Archive dans 16 novembre 2008

L’Université et moi : 3-L’entrée en Psychologie : premières sensations

On dit que j’ai échoué en Lettres Modernes. Point du tout. Ce sont les Lettres Modernes qui ont échoué. J’étais là, plein de disponibilité et de ferveur, disposé à analyser le moindre petit pied de la Légende des Siècles. Et voici qu’il me fallut me colleter avec le Lai de Lanval. Et d’ailleurs, qui sait aujourd’hui ce qu’est un « lai » et « de Lanval » de surcroiît ?

Je m’inscrivis donc en Psychologie et pour la première année, au Certificat de Psychologie Générale qui était commun avec la Licence de Philosophie et au Certificat de Psychologie de l’Enfant qui était spécifique.

Et voici que mon père, conseillé par je ne sais qui, m’apporta deux livres qu’il avait emprunté à la Bibliothèque des Cheminots de Paris Austerlitz, à lire avant la rentrée (qui à cette époque heureuse avait lieu début novembre): L’Introduction à la Psychanalyse de Sigmund Freud et le Traité de Psychologie de Norman L. Munn (ou plutôt la traduction en français de ce manuel américain). J’y découvris deux univers très différents. Sans doute Freud fut-il celui qui m’étonna le moins, car on m’avait, bien sûr, déjà parlé de Psychanalyse. Mais je fus quand même frappé par la prudence de l’auteur. Car Freud, comme dans beaucoup d’autres ouvrages, se montre hésitant. Il utilise des circonlocutions, des métaphores. Ou, plutôt, expose bien la différence entre les faits de parole de ses clients sur le divan et les hypothèses explicatives qu’il construit. C’était une vraie leçon d’humilité. L’inventeur de la Psychanalyse faisait part de ses hésitations, voire de ses incertitudes. Je dois dire que j’ai souvent regretté, par la suite, que ses successeurs connaissent moins l’usage du conditionnel. En particulier Mélanie Klein que j’ai toujours considérée comme une cinglée quand elle nous parle de « fantasme de dévoration du sein maternel ». René Zazzo l’a clouée en palant des « vaticinations de Dame Mélanie Klein ». Même si j’ai une dent contre Zazzo pour son attitude lors de ma thèse, j’incline à penser comme lui.

Quant à Munn, ce fut une découverte. Tous ces rats qu’on faisait souffrir et toutes ces expériences… Découverte ! Car, en fait de Traité de Psychologie, celui de Munn était un Traité de Psychologie Expérimentale. Mais je survécus et j’appris quelque chose: c’est qu’il existait bien des voies d’études du psychisme et que rien ne pouvait prouver que l’une était meilleure que l’autre tant que les auteurs se gardaient de confondre les hypothèses et les conclusions. Cette attitude, dont je découvris par la suite qu’elle était scientifique, ne m’a jamais quitté. Cela m’a valu l’inimitié de certains psychanalystes. Les expérimentalistes sont plus sereins.

Cette première année de psychologie fut très heureuse. J’y rencontrais une jeune personne avec qui j’allais partager quelques mois de ma vie. Ce ne fut pas sans incidence sur mes choix car elle était encore en cure psychanalytique. Fut-ce l’effet de cette compagnie ? Je m’ennuyais assez peu en cours. Il y avait même des intervenants brillants comme Pierre Gréco, un bon élève de Piaget (mais j’avoue que je ne comprenais pas tout). Gréco maîtrisait totalement les concepts piagetiens. Mais nous, pauvre auditoire. Mais c’était brillant. Que dis-je brillant, suprême. Le privilège rare d’écouter un prof qui parle sans notes et sans ennui. A la fin, on apllaudissait à tout rompre.

Il y eut Daniel Lagache, le samedi matin à 8 heures dans le Grand Amphithéâtre de la Sorbonne. Pourquoi cette admiration ? L’horaire et le jour étaient difficiles et je ne me souviens pas qu’il fut un grand orateur. Et il faisait un cours sur le « Deuil Pathologique », pas de quoi danser la java ou le rock ! Et cette détresse lorsque je compris qu’il nous parlait d’une de ses patientes qui s’étaient immolée par le feu. Et là j’ai approché toute la solitude et la grandeur du thérapeute dans la souffrance qu’il s’autorisait à laisser percevoir à ses élèves. Et il nous apprenait aussi combien notre expérience et notre savoir étaient bien peu de choses… Et, en même temps, par son expérience même, il nous apprenait aussi le droit à l’erreur.

Daniel Lagache fut de ceux qui comprirent très tôt que, malgré les diverses méthodes d’approche, la Psychologie, en tant qu’elle s’efforcer d’expliquer le fonctionnement de l’être humain, était une et indivisible. Beaucoup des petits maîtres qui lui ont succédé, l’on oublié.

Dans la catégorie monstres sacrés, il y eut aussi Paul Fraisse.  Pourtant pas un brillant enseignant. Ni même un brillant chercheur. Au jour d’aujourd’hui, il serait classé en troisième ou quatrième ligne.

Je crois bien qu’il faisait un cours sur l’apprentissage. Un cours de Psychologie Expérimentale. Pas vraiment marrant. Mais il y avait quelque chose que j’ai compris plus tard, quand j’ai su qu’il était très croyant, tout l’humanisme qui l’animait derrière les expériences de laboratoire qu’il nous exposait sans jamais perdre l’homme de vue. Un expérimentaliste comme lui ne pouvait être totalement sec.

J’ai eu l’immense terreur et l’immense privilège d’être interrogé par Paul Fraisse à l’oral. J’ai survécu. Je crois bien, même, avoir obtenu une note honorable.

A un an près, j’aurais pu entendre Jean Piaget. Mais il avait regagné Genève. Pierre Oléron lui avait succédé.
Oléron était un enseignant épouvantable. Les applaudissements, à la fin de chaque cours, étaient misérables. J’ai su, par la suite qu’il détestait faire des cours. Il était parvenu à la chaire de Psychologie Génétique, à la suite de Piaget, apparemment comme troisième homme dans une situation où des considérations politiques et diverses ne permettaient pas de faire un choix. Je sais que René Zazzo était l’un des postulants. Je ne sais plus qui était l’autre, peut-être Merleau-Ponty. En tous cas, Zazzo était de gauche, communiste, disait-on. Et en ces temps-là ce n’était pas un avantage hors des territoires culturels dominés par le Parti.

Je reparlerai plus tard de Pierre Oléron, parce que je devais le cotoyer de nombreuses années.

J’eus aussi le privilège de suivre les enseignements de Maurice Debesse. L’homme était très âgé, avait probablement dépassé l’âge de la retraite. Il mérite cependant un mot pour avoir cristallisé la recherche pédagogique de l’époque. Aujourd’hui, on a tendance à se tordre de rire en lisant ce qu’il a écrit sur la Crise d’Originalité Juvénile. Pour l’époque puritaine et gaullienne, c’était quelque chose. Je crois que Debesse et la plupart des enseignants de Pédagogie, appartenaient à des mouvements d’Education Nouvelle. J’en étais aussi quelque peu, ayant préparé mon Diplôme de Moniteur de Colonies de Vacances (eh oui ! c’était le nom) avec les C.E.M.E.A. qui étaient un repaire de gauche dans lequel je m’étais bien repéré.

Et puis il y avait Juliette Favez-Boutonnier. Je n’en parle pas pour ses cours de psychanalyse qui n’avaient pas le charisme de ceux de Lagache. Non, mais après son cours, nous nous retrouvions à quatre, dans un café, avec Josiane Delhemmes, Annick Guérin et Viviane Hazan pour réunir et mettre en ordre nos notes pour le Bulletin de Psychologie.

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

Universités : autonomie et privatisation

Sans doute la loi d’autonomie des universités a été accueillie par beaucoup avec bienveillance. Il était question de tout gérer, des locaux jusqu’aux choix pédagogiques. Au fond, c’était bon. Pouvait-on croire.

 

Mais voici que cette autonomie est assortie de la mise en place d’un pouvoir fort. Les universités seront gérées par un Président. Auquel sera joint évidemment un Conseil d’Administration. Mais tous les projets de décrets d’application tendent à donner un maximum de pouvoir à ce président.

 

Son pouvoir ira jusqu’à « moduler » la durée du travail des senseignants. Les « mauvais » chercheurs (ceux qui ne parviennent pas à pondre dans la hâte un certain nombre d’articles scientifiques) devront faire plus d’heures de cours. Ce qui, au demeurant n’améliorera pas leurs recherches. Quel pouvoir discrétionnaire ! Et l’on voit, tout de suite poindre le favoritisme et le népotisme. Peut-être même qu’en partageant la couche du président, on pourra ne rien faire !

 

Le modèle économique de la société marchande avance .Les universités vont fort ressembler à des sociétés anonymes avec la mise en place de ces réformes libérales et compétitives, tant en matière de recherche qu’en matière d’enseignement. Sous le couvert publicitaire de l’autonomie, on ne cherche qu’à livrer l’université à certains appétits que nous connaissons bien. Quand on parle de rapprochement avec les grandes écoles, on sait bien que ce rapprochement peut se faire dans plusieurs sens.

 

Tout ceci, bien sûr, au nom de l’excellence ! On peut certainement déplorer le niveau de certains étudiants à l’entrée. Mais ce ne sont pas les universités qui ont décrété « 80% de la classe d’âge au bac ». On peut aussi déplorer les erreurs d’orientation. Mais c’est la contrepartie d’un système démocratique. La démocratie fonctionne par essais et erreurs. Seule la dictature sait d’avance comment elle fera.

 

Pour l’heure, l’Université est ainsi faite et on nous demande déjà assez de pratiquer une politique de réussite qui frise la démagogie. C’est probablement cela qu’il faut changer plutôt que les pouvoirs du Président. Depuis des siècles, l’Univerté était collégiale. Elle fonctionnait un peu comme une coopérative. Une coopérative pleine de spasmes, mais une coopérative quand même. Aujourd’hui, la porte d’entrée de la Société Anonyme est ouverte.

 

Quand l’Etat décidera de réduire son financement, il faudra bien trouver des ressources quelque part. Alors, on augmentera les droits d’inscription et l’on se tournera vers un partenariat avec le secteur privé. Les étudiants pauvres seront rejetés et la recherche fondamentale prendra un coup dans l’aile.

 

Les yeux tournés vers l’Amérique, la Sarkozie veut nous faire singer les universités américaines, qui ne sont pas toutes glorieuses, d’ailleurs. C’est un choix évidemment politique, comme pour le reste.

 

On me dit qu’il est en train de se passer des choses similaires en Italie. Voilà qui n’étonne pas !

L’Université et moi : 2-Rencontre avec la politique

Ma formation politique était très incertaine. A l’âge de 14 ans, j’étais très Algérie Française, sans doute sous l’influence d’un copain de lycée, interne à Lakanal et que ses parents restés à Oran, avaient envoyé là pour ne pas compromettre ses études. Le putsch de 1958 m’amusa beaucoup. A vrai dire, je n’y comprenais pas grand chose. L’arrivée de de Gaulle ne me troubla point, tant j’étais immergé dans l’anti Quatrième République qui avait cours en ces temps-là.

Mais lorsque le péril du service militaire en Algérie vint me tourner autour, je commençais à réfléchir autrement. Et puis, il y avait les témoignages sur la torture, même si les attentats aveugles me répugnaient profondément.

Quand de Gaulle négocia avec le F.L.N., j’y vis une trahison et quand Bastien Thiry fut exécuté, j’y vis un crime.

J’arrivais donc à la Sorbonne, plein de sentiments contradictoires.

J’y découvris l’U.N.E.F. et un havre qu’était la salle du G.L.M.. Le Groupe de Lettres Modernes, section de l’U.N.E.F., disposait sous les toits, en haut de l’escalier A de la Sorbonne, d’une salle d’une certaine superficie. Dans ce local, il y avait des tables et des chaises, des affiches et des débats politiques. C’était chauffé. Le balai ne devait pas y entrer souvent. Mais c’était commode et plus économique qu’un bistrot du Quartier Latin. Mais ce n’était jamais calme. J’y découvris toutes les tendances: les communistes s’affichaient clairement. Mais il y avait aussi d’autres groupes, qui participeront sans doute à la formation des groupuscules en 68, se disaient plus à gauche. Et, dans ma naïveté, je n’avais pas imaginé qu’on pût être plus à gauche que le P.C..

Je peux laisser à un historien spécialiste la classification de toutes ces tendances. Mais en tout cas, elles s’exprimaient dans le local du GLM et je les écoutais. Tout Algérie Française que j’aie pu être (ce que je me suis bien gardé de dire par crainte de finir en hachis – il n’y a pas si longtemps que j’ai osé l’avouer), le fond de ma personne était de gauche. Et puis la pression de l’état gaullien se faisait de plus en plus sentir sur ma culture philosophique assez fortement teintée d’existentialisme.

Au hasard des rencontres, je me trouvais impliqué par les socialistes. A ce moment, la Ligue Française de l’Enseignement, repaire socialiste de tous temps, cherchait une entrée à l’Université. Avec quelques camarades de rencontre, je me trouvai donc impliqué dans la création du Cercle Laïque des Étudiants de Paris, ce qui donnait le sigle bizarre de CLEP que quelques mauvais sujets traduisirent rapidement en « clebs ». Je crois bien que j’en étais vice-président. Nous organisâmes pour commencer un débat sur un sujet d’actualité: orientation ou sélection à l’Université. Non, ce n’est pas une blague. Comme quoi, il y a des thèmes qui sont éternels. La Ligue loua une salle à la Mutualité. Il y vint une poignée d’auditeurs qui n’avaient rien à faire là parce que leur position était déjà déterminée.
Je sais que le C.L.E.P. continua un peu, mais sans moi.
Mais si cette année de Lettres Modernes fut nulle du point de vue de mes études universitaires, j’en sortis politiquement avancé. Ma position était de gauche, mais hors de toute organisation qui ne me semblait conduire qu’à l’embrigadement. Le pire exemple était celui des communistes fidèles béats d’une religion qui avait fini par piétiner l’évangile marxiste, au moins dans les pays de l’Est. Quant aux groupuscules ou aux trotskistes, il ne valaient guère mieux, sans compter qu’un certain nombre me paraissaient cinglés.
J’étais un peu mal à l’aise de ne pouvoir me retrouver dans aucune de ces structures. Il fallut 1968 pour que je fasse connaissance avec le point de vue libertaire qui ne m’a jamais quitté depuis surtout quand je découvris que l’anarchie n’était pas ce qu’on voulait me faire croire.

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

L’université et moi : 1-Avant la Psychologie

C’était une fin d’après-midi, disons de novembre 1966. J’étais alors étudiant en psychologie et je terminais ma licence. Je terminais lentement. Car l’année précédente, je m’étais fait royalement coller aux deux certificats de psycho-physiologie, à la session de juin, comme à la session d’octobre.

En fait, la licence de psycho était bizarre. Elle était délivrée à la fois par la Faculté des Lettres et Sciences Humaines et par la Faculté des Sciences. On pouvait la prendre par les deux bouts. Après une première année scientifique ou littéraire, on passait d’abord les certificats correspondants, puis on allait dans l’autre faculté passer le reste.

J’étais « littéraire ». J’avais commencé mes études universitaires par une propédeutique lettres en même temps qu’une hypokhâgne de second choix. Mais j’avais passé deux bacs (à l’époque on en passait deux) assez scientifiques: un bac C en première (avec mention bien, madame !) et un bac de Sciences Expérimentales en terminale (avec mention assez-bien, pas si mal, mais moins bien, quand même). Mais, au fond de moi, je n’avais guère envie de faire des études scientifiques. Je voulais être prof de français. J’étais donc tout naturellement allé vers des études littéraires.

Le proviseur du lycée Henri IV, une vieille peau que j’avais déjà fréquenté en seconde à Lakanal, n’avait pas voulu de moi dans son hypokhagne renommée. J’avais donc échoué, de nouveau, au Lycée Lakanal dans une classe ou l’on pouvait préparer Normale Sup, mais qui, en fait ne nous préparait qu’à l’ENSET (Ecole Normale Supérieure de l’Enseignement Technique), qui avait une section pour les profs littéraires. On avait quand même de sacrés profs ! Il y avait, notamment, un certain Monsieur Cavalier qui était un bon, enseignait le français de façon pas trop ennuyeuse, très compétent sur le théâtre et qui m’énervait profondément parce qu’il détestait Jean Vilar.

Un jour, je déposais sur son bureau cette méchants strophe:
Jean Vilar, Jean vilain,
C’est d’la boue et du crottin.
Jean Vilar, Jean vilain,
Aura mon pied au bas des reins.

Je ne sais pas pourquoi j’écrivis ceci qui ne correspondait absolument pas à mon point de vue. Peut-être était-ce pour stigmatiser l’argumentaire de celui qui critiquait tant l’artiste. De toute façon, je ne sais plus ce qu’il advint de la chose.

En même temps, j’étais inscrit en fac, où je ne pouvais pas aller, car j’étais très pris au lycée, sauf à un cours d’Histoire Romaine de Pierre Grimal que je trouvais très intéressant.

Pendant un trimestre, je restai interne parce mes parents n’avaient pas voulu me livrer aux tentations de la chambre en ville. Mais on peut toujours se divertir, si l’envie nous prend. Nous avions de longues heures d’études non surveillées (car nous étions réputés « grands »).  Je n’ai pas le souvenir d’une grande concentration. Je m’acheminais parfois en rampant presque sous la chaise d’un élève qui portait une grande blouse grise dont les deux pans pendaient de part et d’autre du siège. Le grand jeu était donc d’y glisser silencieusement du papier journal préalablement froissé et… d’y mettre le feu.

Je n’ai jamais réussi à incendier la blouse. Mais les sauts en l’air de son propriétaire valaient le spectacle.

En même temps, j’avais fini par trouver une chambre en ville et je mis mes parents devant le fait accompli. Et comme c’était une chambre au pair, ils ne pouvaient même pas avancer l’argument financier. C’était à Sceaux, chez un monsieur Diamant-Berger qui pourraient bien être Henri, le cinéaste. Je devais donner des cours du soir aux enfants. Des pestes qui ne voulaient pas de cours, ce qui m’arrangeait bien.

Et j’étais souvent amoureux. Disons que c’était un état naturel. Je revois les visages. Pas tous les prénoms. Je me souviens de la souffrance d’entendre un autre élève me raconter comment il était « sorti » avec l’une d’elle. Il y eut  celle que je surnomme Chloé . A l’époque on « sortait ». Les filles étaient très, très, très , très… prudentes. Après coup, je les comprends et, à vrai dire, je ne le regrette pas. Vu de maintenant, cette quasi chasteté à quelque chose de franchement sublime et romantique.

C’est dire aussi que les résultats universitaires furent à la hauteur de ma concentration au travail. Pas une note supérieure à 5 sur 20 au concours. Et j’échouai aussi à Propé en juin.

Foin des avatars. Je me réinscrivis pour octobre à Propé en changeant les matières: dissertation française, version anglaise et géographie (qui remplaça l’aléatoire dissertation philosophique et que j’étudiai vite fait pendant les vacances). Et je fus reçu. sans mention, je dois l’avouer : la pente était savonneuse.

Et je m’engageai pour des études de Lettres Modernes.

Ce que j’ignorais, c’est qu’il fallait comprendre « lettres modernes » par opposition aux « lettres classiques ». Et non l’étude de la littérature contemporaine, comme je l’espèrais. Les Lettres Modernes commencent en 1500 ! Je me souviens, en particulier, d’une étude du Lai de Lanval digne la recherche de la chair dans le corps d’une étrille. Je n’ai rien contre les étrilles, ni contre le Lai de Lanval. C’est un poème qui ne manque pas de qualités dès lors qu’on l’a déjà traduit de sa langue ancienne. Mais de là à passer une heure par semaine pendant une année dans l’amphithéâtre Durkheim, sur ce sujet ardu. Dur.

Il y avait aussi un autre piège. Il se nommait Radio-Sorbonne. Hé oui ! Nombre de cours étaient diffusés à la radio. On pouvait donc les écouter chez soi, d’une oreille attentive ou… distraite. Mais pire, l’heureux propriétaire que j’étais, pour l’époque, d’un magnétophone, ne se privait pas d’enregistrer le cours en remettant à plus tard d’ouïr l’ennuyeux cours sur Lanval. » Plus tard » devint « bien plus tard », pluis « calendes grecques », puis jamais.

La pente savonneuse s’accentua très fortement. La sanction méritée vint : échec aux deux sessions assorti d’un trouble d’orientation, les lettres modernes n’étant vraiment pas ce qu’il me fallait.

Mais l’échappatoire vint en même temps. Cette année-là, le concours des IPES (Institut de Préparation à l’Enseignement Secondaire*) fut ouvert en psychologie. C’est la note de Propé, deuxième session, qui servait de classement. Je repassai donc Propé et… ne fut pas admis au concours.

Mais, pour le coup, je décidais d’entreprendre des études de psychologie.

* On suivait les cours de fac. On avait du soutien pour préparer le CAPES et l’Agrégation. Et on était payé !

© Jean Pierre Dufoyer, novembre 2008

Heures de cours dans l’enseignement supérieur: le décret scélérat

En 1969, un maître-assistant devait assurer150 heures de cours par an. Certains trouvent que ce n’est pas beaucoup. Mais 150 heures de cours, c’est déjà, en moyenne, 450 heures de préparation. On ajoute à celà les corrections des contrôles des connaissances, les corrigés d’écrit, les oraux, dans certains cas, les jurys d’examen, etc, etc….

Au final, ce n’etait pas peu pour UN MI-TEMPS !

Car les enseignants du supérieur sont des enseignants-chercheurs et doivent, à peu près, partager leur activité entre ces deux catégories de tâches.

Et aujourd’hui, grâce à une … de ministre nommée Saunier Seité, c’est devenu 192 heures !

Plus encore, au nom de l’autonomie des universités, on voudrait maintenant que le Président puisse, selon des critères très flous, faire varier les horaires de service des enseignants. Ainsi, on pourra punir les mauvais chercheurs en leur donnant plus d’enseignement. Pourra-t-on aussi punir les mauvais enseignants en leur imposant plus de recherche ?

On ajoutera à celà que l’activité de recherche est surtout devenue depuis 20 ans une frénésie de publication d’articles dans des revues. Cette débauche quantitative n’a rien apporté sur le plan de la qualité. Pire encore. Plus personne n’a le temps d’écrire un livre, un bon livre comme nos maîtres le faisaient. D’ailleurs certains articles sont « bidons », comme ce fut le cas récemment, dans des revues pourtant très sérieuses.

Cette dérive est grave.

Recherche bâclée. Enseignement bâclé. Voilà l’avenir.

Le public doit en être informé.

 

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Pourquoi Ségolène ?

Il y a quelque chose de commun entre Barack Obama et Ségolène Royal. Voilà deux personnages qui semblent venir d’ailleurs. D’un ailleurs où les politiciens encroûtés ne sont pas et n’auraient pas leur place. Et c’est pour cela qu’on les estime. Parce que justement, on voit bien qu’ils n’appartiennent pas totalement à la clique qui a fait de la politique son gagne-pain quotidien, son métier, sa routine…

Et voilà qu’ils s’avancent sans certitudes. Ils ne disent pas « je » comme l’autre qui promet tous les jours le contraire de la veille. « Yes we can », dit l’un. « Ensemble nous pouvons », dit l’autre. Simplement parce que personne ne possède la lampe magique pour annihiler les problèmes. Il y a cependant une attitude de les aborder, une manière socialiste ici, ou démocrate là-bas.

On a fait le même reproche à Barack Obama comme à Ségolène Royal: celui de n’avoir pas de programme. A la belle chose que les programmes électoraux et clientèlistes ! Les torchons de papier qu’on s’empresse de piétiner dès la première heure ou que la folie des grandeurs des pétroliers ou de la finance écrabouillent à la première occasion. Il n’y a donc pas d’autre solution qu’une adhésion et une participation fortes, massives à coté d’un leader, du moment, et qui promet au moins une chose: d’écouter le peuple.

« Ensemble nous pouvons ! »

« Yes we can ! »

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Je ne suis pas allé voir « Entre les murs »

Je ne suis pas allé voir Entre les murs. Pire, je n’ai pas envie d’y aller. Au moins pour l’instant. Pourquoi ?

 

Ce que j’en sais, ce que j’en ai vu, provoque un malaise en moi. Je sens venir la contestation de la pédagogie traditionnelle de l’autorité. Mais comment, moi l’héritier de mai 68, puis-je être ainsi aussi réservé ?

 

Disons-le tout de suite. J’ai été initié à Rousseau par un professeur de français qui ne l’aimait guère. Qui le trouvait veule. Et autant cet homme méprisait Rousseau, autant admirait-il Voltaire. Cela m’est resté. Et il faut de fortes expériences douloureuses pour changer quand c’est si bien enraciné. Tout ceci pour dire que ce que j’ai retenu de 68 en matière de pédagogie est resté réticent aux expériences pseudo-libertaires frisant la démagogie.

 

J’ai toujours estimé que la relation enseignant-enseigné était asymétrique et qu’elle devait reposer sur l’autorité légitime. J’ai bien dit « légitime ». Puis mes études de psychologie et mes pratiques de cadre pédagogique m’on conforté sur l’idée de la nécessité d’images parentales (pour dire vite, mais ce peuvent être d’autres adultes) solides. Et même s’il m’arrive d’être réservé sur la psychanalyse, l’idée d’un « surmoi » construit sur la base des interdits sociaux et parentaux m’a toujours paru au minimum métaphore intéressant.

 

Or, là, on me dépeint ce film comme l’étude d’un mode de relation enseignant enseigné non conforme à l’idée que j’en ai. On peut alors me reprocher de ne point accepter d’exemples contradictoires. Mais n’ayons crainte. Je le verrai le film quand la période de l’admiration béate par des non spécialistes naïfs aura passé. Je me sentirai plus libre de penser différemment de la meute (peut-être). Et moins agressé si mon point de vue diffère de la majorité, ce qui est probable si le film est comme il s’annonce.

 

Car l’origine socioculturelle n’explique pas tout et, surtout, ne permet pas tout. Il est évident que notre système scolaire n’est pas adapté à tous. J’ai presque envie de dire qu’il n’est adapté à personne. Mais je pense aussi fortement, probablement parce que je suis de cette trempe, qu’il faut que les enseignants SOIENT. Verbe être utilisé de façon intransitive. Etre avec des tas de questions comme dans « to be or not to be ». Rien n’est pire qu’un enseignant qui ne lèguera pas de souvenir à ses élèves. Il doit permettre, à la fois, des processus d’identification, et des processus de rejet. mais de rejet contruit, car il faut bien aussi que l’élève SOIT. Et pour être, il doit être différent de moi. Cette singularité du maître passe par la singularité de son langage qui doit être de bon niveau, tout en restant compréhensible, évidemment. Cette singularité passe par l’apparence de sa personne qui doit être plus proche de celle de ses pairs que de celle de ses élèves. Cette singularité passe enfin par la morale, la justice et donc, une certaine sévérité.

 

Je pense que si l’on me demandait de choisir mes modèles préférés, en matière de pédagogie, je choisirai d’abord Célestin Freinet, puis Anton S. Makarenko.  Et je crois bien qu’aucun des deux ne se serait senti bien « entre les murs ».

Le génocide et l’individualisme

Je regardais une rediffusion d' »Holocauste » sur la chaîne Histoire. Et voici de nouveau posée cette éternelle question: comment peut-on comprendre que des millions de juifs aient pu ainsi être assassinés sans pratiquement aucune résistance.
Le film montre de façon rapide le soulèvement du ghetto de Varsovie et l’étonnement des participants de constater qu’ils peuvent, même avec peu d’armes, causer des dommages à l’adversaire dès lors qu’ils son un peu groupés et organisés. Mais, au fond, ils savent bien qu’ils finiront vaincus notamment parce qu’ils ne sont pas assez nombreux.
Plus tard, est montrée, un peu sommairement, il est vrai, l’évasion du camp de Sobibor. Cette évasion a ceci de spectaculaire, c’est qu’elle est massive. Mais c’est ce nombre qui en fait la force et la réussite. La puissance de feu des gardiens n’est pas suffisante à la fois pour s’opposer aux armes, pourtant inférieures en nombre, des évadés et abattre tous ceux qui courent vers la sortie.
Ce qui fait la force de cette évasion, c’est évidemment le nombre, mais aussi le fait qu’elle réussit au prix du sacrifice d’un certain nombre de candidats à la liberté. A vrai dire, ce ne sont pas des individus qui s’évadent, mais une espèce qui survivra simplement parce qu’un nombre suffisant sera épargné.
Le contraste est grand avec tous ceux qu’on conduit résignés à l’abattoir. Mais alors pourquoi ne se soulèvent-ils pas en masse comme les prisonniers de Sobibor ?
Il y a, de mon point de vue, deux facteurs.
Le premier est l’absence totale d’organisation collective telle que serait un parti, une association ou un syndicat, par exemple. C’est ainsi que le parti communiste fut un élément structurant de la résistance française aux nazis, même s’il ne fut pas le seul. Le noyau structurant permet l’agrégation d’éléments auparavant isolés: ainsi se développent peu à peu groupes de résistance ou de partisans. Mais les membres découvrent vite que la survie du groupe transcende la survie individuelle. Il devient évident, comme à Sobibor, que tous ne survivront pas.
Le deuxième facteur est corollaire du précédent: c’est l’individualisme. Quand les personnes soumises aux arrestations imaginent leur salut individuel, elles n’en trouvent naturellement aucun, tant le rapport de force est en leur défaveur. Il ne reste plus qu’à espérer l’improbable qui ne survient naturellement pas. Alors qu’il eût suffi que des centaines de déportés se jettent sur leurs gardiens avant de monter dans les trains pour que l’évasion soit possible, au prix, naturellement d’un certain nombre de victimes. On sait bien qu’il y eut quelques spectaculaires manifestations d’isolés qui périrent et n’entrainèrent pas un ensemble suffisant d’individus qui ne constituaient pas une collectivité.
Mais il ne suffit pas de croire que « l’union fait la force ». La force de l’union vient de ce que chaque membre est disposé au sacrifice pour la collectivité. Cette union sacrée peut naître de l’idéologie commune. Elle peut découler aussi du désespoir commun.
Ceux qui nous gouvernent et pillent les richesses du monde prennent bien soin de ne pas désespérer trop de citoyens.

 

Notes d’économie politique  38 – 1er novembre 2008

Crise: 14 mesures pour que cela ne se reproduise plus !

Dans le supplément « Économie » du numéro du journal Le Monde daté du mardi 28 octobre 2008, 14 mesures sont présentées pour « réguler le capitalisme financier ».
Je rappelle la liste de ces mesures ci-dessous, mais je ne les détaillerai pas renvoyant mon lecteur au quotidien.
Je voudrais simplement faire remarquer qu’elles sont totalement anti libérales. Elles visent à encadrer et contrôler l’activité des organismes financiers, à interdire certaines pratiques et certaines prises de risques. Elles visent aussi à développer la régulation et le contrôle international.
On n’aura aucun mal à obtenir l’adhésion à ces mesures de toute personne raisonnable et sensée qui ne considère pas les activités financières comme une partie de poker mais comme un levier du développement mondial. Voici donc un excellent exemple de ce que peut être une économie administrée destinée à protéger les citoyens et déterminer les règles d’une activité profitable pour la collectivité.
Les 14 mesures:
1. Encadrer la titrisation
2. Taxer les marchés de gré à gré
3. Améliorer la législation Sur l’attribution des crédits
4. Réglementer les fonds spéculatifs et le capital-investissement
5. Conforter le contrôle interne
6. Limiter les bonus et les golden rémunérations
7. Revoir les normes comptables
8. Etendre la lutte contre l’inflation à l’immobilier et à la bourse
9. Interdire la spéculation aux banques de dépôt
10. Renforcer le Fonds Monétaire International
11. Limiter la volatilité des monnaies
12. Augmenter le pouvoir des autorités de régulation
13. Relancer la coopération contre les places offshore
14. Encadrer les agences de notation

Notes d’économie politique  37 – 1er novembre 2008

Crise: des millions de victimes innocentes, il faut un Tribunal Pénal International

On sait maintenant que la crise ne sera pas que boursière. Elle accompagne ou amplifie un mouvement de récession dont il n’est pas certain qu’elle soit la cause, car il n’est pas interdit de supposer que le mouvement de récession se soit amorcé de façon indépendante. Mais, au jour d’aujourd’hui, l’effet boule de neige est là. Et cet effet est encore amplifié par la couardise des milieux boursiers qui, au lieu de faire la part des choses et ne réajuster que ce qui mérite de l’être, réagissent de manière infantile et irréfléchie. A moins que, hypothèse d’un machiavélisme plus grand encore, l’ordre du jour ne soit à la spéculation frénétique à la baisse en espérant « se refaire » en achetant à vil prix et en espérant aussi n’être pas le dindon.

Mais, en tout cas, et au final, tout ceci se traduit par une perte de revenus, voire d’une perte d’emploi, pour des millions de gens à qui l’on présente la crise comme on le ferait des mouvements de la marée, comme si c’était inexorable et non modifiable, comme si c’était volonté divine d’un dieu malveillant ou comme si c’était « la faute à personne ».

Or, la faute est bien à un groupe de gens qui ne sont guère plus d’une poignée à l’échelle de l’humanité et qui se sont emparé du pouvoir économique sur le monde pour s’enfler du phallus et des comptes offshore dans ce qu’on nomme « paradis » fiscaux. Et même si ceux-ci, de méprisante façon, ne reconnaissent pas leur faute, on n’entend pas dire qu’ils soient le moins du monde inquiétés par les puissances d’état. Leurs ennuis se limitent, au maximum, à la perte d’un parachute doré et même pas à la perte de valeur de leurs stock-options, car ils ont vendu fort à propos, ce qui n’aurait jamais été que la nième couche de leur tas d’or.

En d’autres temps, on était moins indulgent envers les profiteurs. Au Far West, on les eut couverts de goudron et de plumes. Et ceux qui furent poursuivis, en France, pour marché noir, en 1945, n’avaient pas touché le millième de ce que ces arrogants parrains ont engrangé.

Il semblerait quand même légitime que la justice passe. Au moins qu’on les dépouille de la plus grande part de leurs biens pour secourir ceux que leur impéritie a conduit et va conduire au désespoir. Il y a tous ceux, dans le monde occidental qui vont se retrouver au chômage. Il y a tous ceux dans le Tiers Monde, pire encore, qui ne pourront manger à leur faim. Il y a tous ceux qui y perdront la vie de désespoir ou de disette. Car même ceux qui ont souscrits à des emprunts irréalistes ne sont jamais coupables que de s’être fait embobiner par des intermédiaires incompétents et avides de profit

Il est pas impossible que le nombre de victimes soit plus élevé que ne le furent celles de la Yougoslavie. Alors, qu’attend-on pour constituer un Tribunal Pénal International pour juger des crimes économiques qui ont conduit les citoyens de la planète à un tel désastre ?

Dans une société « normale », où subsisterait un peu de morale, il faut reconnaître ses fautes, mais aussi les réparer. On attend…

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Notes d’économie politique  36 – 28 octobre 2008