L’université et moi : 5-Comment j’ai donné mon premier cours de Psychologie à 22 ans

L’université et moi : 5-Comment j’ai donné mon premier cours de Psychologie à 22 ans

Il se passe des choses étonnantes dans la vie. Des circonstances. Des hasards qui se présentent et qui deviennent fructueux pourvu qu’on les prenne à pleine main.

C’était en novembre 1966. J’étais donc étudiant en psychophysiologie et je redoublais les deux certificats. A ma défense, il faut dire que je n’étais pas le seul, car les études en Sorbonne ne nous préparaient pas au choc du Quai St Bernard. Et voici que je suis passé, en fin d’après-midi, à l’angle de la rue des Écoles et de la rue St Jacques. Je savais qu’en entrant par cette porte de la rue St Jacques et en montant 5 étages, je trouverais le Laboratoire de Psychologie Génétique.

Pris d’une inspiration subite, je montai donc et me présentai. Je dis que je venais pour postuler pour un emploi de Moniteur de Travaux Pratiques. Ces moniteurs avaient pour fonction d’aider l’enseignant dans les écoles: ils installaient et rangeaient le matériel, allaient chercher les enfants et pouvaient répondre, s’ils s’en sentaient capables, aux questions.

Je fus reçu par un enseignant, alors assistant, à qui je dois probablement toute ma carrière. Et même si certains évènements nous ont éloigné par la suite, cela n’enlève rien à ma gratitude et mon respect. Cet homme était Alain Danset et remplissait aussi des fonctions administratives dans le laboratoire. J’entrai donc dans son minuscule bureau. Et il me fit raconter plein de choses, comme il en était capable. Puis il me déclara qu’il n’y avait pas d’emploi de moniteur disponible.

Mais que…

Mais qu’il pouvait m’offrir un petit travail rémunéré à la vacation : traduire un article scientifique publié en anglais. Ce que j’acceptai derechef. Alors, entouré de tous les dictionnaires, je mis quelques jours à traduire le texte avec une motivation et une attention soutenues.

Quand je revins, quelques jours plus tard, Alain prit lentement connaissance de mon travail alors que j’étais assis sur la seule chaise visiteur de son local, coincée entre le bureau et la cloison. Mon coeur battait à fond. J’étais en train d’essayer d’entrer dans ce monde mythique des laboratoire universitaires. La lecture terminée, Alain me posa quelques questions, apporta quelques commentaires et me demanda à brûle pourpoint:

– Pourriez-vous bâtir une manip de TP avec cette recherche.

Une « manip » de TP était une situation expérimentale qu’on proposait de faire dans les séances pour étudier tel ou tel aspect du développement. En fait, il y avait trois axes : l’examen clinique avec Colette Chiland dont j’ai parlé ci-avant, des séances où l’on reproduisait des situations inventées par Piaget et des séances expérimentales où l’on reproduisait des expériences de Psychologie Expérimentale de l’enfant. C’était le cas. Et je dis « oui ».

Les deux étapes ultérieures vinrent presque naturellement:

– Pouvez-vous rédiger le polycopié préparatoire ? Ce document était distribué à l’avance avec une présentation du thème, le mode opératoire et les traitements prévus. Je répondis « oui ».

– Pouvez-vous faire la conférence préparatoire ? Il s’agit d’une heure de cours au quart de la promotion pour présenter de manière théorique et technique la séance en question. Je dis « oui ».

Lorsque je rentrai chez mes parents, le week end qui suivit ce dernier entretien, j’attendis qu’ils me posent leurs sempiternelles questions un peu inquisitoriales sur mes études, je répondis avec un air détaché que tout allait bien et que dans quelques jours, j’allais donner mon premier cours en fac.

J’avais 22 ans ! Ma licence n’était pas finie. Autres temps, autres moeurs.

Alain qui n’était pas satisfait des bavardes  monitrices qui l’accompagnaient se fit violence et les congédia tout en me demandant si je pouvais lui trouver quelqu’un de sérieux pour faire la paire avec moi. C’est ainsi que je lui présentai Annick Guérin, qui avait été pendant une année ma camarade d’études. Quand elle se maria, un an ou deux plus tard, elle prit le nom de son mari. C’est ainsi qu’Annick Cartron fit ses premiers pas à l’université et finit par en devenir Vice-Présidente.

En janvier 1967, je donnai mon premier cours de Psychologie au centre Censier.

st-jacques.1227740658.JPG

La Sorbonne * Le 46 rue St Jacques

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

Bakounine