Lettre ouverte d’un étudiant autrefois mobilisé aux enseignants chercheurs

Lettre ouverte d’un étudiant autrefois mobilisé aux enseignants chercheurs

Sans les réunions d’informations que vous nous avez proposées dès le mois de décembre, nous n’aurions probablement jamais été informés des « réformes » entreprises par le gouvernement. Et encore moins des enjeux fondamentaux qui se cachent derrière.

En ce qui me concerne, les quelques pages placardées sur les portes de l’institut, « Profs en Solde », m’ont vivement interpellé. Curieux, je m’intéresse au statut des EC puis au projet de décret visant à modifier leurs dispositions statutaires. Ce dernier à lui seul justifiait à mes yeux de se mobiliser pour éviter que ce projet ne prenne forme. Mais pour reprendre une expression désormais tristement célèbre, « n’est-ce pas là l’arbre qui cache la forêt » ? Pour reprendre vos mots, « c’est la goûte d’eau qui fait déborder le vase ».
Articles de votre blog, sites de SLR et SLU, innombrables discussions avec vous tous sur le sujet, cours alternatifs, tribunes que certains parmi vous ont publiées, blog de S. Huet… des dizaines d’heures passées à s’informer. A tenter de répondre à la question « Qu’est-ce qui se passe dans l’Université » ?

Rapidement, tout se met en place : Loi relatives aux libertés et responsabilités des universités, processus de Bologne, Etats Généraux de la Recherche de 2004… les pièces du puzzle s’assemblent. Et le 2 février, « l’université s’arrête ». Tout le monde était prévenu, face à l’entêtement du gouvernement, la sanction était vouée à tomber.
Les 14 semaines qui ont suivi vous ont me semble t-il montré à quel point nous étions derrière et surtout à côté de vous. Pourquoi ? Certainement pas pour défendre vos privilèges. Si j’ai défilé à vos côtés, c’est précisément parce que j’ai la conviction que de privilèges à défendre, vous n’en avez aucun ! Parce que j’ai cru que vous combattiez une logique absurde de casse de l’enseignement supérieur (que nous persistons à refuser), que vous défendiez des valeurs partagées par l’ensemble des acteurs de l’université ! J’ai pris un plaisir certain à manifester pour ces valeurs, derrière des laboratoires d’astrophysique d’Orsay, devant Science Po, au milieu de ces dizaines de milliers de personnes aussi différentes qu’unies dans ce combat.

Et le même travail de fond continuait, c’était vital : pendant toutes ces semaines, être sérieux, pour moi, consistait à continuer à s’informer, aller toujours plus loin : Regarder de près les différentes versions du décret (merci O. Beaud…), comprendre la masterisation, le démantèlement des organismes de recherche, etc. Ne pas se démobiliser. Participer aux flash-mobs’. Vous mettre en vente. Lire la Princesse de Clèves. Participer au blocage de la fac. Tourner en rond, aussi, devant l’hôtel de ville. Ç’a été notre quotidien pendant 3 mois. C’était cela, être sérieux.

Il y avait une dynamique. Et le passage en force de Pécresse sur le décret qu’elle présente au Conseil d’Etat pendant les vacances n’y change rien. Fin avril, les manifs reprennent.

Et puis tout s’écroule. Avons-nous gagné ce combat ? NON, sur aucun des dossiers qui nous ont conduits à en arriver là. Mais alors, pourquoi ???

Ah, les examens…

Je pense que c’est une véritable farce, pour ne pas dire tragi-comique. Depuis janvier, nous nous sommes tous battus pour des enjeux qui dépassaient des basses et pathétiques considérations tatillonnes. Vous l’avez brillamment affirmé dans votre réponse à la tribune des présidents d’universités il y a seulement quelques jours. Très honnêtement, j’ai entendu des dizaines de fois la question « Mais ça ne t’embête pas de ne pas avoir cours »? Bien sûr que ça « m’embêtait ». Mais qu’importe ? Si je ne me trompe pas, la Coordination nationale des universités l’a rappelé dans un communiqué : « les enjeux de notre combat sont plus grands que nous ». Et soyez assurés que ça résume parfaitement l’état d’esprit des étudiants qui étaient à vos côtés depuis le début.
Mais force est de constater que Pécresse a gagné. Vous le savez comme nous, vous nous l’avez répété à de nombreuses reprises, « le gouvernement joue le pourrissement de la mobilisation ». Depuis fin avril, ses interventions se sont multipliées dans le seul but de nous faire craquer à l’approche des examens. Dans le but aussi de faire croire que notre mouvement était minoritaire, imputable à « l’extrême-gauche ». Dans le but enfin de dresser les étudiants contre les EC, en nous désignant comme les victimes d’une prise d’otage. Comme Axelle l’a dit dans son discours, nous savons bien qui est le responsable. Jamais nous ne nous sommes sentis « trahis » par nos profs. Certains médias ont essayé de faire passer votre mobilisation pour un vieux réflexe corporatiste. Bien placé me semble t-il pour savoir ce qu’il en est de tous ces mensonges éhontés, ça me met fait bien rire.

Les examens…

Ainsi, nous nous battons pour des valeurs fondamentales. Pour des questions cruciales quant à l’avenir de notre société. Mais tout de même, pas assez importantes au regard des sacro-saints examens. Je suis sûr que vous aussi, EC mobilisés, vous trouvez cela, quelque part, ridicule. Oh bien sûr ce n’est pas en AG de profs que se décide les modalités d’examens de l’institut. Je sais bien que ça dépend en partie du CEVU où, par définition, vous ne siégez pas en nombre.
Mais soyons sérieux un instant : c’est en passant outre ce genre de DETAILS que ce mouvement est devenu le plus important, le plus fédérateur de l’histoire de l’enseignement supérieur ! C’est en passant outre ce genre détails qu’on voit la crédibilité de toutes nos manifestations ! Vous êtes-vous jamais dit : « C’est au ministre de déposer projets de loi et décrets, c’est au conseil d’état de valider tel ou tel projet, c’est à Axel Kahn de décider de la position de Descartes, fi de nos points de vue » ? Non, évidemment. Mais quand il s’agit des examens, là on se plie bien gentiment aux voies décisionnelles habituelles.

C’est ainsi que prend fin la mobilisation étudiante. Désormais, je vais en « permanences ». Vous comprenez, je dois bachoter. J’ai des examens dans quelques semaines ! Et dieu sait que c’est plus important que ce que nous avons choisi de défendre ensemble.

Soyez assurés ceci dit que ce mouvement n’était pas pour nous une mode. J’y ai appris des choses qui s’oublient moins facilement qu’un TD, et les valeurs pour lesquelles je me suis battu me resteront chères. Je n’enlèverai pas mes badges SLU et Fac off !! de mon sac d’étudiant. Je reste tout aussi opposé à la casse du service public d’éducation. Simplement, j’ai des examens. Je ne me battrai donc plus

Soyez assurés aussi de notre soutien, quelles que soient vos décisions à venir, si tant est que quiconque dans ce pays accorde encore la moindre importance aux opinions de ses intellectuels et scientifiques.

Bakounine