Mai 1968 : 19 – Les examens, la rentrée et mon entrée

Mai 1968 : 19 – Les examens, la rentrée et mon entrée

[Mai 1968: commencer au début]

Je ne dirai rien du mois de juillet 1968. Sinon pour dire que, après les résultats épouvantables des législatives, ce fut la démobilisation. Progressive, mais démobilisation tout de même. Et comme il ne se passait plus rien, chacun prit ses vacances, comme d’habitude. On m’a dit que j’aurais dû en rougir. Mais Paris n’était pas Prague. Et à partir du moment où les travailleurs étaient retournés au boulot pour gagner plus, je me demande bien ce que nous aurions dû faire.

Les vacances passées, nous revînmes. Il faut savoir que l’Université avait un rythme à elle, notamment en Lettres et Sciences Humaines. D’ordinaire, la rentrée avait lieu début novembre 1.

Naturellement, en septembre et octobre 1968, il ne fût guère possible de se livrer à des travaux de recherche ou d’écriture. Deux tâches nous attendaient: l’organisation des examens, mais aussi un profond remaniement de la structure des études pour tenir compte de certaines aspirations légitimes des étudiants. Les moyens avaient été débloqués pour qu’on passe d’une proportion d’enseignements en grands groupes de 80% à une proportion de 40% au bénéfice de la mise en place de travaux dirigés ou pratiques plus nombreux.

Je ne sais pas comment nous avons fait. Mais en décembre, nous étions en mesure de procéder aux inscriptions, examens effectués et réforme construite, y compris en réglant la question des locaux qui devenait critique en raison du grand nombre de groupe de travaux dirigés. Tout ceci fut fait en partenariat avec des étudiants qui, pour certains, ne représentaient qu’eux-mêmes, alors que d’autres étaient mandatés par leur organisation syndicale. Dans ma discipline, il y eut un énorme travail de refonte pour parvenir à ce qu’on nomme une « maquette » qui n’était certainement pas démagogique. Simplement nous avions pris en compte la forte demande de travaux en petits groupes pour faciliter les échanges entre enseignants et étudiants, permettre davantage le travail personnel encadré et offrir une dose un peu plus forte de psychologie appliquée et donc un peu moins théorique.

exam.1207776219.jpgIl y eût aussi les examens. Il est vrai qu’ils furent un peu… expéditifs. Je crois me souvenir qu’il y eût une interrogation orale par matière. Chacun d’entre nous s’y mit. J’avoue que je n’étais pas toujours bien armé pour juger. Je fis au mieux sans avoir à donner forcément la moyenne à tout le monde. Puis il y eût, pour la deuxième année de psychologie où j’avais enseigné et interrogé, un fabuleux grand jury public qui dura des heures et des heures. Les enseignants firent preuve d’une grande patience. Les étudiants qui s’y trouvaient furent très convenables: pas de pressions trop fortes, pas de menaces, pas de violence. Simplement, en raison de l’artisanat des convocations, nous n’étions pas certains que les étudiants aient été complètement informés. Alors, tout simplement, quand il se trouvait qu’il manquât à un étudiant bien placé, une note ou deux pour des raisons inexplicables, il se trouvait toujours un membre du jury pour retrouver la note dans l’apparente complication de ses papiers. Certains reçus ont dû avoir de bonnes surprises. Aucun n’a réclamé.

Mais, paradoxalement, je n’ai jamais entendu dire que les étudiants reçus en 1968 se soient montrés plus bêtes que les autres dans la vie active. Ce qui, au passage, doit inciter les enseignants et correcteurs que nous sommes à une relative humilité.

Je n’étais pas encore nommé assistant. Je participai à tous ces travaux parce que j’y trouvai un grand intérêt. Au bout de quelques semaines, lorsque vint le moment de recruter de nouveaux enseignants, il s’est trouvé que j’étais là et que j’étais actif. On me suggéra de faire acte de candidature. J’eus naturellement quelques soutiens solides. Je fus choisi, avec d’autres qui avaient de semblables mérites, par le collège des professeurs.

st-jacques.1207777510.JPGecoles.1207777695.JPG

Pour mon compte personnel, l’une des heureuses conséquences des évènements de mai fût donc ma nomination comme Assistant avec un salaire de début de 1300 francs (soit 200 euros) par mois. Voici maintenant 40 ans que je suis à l’Université et je suis persuadé que mes collègues honnêtes pensent que ce ne fût pas un mauvais choix. J’ai d’ailleurs la même opinion pour les 4 ou 5 autres qui entrèrent en même temps dans notre section.

L’entrée de mon laboratoire dans la Sorbonne se trouvait au 46, rue St Jacques, juste là où j’avais assisté à l’édification d’une barricade, le 24 mai.

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1- En passant, je vais tout de suite faire litière des commentaires que je sens venir. Le travail des universitaires ne consiste pas seulement à donner des cours. Ils sont aussi chercheurs, disons à mi-temps, avec plus ou moins de bonheur, il est vrai. Mais c’est le lot de la recherche de n’être pas forcément productive… Au cours de l’année universitaire, ils effectuent des expériences ou des investigations diverses selon leur spécialité. Mais ils doivent aussi rédiger des articles scientifiques ou des livres. Ils doivent aussi remanier, ne serait-ce qu’un peu, leurs cours pour rester d’actualité. Avec nombre de collègues, j’ai toujours apprécié les mois de septembre et d’octobre pour effectuer ces tâches avec une bonne tranquillité d’esprit.
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Bakounine