Accueil

Les fonctionnaires au mérite ? Existe déjà et c’est le bordel

Saches, ami lecteur, que celui qui ici même écrit est un fonctionnaire. Et que la notation au mérite, il connaît pour en profité. Car, au moins dans le « corps » qui me concerne cela existe ou a plus ou moins existé. Et c’est le bordel.

Déjà, une petite histoire vraie.

Soit une P.M.E. de 35 salariés, répartis en deux services avec deux cadres pour les « encadrer ». Et puis il y a un patron qui voit bien ce qui se passe, mais pas le détail. C’est un patron pour qui, selon l’expression, « de minimis non curat praetor ». Il se repose donc sur les avis de ses cadres. Et l’un d’entre eux est dynamique et toujours soucieux de valoriser tel ou tel de ses subordonnés. Et l’autre est une couille molle et peureuse. Le premier obtiendra donc plus d’avancées au mérite que le second.

Une autre histoire vraie.

Soit le Ministère de l’Education. Là, quelques petits milliers de maîtres de conférences qui travaillent dans toutes les universités. Comment le patron, le ministre va-t-il faire cette promotion au mérite ? Il va déléguer. A qui ? Aux présidents des universités. Si cela se passe comme dans l’exemple précédent, ce sera évidemment le bordel. mais comment le ministre peut-il avoir une bonne idée ? Il ne peut pas.

Alors, il dit quoi le ministre ? Il regarde son budget et il dit que seuls 5% des maîtres de conférences peuvent être « hors classe ».

Déjà souci: il y a peut-être 8% des intéressés qui le méritent. Ou seulement 3%. Allez savoir ! Mais comment faire pour le savoir ? Il est bien évident que ceci est très compliqué à déterminer avec des critères sérieux. D’autant plus que ceux qui pourraient le mieux avoir un point de vue, les supérieurs hiérarchiques directs, pour autant que cela existe, ne détiennent les cordons de la bourse. D’où la nécessité d’un critère global du genre 5% de l’effectif. Critère très imparfait, c’est le moins qu’on puisse dire.

Et comment trouver ces 5% ? S’il y en a déjà 5% en activité, il faut attendre que certains partent. Soit on les tue, ce qui ne se fait pas habituellement. Soit on profite des départs à la retraite. Alors, sur cette base, on connaît le nombre de promotions qu’on pourra accorder, ce qui n’a rien à voir avec l’activité des promouvables.

Mais comment les répartir entre les université ? Et comment les répartir entre chaque faculté dans chaque université ? Et comment les répartir entre chaque service d’enseignement dans chaque faculté ? Par un grand marchandage dans lequel les qualités des intéressés sont le dernier des critères. Actuellement, tout ceci se traduit par le résultat qui est le nombre de promotions autorisés par faculté. Et là, le meilleur comme le pire sont possibles.

L’auteur de ces lignes pourrait volontiers dire que les critères sont justes, car il a bénéficié ainsi de plusieurs promotions au choix. Pourtant, il connaît des collègues qui n’en n’ont pas tant obtenu et qui n’en étaient pas moins méritants, éventuellement sur d’autres critères. Et dans les groupes ou conseils qui répartissent ces promotions, il y a naturellement des représentants élus des syndicats. Et je connais aussi des collègues qui n’on jamais été syndiqués que pour avoir plus de chances de profiter des promotions.

Depuis que travaille à l’université (40 ans), j’ai vu plutôt le régime des promotions au choix se resteindre plutôt que de s’étendre, simplement à cause de la difficulté, dans une aussi grosse structure, d’user de critères vraiment objectifs à la fois localement, mais aussi transversalement entre tous les établissements. Ce système produit beaucoup d’injustices.

Une solution serait d’appliquer « small is beautiful ». Avec de vrais managers dans chaque faculté. Et non pas des directeurs élus, redevables envers leurs électeurs. Si cette piste était exploitée, pourquoi pas, elle impliquerait un changement profond des règles de fonctionnement. Mais la monumentale ADMINISTRATION CENTRALE accepterait-elle que la gouvernance des établissements lui échappe ? Voilà qui est fort peu probable.

Non, « Islam » n’est pas un prénom comme les autres

Je me permets de dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas à propos du problème posé à la chaîne de télévision Gulli par la sélection pour une émission d’un enfant se prénommant « Islam ».

Islam n’est pas un nom ou un prénom d’une personne. Islam est le nom d’une religion. Ce qui n’est pas la même chose que de prénommer son fils Mohammed ou Jésus ou David. C’est un peu comme si l’on choisissait « Catholique » ou « Protestant ». On ne me fera pas croire que nommer son fils « Islam » n’est pas un acte militant d’affirmation d’appartenance. C’est, naturellement, un droit inaliénable, mais dès lors que ce militantisme est exposé et médiatisé, cette attitude n’est pas laïque.

Au delà des mots, il y a aussi la connotation. Et celle-ci peut varier au cours du temps. Un commentateur disait qu' »Islam » n’est pas différent de « Christian », ce qui est à la fois vrai et faux. D’abord « Christrian » n’est pas littéralement « Chrétien ». Mais, de plus, au fil des temps, la proximité sémantique s’est fortement atténuée dans l’esprit de tout un chacun. Peu de gens savent d’où vient ce prénom. Quand je rencontre une personne qui s’appelle Christian, je ne pense ni au Christ, ni à chrétien. Il n’en est pas de même pour « Islam ». Islam est le nom d’une religion connue de tous et pratiquée. Cette correspondance est exacerbée, de surcroît, par le fait que, dans le monde présent, un certain nombre de fanatiques commettent les plus grands crimes au nom de l’Islam. Ce qui n’est évidemment pas fait pour une simplification sémantique. Quand on prononce Islam, je suis touché par des représentations contradictoires. Tous les musulmans que je connais sont pacifique et tolérants. Mais il y en a d’autres qui ne le sont vraiment pas. Islam est donc un identifiant polysémique, et très contradictoirement !

C’est là, à mon, avis, qu’il y a problème. Car il n’est pas simple, pour les non musulmans, de faire la part entre les qualités certaines de cette religion et les actes effroyables perpétués par certains. De même qu’il a fallu longtemps pour faire la différence entre l’Evangile et les horreurs de la « Sainte » Inquisition.

J’ose présumer que les parents d’Islam sont de bonne foi. Ils le montreront en prenant acte des explications raisonnables qu’on peut leur fournir et les excuses des responsables de la chaîne Gulli qui ne cherchaient probablement pas à les offenser. S’ils devaient, comme on peut le craindre à cause de la plainte et de la médiatisation de cette affaire, profiter de cette situation pour exiger une compensation financière, ils se mettraient dans une position peu conforme avec les principes de la religion qu’ils ont souhaité mettre en avant en prénommant leur fils de cette façon.

Les avions américains cloués au sol

accident-avion.1208300186.jpgJ’ai découvert par hasard, dans la presse, qu’il y a quelques jours, une bonne partie des avions américains (j’entends des U.S.A.) avaient été et sont encore cloués au sol. La raison ? Fort simple. On a découvert que nombre d’entre eux présentaient certains défauts graves et des risques pour la sécurité des voyageurs.

Comment cela, direz-vous, il n’y a donc pas de contrôles ? Et si, il y avait des contrôles mais il faut croire que ceux-ci avaient été mal faits ou que, plus simplement encore, les compte-rendus avaient été falsifiés. Et puis, évidemment, quand la chose est devenue publique, les compagnies concernées ont dû interrompre les vols avec le type d’appareil mis en cause.

Mais pourquoi en est-on arrivé là ?

Ce n’est un secret pour personne. Dans le domaine du transport aérien, une guerre sauvage s’exerce pour capter le plus de clients possible. Et, pour la majorité des clients, la chose la plus attractive est le prix du voyage. Et tous les managers des grandes compagies et tous les responsables savent bien, qu’à court terme, cette situation est dangereuse. Or, comme il faut bien vendre ses billets au prix le plus bas possible, on rogne. On rogne sur tout. On ne se contente plus de baisser les salaires (dans certains cas, ce n’était pas scandaleux). Un pas capital a été franchi: on rogne sur la sécurité.

En plus, les compagnies sont à l’affut d’acahts ou d’O.P.A. pour grossir. Le rève de tout chef d’entreprise est d’éliminet toute la concurrence pour faire des prix à sa convenance. Mais voilà. On n’en est pas là. Alors, comme on ne peut pas se libérer de la concurrence, on rogne

C’est la loi libérale de la libre concurrence. Pas ou peu d’arbitrage. Un contrôle d’état superficiel ou sommaire. A qui deviendra le plus gros… A quel prix.

Lorsque Air France était une compagnie nationale donc l’actionnaire majoritaire était l’état, on imaginait pas de tels faits. Les voyages aériens étaient chers et la politique de sécurité et de contrôle sérieuse et sévère. Maintenant tout est possible. L’entreprise privée Air France ne doit des comptes qu’à ses actionnaires. Et elle n’est pas comptable de ses victimes. Les assurances sont faites pour cela. Encore heureux qu’en France, il y ait la D.G.A.C. qui soit encore sur un profil de service public.

Lorsqu’on a affirmé, il ya quelques années, que la privatisation des compagnies de transport aérien conduirait à la diminution des dépenses de sécurité et à l’augmentation du risque, les libéraux vertueux, la main posée sur le coeur, on juré-craché qu’il n’en serait rien.

Les faits en provenance des Etats-Unis prouvent le contraire.

Notes d’économie politique 15 – 15 avril 2008

Grève au « Monde »: je suis très inquiet

launedumonde.1208213005.jpgJe ne suis pas de ceux qui vont se plaindre. Ne pas recevoir Le Monde demain ne sera pas une catastrophe. Je dis « demain » car mon facteur ne me l’apporte que le lendemain. Vers onze heures. Ce qui fait que je trouve le journal dans ma boîte après que le numéro du lendemain soit paru. Mais ce n’est que moyennement grave. Le Monde est un journal qu’on peut lire avec un peu de retard. Ce n’est pas France-Info !

Et c’est là que cette grève devient un grave symptôme. Naturellement, il est bien possible qu’un bon contrôleur de gestion trouvera que les dépenses du journal pourrait être resserrées. Que tous les journalistes ne sont peut-être pas aussi productifs qu’il le faudrait. Mais c’est le lot de toutes les entreprises. Rien de terrible.

Ce qui est terrible, c’est que la presse de qualité, et je mets dans ce panier tout le groupe, avec Télérama et Courrier International, etc, que cette presse donc ne puisse pas vivre avec une certaine aisance. Peut-être est-il exact que la stratégie de Colombani et du directoire de l’époque n’était pas la bonne. Mais il faut bien noter que toute la presse en prend plein la gueule. Ou plutôt toute la presse qui n’est pas asservie à certains groupes, comme Le Figaro qui est en train de mourir à petit feu. Voyez Libération. Et je ne dirai rien de L’Humanité. Car on a pu critiquer, de façon légitime, l’Huma pour son sectarisme, ce n’est pas l’existence de ce journal qui a mis la démocratie française en péril.

D’ailleurs, j’ai bien l’impression que, depuis que je suis en état de savoir lire, c’est à dire plus d’un demi-siècle, aucun journal n’a mis la démocratie en péril. Et cette liberté de la presse est bien l’une des fondamentales garanties de cette liberté. Inutile que je fasse un dessin. Et l’on me dit que la presse « gratuite » est florissante, financée par la publicité. Il n’y a pas de liberté gratuite. Encore moins si votre vie dépend de quelques annonceurs.

J’ignore si les grévistes du Monde ont tort ou raison. Mais ce qui est certain, c’est que, d’une certaine façon, ils font grève pour la préservation de notre outil d’information et de leur outil de travail. Ils le font, je le crains, dans une indiférence presque générale et, en tout cas, dans l’indifférence des pouvoirs publics. Et, quand je pense à tous les démocrates qui, depuis la Révolution Française, se sont battus, parfois au prix de leur vie, pour la liberté, au premier rang de laquelle se trouvait la liberté de la presse, j’en suis à la fois révolté et consterné.

Mai 1968 : 20 – L’esprit de mai

[Mai 1968: commencer au début]

Les évènements de mai 1968 ont laissé des souvenirs qui disparaîtront avec les témoins et des traces dans la société qui persistent et persisteront. Les souvenirs des témoins et participants ne sont évidemment pas tous les mêmes. Par exemple, pour mon compte, je tiens que la jonction avec les ouvriers ne fut pas. Ou peu. Ou de façade. On sait que les étudiants qui s’y sont rendus n’ont pas toujours été bien reçus dans les usines. Et c’était bien normal. Que pouvaient bien savoir ces oisifs, ces enfants de privilègiés, de la vérité du monde du travail ? Et pourtant la démarche de ceux qui se sont rendus à Billancourt n’était pas exempte d’une certaine générosité. Elle était aussi le fruit d’un bouleversement de la conscience de classe. Ces jeunes intellectuels, en d’autres temps, n’auraient peut-être pas eu tant à faire de la classe ouvrière. En cherchant un rapprochement, ils tentaient de franchir les limites de la classe des bourgeois dont ils étaient issus. Sans doute part d’une crise d’adolescence. Mais aussi, comme je l’ai indiqué, l’effet de la contemplation du monde: guerres est-ouest par peuples interposés, guerres de décolonisation, guerre d’Algérie. Nous avions un fort sentiment d’être manipulés par des forces amorales et presque dictatoriales.

L’esprit de mai, c’est d’abord ce refus de la force lourde et sourde.

Ce refus s’est cristallisé sur une question d’entrée dans une résidence universitaire sur fond de répression sexuelle. Mais il était bien plus étendu. Il est probable que nous, les jeunes, étions moins habitués ou moins tolérants à toutes les formes d’opression que ne l’étaient les ouvriers, probablement fatalistes et sans espoir véritable de changement significatif de leur condition. Cette pression sociale a constitué le terrain sur lequel des acteurs un peu plus politisés ou organisés n’ont pas eu de mal à mobiliser un grand nombre sans vraiment avoir imaginé que c’était possible.

On dit que l’esprit de mai est la contestation. Et la contestation systématique de l’ordre établi. C’est à la fois vrai et faux. C’est constestation évidemment. Mais il faut l’entendre au sens de la dialectique du philosophe qui doute systématiquement de ce qui est asséné sans être universellement justifié. Par exemple, il n’est pas justifié d’affirmer qu’une entreprise a nécessairement besoin d’un patron ayant tous les pouvoirs puisqu’il existe d’autres modèles d’organisation d’entreprise. Il y a et il y a eu, naturellement, des excès et des excessifs du rejet. C’est inhérent à la nature. Mais il n’est pas légitime de nous condamner simplement parce que nous passons toute chose au crible de notre esprit critique. J’ai écrit sur ce blog un billet que j’ai intitulé « Eloge de la dialectique « . L’esprit de mai, c’est fondamentalement cela: la dialectique.

Naturellement cela a heurté les tenants de l’ordre quand nous avons, dans notre univers étudiant, contesté le pouvoir mandarinal des professeurs titulaires de leurs chaires. Dans leur position sociale, ils se présentaient un peu comme des descendants de la scholastique et d’Aristote, même s’ils enseignaient une philosophie bien dubitative. Leur conseil à la Faculté des Lettres, avait été décrit dans un tract gauchiste par cette formule pleine d’humour: « des fantoches qui font des pantalonnades ». Et pourtant l’enseignement universitaire a fondamentalement changé à partir de 1968. Et nombre de ces changements qui faisaient partie de nos revendications, sont devenus aujourdhui modèles évidents et monnaie courante: travail en petits groupes, contrôle « continu » des connaissances, etc.. La structure même de l’Université a changé: elle était déjà collégiale, mais se limitait au collège des professeurs. Avec la loi Edgar Faure, sont entrés dans les conseils de gestion toutes les catégories de personnel et les étudiants. Ceci dure depuis 40 ans. Et même si la loi Pécresse veut augmenter les pouvoirs du Président de l’Université, sa légitimité démocratique par l’élection n’a pas été remise en cause.

Hors de l’Université, le changement social le plus spectaculaire a été et est encore la libération de la sexualité. Je ne dirai rien des « expériences » hippies ou autres. Elles sont marginales. Simplement sont venues logiquement les lois sur la contraception et sur l’avortement. Et nous avons pu, pendant quelques années, selon l’expression consacrée, « jouir sans contrainte »1 (je m’amuse fort d’un Sarkozy qui a parlé d’exterminer l’esprit de mai 68 et qui expose publiquement sa vie et qui me semble bien parti pour aimer jouir sans contrainte). Et la situation sociale de la femme a commencé à changer. Pas sans mal, tant les habitudes étaient ce qu’elles étaient. Je mes souviens m’être senti mal à l’aise, en 1969, en conduisant un landau dans lequel se trouvait mon fils, pour nous rendre chez sa nourrice. J’avais crainte qu’on se retourne sur mon passage tant le spectacle d’un homme poussant un landau me paraissait incongru en relation avec mon statut supposé de mâle. Aujourd’hui, ces craintes font rire !

L’esprit de mai porte aussi en lui une part de morale sociale. Même s’il est athée, il ne rejette pas l’idée de s’aimer, un peu, les uns les autres. C’est la déclinaison de ce principe dans les rapports quotidiens qui a donné tant de chaleur aux rencontres qu’on a pu faire, notammment dans la deuxième quinzaine de mai. Et ce qui est très fort, c’est que n’avons pas eu beaucoup d’efforts à faire pour nous sourire et nous parler dans la rue. C’était simple et naturel comme pour des randonneurs qui se croisent en montagne. Cela a été rangé très vite. Mais c’est trerrible. Aujourd’hui un type assez jeune m’agresse dans le RER parce que je serre le troupeau pour que d’autres personnes puissent encore monter. J’avais déjà connu cela il y a quelques semaines. En 68, nous en aurions ri et nous aurions invectivé le pouvoir. Le retour de la compétition sociale qui ne fut pas loin à venir après les évènements a vite détruit tout cela. De mon point de vue, c’est ce qui a existé de plus beau et de plus grand pendant les évènements: ces valeurs d’accueil d’autrui et de tolérance parce que toute compétition sociale avait disparu au profit de valeurs de solidarité. Même les groupuscules ne s’invectivaient plus beaucoup. Evidemment, il n’est pas certain que nous aurions été aussi tolérants avec les fascistes. Notre angélisme n’allait pas jusqu’à l’histoire de la joue droite et de la joue gauche. Mais on ne les voyait pas. Ou, au moins, pas des lieux que je fréquentais.

Enfin, l’esprit de mai, c’est l’indépendance d’esprit vis à vis des structures caporalisatrices qui fondent leur pouvoir sur le peuple comme le sont les syndicats et les partis. Ce n’est pas le rejet. Tout n’est pas mauvais. Mais c’est une terrible méfiance dont il est quotidiennement visible qu’elle est méritée. Toute forme de pouvoir est suspecte et dangereuse. Toute compétition sociale l’est autant. C’est dire combien il y a loin entre l’esprit de mai 1968 et la réalité de la France d’aujourdhui.

[Suite ]

———————————

1- Je dis « pendant quelques années » parce que cette dramatique arrivée du SIDA a tout flanqué en l’air. A partir du moment où l’on pratiquait une bonne contraception, faire l’amour ne dépendait que du désir de chaque partenaire. Certes, il y avait toutes ces maladies, syphilis, blennorragie, herpès. Mais on savait les soigner convenablement. Et de toute façon, ce n »était pas léthal. Aujourd’hui, tout partenaire est un suspect qui peut vous conduire à la mort. Et il ne suffit pas de se protéger de l’insémination, comme nous avions à le faire, puisque c’est beaucoup compliqué par le fait que d’autres sécrétions peuvent aussi être contaminantes.

Besson et le numérique

besson.1179506772.jpgJ’entends, ce matin, Eric Besson qui justifie sa « mission » de Secrétaire d’État à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques et du développement de l’économie numérique (Ouf !). Il déclare notamment en poncif bien éculé que « la France ne doit pas rater le tournant du numérique ». Ou bien il ne croit pas ce qu’il dit, mais il faut bien qu’il justifie son emploi, ou bien il y croit et alors c’est un aveu d’ignorance voire d’incompétence.

La France n’a jamais raté le tournant du numérique. Bien avant d’autres, France Télécom, alors entreprise publique, a déployé des centaines, des milliers de kilomètres de fibre optique, bien avant bien d’autres pays européens. C’est devenu en téléphonie un superbe réseau numérique (« Numeris ») déployé sur le réseau physique nommé « Transpac ».

La seule erreur commise a été « d’inventer » le Minitel. Cet outil, déployé bien avant que d’autres pays ne disposent de l’équivalent pour le public, était un outil numérique. Son défaut a été de rendre des services (depuis combien d’années peut-on commander un billet de train par Minitel ?), pendant que d’autres qui n’en disposaient pas, déployaient Internet. Comme le Minitel rendait bien des services, le besoin d’Internet ne s’est pas autant fait sentir qu’ailleurs. C’est à ce moment que nos ministres qui n’y connaissaient rien se gargarisaient des « autoroutes de l’information ».

Puis Internet est venu. Un peu plus tard qu’ailleurs, il est vrai, mais le retard a été vite rattrapé au point que les Français se classent maintenant parmi les premiers.

Quant aux applications, qu’Eric Besson ne se casse pas la tête. Notre savoir faire vaut bien celui des autres.

Il ne reste plus à notre Judas qu’à faire dérouler encore plus de fibre pour que tous les usagers disposent d’un authentique haut débit.

Roule…

Mai 1968 : 19 – Les examens, la rentrée et mon entrée

[Mai 1968: commencer au début]

Je ne dirai rien du mois de juillet 1968. Sinon pour dire que, après les résultats épouvantables des législatives, ce fut la démobilisation. Progressive, mais démobilisation tout de même. Et comme il ne se passait plus rien, chacun prit ses vacances, comme d’habitude. On m’a dit que j’aurais dû en rougir. Mais Paris n’était pas Prague. Et à partir du moment où les travailleurs étaient retournés au boulot pour gagner plus, je me demande bien ce que nous aurions dû faire.

Les vacances passées, nous revînmes. Il faut savoir que l’Université avait un rythme à elle, notamment en Lettres et Sciences Humaines. D’ordinaire, la rentrée avait lieu début novembre 1.

Naturellement, en septembre et octobre 1968, il ne fût guère possible de se livrer à des travaux de recherche ou d’écriture. Deux tâches nous attendaient: l’organisation des examens, mais aussi un profond remaniement de la structure des études pour tenir compte de certaines aspirations légitimes des étudiants. Les moyens avaient été débloqués pour qu’on passe d’une proportion d’enseignements en grands groupes de 80% à une proportion de 40% au bénéfice de la mise en place de travaux dirigés ou pratiques plus nombreux.

Je ne sais pas comment nous avons fait. Mais en décembre, nous étions en mesure de procéder aux inscriptions, examens effectués et réforme construite, y compris en réglant la question des locaux qui devenait critique en raison du grand nombre de groupe de travaux dirigés. Tout ceci fut fait en partenariat avec des étudiants qui, pour certains, ne représentaient qu’eux-mêmes, alors que d’autres étaient mandatés par leur organisation syndicale. Dans ma discipline, il y eut un énorme travail de refonte pour parvenir à ce qu’on nomme une « maquette » qui n’était certainement pas démagogique. Simplement nous avions pris en compte la forte demande de travaux en petits groupes pour faciliter les échanges entre enseignants et étudiants, permettre davantage le travail personnel encadré et offrir une dose un peu plus forte de psychologie appliquée et donc un peu moins théorique.

exam.1207776219.jpgIl y eût aussi les examens. Il est vrai qu’ils furent un peu… expéditifs. Je crois me souvenir qu’il y eût une interrogation orale par matière. Chacun d’entre nous s’y mit. J’avoue que je n’étais pas toujours bien armé pour juger. Je fis au mieux sans avoir à donner forcément la moyenne à tout le monde. Puis il y eût, pour la deuxième année de psychologie où j’avais enseigné et interrogé, un fabuleux grand jury public qui dura des heures et des heures. Les enseignants firent preuve d’une grande patience. Les étudiants qui s’y trouvaient furent très convenables: pas de pressions trop fortes, pas de menaces, pas de violence. Simplement, en raison de l’artisanat des convocations, nous n’étions pas certains que les étudiants aient été complètement informés. Alors, tout simplement, quand il se trouvait qu’il manquât à un étudiant bien placé, une note ou deux pour des raisons inexplicables, il se trouvait toujours un membre du jury pour retrouver la note dans l’apparente complication de ses papiers. Certains reçus ont dû avoir de bonnes surprises. Aucun n’a réclamé.

Mais, paradoxalement, je n’ai jamais entendu dire que les étudiants reçus en 1968 se soient montrés plus bêtes que les autres dans la vie active. Ce qui, au passage, doit inciter les enseignants et correcteurs que nous sommes à une relative humilité.

Je n’étais pas encore nommé assistant. Je participai à tous ces travaux parce que j’y trouvai un grand intérêt. Au bout de quelques semaines, lorsque vint le moment de recruter de nouveaux enseignants, il s’est trouvé que j’étais là et que j’étais actif. On me suggéra de faire acte de candidature. J’eus naturellement quelques soutiens solides. Je fus choisi, avec d’autres qui avaient de semblables mérites, par le collège des professeurs.

st-jacques.1207777510.JPGecoles.1207777695.JPG

Pour mon compte personnel, l’une des heureuses conséquences des évènements de mai fût donc ma nomination comme Assistant avec un salaire de début de 1300 francs (soit 200 euros) par mois. Voici maintenant 40 ans que je suis à l’Université et je suis persuadé que mes collègues honnêtes pensent que ce ne fût pas un mauvais choix. J’ai d’ailleurs la même opinion pour les 4 ou 5 autres qui entrèrent en même temps dans notre section.

L’entrée de mon laboratoire dans la Sorbonne se trouvait au 46, rue St Jacques, juste là où j’avais assisté à l’édification d’une barricade, le 24 mai.

——————————–

1- En passant, je vais tout de suite faire litière des commentaires que je sens venir. Le travail des universitaires ne consiste pas seulement à donner des cours. Ils sont aussi chercheurs, disons à mi-temps, avec plus ou moins de bonheur, il est vrai. Mais c’est le lot de la recherche de n’être pas forcément productive… Au cours de l’année universitaire, ils effectuent des expériences ou des investigations diverses selon leur spécialité. Mais ils doivent aussi rédiger des articles scientifiques ou des livres. Ils doivent aussi remanier, ne serait-ce qu’un peu, leurs cours pour rester d’actualité. Avec nombre de collègues, j’ai toujours apprécié les mois de septembre et d’octobre pour effectuer ces tâches avec une bonne tranquillité d’esprit.
[Suite]

Mai 1968 : 18 – L’esprit de mai 1968 a soufflé sur le parcours de la flamme à Paris

[Mai 1968: commencer au début]

Je voulais consacrer une note à l’esprit de Mai 1968 qui ne se résume certainement pas à quelques slogans comme « il est interdit d’interdire ». Ce qui fait le côté singulier de cet esprit, c’est qu’il concerne tout ce qui naît et prend corps dans l’esprit du peuple, souvent à cause d’une indignation. Alors surviennent des actes, des mouvements, des manifestations qui naissent assez spontanément, même si, peu à peu, ils trouvent une certaine forme d’organisation. Les structures politiques ou syndicales peuvent s’y associer. Mais elles n’en sont pas le moteur. Le moteur, c’est le peuple

Un exemple en est donné aujourd’hui, 7 avril 2008, par les évènements qui ont accompagné le déplacement de la « Flamme Olympique » dans Paris. A la source de l’indignation, la situation qui est faite aux Tibétains et aux contestataires chinois de la politique de leur pays. Ensuite, une bribe d’organisation par une structure qui représente peu de monde et qui vit habituellement en marge des structures syndicalo-politiques.

On a un avant goût de la mobilisation de ce groupuscule lors de la cérémonie d’Olympie ou le principal responsable de cette organisation se fait éjecter parce qu’il déploie une banderole.

Et voici que le peuple de Paris se mobilise ce jour de la traversée de la flamme (voir ).

Toutes formes de manifestations ont lieu, ce qui démontre bien qu’il n’y a pas derrière toute cela une bonne grosse organisation bien structurée comme la C.G.T.. Certains se rassemblent sur le Parvis des Droits de l’Homme. D’autres compliquent le parcours en tentant de s’emparer de la flamme, d’autres se couchent sur la chaussée. Comme aurait dit de Gaulle; « c’est la chienlit » !

Il s’ensuit un parfait pandémonium. A plusieurs reprises, le porteur doit s’arrêter. On enferme alors porteurs et flamme dans un autobus. Une fois, au moins, c’est démontré, la flamme s’éteint. Probablement plusieurs fois. Au final, la cérémonie tourne au plus grand ridicule. Le peuple de Paris, c’est à dire aussi bien des députés que des conseillers municipaux, aussi bien des jeunes que des vieux, aussi bien des gens de droite que des gens de gauche, aussi bien des étudiants que des travailleurs, aussi bien des salariés que des chômeurs, s’est levé pour empêcher cette flamme devenue symbole de l’oppression chinoise de faire son chemin comme si rien n’était.

C’est cela, l’esprit de mai 68: c’est celui du soulèvement populaire et fraternel contre une indignité. L’esprit de mai naît de l’homme et de la femme qui contemple certains évènements ou certains symboles et sait qu’il ne pourra rester impassible.

Dans le cas présent, et si l’on en croît la plupart des commentaires que j’ai pu lire sur les blogs, le mélange indécent de l’argent et de la répression politique avec les « idéaux » olympiques bien mis à mal, fut le déclencheur. Il fallait que cette flamme ne passât point sous les applaudissements. Il fallait que cette flamme s’éteigne, ne serait-ce qu’un instant. Cela fut. Ainsi le lien ténu entre Olympie et Pékin est désormais symboliquement rompu. Ce n’est même plus comme en 1936. Demain à Londres, aujourd’hui à Paris, demain à San Francisco, après demain ailleurs, les peuples du monde ont dit, disent et diront ce qu’ils pensent de tout cela.

 

pekin-notre-dame-web.1207600447.jpg

La photo de Notre-Dame de Paris, portant entre ses deux tours l’image des cinq anneaux devenus menottes fera le tour du monde.

Le plus divertissant, si l’on peut dire, c’est que des militants des Droits de l’Homme ont été empêchés, voire interpellés, voire brutalisés, par des forces de police, dans la capitale du pays présenté comme le plus grand défenseur de ces droits. La police est toujours aussi peu dépourvue de nuances (cela doit être un reste de 1968) puisqu’elle s’est posée ainsi en défenseur de l’ordre chinois.

On sait ce qu’il est advenu. Vingt-sept kilomères sous une protection policière digne de celle d’une visite officielle d’un chef d’état, et pas n’importe lequel. Trois mille ! Des forces de l’ordre sur tout le parcours avec une flamme gardée par une véritable « tortudo « .

Au final, la pauvre flamme a fini sa route sous les quolibets dans un autobus après s’être éteinte une (c’est certain) ou plusieurs fois (c’est probable). Quel ridicule fiasco ! De toute façon, j’ai crû comprendre qu’elle devait finir à Charléty . Celui qui avait décidé cela était soit un idiot, soit un ignorant, soit un provocateur.

[Suite ]

La flamme olympique est désormais le symbole de l’oppression

joberlin-1.1207555164.jpg

La flamme olympique est devenue le symbole de l’oppression. Il va falloir aujourd’hui, dans Paris, 3000 policiers pour la protéger sur 27 kilomètres, soit plus d’un policier tous les 10 mètres. Seule l’opression a besoin de tant de policiers pour la mettre hors de portée du peuple. Mais les apparences sont trompeuses. La flamme olympique s’est éteinte. Depuis longtemps.

pekinrsf.1206648862.gif