Archive dans 24 février 2006

Petite histoire pour donner envie.

Tout a commencé le 16 mars.
Un date tout à fait quelconque.
C’eût été le 21, on aurait pu évoquer l’arrivée du Printemps, encore que cette année-là je me demande s’il n’était pas arrivé la veille ou le lendemain. Tout ça, c’est de la faute des astronomes. Quand vous êtes à l’école, vous apprenez les dates des saisons, puis vous vous apercevez que ce n’est pas toujours vrai. Les astronomes passent par là et font, comme il convient, des calculs astronomiques concernant la position relative de la terre, du soleil, des planètes et des galaxies. Puis ils vous disent la date et l’heure des saisons, ce dont on se fiche un peu, car, comme on le sait bien, il n’y a plus de saisons.
Quoique… Par exemple, il est quand même agréable de savoir qu’on est arrivé au Printemps. Car c’est l’époque des échauffements de la chair, ces temps bénis où les jeunes femmes portent des tee-shirts ou des chemisiers avec rien au dessus, et parfois rien non plus en dessous, et vous offrent le spectacle fort attrayant des seins ronds et sautillants qui vous font des journées bienheureuses. Parfois même on devine plus ou moins précisément selon l’épaisseur du tissu et la forme et la taille de l’organe, une paire de mamelons tétins qui semblent n’être là que pour attirer les lèvres.
Mais foin de Printemps. Nous étions le 16 mars. Et, pour tout dire, la journée avait mal commencé.
Un conseiller de l’A.N.P.E., où ce qui en tenait lieu à l’époque, m’avait fixé rendez-vous à neuf heures. J’aurais bien préféré dix heures, voire onze, voire trois heures de l’après-midi, ce qui m’aurait laissé le temps de me réveiller et de faire des ablutions complètes afin de me présenter dans le meilleur appareil. Mais je n’avais pas osé discuter de cette question d’horaire de peur d’être pris pour un fainéant. Et quand un conseiller de l’A.N.P.E. vous prend en grippe, il n’est pas rare de voir les indemnités diminuer rapidement.
J’avais donc mis mon réveil à 7 heures 30 afin de pouvoir procéder paisiblement à tous les apprêts nécessaires. Bien sûr, comme il est d’usage en de semblables circonstances, le réveil n’avait pas sonné. C’était normal, car le petit bouton était sur « OFF » au lieu d’être sur « RAD » ou « BUZ ». Mon psychanalyste aurait parlé d’acte manqué. Mais de toute façon, il y a bien longtemps que je n’avais rencontré de psychanalyste.
A vrai dire, j’avais commencé une « cure », comme on dit. J’avais vingt-deux ans et je préparais ma licence de lettres. C’était une femme relativement jeune et assez attrayante. En vérité, elle m’avait été recommandée par un camarade d’études très névrosé, nommé Lambert qui avait complété les séances passées sur le divan par quelques autres où la praticienne s’était à son tour allongée. Sans doute pour régler ses problèmes de contre-transfert. Lambert m’avait dépeint de façon assez détaillée les exercices thérapeutiques auxquels il avait été soumis, bien contre sa volonté, affirmait-il avec sérieux. C’est tout juste s’il ne prétendait pas avoir été violé en rendant compte de ces moments inoubliables avec une émotion qu’il s’efforçait de dissimuler alors que ses yeux pétillaient de volupté.
Quel faux-cul ! Je suis certain qu’il venait en érection quand il en parlait et qu’il se masturbait nuit et jour en pensant à elle.
Toujours est-il que Lambert y trouva quelque épanouissement. La névrose ne se résorba cependant pas. D’autant plus qu’après avoir largement consommé le pauvre garçon, la praticienne s’en désintéressa, probablement au profit d’un nouveau client. Toujours est-il qu’elle cessa ses invites malgré les demandes sans ambiguïté de Lambert qu’elle ignora superbement et pyscho-thérapeutiquement. Le pauvre garçon se retrouva souffrant. Il déversa cette souffrance, un jour, assis devant une table de l’Escolier, Place de la Sorbonne, sur laquelle était disposée une paire de cafés que nous buvions à très petites gorgées afin qu’on ne nous fasse pas comprendre trop vite qu’il convenait de renouveler les consommations.
Les compte-rendus qu’il me fit de ses séances d’analyse m’exaltèrent. Je n’avais jamais éprouvé le besoin d’entrer en psychanalyse quoique je l’avais vu faire par diverses personnes autour de moi.Mais quand Lambert répandait sa souffrance dans des descriptions sans ambiguïté des rondeurs et autres morceaux intimes de la dame et des activités inventives auxquelles elle se livrait, je ne pus résister à la tentation d’autant plus que j’étais un peu isolé durant cette période.
Je venais de passer six mois dans un appartement avec Chloé. Ou plutôt dans l’appartement de Chloé, circonstance qui me porta sur le trottoir quand je décidai de me passer d’elle. C’était une personne éprouvante.
Je l’avais rencontré dans une boum à Palaiseau, le genre de boum qu’on organisait à cette époque, chez l’un ou chez l’autre, où l’on buvait du coca en mangeant des gâteaux secs que chacun apportait et où l’on dansait d’abord quelques rocks et be-bop de derrière les fagots avant de tamiser les lumières et de terminer la nuit avec des slows d’enfer où tous ceux qui n’avaient pas de petite amie attitrée tentaient leur chance et réciproquement, avant d’aller finir la soirée par de longues séances de bouche à bouche et de pelotage.
Je n’ai pas le moindre souvenir des circonstances qui me conduisirent à inviter Chloé à danser ou si c’est elle qui s’invita, ce qui était tout à fait son genre. Par contre, je me souviens bien que le premier contact fut totalement électrique, au moins pour ce qui me concerne. Pourtant elle n’était pas particulièrement belle. Elle était très brune avec des cheveux mi-longs et raides, un visage ovale à la Modigliani et un regard catalan. Sa peau était brune mais son corps me paru mou lorsque je l’enlaçai. Son odeur était étrange, un mélange de tabac dont elle usait sans modération et d’un parfum un peu exotique accompagnés d’une senteur un peu rance indéfinissable. Si j’avais dû exprimer mes sensations olfactive, j’aurais dit qu’elle sentait l’amour.
Quand elle posa son avant bras sur mon épaule et lorsque je sentis sa main sur ma nuque, nous ne dansions pas depuis dix secondes. Et il ne fallut pas une minute pour me décider à l’embrasser. D’habitude, quand on avançait les lèvres, les filles résistaient. Certaines le faisaient avec une grande fermeté. D’autres étaient plus réceptives, mais il y avait toujours une dose de raidissement minimum même quand ceci précédait de peu un certain alanguissement. Il fallait toujours un peu forcer la voie pour que les lèvres s’écartent et pour que le barrage dentaire consente à se laisser fissurer. Mais Chloé me laissa prendre ses lèvres sans combat, tout en se laissant faire sans s’offrir, avec une touche de résignation que je ne ressentis point car j’étais alors bien trop jeune pour prendre conscience de ces subtiles nuances.
Toujours est-il qu’elle me laissa tout faire ou tout du moins tout ce qui était compatible avec la présence de témoins, c’est à dire, au bout du compte, des dizaines de baisers interminables pendant que ma main gauche cachée par nos corps enlacés parcourait ses seins ronds et sans fermeté sous son chemisier.
Plus tard, nous continuâmes ces explorations dans la pénombre d’un coin de la pièce. Elle me laissa glisser la main sous sa jupe ce qui n’était pas trop l’usage à cet époque, au moins dans des circonstances publiques. En fait, elle était totalement impudique et passive. Quand je pris un léger recul par rapport au trouble profond dans lequel m’avait plongé le contact de mes doigts avec sa vulve, je pris conscience du manque d’intimité de la situation et j’en fus assez profondément gêné et je mis fin à ces explorations des zones basses de son corps.
J’avais une grande envie de conclure et j’avais l’impression que Chloé ne s’y opposerait pas, mais je n’imaginais pas que je puisse accomplir la chose là où nous étions. Et je n’étais pas assez intime avec la jeune fille qui recevait pour oser aller chercher une chambre dans l’appartement.
Et quelque chose me retenait.
Une espèce de crainte. C’était parfaitement idiot. D’autres, je le savais, qui disaient connaitre nombre de bonnes fortunes, n’auraient peut-être pas ressenti les mêmes réserves. Mais malgré l’ardent désir qui m’habitait, j’avais l’impression d’abuser d’elle tant elle se montrait peu résistante. Que voulez-vous. On ne passe pas impunément à travers d’une éducation morale bien catho et bien culpabilisatrice pour tout ce qui concerne la vie sexuelle.
Quand la nuit prit fin, nous nous quittâmes non sans avoir échangé nos adresses et nous être promis de nous écrire, mais point de nous revoir. Il s’ensuivit une correspondance étonnante. Que j’ai conservée et que je ne puis relire sans émoi
J’avais pris l’initiative de la première lettre. J’avais envie de la revoir et j’espérais pouvoir continuer, voire développer dans un environnement plus intime, les jeux que nous avions initiés lors de cette soirée. Ma première correspondance faisait donc référence pudique à ces souvenirs, au désir de la rencontrer de nouveau, de parler, de faire plus ample connaissance. Toutes ces platitudes qu’on dit ou qu’on écrit quand on espère dissimuler des intentions plus précises. Et convenir d’un rendez-vous était compliqué. Nous n’avions pas le téléphone. Il fallait des échanges de lettres au moins pour déterminer le premier.
Je n’étais pas certain de recevoir une réponse. Il n’était pas rare que des filles qu’on avait connues furtivement, dans des boums ou dans des bars, ne donnent pas suite. Aussi, quand je découvris sous la porte de ma chambre d’étudiant cette enveloppe longue, ce qui était rare à cette époque pour la correspondance privée, et que pus lire nom de l’expéditeur, je fus rempli d’allégresse.
J’ouvris en tremblant un peu d’une certaine impatience de découvrir le contenu de l’enveloppe. Il y avait quatre feuillets d’un papier très léger et très fin de couleur parcheminée très légèrement parfumé qui rappelait l’odeur exotique que j’avais senti quand elle dansait contre moi. Elle avait une très belle écriture. Elle se servait d’une plume et d’encre noire et traçait ses mots de façon bien régulière en marquant discrètement les pleins et les déliés par de légers appuis.
En y repensant, je trouve extrêmement étonnant qu’une personne aussi perturbée ait eu une aussi belle écriture.
En plus, elle écrivait des choses étonnantes.
Elle aurait pu commencer sa lettre comme à l’accoutumée par « Cher Jean Pierre », comme on faisait ordinairement. Non point. Elle écrivait juste « Bonjour beau Du Guesclin chevauchant dans la lande bretonne au mépris des vents et des orages » ! Je ne me souvenais pas qu’on m’ait jamais écrit comme cela. Où était-elle allée chercher cela. Il est vrai que j’avais du lui avouer mes origines bretonnes, mais de là à m’imaginer en Du Guesclin. Et pourtant ça me flattait. Quelque part j’aurais bien aimé défendre les victimes de l’injustice dans les tourbillons de la société.
Le reste était de la même veine. Littéraire et philosophique. Elle parlait de la vie, de l’amour, de la mort, de la difficulté d’être, de la quête de l’amitié, de l’inconstance des êtres et des sentiments. Elle trouva le moyen de faire allusion à Hegel et de citer quelques lignes de Saint John Perse et du Petit Prince. Tout ce qu’elle écrivait était beau, était grand.
J’étais abasourdi.
J’avais dansé avec une jeune fille passive et molle qui sentait le parfum et le tabac froid et qui m’avait laissé peloter ses seins comme avec indifférence. Et je lisais des phrases d’une femme philosophe, mature et brillante, chaleureuse et conséquente. Je fis plusieurs lectures. Et jamais la moindre anicroche. Le ruisseau de sa pensée coulait avec délicatesse. Le style était brillant, les idées remarquables.
Je me trouvais con.
Il me prit une envie irrésistible de contempler son visage que j’avais si peu vu dans la pénombre des ambiances tamisées des slows.Les souvenirs des attouchements se mêlaient au chant des phrases écrites.L’image de la femme se composait en moi, en corps, âme et esprit. Le désir de la chair se combinait avec l’éréthisme de l’esprit.
A la fin de la quatrième ou de la cinquième lecture, j’étais amoureux.