Archive dans 15 avril 2008

Grève au « Monde »: je suis très inquiet

launedumonde.1208213005.jpgJe ne suis pas de ceux qui vont se plaindre. Ne pas recevoir Le Monde demain ne sera pas une catastrophe. Je dis « demain » car mon facteur ne me l’apporte que le lendemain. Vers onze heures. Ce qui fait que je trouve le journal dans ma boîte après que le numéro du lendemain soit paru. Mais ce n’est que moyennement grave. Le Monde est un journal qu’on peut lire avec un peu de retard. Ce n’est pas France-Info !

Et c’est là que cette grève devient un grave symptôme. Naturellement, il est bien possible qu’un bon contrôleur de gestion trouvera que les dépenses du journal pourrait être resserrées. Que tous les journalistes ne sont peut-être pas aussi productifs qu’il le faudrait. Mais c’est le lot de toutes les entreprises. Rien de terrible.

Ce qui est terrible, c’est que la presse de qualité, et je mets dans ce panier tout le groupe, avec Télérama et Courrier International, etc, que cette presse donc ne puisse pas vivre avec une certaine aisance. Peut-être est-il exact que la stratégie de Colombani et du directoire de l’époque n’était pas la bonne. Mais il faut bien noter que toute la presse en prend plein la gueule. Ou plutôt toute la presse qui n’est pas asservie à certains groupes, comme Le Figaro qui est en train de mourir à petit feu. Voyez Libération. Et je ne dirai rien de L’Humanité. Car on a pu critiquer, de façon légitime, l’Huma pour son sectarisme, ce n’est pas l’existence de ce journal qui a mis la démocratie française en péril.

D’ailleurs, j’ai bien l’impression que, depuis que je suis en état de savoir lire, c’est à dire plus d’un demi-siècle, aucun journal n’a mis la démocratie en péril. Et cette liberté de la presse est bien l’une des fondamentales garanties de cette liberté. Inutile que je fasse un dessin. Et l’on me dit que la presse « gratuite » est florissante, financée par la publicité. Il n’y a pas de liberté gratuite. Encore moins si votre vie dépend de quelques annonceurs.

J’ignore si les grévistes du Monde ont tort ou raison. Mais ce qui est certain, c’est que, d’une certaine façon, ils font grève pour la préservation de notre outil d’information et de leur outil de travail. Ils le font, je le crains, dans une indiférence presque générale et, en tout cas, dans l’indifférence des pouvoirs publics. Et, quand je pense à tous les démocrates qui, depuis la Révolution Française, se sont battus, parfois au prix de leur vie, pour la liberté, au premier rang de laquelle se trouvait la liberté de la presse, j’en suis à la fois révolté et consterné.

Mai 1968 : 20 – L’esprit de mai

[Mai 1968: commencer au début]

Les évènements de mai 1968 ont laissé des souvenirs qui disparaîtront avec les témoins et des traces dans la société qui persistent et persisteront. Les souvenirs des témoins et participants ne sont évidemment pas tous les mêmes. Par exemple, pour mon compte, je tiens que la jonction avec les ouvriers ne fut pas. Ou peu. Ou de façade. On sait que les étudiants qui s’y sont rendus n’ont pas toujours été bien reçus dans les usines. Et c’était bien normal. Que pouvaient bien savoir ces oisifs, ces enfants de privilègiés, de la vérité du monde du travail ? Et pourtant la démarche de ceux qui se sont rendus à Billancourt n’était pas exempte d’une certaine générosité. Elle était aussi le fruit d’un bouleversement de la conscience de classe. Ces jeunes intellectuels, en d’autres temps, n’auraient peut-être pas eu tant à faire de la classe ouvrière. En cherchant un rapprochement, ils tentaient de franchir les limites de la classe des bourgeois dont ils étaient issus. Sans doute part d’une crise d’adolescence. Mais aussi, comme je l’ai indiqué, l’effet de la contemplation du monde: guerres est-ouest par peuples interposés, guerres de décolonisation, guerre d’Algérie. Nous avions un fort sentiment d’être manipulés par des forces amorales et presque dictatoriales.

L’esprit de mai, c’est d’abord ce refus de la force lourde et sourde.

Ce refus s’est cristallisé sur une question d’entrée dans une résidence universitaire sur fond de répression sexuelle. Mais il était bien plus étendu. Il est probable que nous, les jeunes, étions moins habitués ou moins tolérants à toutes les formes d’opression que ne l’étaient les ouvriers, probablement fatalistes et sans espoir véritable de changement significatif de leur condition. Cette pression sociale a constitué le terrain sur lequel des acteurs un peu plus politisés ou organisés n’ont pas eu de mal à mobiliser un grand nombre sans vraiment avoir imaginé que c’était possible.

On dit que l’esprit de mai est la contestation. Et la contestation systématique de l’ordre établi. C’est à la fois vrai et faux. C’est constestation évidemment. Mais il faut l’entendre au sens de la dialectique du philosophe qui doute systématiquement de ce qui est asséné sans être universellement justifié. Par exemple, il n’est pas justifié d’affirmer qu’une entreprise a nécessairement besoin d’un patron ayant tous les pouvoirs puisqu’il existe d’autres modèles d’organisation d’entreprise. Il y a et il y a eu, naturellement, des excès et des excessifs du rejet. C’est inhérent à la nature. Mais il n’est pas légitime de nous condamner simplement parce que nous passons toute chose au crible de notre esprit critique. J’ai écrit sur ce blog un billet que j’ai intitulé « Eloge de la dialectique « . L’esprit de mai, c’est fondamentalement cela: la dialectique.

Naturellement cela a heurté les tenants de l’ordre quand nous avons, dans notre univers étudiant, contesté le pouvoir mandarinal des professeurs titulaires de leurs chaires. Dans leur position sociale, ils se présentaient un peu comme des descendants de la scholastique et d’Aristote, même s’ils enseignaient une philosophie bien dubitative. Leur conseil à la Faculté des Lettres, avait été décrit dans un tract gauchiste par cette formule pleine d’humour: « des fantoches qui font des pantalonnades ». Et pourtant l’enseignement universitaire a fondamentalement changé à partir de 1968. Et nombre de ces changements qui faisaient partie de nos revendications, sont devenus aujourdhui modèles évidents et monnaie courante: travail en petits groupes, contrôle « continu » des connaissances, etc.. La structure même de l’Université a changé: elle était déjà collégiale, mais se limitait au collège des professeurs. Avec la loi Edgar Faure, sont entrés dans les conseils de gestion toutes les catégories de personnel et les étudiants. Ceci dure depuis 40 ans. Et même si la loi Pécresse veut augmenter les pouvoirs du Président de l’Université, sa légitimité démocratique par l’élection n’a pas été remise en cause.

Hors de l’Université, le changement social le plus spectaculaire a été et est encore la libération de la sexualité. Je ne dirai rien des « expériences » hippies ou autres. Elles sont marginales. Simplement sont venues logiquement les lois sur la contraception et sur l’avortement. Et nous avons pu, pendant quelques années, selon l’expression consacrée, « jouir sans contrainte »1 (je m’amuse fort d’un Sarkozy qui a parlé d’exterminer l’esprit de mai 68 et qui expose publiquement sa vie et qui me semble bien parti pour aimer jouir sans contrainte). Et la situation sociale de la femme a commencé à changer. Pas sans mal, tant les habitudes étaient ce qu’elles étaient. Je mes souviens m’être senti mal à l’aise, en 1969, en conduisant un landau dans lequel se trouvait mon fils, pour nous rendre chez sa nourrice. J’avais crainte qu’on se retourne sur mon passage tant le spectacle d’un homme poussant un landau me paraissait incongru en relation avec mon statut supposé de mâle. Aujourd’hui, ces craintes font rire !

L’esprit de mai porte aussi en lui une part de morale sociale. Même s’il est athée, il ne rejette pas l’idée de s’aimer, un peu, les uns les autres. C’est la déclinaison de ce principe dans les rapports quotidiens qui a donné tant de chaleur aux rencontres qu’on a pu faire, notammment dans la deuxième quinzaine de mai. Et ce qui est très fort, c’est que n’avons pas eu beaucoup d’efforts à faire pour nous sourire et nous parler dans la rue. C’était simple et naturel comme pour des randonneurs qui se croisent en montagne. Cela a été rangé très vite. Mais c’est trerrible. Aujourd’hui un type assez jeune m’agresse dans le RER parce que je serre le troupeau pour que d’autres personnes puissent encore monter. J’avais déjà connu cela il y a quelques semaines. En 68, nous en aurions ri et nous aurions invectivé le pouvoir. Le retour de la compétition sociale qui ne fut pas loin à venir après les évènements a vite détruit tout cela. De mon point de vue, c’est ce qui a existé de plus beau et de plus grand pendant les évènements: ces valeurs d’accueil d’autrui et de tolérance parce que toute compétition sociale avait disparu au profit de valeurs de solidarité. Même les groupuscules ne s’invectivaient plus beaucoup. Evidemment, il n’est pas certain que nous aurions été aussi tolérants avec les fascistes. Notre angélisme n’allait pas jusqu’à l’histoire de la joue droite et de la joue gauche. Mais on ne les voyait pas. Ou, au moins, pas des lieux que je fréquentais.

Enfin, l’esprit de mai, c’est l’indépendance d’esprit vis à vis des structures caporalisatrices qui fondent leur pouvoir sur le peuple comme le sont les syndicats et les partis. Ce n’est pas le rejet. Tout n’est pas mauvais. Mais c’est une terrible méfiance dont il est quotidiennement visible qu’elle est méritée. Toute forme de pouvoir est suspecte et dangereuse. Toute compétition sociale l’est autant. C’est dire combien il y a loin entre l’esprit de mai 1968 et la réalité de la France d’aujourdhui.

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1- Je dis « pendant quelques années » parce que cette dramatique arrivée du SIDA a tout flanqué en l’air. A partir du moment où l’on pratiquait une bonne contraception, faire l’amour ne dépendait que du désir de chaque partenaire. Certes, il y avait toutes ces maladies, syphilis, blennorragie, herpès. Mais on savait les soigner convenablement. Et de toute façon, ce n »était pas léthal. Aujourd’hui, tout partenaire est un suspect qui peut vous conduire à la mort. Et il ne suffit pas de se protéger de l’insémination, comme nous avions à le faire, puisque c’est beaucoup compliqué par le fait que d’autres sécrétions peuvent aussi être contaminantes.

Besson et le numérique

besson.1179506772.jpgJ’entends, ce matin, Eric Besson qui justifie sa « mission » de Secrétaire d’État à la prospective et à l’évaluation des politiques publiques et du développement de l’économie numérique (Ouf !). Il déclare notamment en poncif bien éculé que « la France ne doit pas rater le tournant du numérique ». Ou bien il ne croit pas ce qu’il dit, mais il faut bien qu’il justifie son emploi, ou bien il y croit et alors c’est un aveu d’ignorance voire d’incompétence.

La France n’a jamais raté le tournant du numérique. Bien avant d’autres, France Télécom, alors entreprise publique, a déployé des centaines, des milliers de kilomètres de fibre optique, bien avant bien d’autres pays européens. C’est devenu en téléphonie un superbe réseau numérique (« Numeris ») déployé sur le réseau physique nommé « Transpac ».

La seule erreur commise a été « d’inventer » le Minitel. Cet outil, déployé bien avant que d’autres pays ne disposent de l’équivalent pour le public, était un outil numérique. Son défaut a été de rendre des services (depuis combien d’années peut-on commander un billet de train par Minitel ?), pendant que d’autres qui n’en disposaient pas, déployaient Internet. Comme le Minitel rendait bien des services, le besoin d’Internet ne s’est pas autant fait sentir qu’ailleurs. C’est à ce moment que nos ministres qui n’y connaissaient rien se gargarisaient des « autoroutes de l’information ».

Puis Internet est venu. Un peu plus tard qu’ailleurs, il est vrai, mais le retard a été vite rattrapé au point que les Français se classent maintenant parmi les premiers.

Quant aux applications, qu’Eric Besson ne se casse pas la tête. Notre savoir faire vaut bien celui des autres.

Il ne reste plus à notre Judas qu’à faire dérouler encore plus de fibre pour que tous les usagers disposent d’un authentique haut débit.

Roule…

Mai 1968 : 19 – Les examens, la rentrée et mon entrée

[Mai 1968: commencer au début]

Je ne dirai rien du mois de juillet 1968. Sinon pour dire que, après les résultats épouvantables des législatives, ce fut la démobilisation. Progressive, mais démobilisation tout de même. Et comme il ne se passait plus rien, chacun prit ses vacances, comme d’habitude. On m’a dit que j’aurais dû en rougir. Mais Paris n’était pas Prague. Et à partir du moment où les travailleurs étaient retournés au boulot pour gagner plus, je me demande bien ce que nous aurions dû faire.

Les vacances passées, nous revînmes. Il faut savoir que l’Université avait un rythme à elle, notamment en Lettres et Sciences Humaines. D’ordinaire, la rentrée avait lieu début novembre 1.

Naturellement, en septembre et octobre 1968, il ne fût guère possible de se livrer à des travaux de recherche ou d’écriture. Deux tâches nous attendaient: l’organisation des examens, mais aussi un profond remaniement de la structure des études pour tenir compte de certaines aspirations légitimes des étudiants. Les moyens avaient été débloqués pour qu’on passe d’une proportion d’enseignements en grands groupes de 80% à une proportion de 40% au bénéfice de la mise en place de travaux dirigés ou pratiques plus nombreux.

Je ne sais pas comment nous avons fait. Mais en décembre, nous étions en mesure de procéder aux inscriptions, examens effectués et réforme construite, y compris en réglant la question des locaux qui devenait critique en raison du grand nombre de groupe de travaux dirigés. Tout ceci fut fait en partenariat avec des étudiants qui, pour certains, ne représentaient qu’eux-mêmes, alors que d’autres étaient mandatés par leur organisation syndicale. Dans ma discipline, il y eut un énorme travail de refonte pour parvenir à ce qu’on nomme une « maquette » qui n’était certainement pas démagogique. Simplement nous avions pris en compte la forte demande de travaux en petits groupes pour faciliter les échanges entre enseignants et étudiants, permettre davantage le travail personnel encadré et offrir une dose un peu plus forte de psychologie appliquée et donc un peu moins théorique.

exam.1207776219.jpgIl y eût aussi les examens. Il est vrai qu’ils furent un peu… expéditifs. Je crois me souvenir qu’il y eût une interrogation orale par matière. Chacun d’entre nous s’y mit. J’avoue que je n’étais pas toujours bien armé pour juger. Je fis au mieux sans avoir à donner forcément la moyenne à tout le monde. Puis il y eût, pour la deuxième année de psychologie où j’avais enseigné et interrogé, un fabuleux grand jury public qui dura des heures et des heures. Les enseignants firent preuve d’une grande patience. Les étudiants qui s’y trouvaient furent très convenables: pas de pressions trop fortes, pas de menaces, pas de violence. Simplement, en raison de l’artisanat des convocations, nous n’étions pas certains que les étudiants aient été complètement informés. Alors, tout simplement, quand il se trouvait qu’il manquât à un étudiant bien placé, une note ou deux pour des raisons inexplicables, il se trouvait toujours un membre du jury pour retrouver la note dans l’apparente complication de ses papiers. Certains reçus ont dû avoir de bonnes surprises. Aucun n’a réclamé.

Mais, paradoxalement, je n’ai jamais entendu dire que les étudiants reçus en 1968 se soient montrés plus bêtes que les autres dans la vie active. Ce qui, au passage, doit inciter les enseignants et correcteurs que nous sommes à une relative humilité.

Je n’étais pas encore nommé assistant. Je participai à tous ces travaux parce que j’y trouvai un grand intérêt. Au bout de quelques semaines, lorsque vint le moment de recruter de nouveaux enseignants, il s’est trouvé que j’étais là et que j’étais actif. On me suggéra de faire acte de candidature. J’eus naturellement quelques soutiens solides. Je fus choisi, avec d’autres qui avaient de semblables mérites, par le collège des professeurs.

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Pour mon compte personnel, l’une des heureuses conséquences des évènements de mai fût donc ma nomination comme Assistant avec un salaire de début de 1300 francs (soit 200 euros) par mois. Voici maintenant 40 ans que je suis à l’Université et je suis persuadé que mes collègues honnêtes pensent que ce ne fût pas un mauvais choix. J’ai d’ailleurs la même opinion pour les 4 ou 5 autres qui entrèrent en même temps dans notre section.

L’entrée de mon laboratoire dans la Sorbonne se trouvait au 46, rue St Jacques, juste là où j’avais assisté à l’édification d’une barricade, le 24 mai.

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1- En passant, je vais tout de suite faire litière des commentaires que je sens venir. Le travail des universitaires ne consiste pas seulement à donner des cours. Ils sont aussi chercheurs, disons à mi-temps, avec plus ou moins de bonheur, il est vrai. Mais c’est le lot de la recherche de n’être pas forcément productive… Au cours de l’année universitaire, ils effectuent des expériences ou des investigations diverses selon leur spécialité. Mais ils doivent aussi rédiger des articles scientifiques ou des livres. Ils doivent aussi remanier, ne serait-ce qu’un peu, leurs cours pour rester d’actualité. Avec nombre de collègues, j’ai toujours apprécié les mois de septembre et d’octobre pour effectuer ces tâches avec une bonne tranquillité d’esprit.
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Mai 1968 : 18 – L’esprit de mai 1968 a soufflé sur le parcours de la flamme à Paris

[Mai 1968: commencer au début]

Je voulais consacrer une note à l’esprit de Mai 1968 qui ne se résume certainement pas à quelques slogans comme « il est interdit d’interdire ». Ce qui fait le côté singulier de cet esprit, c’est qu’il concerne tout ce qui naît et prend corps dans l’esprit du peuple, souvent à cause d’une indignation. Alors surviennent des actes, des mouvements, des manifestations qui naissent assez spontanément, même si, peu à peu, ils trouvent une certaine forme d’organisation. Les structures politiques ou syndicales peuvent s’y associer. Mais elles n’en sont pas le moteur. Le moteur, c’est le peuple

Un exemple en est donné aujourd’hui, 7 avril 2008, par les évènements qui ont accompagné le déplacement de la « Flamme Olympique » dans Paris. A la source de l’indignation, la situation qui est faite aux Tibétains et aux contestataires chinois de la politique de leur pays. Ensuite, une bribe d’organisation par une structure qui représente peu de monde et qui vit habituellement en marge des structures syndicalo-politiques.

On a un avant goût de la mobilisation de ce groupuscule lors de la cérémonie d’Olympie ou le principal responsable de cette organisation se fait éjecter parce qu’il déploie une banderole.

Et voici que le peuple de Paris se mobilise ce jour de la traversée de la flamme (voir ).

Toutes formes de manifestations ont lieu, ce qui démontre bien qu’il n’y a pas derrière toute cela une bonne grosse organisation bien structurée comme la C.G.T.. Certains se rassemblent sur le Parvis des Droits de l’Homme. D’autres compliquent le parcours en tentant de s’emparer de la flamme, d’autres se couchent sur la chaussée. Comme aurait dit de Gaulle; « c’est la chienlit » !

Il s’ensuit un parfait pandémonium. A plusieurs reprises, le porteur doit s’arrêter. On enferme alors porteurs et flamme dans un autobus. Une fois, au moins, c’est démontré, la flamme s’éteint. Probablement plusieurs fois. Au final, la cérémonie tourne au plus grand ridicule. Le peuple de Paris, c’est à dire aussi bien des députés que des conseillers municipaux, aussi bien des jeunes que des vieux, aussi bien des gens de droite que des gens de gauche, aussi bien des étudiants que des travailleurs, aussi bien des salariés que des chômeurs, s’est levé pour empêcher cette flamme devenue symbole de l’oppression chinoise de faire son chemin comme si rien n’était.

C’est cela, l’esprit de mai 68: c’est celui du soulèvement populaire et fraternel contre une indignité. L’esprit de mai naît de l’homme et de la femme qui contemple certains évènements ou certains symboles et sait qu’il ne pourra rester impassible.

Dans le cas présent, et si l’on en croît la plupart des commentaires que j’ai pu lire sur les blogs, le mélange indécent de l’argent et de la répression politique avec les « idéaux » olympiques bien mis à mal, fut le déclencheur. Il fallait que cette flamme ne passât point sous les applaudissements. Il fallait que cette flamme s’éteigne, ne serait-ce qu’un instant. Cela fut. Ainsi le lien ténu entre Olympie et Pékin est désormais symboliquement rompu. Ce n’est même plus comme en 1936. Demain à Londres, aujourd’hui à Paris, demain à San Francisco, après demain ailleurs, les peuples du monde ont dit, disent et diront ce qu’ils pensent de tout cela.

 

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La photo de Notre-Dame de Paris, portant entre ses deux tours l’image des cinq anneaux devenus menottes fera le tour du monde.

Le plus divertissant, si l’on peut dire, c’est que des militants des Droits de l’Homme ont été empêchés, voire interpellés, voire brutalisés, par des forces de police, dans la capitale du pays présenté comme le plus grand défenseur de ces droits. La police est toujours aussi peu dépourvue de nuances (cela doit être un reste de 1968) puisqu’elle s’est posée ainsi en défenseur de l’ordre chinois.

On sait ce qu’il est advenu. Vingt-sept kilomères sous une protection policière digne de celle d’une visite officielle d’un chef d’état, et pas n’importe lequel. Trois mille ! Des forces de l’ordre sur tout le parcours avec une flamme gardée par une véritable « tortudo « .

Au final, la pauvre flamme a fini sa route sous les quolibets dans un autobus après s’être éteinte une (c’est certain) ou plusieurs fois (c’est probable). Quel ridicule fiasco ! De toute façon, j’ai crû comprendre qu’elle devait finir à Charléty . Celui qui avait décidé cela était soit un idiot, soit un ignorant, soit un provocateur.

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La flamme olympique est désormais le symbole de l’oppression

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La flamme olympique est devenue le symbole de l’oppression. Il va falloir aujourd’hui, dans Paris, 3000 policiers pour la protéger sur 27 kilomètres, soit plus d’un policier tous les 10 mètres. Seule l’opression a besoin de tant de policiers pour la mettre hors de portée du peuple. Mais les apparences sont trompeuses. La flamme olympique s’est éteinte. Depuis longtemps.

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Mai 1968 : 17 – Juin

[Mai 1968: commencer au début]

Comme chacun sait, juin n’est pas mai. Juin 1968 ne ressembla en rien au mois de mai. La manifestation du 30 mai avait rompu le charme.

Le lundi 3 juin, on sentait bien que l’athmosphère avait changé. Il y avait déjà des signes avant-coureurs de reprise. Il y avait bien toujours des négociations, des consultation de la base par les syndicats, mais il devenait évident, ce que je pressentais depuis déjà quelques jours, qu’une fois les améliorations des salaires obtenues, les ouvriers reprendraient le travail.

Fine la synergie ouvriers-étudiants. De toute façon, nous l’avions plutôt rêvée que vraiment vécue. La politique traditionnelle allait reprendre ses droits. A leur tour, les syndicats allaient rependre leurs habitudes. Naturellement, la « base » allait rechigner un peu. Il y avait des travailleurs qui avaient bien compris ce que le mouvement étudiant avait tenté de faire. Il en restera quelque chose dans les courants ou les mouvements autogestionnaires ou d’extrême gauche. Mais au final, l’ordre politico-syndical allait rependre ses droits.

La mort de Gilles Tautin va revéiller un peu la tendance protestatoire. Pour un moment seulement. Au fond, nous aurions bien voulu en imputer la cause aux forces de police. C’est vrai qu’il s’était noyé en fuyant et en se jetant dans la Seine pour échapper à ses poursuivants. Ce n’était quand même pas la même chose que s’il était mort entre leurs mains. Il ne serait pas le martyr. Maurice Grimaud, le Préfêt de Police qui s’est, pendant toutes ces semaines, dépensé sans compter pour qu’il n’y ait pas de mort, a rendu un grand service au régime gaulliste. Je ne crois pas qu’il en ait été remercié à la hauteur de son travail.

L’Université échappera à la reprise. Les examens ne sont pas organisés. Nous pouvons donc continuer à faire travailler nos méninges. Certes, au bout d’un moment, la Sorbonne sera évacuée, comme l’Odéon, mais il restera toujours de salles au Centre Censier où se tiendront toujours des commissions. Cela se passe bien. Certains enseignants y participent. J’en suis un peu, même si je dois me partager avec l’Institut Pédagogique National où le travail reprend très, très mollement. Toutes des A.G. ou toutes ces réunions sont très productives. Elles ont lieu dans un plutôt bon climat. Il en restera quelque chose.

A cette époque, j’avais été étonné que l’administration ne se lance pas dans une organisation des examens, en juillet par exemple. Mais à la réflexion, c’était une opération risquée. Elle pouvait démobiliser les étudiants en les amenant à réviser. Mais dans la mesure où nombre de cours n’avaient pas eu lieu, on risquait aussi un mouvement de protestation. En laissant les choses aller jusqu’en juillet, le ministère faisait le pari que les vacances d’été viendraient démobiliser tout le monde. Et il eût raison.

Autant mes souvenirs de mai sont forts et enthousiastes, autant ceux de juin sont tristes et un peu désespérés. C’est comme le début de la fonte des neiges avant que le Printemps ne vienne ensoleiller la montagne: il fait nuageux, la neige devient soupe grise en s’amalgamant à la terre pour, au final, produire de la boue. Ce mois de juin ne fut pas joli. L’enthousiasme fondait.

Et puis, il a ces souvenirs d’épuration. Je pense là, notamment, à l’O.R.T.F.. Des journalistes de talent, connus et réputés (comme Roger Couderc ou Claude Darget, par exemple), sont virés comme des malpropres devant des syndicats quasi impassibles et un peuple de France devenu collabo. Je n’ai jamais pardonné aux syndicats de nous avoir ainsi lâchés pour quelques centaines de francs d’augmentation de salaires qui seraient rapidement repris par l’inflation. Je n’ai jamais pardonné aux partis de gauche de nous avoir abandonnés pour se lancer dans une campagne pour des élections qu’ils allaient obligatoirement perdre. Je ne sais pas si le slogan « élections, piège à cons » date de cette époque, mais il s’applique bien.

Le mois de juin passa. On se parla beaucoup moins dans la rue. Puis pas du tout. Et puis vinrent les congés payés. La France redevenait normale. Pendant ce temps, à Prague, les chars soviétiques allaient entrer dans la ville.

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Mai 1968 : 16 – Le 30 mai ou l’horreur absolue

[Mai 1968: commencer au début]

Dans les derniers jours de mai, il se passe des choses du côté du pouvoir. D’abord, de Gaulle disparaît. On est enchanté. Il s’est enfui ! Hélas non. Il est juste allé s’assurer que l’armée marcherait sur le peuple s’il en était besoin. Mais cela, nous ne l’avons su que plus tard. Heureusement pour tout le monde.

Et voilà qu’il cause, à la radio, je crois. Etait-ce le 29 ou le 30 ? Je ne sais plus. Toujours est-il qu’il a des mots très durs pour les évènements. Mais surtout, il fait un appel au peuple pour aider au retour à la normalité, à l’ordre quoi. Le peuple a dû aimer.

Le soir du 30 mai a lieu cette manifestation sur les Champs Elysées dont on a dit qu’elle avait compté un million de personnes. Etait-ce plus ou moins que celle du 13 mai. Peu importe. Voici que mes illusions s’effondrent.

Mes illusions s’effondrent, parce que je croyais, naïvement, que le mouvement était populaire. En réalité, ma perception était faussée simplement parce que je fréquentais le Quartier Latin et le monde universitaire. Je savais aussi que les services étaient en grève, que les usines symboles comme Renault Billancourt étaient arrêtées. En fait, la radio (je n’avais pas accès à la télévision) racontait que ce quej’avais plaisir à entendre. J’ignorais que tout un peuple était hostile et faisait le gros dos. J’ai appris par la suite que mes parents étaient de ceux-là. Mon père dormait selon un tour de rôle à la Gare d’Austerlitz pour monter une espèce de garde comme si on allait s’emparer d’une gare ! Et il est vrai aussi que je n’avais aucun contact avec tous ces employés et tous ces commerçants silencieux qui attendaient sans doute, certains avec la peur au ventre du « bolchevisme » que de Gaulle remette tout cela en ordre.

manif-30-mai.1207431420.jpgLe 30 mai, il y réussit. A mon grand désespoir. Car ce jour-là je compris que c’était perdu. A vrai dire, je n’avais d’ailleurs pas la moindre idée de ce qui était perdu. J’attendais simplement que de Gaulle s’en aille et tous ses compagnons historiques ou de circonstance avec lui et que d’autres viennent au pouvoir. Je ne pensais pas du tout à un coup d’état ou quelque chose de ce genre. De Gaulle partirait. Il y aurait des élections et la gauche gagnerait. De Gaulle a été plus malin. Il dissoudra l’Assemblée Nationale et se fera élire fin juin une chambre à sa dévotion. Je me souviens de mon grand-père, vieux socialiste, éprouvé par l’énormité de cette majorité disant « Mon Dieu, qu’est-ce que vous avez fait ». D’une certaine façon, il avait raison, car cette chambre introuvable fut largement élue grâce à la peur de toutes ces catégories sociales que les évènements avaient terrifiés.

Le 31 mai, on fit les comptes de la manifestation de la veille. Le mois de mai était fini.

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Sur la question de l’envoi de soldats français en Afghanistan et le refus d’un vote par l’Assemblée Nationale

afgha.1207179410.jpgLa manière pour le moins triviale avec laquelle il a été répondu aux questions des députés de l’opposition, comme de certains députés de la majorité, d’ailleurs, mérite quelques commentaires.

Ce n’est pas un fait nouveau sous la cinquième république. La représentation nationale a presque tout le temps été éloignée des questions militaires, notamment de celles qui auraient pu dépendre, à tort, d’un « domaine réservé » du Président de la République. Cette habitude date de loin puisqu’elle fut initiée par le général de Gaulle lui-même pour qui toute la politique internationale dépendait de sa sphère privative. Cet état de fait n’est pas démocratique. Même aux U.S.A., pays dans lequel le pouvoir présidentiel est fort sur les questions internationales, le chef de l’exécutif doit rendre compte. Depuis le début de l’intervention en Irak, Geores W. Bush a dû, à plusieurs reprises, s’adresser au Congrès américain pour pouvoir disposer des fonds nécessaires. Il a donc fallu donner quelques explications, au moins assez pour permettre un débat public.

En France, voici que Nicolas Sarkozy semble vouloir décider seul de l’envoi d’un contingent supplémentaire d’un millier de militaires en Afghanistan, mission périlleuse et dangereuse où la vie des intéressée sera exposée comme elle l’est déjà pour ceux qui se trouvent là-bas. Déjà, dans l’affaire de la Bosnie, la question s’était fortement posée. Et si la légitimité de l’intervention n’était guère contestée, la nature de la mission a maintes fois été source de questions dans la mesure où les instructions des forces de l’O.N.U. ne permettaient pas d’empêcher certains massacres ou débuts de génocide.

A la lumière de cette expérience, il est donc tout à fait légitime que la représentation nationale souhaite examiner, de façon approfondie, la légitimité de l’envoi d’un nouveau contingent en Asie. C’est donc lui faire injure que de refuser un tel débat avec vote. Même si l’on peut dire que certaines habitudes du passé n’étaient pas aussi exigeantes, c’est tant mieux que les choses changent.

Naturellement, immédiatement la majorité a pris la mouche et, au lieu de prendre acte de la légitimité de la demande et de mettre en place une méthode de réponse à la question, s’est répandu dans des considérations périphériques. Sarkozy qui se présentait comme un homme de rupture, aurait dû accepter aussitôt sans attendre le dépôt d’une motion de censure quitte à mettre en place, si nécessaire, quelques réunions à huis clos si la sécurité l’imposait. Mais il semble, sur ce sujet aussi, que la « rupture » n’aut été qu’une formule de propagande électorale.

Lire l’analyse parue sur Rue89, le 9 février .

« Tout pouvoir sans contrôle rend fou« .