L’université et moi : 1-Avant la Psychologie

L’université et moi : 1-Avant la Psychologie

C’était une fin d’après-midi, disons de novembre 1966. J’étais alors étudiant en psychologie et je terminais ma licence. Je terminais lentement. Car l’année précédente, je m’étais fait royalement coller aux deux certificats de psycho-physiologie, à la session de juin, comme à la session d’octobre.

En fait, la licence de psycho était bizarre. Elle était délivrée à la fois par la Faculté des Lettres et Sciences Humaines et par la Faculté des Sciences. On pouvait la prendre par les deux bouts. Après une première année scientifique ou littéraire, on passait d’abord les certificats correspondants, puis on allait dans l’autre faculté passer le reste.

J’étais « littéraire ». J’avais commencé mes études universitaires par une propédeutique lettres en même temps qu’une hypokhâgne de second choix. Mais j’avais passé deux bacs (à l’époque on en passait deux) assez scientifiques: un bac C en première (avec mention bien, madame !) et un bac de Sciences Expérimentales en terminale (avec mention assez-bien, pas si mal, mais moins bien, quand même). Mais, au fond de moi, je n’avais guère envie de faire des études scientifiques. Je voulais être prof de français. J’étais donc tout naturellement allé vers des études littéraires.

Le proviseur du lycée Henri IV, une vieille peau que j’avais déjà fréquenté en seconde à Lakanal, n’avait pas voulu de moi dans son hypokhagne renommée. J’avais donc échoué, de nouveau, au Lycée Lakanal dans une classe ou l’on pouvait préparer Normale Sup, mais qui, en fait ne nous préparait qu’à l’ENSET (Ecole Normale Supérieure de l’Enseignement Technique), qui avait une section pour les profs littéraires. On avait quand même de sacrés profs ! Il y avait, notamment, un certain Monsieur Cavalier qui était un bon, enseignait le français de façon pas trop ennuyeuse, très compétent sur le théâtre et qui m’énervait profondément parce qu’il détestait Jean Vilar.

Un jour, je déposais sur son bureau cette méchants strophe:
Jean Vilar, Jean vilain,
C’est d’la boue et du crottin.
Jean Vilar, Jean vilain,
Aura mon pied au bas des reins.

Je ne sais pas pourquoi j’écrivis ceci qui ne correspondait absolument pas à mon point de vue. Peut-être était-ce pour stigmatiser l’argumentaire de celui qui critiquait tant l’artiste. De toute façon, je ne sais plus ce qu’il advint de la chose.

En même temps, j’étais inscrit en fac, où je ne pouvais pas aller, car j’étais très pris au lycée, sauf à un cours d’Histoire Romaine de Pierre Grimal que je trouvais très intéressant.

Pendant un trimestre, je restai interne parce mes parents n’avaient pas voulu me livrer aux tentations de la chambre en ville. Mais on peut toujours se divertir, si l’envie nous prend. Nous avions de longues heures d’études non surveillées (car nous étions réputés « grands »).  Je n’ai pas le souvenir d’une grande concentration. Je m’acheminais parfois en rampant presque sous la chaise d’un élève qui portait une grande blouse grise dont les deux pans pendaient de part et d’autre du siège. Le grand jeu était donc d’y glisser silencieusement du papier journal préalablement froissé et… d’y mettre le feu.

Je n’ai jamais réussi à incendier la blouse. Mais les sauts en l’air de son propriétaire valaient le spectacle.

En même temps, j’avais fini par trouver une chambre en ville et je mis mes parents devant le fait accompli. Et comme c’était une chambre au pair, ils ne pouvaient même pas avancer l’argument financier. C’était à Sceaux, chez un monsieur Diamant-Berger qui pourraient bien être Henri, le cinéaste. Je devais donner des cours du soir aux enfants. Des pestes qui ne voulaient pas de cours, ce qui m’arrangeait bien.

Et j’étais souvent amoureux. Disons que c’était un état naturel. Je revois les visages. Pas tous les prénoms. Je me souviens de la souffrance d’entendre un autre élève me raconter comment il était « sorti » avec l’une d’elle. Il y eut  celle que je surnomme Chloé . A l’époque on « sortait ». Les filles étaient très, très, très , très… prudentes. Après coup, je les comprends et, à vrai dire, je ne le regrette pas. Vu de maintenant, cette quasi chasteté à quelque chose de franchement sublime et romantique.

C’est dire aussi que les résultats universitaires furent à la hauteur de ma concentration au travail. Pas une note supérieure à 5 sur 20 au concours. Et j’échouai aussi à Propé en juin.

Foin des avatars. Je me réinscrivis pour octobre à Propé en changeant les matières: dissertation française, version anglaise et géographie (qui remplaça l’aléatoire dissertation philosophique et que j’étudiai vite fait pendant les vacances). Et je fus reçu. sans mention, je dois l’avouer : la pente était savonneuse.

Et je m’engageai pour des études de Lettres Modernes.

Ce que j’ignorais, c’est qu’il fallait comprendre « lettres modernes » par opposition aux « lettres classiques ». Et non l’étude de la littérature contemporaine, comme je l’espèrais. Les Lettres Modernes commencent en 1500 ! Je me souviens, en particulier, d’une étude du Lai de Lanval digne la recherche de la chair dans le corps d’une étrille. Je n’ai rien contre les étrilles, ni contre le Lai de Lanval. C’est un poème qui ne manque pas de qualités dès lors qu’on l’a déjà traduit de sa langue ancienne. Mais de là à passer une heure par semaine pendant une année dans l’amphithéâtre Durkheim, sur ce sujet ardu. Dur.

Il y avait aussi un autre piège. Il se nommait Radio-Sorbonne. Hé oui ! Nombre de cours étaient diffusés à la radio. On pouvait donc les écouter chez soi, d’une oreille attentive ou… distraite. Mais pire, l’heureux propriétaire que j’étais, pour l’époque, d’un magnétophone, ne se privait pas d’enregistrer le cours en remettant à plus tard d’ouïr l’ennuyeux cours sur Lanval. » Plus tard » devint « bien plus tard », pluis « calendes grecques », puis jamais.

La pente savonneuse s’accentua très fortement. La sanction méritée vint : échec aux deux sessions assorti d’un trouble d’orientation, les lettres modernes n’étant vraiment pas ce qu’il me fallait.

Mais l’échappatoire vint en même temps. Cette année-là, le concours des IPES (Institut de Préparation à l’Enseignement Secondaire*) fut ouvert en psychologie. C’est la note de Propé, deuxième session, qui servait de classement. Je repassai donc Propé et… ne fut pas admis au concours.

Mais, pour le coup, je décidais d’entreprendre des études de psychologie.

* On suivait les cours de fac. On avait du soutien pour préparer le CAPES et l’Agrégation. Et on était payé !

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

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