Archive dans 30 mai 2009

Et si l’on autorisait les candidats au bac à se connecter sur le net ?

Et si l’on autorisait les candidats au bac à se connecter sur le net ? Voilà le titre de Rue89 de ce soir. Rue 89 qui ajoute : « Pourquoi demander aux élèves de mémoriser des données disponibles sur Internet ».

 

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Terrible question qui  renvoie à la critique des méthodes d’antan, pas si lointaines, où l’élève se contentait, si l’on peut dire, d’apprendre à répéter ce que disait le maître. Et l’on sait bien les limites de l’exercice. Apprendre, c’est désormais se préparer à, éventuellement, être capable de dépasser le maître. Mais vient tout de suite la contre-question : Peut-on apprendre sans savoir. Ce qui fait ma supériorité sur d’autres c’est à la fois la critique que je puis faire de ce que je trouve sur Internet et la capacité de savoir où j’ai des chances de trouver ce que j’ignore.Et je crains qu’on ne puisse apprendre la méthodologie sur le net puisqu’on ne disposerait pas de la méthodologie pour le faire.

La transmission de la connaissance par nos ainés et par nos maîtres a cette particularité d’avoir été organisée. Elle peut être mal organisée, elle peut être scandaleuse, mais elle n’est point si elle n’est pas structurée. Quand je renvoyais ci-dessus implicitement à la Scolastique, c’est justement parce qu’on y trouve une organisation. Ce n’est pas la philosophie d’Aristote balancée à tout va vers les élèves. C’est cette philosophie mise à l’épreuve et ordonnée selon les croyances du temps. C’est un raisonnement.

Et le raisonnement scolastique peut m’énerver autant qu’il le peut, cela ne l’empêche pas d’être un raisonnement.

Contrairement à ce que croit souvent le monde, apprendre n’est pas ingurgiter. Je suis frappé par la stupidité de ceux qui déclarent que le mouvement universitaire de ces temps nuira aux étudiants parce qu’il y aura des choses qu’ils n’ont pas appris. Et pourtant, il y a bien longtemps que la psychologie expérimentale a montré qu’il n’y a pas de relation entre la durée d’un apprentissage et sa qualité.

Et l’on en vient au final au piège que refusent souvent les étudiants : le droit de disposer de ses notes aux examens. Ils savent bien qu’alors ils seront jugés sur la qualité de leur raisonnement et, à juste titre, ils ont peur.Et ils refusent.

A la question : « Et si l’on autorisait les candidats au bac à se connecter sur le net ? », voici donc la réponse : oui, si on veut les coller.

Université : l’affaire est pliée

Silence sur le mouvement universitaire. Les journaux n’en disent plus rien… parce que les ministres n’en disent rien. Stupéfiant !

Nombre d’éminents chercheurs se sont levés contre la loi LRU. Pas des anarcho-gauchistes. Des gens calmes, posés et surtout… intelligents.

Les mêmes, avec beaucoup d’autres, ont manifesté chaque semaine dans la plupart des villes universitaires.

Pendant 1001 heures, la Ronde des Obstinés a tenu, jour et nuit, en Place de Grève avec des enseignants-chercheurs de tous âges, de tous grades, de toutes disciplines.

Le deuxième semestre universitaire a été maltraité, voire inexistant.

Le mouvement a duré plus de trois mois !

Et puis est venue l’angoisse ministro-nationale des examens ! Mon Dieu ! Les examens. Il faut des examens. Le monde va s’effondrer sans examens !

Il y aura des examens.

Et le calme est revenu. Calme plat.

Peut importe la manière dont nous allons nous y prendre pour faire passer ces examens. Peu importe qu’il y ait des cours ou non. Peu importe comment nous mettrons les notes. Peu importe qu’on corrige les copies en les jetant du haut de la Tour Eiffel, du moment qu’on les retrouve toutes et que chacune ait sa note.

La seule chose dont nos gouvernants aient encore peur, c’est de la possibilité de nombreux recours. Surtout si les étudiants sont collés. Ils ne souhaitent pas que l’on soit justes. Ils souhaitent qu’on en colle le moins possible pour éviter les recours devant le Tribunal Administratif.

Ils nous ont dit que notre semestre ne vaudrait rien. mais ils veulent quand même des examens avec de bons résultats.

Ils se foutent complètement des contenus des enseignements. L’important c’est l’examen. L’Université est devenue une machine à délivrer des diplômes. Pourquoi pas à vendre comme cela se pratique en certains lieux ?

L’université est une entreprise à fabriquer des diplômés ayant une valeur sur le marché du travail. Pas des savants !

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Quand « Le Monde » se montre à la hauteur

Il faut lire, et relire, l’interview que Julien Coupat a donné au journal Le Monde du 26 mai 2009 et qu’on peut trouver sous cette référence. Voilà qu’un homme que la presse vite faite pouvait faire passer pour un anachorète anarcho-gaucho-simpliste. mais il est cultivé. Il produit des analyses intelligentes qui intéressent même ceux qui déclarent ne pas partager ses points de vue.

Et l’on voit bien la médiocrité de ceux qui l’enferment : on n’imagine vraiment pas ce type balancer des bouts de fers à béton sur des caténaires !

 

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Qu’est-il arrivé à mon blog ? Censure ou accident ?

Mon blog a été suspendu.

Par qui ? Je ne sais.

Pourquoi ? Je ne sais.

J’ai envoyé des mails. Au service des abonnements. Ils m’ont dit qu’ils faisaient suivre. Silence de mort.

J’ai envoyé des mails. A admin_blog@club.lemonde.fr. Rien, silence de mort.

J’ai envoyé des mails à fottorino@lemonde.fr. Rien, silence de mort.

J’ai renvoyé les mêmes mails avec des polices de plus en plus grandes. Rien, silence de mort.

Lundi 25 mai, j’ai pris mon téléphone. J’ai enguirlandé un pauvre homme qui m’a dit qu’il s’occpait et transmettait.

Quelques heures plus tard, mon blog était revenu.

Mais on ne m’a toujours pas dit pourquoi il était parti. Un minus habens comme moi…

P.S.: L’interface et les possibilités d’over-blog sont nettement plus professionnelles. La tentation.

En une page : que se passe-t-il à l’Université

Que veulent donc ceux qui nous gouvernent ?

– Évaluer les enseignants-chercheurs. Mais ils le sont déjà chaque fois qu’ils demandent une promotion ou une dotation particulière pour un projet de recherche. Mais les faire évaluer par d’autres qui n’appartiennent pas à leur discipline est une absurdité puisque ces évaluateurs ne sont pas compétents dans la discipline. Comment des historiens pourrait-ils évaluer des physiciens ?
– Encourager à tout va la production d’articles dans les revues scientifiques, comme c’est le cas aux USA, au prix du risque de travaux superficiels, voire frauduleux. Et c’est tuer dans l’œuf tout projet d’ouvrage ou de thèse magistrale, puisqu’il faut publier vite, vite et beaucoup.
– Augmenter le temps d’enseignement des enseignants-chercheurs qui cherchent  dit-on, moins ou mal (sur quels critères ?) est stupide : les «  mauvais » chercheurs seraient-ils de meilleurs enseignants ? Ou n’est-ce pas plutôt un artifice, au final, pour demander plus d’heures de cours à tout le monde ?
– Donner des pouvoirs très importants aux présidents d’université sur le modèle des chefs d’entreprise des sociétés anonymes, non seulement sur l’administration de l’établissement, mais aussi sur des domaines de recherche et d’enseignement dans lesquels ils ne sont pas nécessairement compétents. D’où le slogan des contestataires de la réforme : « l’université n’est pas une entreprise ».
– Favoriser la recherche dans des secteurs « rentables » producteurs de brevets. Pourquoi pas ? Mais la recherche fondamentale, celle qui permet de trouver des choses dont on ne saura que dans longtemps si elles sont utiles ? Et que deviendra la recherche dans des domaines culturels ou sociaux peu marchands (lettres, histoire, sociologie, etc) ? D’où le slogan des contestataires de la réforme : « le savoir n’est pas une marchandise ».
– Diminuer la préparation des enseignants du premier et du second degré notamment en grignotant sur l’année de stage au risque d’envoyer sur le terrain une majorité d’enseignants mal ou non préparés à rencontrer les populations scolaires de ce temps.
– Utiliser les jeunes chercheurs (doctorants) qui bénéficient actuellement de bourses, comme assistants d’enseignement au détriment du temps disponible pour leurs recherches.

Que des gens d’horizons philosophiques ou politiques si différents se soient levés ensemble contre ces projets, cela doit bien vouloir dire quelque chose. Pourtant la soi-disante réforme est en route.

L’idée d’une loi d’autonomie aurait pu être un formidable levier d’épanouissement de la qualité scientifique française. Mais l’application de ce qui a été voté dans des décrets tous plus mesquins les uns que les autres n’en font qu’un outil à courte vue qui conduira  nécessairement l’Université Française à l’appauvrissement budgétaire et à l’asservissement à l’économie de marché. Aujourd’hui, Copernic, Pasteur, les époux Curie n’auraient eu qu’à se taire.

(1) Comme tout résumé, ce document n’entre pas dans les détails des analyses. Mais il peut permettre à tout un chacun de comprendre ce qui agite et agitera longtemps le monde universitaire.

 

Chronique parue dans les Chroniques des Abonnés du Monde, le 19 mai 2009

Mouvement universitaire : maintenant que ça faiblit, on va vous couillonner

baise_moi.1242237040.jpgLa démonstration qu’il ne fallait point cesser le mouvement vient d’être faite. Alors que les universités rentrent dans le rang, des députés UMP proposent un amendement de la loi LRU.
Ce texte a pour objectif de renforcer le poids du monde non universitaire dans la gestion des universités. Des membres extérieurs seraient nommés par les recteurs d’académie, eux mêmes notés par qui l’on sait, ce qui est déjà le cas. Mais, de plus, ces membres pourraient participer à l’élection des présidents, ce qui n’est pas le cas.
Ce texte est disponible sur le site de l’Assemblée Nationale .
Comme quoi, dès qu’on tourne la tête, la bête est toujours là pour vous sauter dessus. De préférence par derrière.

Voir aussi:
http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2009/05/lump-veut-modifier-lélection-des-présidents-duniversité.html

Lettre ouverte d’un étudiant autrefois mobilisé aux enseignants chercheurs

Sans les réunions d’informations que vous nous avez proposées dès le mois de décembre, nous n’aurions probablement jamais été informés des « réformes » entreprises par le gouvernement. Et encore moins des enjeux fondamentaux qui se cachent derrière.

En ce qui me concerne, les quelques pages placardées sur les portes de l’institut, « Profs en Solde », m’ont vivement interpellé. Curieux, je m’intéresse au statut des EC puis au projet de décret visant à modifier leurs dispositions statutaires. Ce dernier à lui seul justifiait à mes yeux de se mobiliser pour éviter que ce projet ne prenne forme. Mais pour reprendre une expression désormais tristement célèbre, « n’est-ce pas là l’arbre qui cache la forêt » ? Pour reprendre vos mots, « c’est la goûte d’eau qui fait déborder le vase ».
Articles de votre blog, sites de SLR et SLU, innombrables discussions avec vous tous sur le sujet, cours alternatifs, tribunes que certains parmi vous ont publiées, blog de S. Huet… des dizaines d’heures passées à s’informer. A tenter de répondre à la question « Qu’est-ce qui se passe dans l’Université » ?

Rapidement, tout se met en place : Loi relatives aux libertés et responsabilités des universités, processus de Bologne, Etats Généraux de la Recherche de 2004… les pièces du puzzle s’assemblent. Et le 2 février, « l’université s’arrête ». Tout le monde était prévenu, face à l’entêtement du gouvernement, la sanction était vouée à tomber.
Les 14 semaines qui ont suivi vous ont me semble t-il montré à quel point nous étions derrière et surtout à côté de vous. Pourquoi ? Certainement pas pour défendre vos privilèges. Si j’ai défilé à vos côtés, c’est précisément parce que j’ai la conviction que de privilèges à défendre, vous n’en avez aucun ! Parce que j’ai cru que vous combattiez une logique absurde de casse de l’enseignement supérieur (que nous persistons à refuser), que vous défendiez des valeurs partagées par l’ensemble des acteurs de l’université ! J’ai pris un plaisir certain à manifester pour ces valeurs, derrière des laboratoires d’astrophysique d’Orsay, devant Science Po, au milieu de ces dizaines de milliers de personnes aussi différentes qu’unies dans ce combat.

Et le même travail de fond continuait, c’était vital : pendant toutes ces semaines, être sérieux, pour moi, consistait à continuer à s’informer, aller toujours plus loin : Regarder de près les différentes versions du décret (merci O. Beaud…), comprendre la masterisation, le démantèlement des organismes de recherche, etc. Ne pas se démobiliser. Participer aux flash-mobs’. Vous mettre en vente. Lire la Princesse de Clèves. Participer au blocage de la fac. Tourner en rond, aussi, devant l’hôtel de ville. Ç’a été notre quotidien pendant 3 mois. C’était cela, être sérieux.

Il y avait une dynamique. Et le passage en force de Pécresse sur le décret qu’elle présente au Conseil d’Etat pendant les vacances n’y change rien. Fin avril, les manifs reprennent.

Et puis tout s’écroule. Avons-nous gagné ce combat ? NON, sur aucun des dossiers qui nous ont conduits à en arriver là. Mais alors, pourquoi ???

Ah, les examens…

Je pense que c’est une véritable farce, pour ne pas dire tragi-comique. Depuis janvier, nous nous sommes tous battus pour des enjeux qui dépassaient des basses et pathétiques considérations tatillonnes. Vous l’avez brillamment affirmé dans votre réponse à la tribune des présidents d’universités il y a seulement quelques jours. Très honnêtement, j’ai entendu des dizaines de fois la question « Mais ça ne t’embête pas de ne pas avoir cours »? Bien sûr que ça « m’embêtait ». Mais qu’importe ? Si je ne me trompe pas, la Coordination nationale des universités l’a rappelé dans un communiqué : « les enjeux de notre combat sont plus grands que nous ». Et soyez assurés que ça résume parfaitement l’état d’esprit des étudiants qui étaient à vos côtés depuis le début.
Mais force est de constater que Pécresse a gagné. Vous le savez comme nous, vous nous l’avez répété à de nombreuses reprises, « le gouvernement joue le pourrissement de la mobilisation ». Depuis fin avril, ses interventions se sont multipliées dans le seul but de nous faire craquer à l’approche des examens. Dans le but aussi de faire croire que notre mouvement était minoritaire, imputable à « l’extrême-gauche ». Dans le but enfin de dresser les étudiants contre les EC, en nous désignant comme les victimes d’une prise d’otage. Comme Axelle l’a dit dans son discours, nous savons bien qui est le responsable. Jamais nous ne nous sommes sentis « trahis » par nos profs. Certains médias ont essayé de faire passer votre mobilisation pour un vieux réflexe corporatiste. Bien placé me semble t-il pour savoir ce qu’il en est de tous ces mensonges éhontés, ça me met fait bien rire.

Les examens…

Ainsi, nous nous battons pour des valeurs fondamentales. Pour des questions cruciales quant à l’avenir de notre société. Mais tout de même, pas assez importantes au regard des sacro-saints examens. Je suis sûr que vous aussi, EC mobilisés, vous trouvez cela, quelque part, ridicule. Oh bien sûr ce n’est pas en AG de profs que se décide les modalités d’examens de l’institut. Je sais bien que ça dépend en partie du CEVU où, par définition, vous ne siégez pas en nombre.
Mais soyons sérieux un instant : c’est en passant outre ce genre de DETAILS que ce mouvement est devenu le plus important, le plus fédérateur de l’histoire de l’enseignement supérieur ! C’est en passant outre ce genre détails qu’on voit la crédibilité de toutes nos manifestations ! Vous êtes-vous jamais dit : « C’est au ministre de déposer projets de loi et décrets, c’est au conseil d’état de valider tel ou tel projet, c’est à Axel Kahn de décider de la position de Descartes, fi de nos points de vue » ? Non, évidemment. Mais quand il s’agit des examens, là on se plie bien gentiment aux voies décisionnelles habituelles.

C’est ainsi que prend fin la mobilisation étudiante. Désormais, je vais en « permanences ». Vous comprenez, je dois bachoter. J’ai des examens dans quelques semaines ! Et dieu sait que c’est plus important que ce que nous avons choisi de défendre ensemble.

Soyez assurés ceci dit que ce mouvement n’était pas pour nous une mode. J’y ai appris des choses qui s’oublient moins facilement qu’un TD, et les valeurs pour lesquelles je me suis battu me resteront chères. Je n’enlèverai pas mes badges SLU et Fac off !! de mon sac d’étudiant. Je reste tout aussi opposé à la casse du service public d’éducation. Simplement, j’ai des examens. Je ne me battrai donc plus

Soyez assurés aussi de notre soutien, quelles que soient vos décisions à venir, si tant est que quiconque dans ce pays accorde encore la moindre importance aux opinions de ses intellectuels et scientifiques.

En Grande Bretagne, les parents jugeront les écoles

A lire sur le site du Café Pédagogique…

Le Fait du jour : Angleterre : Les parents noteront les écoles C’est une nouvelle étape pour l’école anglaise qu’a lancé Gordon Brown , le premier ministre britannique, le 5 mai. Il a annoncé que les écoles dont les parents ne sont pas satisfaits devraient fermer ou être reprises par des écoles satisfaisantes. Les conseils locaux devront étendre les écoles les plus populaires. La procédure pourrait cumuler une consultation des parents et le recueil des vœux d’orientation afin de déterminer les écoles les moins estimées.

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/05/06052009Accueil.aspx

Les parents désireux d’avoir de bons relevés de notes pour leurs enfants peuvent écrire à l’auteur de ce blog. Conditions personnalisées: remises familles nombreuses, crédit, paiement en nature, etc.

Tourner avec les obstinés et autres aventures

Aujourd’hui, je me suis offert un petit plaisir que mon cardiologue condamnerait, et l’on verra plus loin qu’il avait raison : je suis allé tourner avec la ronde des obstinés.

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Photo : Patricia Tutoy

 

La ronde a déménagé de la Place de Grève, car il faut bien dire que certaines nuits étaient dures à tenir. Et il lui arrive de ressurgir, ici ou là. Aujourd’hui, elle tournait devant le Panthéon. Je suis donc allé tourner avec Clara, devenue ma compagne de révolution, en tout bien tout honneur. Et, pendant une petite heure, nous avons tourné, ci dans un sens ci dans l’autre.

Frappant : point n’étaient là des têtes d’anarchistes le couteau entre les dents. Des jeunes enseignants et des jeunes étudiants un peu… comme il se doit d’être à cet âge. De temps en temps, ils criaient qu’ils ne voulaient point de la LRU, ce qui, somme toute, est un signe pensée mentale de haut niveau. Mais il avait aussi de doctes docteurs, d’âge plus avancé. Je me souviens de celui-là, assez grand, avec peu de cheveu sur la tête qui marchait devisant avec une collègue ou une élève, je ne sais. Habillé autrement, il eût pu passer pour Socrate. Peut-être d’aucuns en pensaient-ils autant de moi quoique ma face barbue pouvait davantage faire penser à Bakounine jovial. Nous étions accompagnés de deux étudiants. Seulement deux. Et de zéro collègues. Là c’est plus normal car ils se sont jetés sur les cours de rattrapage.

Puis vint le moment où comme tout tourneur d’un certain âge, j’entraînai ma compagnonne vers un établissement de cure pour restauration et libations. Nous en étions à nous offrir le plaisir libertaire d’un café gourmand et d’un café liégeois lorsque vit à passer Christophe, son drapeau rouge du Sud sur l’épaule. Et, toute caféine consommée, nous sommes allés tourner encore. Flattés parce qu’il y avait là BFM, qui ne manque jamais une occasion d’être là et une ou deux chaînes étrangères.  La ronde s’était étoffée. Je me sentais vraiment bien sous l’inscription du fronton du Panthéon qui semblait avoir été écrite juste pour nous : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ».

Il y avait davantage d’ « âge mûrs », me semble-t-il. Les jeunes avaient débuté tôt et semblaient être un peu plus assis. Il faut bien dire que tous ceux qui n’avaient pas pris de chapeau, comme moi, commençaient à cuire un peu sous le soleil.

Une journaliste de Canal Plus n’en finissait pas de préparer son plateau. Il faut dire que les TV ont un rituel. D’abord on plante la camera sur un pied en plan large et on prend la ronde qui tourne. Ensuite, on prend la caméra à l’épaule et on se glisse dans la ronde, à contre-courant. Et puis le, ou la, journaliste fait son petit plateau. Canal Plus prenait son temps. On verra plus loin qu’elle a eu tort.

Car il y avait des tentations. Cette putain de mairie tiberistique du 5ème arrondissement. D’aucun avaient prévu qu’il serait crié « Tiberi » et qu’à ce moment là on se serait rué sur la porte dont un tiers était ouvert. Mais voilà que devant cette putain de mairie viennent se placer les membres d’un mariage avec mariée en blanc immaculé pour livraison au taureau. Je ne sais si c’est la crainte d’empêcher cette belle pucelle de dire « oui » qui fut la cause. Personne ne cria « Tiberi ». Ce qu’on ne sait pas, c’est que la pauvre femme, dans dix ans, dira qu’elle regrette que cette putain de ronde ne l’ait pas empêchée de dire « oui » à ce connard qui la monte tous les soirs et se tourne aussitôt comme la bête repue.

Toujours est-il que, faute d’empêcher le dépucelage, il fut décidé, allez savoir par qui, d’aller chez la Pécresse. Et c’est là que la situation échappa à la journaliste de Canal qui était bonne pour faire son plateau devant une place du Panthéon vide…

Pourquoi chez Pécresse ? Non point pour lui faire subir les outrages de la mariée. Nous sommes des universitaires sérieux. Et puis, je crois savoir qu’elle a une expérience de la chose, car elle a étudié à l’Institution Sainte-Marie de Neuilly-sur-Seine. Alors la ronde se rompit et partit en direction de l’ancienne École Polytechnique devenu comme on le sait Ministère de l’Intelligence Torturée (MIT). Naturellement, il y avait là quelques éléments de vous imaginez quoi, avec barrière et résistance promise après l’occupation de la semaine dernière. Nous contournâmes donc, continuant la rue Descartes, puis empruntant la rue Clovis et nous infiltrant rue Jacques Henri Lartigue pour trouver une porte bienheureusement ouverte.

Hélas, pour faire plaisir à mon cardiologue, c’est au moment où j’allais conclure que mon muscle cardiaque se mit à battre follement. Quel coïtus interruptus ! Au moment où j’allais enfin occuper ce putain de ministère voici… Comme dans la chanson de Brassens, «  le nombril de la femme d’un flic »:

« Mais, hélas! il était rompu
Par les effets de sa hantise,
Et comme il atteignait le but
De cinquante ans de convoitise,
La mort, la mort, la mort le prit
Sur l’abdomen de sa complice:
Il n’a jamais vu le nombril
De la femme d’un agent de police… »

Je ne pus qu’aller déposer ma douleur sur un banc du Square Paul Langevin.

Mais mon repos fut de courte durée. Je sus que l’attaque de Fort Pécresse avait dû réussir, car voici que, dans des bruits de pimpons effroyables, arriva un train de voitures de flic. Il faut dire que cela n’a pas la noblesse de la cavalerie arrivant à toute vitesse, clairon au clair, pour délivrer les pauvres émigrants assiégés par les Sioux. Mais cette présence me comblait de joie. Elle prouvait que l’assaut avait dû être profitable. Bientôt, un chef, avec son escouade, monta la rue Monge et en annonçant : « Allez, les gars, on y va ». C’était l’assaut. L’horrible assaut. J’attendis ainsi de longues minutes, voire de longs quarts d’heure espérant que mon rythme cardiaque baisse pour pouvoir aller voir. Mais point de répit. Aujourd’hui mon coeur était pécressien !

A un moment, je sus que la cavalerie avait fait des prisonniers. Il y eut des mouvements de véhicules et le panier à salade (grande taille, façon autobus) se dégagea pour remonter. Je jubilais, parce qu’il eût un mal de chien à cause des voitures qui venaient à contresens.

Puis j’entendis crier « libérez nos camarades ». Une fois de plus la victoire était à la force brutale.

Mon petit coeur y trouva tant à redire qu’il lui fallut encore trois heures et un petit dodo pour revenir à la normale.

Le savoir n’est pas une marchandise.

L’université n’est pas une entreprise.