Institut National de Recherche Pédagogique. J’y travaillais au service Statistique. Je m’y rendais donc, au moins au début du mois de mai, aux jours et heures prévus. Comme tout un chacun, ma productivité n’était pas excellente, compte tenu des circonstances  environnantes. Mias j’étais à mon poste.

Le troisième était celui de l’étudiant. Et là j’étais fort intéressé. Un peu inquiet pour certains excès, mais très solidaires des revendications concernant l’enseignement supérieur, puis concernant l’ensemble de la vie sociale dès que celles-ci émergèrent.

Dès que les amphithéâtres furent ouverts après la réouverture de la Sorbonne, avec d’autres enseignants nous étions souvent dans les assemblées. Pas trop dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, mais dans les plus petits amphis, notamment à Censier, où les ordres du jour annoncés concernaient la vie universitaire et l’enseignement de la psychologie.

Puis les choses devinrent ce que l’on sait. A partir, grosso modo, de la mi-mai, les questions dominantes ne concernèrent pas l’Université.

Puis tout au long du mois de juillet, chacun partit en vacances.

Au retour, à partit d’octobre, l’Université se remit à revivre avec ses propres questions. La première, terre à terre, était celle des examens qui n’avaient pas eu lieu. La deuxième était celle de la réforme des enseignements. Car les universitaires étaient bien convaincus des problèmes et disposés à revoir beaucoup de choses. Surtout qu’on s’attendait à une évolution positive des moyens. Il y eut donc beaucoup de séances de discussion, certaines entre enseignants, mais le plus souvent en présence et avec les étudiants. Ce ne fut pas trop difficile en psychologie car rares étaient les excessifs.

J’y étais. Rien ne me forçait à y être puisque mon contrat ne portait que sur l’année 1967-68. J’y étais à la fois parce toutes ces discussions m’intéressaient et qu’accessoirement, j’avais bien envie de conserver mon travail pour l’année universitaire à venir. Les choses allèrent même très loin parce que je fus même chargé de l’organisation matérielle (horaires, salles) de la deuxième année de psychologie, celle où j’intervenais. Et je fus même chargé d’organiser les inscriptions pédagogiques qui eurent lieu, je crois, en décembre. Je dois ces responsabilités, peut-être, à mon côté pragmatique. Quand une proposition tait adoptée, j’avais l’habitude, sans qu’on ne me demandât rien, de l’opérationnaliser. Et quand on revenait le lendemain en séance, j’avais des solutions concrètes et applicables à proposer. Je crois que c’était bien vu parce qu’on avançait.

Je participai aux examens qui furent, on doit bien le reconnaître, ce qu’ils furent. Je me fis même sermoner par un statutaire parce que mes notes étaient trop sévères. je fis le nécessaire, un peu à contre coeur. Je participai aussi à la grande délibération dans une immense salle où il y avait plein d’enseignants et d’étudiants. Il y eut naturellement beaucoup de reçus.

Lorsqu’il fut annoncé que des postes d’assistants seraient créés en Psychologie, je fis, naturellement, un peu de lobbying. Ma candidature fut soutenue par plusieurs statutaires, dont le directeur du Laboratoire, Pierre Oléron. Et je fus élu (en décembre, je crois avec effet rétroactif au 1er novembre). Je pense sincèrement n’avoir pas démérité pour obtenir ce poste. Pendant toute la période troublée, j’étais là, je m’étais impliqué avec beaucoup de sincérité sans vraiment rien espérer de plus que ce que j’avais déjà.

Ce fut quand même une grande chance. A 24 ans et 2 mois, j’entrai dans l’Enseignement  Supérieur. C’était beaucoup plus que ce que j’aurais pu espérer.

Au début de chaque année universitaire, je raconte cette histoire à mes étudiants. Surtout pour leur dire que leur avenir professionnel peut dépendre fortement de l’implication qu’on met dans une tâche. A un moment, on devient presque indispensable. Et s’il y a une opportunité, on est bien placé pour en bénéficier. Lorsque, quelques années auparavant, j’avais travaillé un mois d’été au Service des Périodiques de l’Education Nationale, je m’étais vu proposer, pour des raisons analogues de « rester ».

© Jean Pierre Dufoyer, décembre 2008

Bakounine

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Irnerius Publié le22h38 - 25 mars 2009

Bonsoir cher collègue professeur des universités, né comme moi en 1944. Je suis en retraite depuis décembre (je ne pouvais plus supporter le népotisme et le clientélisme dans mon université) et j’ai créé début janvier le blog « histoires d’universités ». Vos chroniques sur l’université et moi sont passionnantes du point de vue historique : c’était notre trajectoire à l’époque, une trajectoire facile en fait. Seriez-vous intéressé à faire un seul texte de ces chroniques et à le publier sous votre pseudo de blog sur mon blog « Histoires d’universités » ? Cordialement. Irnerius