Déflagration des conditions de travail des Enseignants-Chercheurs : quelques rappels

Déflagration des conditions de travail des Enseignants-Chercheurs : quelques rappels

Au moment où un projet de décret tente de « moduler » la durée des services des enseignants-chercheurs des universités, il convient de faire quelques rappels.

 

On se contentera de remonter aux temps de la prise de service de la classe d’âge approximativement la plus âgée encore en fonction. En 1969, les « assistants » devaient effectuer 125 heures de service annuel, les « maîtres-assistants » 150 et les « professeurs » 75. Ces différences étaient liées à la différence des fonctions. Les professeurs étaient titulaires de « chaires », on dira maintenant responsables d’équipes de recherche et devaient donc diriger des thèses. A l’opposé, les assistants étaient de jeunes enseignants qui préparaient leur thèse. Le temps d’enseignement était donc allégé pour cela.

 

En ce temps-là, l’année universitaire était « normale ». La rentrée se faisait fin octobre début novembre et les examens étaient terminés assez tôt dans le mois de juin. Il restait donc un temps suffisant pour écrire des ouvrages, des articles scientifiques et participer à des congrès nationaux ou internationaux qui se déroulaient pendant la saison d’été. On pouvait mettre aussi cette période à profit pour effectuer les recherches qui demandaient une grande disponibilité et qui étaient incompatibles avec un temps partiel destiné à donner des cours.

 

Naturellement, la préparation des enseignements tenait une grande place. Il était coutumier de ne pas refaire le même cours d’une année sur l’autre. Au pire, il était indispensable d’actualiser les enseignements ce qui représentait une charge significative. Il faut aussi faire remarquer que les universitaires ne peuvent s’appuyer beaucoup sur des manuels ou des ouvrages de synthèse pour la bonne et simple raison que ce sont eux qui les écrivent. A charge pour eux de réunir toute la documentation, ce qui implique, on le comprend bien, un important travail de recherche bibliographique.
Contrairement à l’idée reçue, les universitaires ne bénéficiaient pas de « grandes vacances ». Leur sort était globalement comparable à d’autres emplois de la fonction publique.

 

Leur rémunération était assortie d’une « prime de recherche », correspondant grosso modo à un 13ème mois (quasiment non revalorisée depuis 30 ans), mais qui n’était versée qu’à ceux qui se consacraient totalement à l’université et excluait ceux qui exerçaient simultanément dans le cadre du statut une activité privée. Dans certaines disciplines, comme en Psychologie Clinique, cette activité pouvait être recommandée puisqu’elle contribuait à l’expérience, voire aux travaux de recherche, des enseignants

 

En 1984, tous les enseignants du supérieur sont passés à 192 heures (équivalent TD). Ceci veut dire que celui ou celle qui ne  « fait » que des enseignements en petits groupes de 40 doit y consacrer 192 heures, mais que celui qui « fait » des cours devant de grands auditoire peut faire moins d’heures (la règle étant dans ce cas : 1 heure de cours compte comme 1,5 heure de TD). Tout le monde fut perdant dans cette affaire qui représentait une augmentation de la charge d’enseignement de 30% pour les maîtres-assistants et beaucoup plus de 100 % pour les professeurs. Naturellement ceci ne pouvait se faire qu’au détriment du temps consacré à recherche et qu’au détriment de la qualité des enseignements.
Naturellement, les salaires n’étant pas très élevés (aujourd’hui, un maître de conférences débutant, qui a une thèse et a déjà publié quelques articles scientifiques, touche un peu plus de 1700 euros, nets par mois), les enseignants peuvent être tentés par des heures « complémentaires ». Souvent, il s’agit aussi d’une nécessité, voire d’une obligation, quand les postes statutaires ne sont pas assez nombreux ou que les recrutements tardent à venir.  Ceci arrange bien le Ministère des Finances, car, dans ce métier, ces heures sont moins bien payées que les heures normales. On notera qu’il ne s’agit point d’heures « supplémentaires », mais « complémentaires ».

 

Naturellement, il y a toutes les charges : charges légitimes de préparation des cours et des TD, charges de correction, charges de jury d’examen, charges de « tutorat » des chargés de cours. Aucune n’est indemnisée. Et certaines peuvent être très lourdes. Un enseignant qui fait un cours devant une promotion de première ou seconde année a généralement plusieurs centaines voire presque un millier de copies à corriger. Et ensuite faut-il établir et transmettre des bordereaux de notes à l’administration. Aujourd’hui, avec les enseignements semestriels et l’accroissement des contrôles continus, ces charges ont largement été triplées. Et cette brève énumération ne tient pas compte des multiples tâches de coordination pédagogique et de toutes les charges administratives associées…

 

Plutôt que d’augmenter les salaires, les lois Jospin offraient la possibilité aux enseignants qui s’investissaient ailleurs que dans le secteur privé, c’est-à-dire, dans l’administration universitaire, les responsabilités pédagogiques ou encore dans la recherche, de recevoir un supplément sous forme de primes. Malheureusement, on s’est vite rendu compte que cette prime n’était pas pour tous. Et voici qu’un décret en préparation prévoit que les universitaires auront l’obligation de fournir un certain nombre de publications scientifiques dans des revues tous les 2 ans (peu importeront l’importance de leur contenu et les difficultés matérielles et temporelles de l’approche utilisée) sous peine d’une part, d’être éliminé d’une structure de recherche et d’autre part, de voir augmenter les heures de leur service jusqu’à 100%, et ceci sans retour possible vers une activité de recherche !  Plus encore, ils devront publier dans des revues dites à fort « impact factor », chiffre qui représente le nombre d’articles cités dans la revue, et partant sous-représente un grand nombre de domaines de recherches  spécialisés.

 

Il faudra aussi valider les processus de l’évaluation dont on imagine bien qu’ils posent de nombreuses questions qui vont de la méthode à la compétence des évaluateurs.

 

Selon M-F Fave-Bonnet (2002), « si l’on se réfère aux rares statistiques sur les taux d’encadrement, la France, malgré le nombre remarquable de recrutements d’enseignants-chercheurs, reste un des pays où le nombre d’étudiants par enseignant est des plus élevé : selon l’OCDE ( 2002), la France se place derrière l’Italie ( 22,6) avec un taux d’encadrement de 18,3 en 2000, loin devant l’Espagne( 15,9), les États-Unis ( 13,5), l’Allemagne ( 12,1), le Canada ( 9,8) et la Suède ( 9,3) »…. Les enseignants chercheurs font face  « à une accumulation incontrôlable de tâches diverses. La conséquence a été l’allongement de l’année universitaire qui réduit le temps consacré à la recherche et déporte, de ce fait, celle-ci dans les périodes de vacances : « La recherche, pour beaucoup, devient une conquête permanente, gagnée de haute lutte contre soi-même et ses proches » (Berthelot, 1992). »

 

Dans les pays anglophones, l’expression « Publish or perish » a été largement remplacée par « Publish quick and dirty ». Est-ce bien cela que nous voulons ? La multiplication des articles « Kleenex », pour la plupart non lus et jamais cités, avec ses effets pervers dénoncés depuis plus de 10 ans ! Quid de l’innovation et de la créativité dans la recherche ? Hypothèses nouvelles, risquées, recherches à  long terme, quand on a une obligation de résultats… rapides.  Surprise des étudiants de Master qui apprendront qu’il faudra orienter leur travail comme ci, comme çà, pour pouvoir en faire une publication ! Des groupes d’experts réfléchissent et définissent des axes prioritaires pour les années à venir dans lesquels il sera obligatoire de se mouler pour obtenir un financement des travaux. Quelle méconnaissance des attributs du développement des connaissances !  Comme l’a écrit  un collègue,  « J’y vois surtout un appel formidable au développement de stratégies visant à optimiser la densité de publication en même temps qu’un retour à des modes de fonctionnement excessivement locaux et autocratiques. Serait ce au moins pour améliorer la qualité de la recherche et de l’enseignement ? Je n’ai pas clairement encore compris en quoi. »   Nous non plus.

 

– BERTHELOT, J.-M., PONTHIEUX, S. (1992). « Les enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur : revenus professionnels et conditions d’activités », Documents du CERC (Centre d’études des revenus et des coûts), n° 105, Paris, La Documentation française.
– FAVE-BONNET,  M.-F. (2002). Conflits de missions et conflits de valeurs : la profession universitaire sous tension, Connexions, 78, 31-45.
– OCDE-CERI. (2002). Regards sur l’éducation : les indicateurs de l’OCDE, Paris, OCDE.

 

(1) On trouvera en ligne un excellent aperçu de ces problèmes dans les revue de question de Peter A. Lawrence, concernant la recherche, intitulée « The mismeasurement of science » (Par exemple sur : http://www.dcscience.net/lawrence-current-biology-2007.pdf) et celle de Robert E. Haskell, concernant l’enseignement, intitulée « Academic Freedom, Tenure, and Student Evaluation of Faculty: Galloping Polls in the 21st Century. ERIC/AE Digest » (Par exemple sur : http://findarticles.com/p/articles/mi_pric/is_/ai_3749946279).

 

Carolyn Granier-Deferre
Jean Pierre Dufoyer
Maîtres de Conférences
Institut de Psychologie
Université Paris Descartes

Bakounine

1 commentaire pour l’instant

Bertrand Dufoyer Publié le11h39 - 28 novembre 2008

« Dans une économie de marché, on ne peut blâmer des entrepreneurs d’être allés là où était le profit. Si faute il y a eu c’est celle des gouvernants »

On peut aussi avoir une autre vision de cette phrase:

Le libéralisme et la mondialisation ont générés la titrisation (transfert des risques de solvabilité) et l’apparition de normes comptables internationales privilégiant les aspects court terme aux investissements longs termes de sorte que l’optimum économique d’une compagnie va à l’encontre de sa prospérité. Car si elle privilégiait sa situation long terme, elle s’exposerait à une minimisation de sa valeur de marché et donc à un risque de rachat notamment de compagnie qui privilégieraient l’économie financière à l’économie réelle.

L’immaturité ce situe vraisemblablement plus au niveau des décideurs politiques internationaux, dont bon nombre d’entre eux ne peuvent pas justifier d’un niveau de deug économique s’il existe encore.