Archive dans 29 novembre 2017

Macron humilie Kaboré dans un silence international assourdissant

On peut avoir l’explication qu’on voudra sur les raisons pour lesquelles Kaboré a quitté la salle (https://www.youtube.com/watch?v=MzPUFgWFuTM), les paroles de Macron n’en sont pas moins méprisantes et humiliantes. Est-ce là la nouvelle politique africaine de la France ?

1279 – 29/11/2017

Lire aussi: https://blogs.mediapart.fr/edition/memoires-du-colonialisme/article/291117/burkina-ces-etudiants-africains-qui-applaudissent-lhumiliation-de-leur-pres

Les vilains algorithmes et la fameuse « intelligence artificielle »

Depuis des années, je sais et j’ai enseigné «qu’un algorithme est une suite finie et non ambiguë d’opérations ou d’instructions permettant de résoudre un problème ou d’obtenir un résultat». Classiquement, on donne comme exemple la recette de cuisine, pour autant, justement, qu’on annoncera la liste des ingrédients et la méthode permettant de parvenir précisément au résultat escompté.
Ces temps-ci, bien des gens utilisent le mot sans trop savoir ce qu’il veut dire en laissant entendre cependant que les algorithmes sont des programmes sournois qui espionnent nos activités, propriétés qu’on attribuait autrefois aux psychologues.
Le problème n’est pas tant le caractère sournois, mais la puissance des ordinateurs : si vous utilisez un mot de passe composé d’un nombre, entre 0 et 9, il faudra faire au maximum 10 essais pour le trouver. Si c’est un nombre compris entre 0 et 99, il faudra faire au maximum 100 essais. Et ainsi de suite. Si c’est un nombre à 0 chiffres compris entre 00000000 et 99999999, il faudra au maximum 100000000 d’essais pour le trouver. Imaginons un cadenas à 8 positions, on en aura pour un moment. Mais pour un ordinateur puissant, il faudra moins d’une seconde.
Tout réside donc dans la puissance et la vitesse de calcul. Ainsi, benêts sont donc ceux dont le mot de passe est 123456 ou leur nom ou leur date de naissance. On va augmenter la difficulté de découverte des mots de passe avec des contraintes sur le nombre et le type de caractères, en ajoutant des spéciaux comme $, ?, £, etc. Un mot de passe pourra toujours être craqué. C’est une question de temps, mais les ordinateurs vont vite. On pourra crypter. Il faudra plus de temps. Tout devient alors une question de rapport entre le temps nécessaire et le bénéfice attendu. On en est à crypter avec des clés de cryptages qui changent tout le temps et que sais-je encore.
Les algorithmes ne sont pas sournois. Ils combinent un certain nombre de méthodes et la phénoménale puissance de calculs des ordinateurs.
Là est le vrai sujet.

1278 – 28/11/2017

Guémené. Celui-là, je l’avais loupé : Laurent Ruquier

Laurent Ruquier. Le parangon des crétins. Il est là, il trône. Toujours à faire des vannes nulles. Heureusement qu’on peut se coucher. Il aurait déclaré voter pour Mélenchon. Cela m’étonnerait ! Avec son rire crétin.

Tout savoir sur L’Ordre de Guémené
(Groupe Universel Ecologique et Magistral des Epistémologues Naturellement Epicuriens)
Il n’y a pas plus d’andouilles à Guémené qu’ailleurs.
Mais il y a plein d’andouilles qui ne sont pas à Guémené.
Visitez Guémené

1277 – 27/11/2017

L’écriture inclusive ???

Voici la nouvelle manie de vouloir dé·confondre les sexes, les acteurs et les fonctions. Quand j’écris : «Madame Dupont, Directeur de l’école des garçons», n’est-ce pas plus prestigieux que «Madame la Directrice de l’école des garçons» ? On veut m’imposer ainsi toutes sortes de féminisations dont l’utilité est incertaine. Mais que ferai-je de «marcher d’un pas de sénateur» ? Pouvons-nous affirmer que «le pas de sénatrice» est équivalent à « le pas de sénateur » ? Dois-je dire « assassine» au lieu de « assassin » ? J’ai déjà « meurtrière ». Mais meurtrière désigne un élément d’architecture.
On commence à entrevoir le boxon. Et voilà l’écriture inclusive. Mais une langue ne se décrète pas dans un manuel d’écriture inclusive. J’écris comme on me l’a appris en m’efforçant de ne point faire trop de fautes. Respecter la grammaire, quoi ! Est-ce à dire que les scripteur.e.s (mon traitement de texte n’aime point cette écriture) pourraient être de plusieurs sortes ?
J’ai commis une erreur d’orthographe. Le point est le point médian : alt 0183 « · » sur un clavier Windows. J’aurais donc dû écrire «les scrip·teur·trice·s». Les petits et petites apprenant·e·s vont passer leur temps à taper Alt 0183. Foutez tous vos claviers à la poubelle! J’ai cherché sur Google «acheter un clavier écriture inclusive». Y’a pas. Gardez vos claviers.

Pour me consoler, je viens de trouver ce truc : L’écriture inclusive, la nouvelle fabrique des crétin·e·s.

Mort aux con·ne·s !

1276 – 22/11/2017

Altice/Drahi : l’énorme bulle qui pourrait étriper des banques. Dont la vôtre ?

Patrick Drahi joue a acheter-vendre des sociétés ici ou là. Avec beaucoup de dettes. (Voir Altice)
Patrick Drahi que Macron mettrait volontiers en tête de cordée et Altice qui est pour une large part sa chose, sont des bulles. La probabilité pour que cette bulle éclate est forte. La probabilité pour que cet éclatement et les éclatements associés entrainent de grands désordres est aussi forte. La dette est énorme, dans les 50 milliards. J’ose imaginer que les conséquences sont inimaginables.
La dette finance la dette. On dirait un genre chaîne de Ponzi au grand jour des banques avides. On peut déjà prédire que le ou les boums feront beaucoup de chômeurs et des pauvres.

1275 – 14/11/2017

Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris France

Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris France
Je ne sais pourquoi, ce texte de Prévert me taraudait, comme l’on dit, depuis quelque temps. Il me taraudait en passant, et j’avais oublié qu’il fut si long et si complet. Si descripteur de ces quelques dernières années riches en mensonges, en langues de bois et en retournement de veste (1).

Ceux qui pieusement…
Ceux qui copieusement…
Ceux qui tricolorent
Ceux qui inaugurent
Ceux qui croient
Ceux qui croient croire
Ceux qui croa-croa
Ceux qui ont des plumes
Ceux qui grignotent
Ceux qui andromaquent
Ceux qui dreadnoughtent
Ceux qui majusculent
Ceux qui chantent en mesure
Ceux qui brossent à reluire
Ceux qui ont du ventre
Ceux qui baissent les yeux
Ceux qui savent découper le poulet
Ceux qui sont chauves à l’intérieur de la tête
Ceux qui bénissent les meutes
Ceux qui font les honneurs du pied
Ceux qui debout les morts
Ceux qui baïonnette… on
Ceux qui donnent des canons aux enfants
Ceux qui donnent des enfants aux canons
Ceux qui flottent et ne sombrent pas
Ceux qui ne prennent pas Le Pirée pour un homme
Ceux que leurs ailes de géant empêchent de voler
Ceux qui plantent en rêve des tessons de bouteille sur la grande muraille de Chine
Ceux qui mettent un loup sur leur visage quand ils mangent du mouton
Ceux qui volent des oeufs et qui n’osent pas les faire cuire
Ceux qui ont quatre mille huit cent dix mètres de Mont-Blanc, trois cents de Tour Eiffel, vingt-cinq de tour de poitrine et qui en sont fiers
Ceux qui mamellent de la France
Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d’autres, entraient fièrement à l’Elysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s’était fait celle qu’il voulait.

L’un une tête de pipe en terre, l’autre une tête d’amiral anglais ; il y en avait avec des têtes de boule puante, des têtes de Galliffet, des têtes d’animaux malades de la tête, des têtes d’Auguste Comte, des têtes de Rouget de Lisle, des têtes de sainte Thérèse, des têtes de fromage de tête, des têtes de pied, des têtes de monseigneur et des têtes de crèmier.

Quelques-uns, pour faire rire le monde, portaient sur leurs épaules de charmants visages de veaux, et ces visages étaient si beaux et si tristes, avec les petites herbes vertes dans le creux des rochers, que personne ne les remarquait.

Une mère à tête de morte montrait en riant sa fille à tête d’orpheline au vieux diplomate ami de la famille qui s’était fait la tête de Soleilland.

C’était véritablement délicieusement charmant et d’un goût si sûr que lorsque arriva le Président avec une somptueuse tête de Colomb ce fut du délire.

« C’était simple, mais il fallait y penser», dit le Président en dépliant sa serviette, et devant tant de malice et de simplicité les invités ne peuvent maîtriser leur émotion ; à travers des yeux cartonnés de crocodile un gros industriel verse de véritables larmes de joie, un plus petit mordille la table, de jolies femmes se frottent les seins très doucement et l’amiral, emporté par son enthousiasme, boit sa flûte de champagne par le mauvais côté, croque le pied de la flûte et, l’intestin perforé, meurt debout, cramponné au bastingage de sa chaise en criant : « Les enfants d’abord ! »

Etrange hasard, la femme du naufragé, sur les conseils de sa bonne, s’était le matin même, confectionné une étonnante tête de veuve de guerre, avec les deux grands plis d’amertume de chaque côté de la bouche, et les deux petites poches de la douleur, grises sous les yeux bleus.

Dressée sur sa chaise, elle interpelle le président et réclame à grands cris l’allocation militaire et le droit de porter sur sa robe du soir le sextant du défunt en sautoir.

Un peu calmée elle laisse ensuite son regard de femme seule errer sur la table et, voyant parmi les hors-d’oeuvre des filets de hareng, elle en prend un machinalement en sanglotant, puis en reprend, pensant à l’amiral qui n’en mangeait pas si souvent de son vivant et qui pourtant les aimait tant. Stop. C’est le chef du protocole qui dit qu’il faut s’arrêter de manger, car le Président va parler.

Le Président s’est levé, il a brisé le sommet de sa coquille avec son couteau pour avoir moins chaud, un tout petit peu moins chaud.

Il parle et le silence est tel qu’on entend les mouches voler et qu’on les entend si distinctement voler qu’on n’entend plus du tout le Président parler, et c’est bien regrettable parce qu’il parle des mouches, précisément, et de leur incontestable utilité dans tous les domaines et dans le domaine colonial en particulier.

« … Car sans les mouches, pas de chasse-mouches, sans chasse-mouches pas de Dey d’Alger, pas de consul… pas d’affront à venger, pas d’oliviers, pas d’Algérie, pas de grandes chaleurs, messieurs, et les grands chaleurs, c’est la santé des voyageurs, d’ailleurs… »

Mais quand les mouches s’ennuient elles meurent, et toutes ces histoires d’autrefois, toutes ces statistiques les emplissant d’une profonde tristesse, elles commencent à lâcher une patte du plafond, puis l’autre, et tombent comme des mouches, dans les assiettes… sur les plastrons, mortes comme dit la chanson.

« La plus noble conquête de l’homme, c’est le cheval, dit le Président… et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là .»

C’est la fin du discours : comme une orange abîmée lancée très fort contre un mur par un gamin mal élevé, la MARSEILLAISE éclate et tous les spectateurs éclaboussés par le vert-de-gris et les cuivres, se dressent congestionnés, ivres d’Histoire de France et de Pontet-Canet.

Tous sont debout, sauf l’homme à la tête de Rouget de Lisle qui croit que c’est arrivé et qui trouve qu’après tout ce n’est pas si mal exécuté et puis, peu à peu, la musique s’est calmée et la mère à tête de morte en a profité pour pousser sa petite fille à tête d’orpheline du côté du Président.

Les fleurs à la main, l’enfant commence son compliment : « Monsieur le Président… » Mais l’émotion, la chaleur, les mouches, voilà qu’elle chancelle et qu’elle tombe le visage dans les fleurs, les dents serrées comme un sécateur.

L’homme à tête de bandage herniaire et l’homme à tête de phlegmon se précipitent, et la petite est enlevée, autopsiée et reniée par sa mère, qui, trouvant sur le carnet de bal de l’enfant des dessins obscènes comme on n’en voit pas souvent, n’ose penser que c’est le diplomate ami de la famille et dont dépend la situation du père qui s’est amusé si légèrement.

Cachant le carnet dans sa robe, elle se pique le sein avec le petit crayon blanc et pousse un long hurlement, et sa douleur fait peine à voir à ceux qui pensent qu’assurément voilà bien là la douleur d’une mère qui vient de perdre son enfant.

Fière d’être regardée, elle se laisse aller, elle se laisse écouter, elle gémit, elle chante :

« Où donc est-elle ma petite fille chérie, où donc est-elle ma petite Barbara qui donnait de l’herbe aux lapins et des lapins aux cobras ?»

Mais le Président, qui sans doute n’en est pas à son premier enfant perdu, fait un signe de la main et la fête continue.

Et ceux qui étaient venus pour vendre du charbon et du blé vendent du charbon et du blé et de grandes îles entourées d’eau de tous côtés, de grandes îles avec des arbres à pneus et des piano métalliques bien stylés pour qu’on n’entende pas trop les cris des indigènes autour des plantations quand les colons facétieux essaient après dîner leur carabine à répétition.

Un oiseau sur l’épaule, un autre au fond du pantalon pour le faire rôtir, l’oiseau, un peu plus tard à la maison, les poètes vont et viennent dans tous les salons.

« C’est, dit l’un d’eux, réellement très réussi. » Mais dans un nuage de magnésium le chef du protocole est pris en flagrant délit, remuant une tasse de chocolat glacé avec une cuillère à café.

« Il n’y a pas de cuillère spéciale pour le chocolat glacé, c’est insensé, dit le préfet, on aurait dû y penser, le dentiste a bien son davier, le papier son coupe-papier et les radis roses leurs raviers. »

Mais soudain tous de trembler car un homme avec un tête d’homme est entré, un homme que personne n’avait invité et qui pose doucement sur la table la tête de Louis XVI dans un panier.

C’est vraiment la grande horreur, les dents, les vieillards et les portes claquent de peur.

« Nous sommes perdus, nous avons décapité un serrurier», hurlent en glissant sur la rampe d’escalier les bourgeois de Calais dans leur chemise grise comme le cap Gris-Nez.

La grande horreur, le tumulte, le malaise, la fin des haricots, l’état de siège et dehors, en grande tenue, les mains noires sous les gants blancs, le factionnaire qui voit dans les ruisseaux du sang et sur sa tunique une punaise pense que ça va mal et qu’il faut s’en aller s’il est encore temps.

« J’aurais voulu, dit l’homme en souriant, vous apporter aussi les restes de la famille impériale qui repose, paraît-il, au caveau Caucasien, rue Pigalle, mais les Cosaques qui pleurent, dansent et vendent à boire veillent jalousement leurs morts.

« On ne peut pas tout avoir, je ne suis pas Ruy Blas, je ne suis pas Cagliostro, je n’ai pas la boule de verre, je n’ai pas le marc de café. Je n’ai pas la barbe en ouate de ceux qui prophétisent. J’aime beaucoup rire en société, je parle ici pour les grabataires, je monologue pour les débardeurs, je phonographe pour les splendides idiots des boulevards extérieurs et c’est tout à fait par hasard si je vous rends visite dans votre petit intérieur.

« Premier qui dit : « et ta soeur, » est un homme mort. Personne ne le dit, il a tort, c’était pour rire.

« Il faut bien rire un peu et, si vous vouliez, je vous emmènerais visiter la ville mais vous avez peur des voyages, vous savez ce que vous savez et que la Tour de Pise est penchée et que le vertige vous prend quand vous vous penchez vous aussi à la terrasse des cafés.

« Et pourtant vous vous seriez bien amusés, comme le Président quand il descend dans la mine, comme Rodolphe au tapis-franc quand il va voir le chourineur, comme lorsque vous étiez enfant et qu’on vous emmenait au Jardin des Plantes voir le grand tamanoir.

« Vous auriez pu voir les truands sans cour des miracles, les lépreux sans cliquette et les hommes sans chemise couchés sur les bancs, couchés pour un instant, car c’est défendu de rester là un peu longtemps.

« Vous auriez vu les hommes dans les asiles de nuit faire le signe de la croix pour avoir un lit, et les familles de huit enfants «qui crèchent à huit dans une chambre» et, si vous aviez été sages, vous auriez eu la chance et le plaisir de voir le père qui se lève parce qu’il a sa crise, la mère qui meurt doucement sur son dernier enfant, le reste de la famille qui s’enfuit en courant et qui, pour échapper à sa misère, tente de se frayer un chemin dans le sang.

« Il faut voir, vous dis-je, c’est passionant, il faut voir à l’heure où le bon pasteur conduit ses brebis à la Villette, à l’heure où le fils de famille jette avec un bruit mou sa gourme sur le trottoir, à l’heure où les enfants qui s’ennuient changent de lit dans leur dortoir, il faut voir l’homme couché dans son lit-cage à l’heure où le réveil va sonner.

« Regardez-le, écoutez-le ronfler, il rêve, il rêve qu’il part en voyage, rêve que tout va bien, rêve qu’il a un coin, mais l’aiguille du réveil rencontre celle du train et l’homme levé plonge la tête dans la cuvette d’eau glacée si c’est l’hiver, fétide si c’est l’été.

« Regardez-le se dépêcher, boire son café-crème, entrer à l’usine, travailler, mais il n’est pas encore réveillé, le réveil n’a pas sonné assez fort, le café n’était pas assez fort, il rêve encore, rêve qu’il est en voyage, rêve qu’il a un coin, se penche par la portière et tombe dans un jardin, tombe dans un cimetière, se réveille et crie comme une bête, deux doigts lui manquent, la machine l’a mordu, il n’était pas là pour rêver et, comme vous pensez, ça devait arriver.

« Vous pensez même que ça n’arrive pas souvent et qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, vous pensez qu’un tremblement de terre en Nouvelle-Guinée n’empêche pas la vigne de pousser en France, les fromages de se faire et la terre de tourner.

« Mais je ne vous ai pas demandé de penser ; je vous ai dit de regarder, d’écouter, pour vous habituer, pour ne pas être surpris d’entendre craquer vos billards le jour où les vrais éléphants viendront reprendre leur ivoire.

« Car cette tête si peu vivante que vous remuez sous le carton mort, cette tête blême sous le carton drôle, cette tête avec toutes ses rides, toutes ces grimaces instruites, un jour vous la hocherez avec un air détaché du tronc et, quand elle tombera dans la sciure, vous ne direz ni oui ni non.

« Et si ce n’est pas vous, ce sera quelques-uns des vôtres, car vous connaissez les fables avec vos bergers et vos chiens, et ce n’est pas la vaisselle cérébrale qui vous manque.

« Je plaisante, mais vous savez, comme dit l’autre, un rien suffit à changer le cours des choses. Un peu de fulmicoton dans l’oreille d’un monarque malade et le monarque explose. La reine accourt à son chevet. Il n’y a pas de chevet. Il n’y a plus de palais. Tout est plutôt ruine et deuil. La reine sent sa raison sombrer. Pour la réconforter, un inconnu, avec un bon sourire, lui donne le mauvais café. La reine en prend, la reine en meurt et les valets collent des étiquettes sur les bagages des enfants. L’homme au bon sourire revient, ouvre la plus grande malle, pousse les petits prince dedans, met le cadenas à la malle, la malle à la consigne et se retire en se frottant les mains.

« Et quand je dis, Monsieur la Président, Mesdames, Messieurs : le Roi, la Reine, les petits princes, c’est pour envelopper les choses, car on ne peut pas raisonnablement blâmer les régicides qui n’ont pas de roi sous la main, s’ils exercent parfois leurs dons dans leur entourage immédiat.

« Particulièrement parmi ceux qui pensent qu’une poignée de riz suffit à nourrir toute une famille de chinois pendant de longues années.

« Parmi celles qui ricanent dans les expositions parce qu’une femme noire porte dans son dos un enfant noir et qui portent depuis six ou sept mois dans leur ventre blanc un enfant blanc et mort.

« Parmi les trente mille personnes raisonnables, composées d’une âme et d’un corps, qui défilèrent le Six Mars à Bruxelles, musique militaire en tête, devant le monument élevé au Pigeon-Soldat et parmi celles qui défileront demain à Brive-la-Gaillarde, à Rosa-la-Rose ou à Carpa-la-Juive, devant le monument du Jeune et veau marin qui périt à la guerre comme tout un chacun… »

Mais une carafe lancée de loin par un colombophile indigné touche en plein front l’homme qui racontait comment il aimait rire. Il tombe. Le Pigeon-Soldat est vengé. Les cartonnés officiels écrasent la tête de l’homme à coups de pied et la jeune fille, qui trempe en souvenir le bout de son ombrelle dans le sang, éclate d’un petit rire charmant. La musique reprend.

La tête de l’homme est rouge comme une tomate trop rouge, au bout d’un nerf un oeil pend, mais sur le visage démoli, l’oeil vivant, le gauche, brille comme une lanterne sur des ruines.

« Emportez-le », dit le Président, et l’homme couché sur une civière et le visage caché par une pèlerine d’agent sort de l’Elysée horizontalement, un homme derrière lui, un autre devant.

« Il faut bien rire un peu », dit-il au factionnaire et le factionnaire le regarde passer avec ce regard figé qu’ont parfois les bons vivants devant les mauvais.

Découpée dans le rideau de fer de la pharmacie une étoile de lumière brille et, comme les rois mage en mal d’enfant Jésus, les garçons bouchers, les marchands d’édredons et tous les hommes de coeur contemplent l’étoile qui leur dit que l’homme est à l’intérieur, qu’il n’est pas tout à fait mort, qu’on est en train peut-être de le soigner et tous attendent qu’il sorte avec l’espoir de l’achever.

Ils attendent, et bientôt, à quatre pattes à cause de la trop petite ouverture du rideau de fer, le juge d’instruction pénètre dans la boutique, le pharmacien l’aide à se relever et lui montre l’homme mort, la tête appuyée sur le pèse-bébé.

Et le juge se demande, et le pharmacien regarde le juge se demander si ce n’est pas le même homme qui jeta des confetti sur le corbillard du maréchal et qui, jadis, plaça la machine infernale sur le chemin du petit caporal.

Et puis ils parlent de leurs petites affaires, de leurs enfants, de leurs bronches ; le jour se lève, on tire les rideaux chez le Président.

Dehors, c’est le printemps, les animaux, les fleurs, dans les bois de Clamart on entend les clameurs des enfants qui se marrent, c’est le printemps, l’aiguille s’affole dans sa boussole, le binocard entre au bocard et la grande dolichocéphale sur son sofa s’affale et fait la folle.

Il fait chaud. Amoureuses, les allumettes-tisons se vautrent sur leur trottoir, c’est le printemps, l’acné des collégiens, et voilà la fille du sultan et le dompteur de mandragores, voilà les pélicans, les fleurs sur les balcons, voilà les arrosoirs, c’est la belle saison.

Le soleil brille pour tout le monde, il ne brille pas dans les prisons, il ne brille pas pour ceux qui travaillent dans la mine,
ceux qui écaillent le poisson
ceux qui mangent de la mauvaise viande
ceux qui fabriquent des épingles à cheveux
ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines
ceux qui coupent le pain avec leur couteau
ceux qui passent leurs vacances dans les usines
ceux qui ne savent pas ce qu’il faut dire
ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait
ceux qu’on n’endort pas chez le dentiste
ceux qui crachent leurs poumons dans le métro
ceux qui fabriquent dans les caves les stylos avec lesquels d’autres écriront en plein air que tout va pour le mieux
ceux qui en ont trop à dire pour pouvoir le dire
ceux qui ont du travail
ceux qui n’en ont pas
ceux qui en cherchent
ceux qui n’en cherchent pas
ceux qui donnent à boire aux chevaux
ceux qui regardent leur chien mourir
ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire
ceux qui l’hiver se chauffent dans les églises
ceux que le suisse envoie se chauffer dehors
ceux qui croupissent
ceux qui voudraient manger pour vivre
ceux qui voyagent sous les roues
ceux qui regardent la Seine couler
ceux qu’on engage, qu’on remercie, qu’on augmente, qu’on diminue, qu’on manipule, qu’on fouille qu’on assomme
ceux dont on prend les empreintes
ceux qu’on fait sortir des rangs au hasard et qu’on fusille
ceux qu’on fait défiler devant l’Arc
ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier
ceux qui n’ont jamais vu la mer
ceux qui sentent le lin parce qu’ils travaillent le lin
ceux qui n’ont pas l’eau courante
ceux qui sont voués au bleu horizon
ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoire
ceux qui vieillissent plus vite que les autres
ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l’épingle
ceux qui crèvent d’ennui le dimanche après-midi parce qu’ils voient venir le lundi
et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi
et le samedi
et le dimanche après-midi.

Jacques Prévert, Paroles (1945)

1- A ce propos, je n’oublierai jamais Frédéric Mitterrand, se promenant veste retournées, le jour de la cérémonie de la vente de TF1 à Bouygues.

1274 – 13/11/2017