Le jeu de la mort ou l’honneur de la télévision publique

Le jeu de la mort ou l’honneur de la télévision publique

zone-xtreme.1268930518.jpgBien sûr, les puristes trouveront sans doute à redire. Mais le travail présenté par France 2, le 17 mars, sous le titre de « Le jeu de la mort », est remarquable. Dans cette émission a été reproduite une célèbre expérience d’un chercheur américain, nommé Milgram, qui avait essayé de comprendre ce qu’était la relation d’un sujet à l’autorité, afin, notamment, d’expliquer comment tant de personnes « normales » étaient devenues des bourreaux nazis obéissants.
Le réalisateur a monté une réplique de la même expérience afin d’évaluer la puissance de la télévision sur les conduites des personnes. Ce travail a été piloté scientifiquement par des chercheurs en Psychologie sociale Expérimentale et notamment Jean-Léon Beauvois.
On constate que le pourcentage de sujets capables d’infliger à d’autres des chocs électriques mortels (460 volts) est plus important sous la pression de l’environnement télévisuel (studio, présentatrice, caméras, public) que dans le cas du laboratoire de Milgram où seul le chercheur en blouse blanche faisait autorité: 80% contre 60%.
Ces résultats doivent induire évidemment une sérieuse réflexion sur l’usage de la télé, notamment sous sa forme souvent scabreuse de la télé-réalité.
Mais on retiendra surtout la qualité de la mise en oeuvre méthodologique permettant au spectateur de suivre les moments et les règles d’une expérience de Psychologie Sociale Expérimentale. Les questions et les hypothèses sont formulées au début de l’étude. On met en place un dispositif expérimental répondant au maximum aux règles nécessaires. Les procédures sont standardisées afin que tous les sujets soient placés, rigoureusement dans les mêmes conditions. Les cris de la « victime » sont enregistrés de manière à être fournis aux mêmes moments, dans les mêmes termes, avec la même intensité. Même le comportement de l’animatrice est toujours le même, quelles que soient les circonstances (une espèce de neutralité un peu froide et insistante). Les consignes verbales qu’elle fournit lui sont dictées strictement dans son oreillette et les critères d’interruption de l’expérience sont toujours les mêmes.
Passé au moment de l’analyse des résultats, on fournit à la fois des données quantitatives et qualitatives. On propose des observations approfondies des conduites des sujets et des extraits du débriefing qui suivait chaque passage. Ce n’était pas rien tant les acteurs de ce drame avaient été touchés. Et ce n’est pas la moindre des informations, car elle nous permet d’approcher l’immense détresse des bourreaux et de comprendre que la torture n’est pas dans la nature humaine, mais bien dans le conditionnement éducatif et social. Sans cette présentation, le jugement aurait été faussé, car tous les sujets étaient sous le coup d’une ambivalence. Certains trichaient, d’autres tardaient. Aucun n’est resté vraiment impassible. Puis le poids de la psychologie personnelle finit par emporter une décision : obéir ou désobéir. Le nombre des désobéissants est faible mais ce ne sont pas les obéissants qu’il faut critiquer, mais l’éducation et la société qui les font tels.
Enfin, les scientifiques ont donné leurs interprétations. Et l’on a pu comprendre comment celles-ci s’efforçaient de coller au plus près des observations qualitatives et quantitatives. Cette rigueur et cette proximité des faits sont la marque du travail scientifique, opposé aux notations impressionnistes voire erronés dont les média se contentent souvent.
C’est en ce sens du respect et de la proximité de l’étude scientifique que l’émission a offert un étonnant et superbe travail pédagogique encore plus fondamental que les résultats bruts dont on savait bien qu’ils ne seraient pas glorieux.

Référence en langue française :
MILGRAM (S.), Soumission à l’autorité, Paris, Calmann-Lévy, 1974

Bakounine