L’Université et moi : 2-Rencontre avec la politique

L’Université et moi : 2-Rencontre avec la politique

Ma formation politique était très incertaine. A l’âge de 14 ans, j’étais très Algérie Française, sans doute sous l’influence d’un copain de lycée, interne à Lakanal et que ses parents restés à Oran, avaient envoyé là pour ne pas compromettre ses études. Le putsch de 1958 m’amusa beaucoup. A vrai dire, je n’y comprenais pas grand chose. L’arrivée de de Gaulle ne me troubla point, tant j’étais immergé dans l’anti Quatrième République qui avait cours en ces temps-là.

Mais lorsque le péril du service militaire en Algérie vint me tourner autour, je commençais à réfléchir autrement. Et puis, il y avait les témoignages sur la torture, même si les attentats aveugles me répugnaient profondément.

Quand de Gaulle négocia avec le F.L.N., j’y vis une trahison et quand Bastien Thiry fut exécuté, j’y vis un crime.

J’arrivais donc à la Sorbonne, plein de sentiments contradictoires.

J’y découvris l’U.N.E.F. et un havre qu’était la salle du G.L.M.. Le Groupe de Lettres Modernes, section de l’U.N.E.F., disposait sous les toits, en haut de l’escalier A de la Sorbonne, d’une salle d’une certaine superficie. Dans ce local, il y avait des tables et des chaises, des affiches et des débats politiques. C’était chauffé. Le balai ne devait pas y entrer souvent. Mais c’était commode et plus économique qu’un bistrot du Quartier Latin. Mais ce n’était jamais calme. J’y découvris toutes les tendances: les communistes s’affichaient clairement. Mais il y avait aussi d’autres groupes, qui participeront sans doute à la formation des groupuscules en 68, se disaient plus à gauche. Et, dans ma naïveté, je n’avais pas imaginé qu’on pût être plus à gauche que le P.C..

Je peux laisser à un historien spécialiste la classification de toutes ces tendances. Mais en tout cas, elles s’exprimaient dans le local du GLM et je les écoutais. Tout Algérie Française que j’aie pu être (ce que je me suis bien gardé de dire par crainte de finir en hachis – il n’y a pas si longtemps que j’ai osé l’avouer), le fond de ma personne était de gauche. Et puis la pression de l’état gaullien se faisait de plus en plus sentir sur ma culture philosophique assez fortement teintée d’existentialisme.

Au hasard des rencontres, je me trouvais impliqué par les socialistes. A ce moment, la Ligue Française de l’Enseignement, repaire socialiste de tous temps, cherchait une entrée à l’Université. Avec quelques camarades de rencontre, je me trouvai donc impliqué dans la création du Cercle Laïque des Étudiants de Paris, ce qui donnait le sigle bizarre de CLEP que quelques mauvais sujets traduisirent rapidement en « clebs ». Je crois bien que j’en étais vice-président. Nous organisâmes pour commencer un débat sur un sujet d’actualité: orientation ou sélection à l’Université. Non, ce n’est pas une blague. Comme quoi, il y a des thèmes qui sont éternels. La Ligue loua une salle à la Mutualité. Il y vint une poignée d’auditeurs qui n’avaient rien à faire là parce que leur position était déjà déterminée.
Je sais que le C.L.E.P. continua un peu, mais sans moi.
Mais si cette année de Lettres Modernes fut nulle du point de vue de mes études universitaires, j’en sortis politiquement avancé. Ma position était de gauche, mais hors de toute organisation qui ne me semblait conduire qu’à l’embrigadement. Le pire exemple était celui des communistes fidèles béats d’une religion qui avait fini par piétiner l’évangile marxiste, au moins dans les pays de l’Est. Quant aux groupuscules ou aux trotskistes, il ne valaient guère mieux, sans compter qu’un certain nombre me paraissaient cinglés.
J’étais un peu mal à l’aise de ne pouvoir me retrouver dans aucune de ces structures. Il fallut 1968 pour que je fasse connaissance avec le point de vue libertaire qui ne m’a jamais quitté depuis surtout quand je découvris que l’anarchie n’était pas ce qu’on voulait me faire croire.

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

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