Catégorie dans 01-Un monde plein de trous

Enseignement supérieur et conséquences de la loi LRU : la privatisation rampante est en route

Sans doute les universitaires n’avaient-ils pas pris toute la mesure de la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités). On ne peut pas leur en tenir rigueur, d’abord parce qu’elle avait été votée en quasi catimini, mais aussi parce que toute son expression dépendait des décrets d’application. Sans compter que personne, en aucune circonstance, ne leur avait demandé leur avis.

Aujourd’hui ces décrets sont publiés ou en passe de l’être. Et les conséquences en sont complexes et subtiles, au point qu’on pourrait se faire éblouir.

L’autonomie, un grand mot séducteur, revient à dire en fait que les universités deviennent des entreprises qui vont gérer leurs budgets et toute leur production sans avoir à en référer vraiment à quiconque. En même temps, on repasse le mistigri des transferts de charges, notamment immobilières, à un moment ou la carence de l’état a produit ce qu’on peut constater.

L’état se débarrasse de la chose universitaire. Les universités ont un Président, élu par un Conseil d’Administration, comme dans beaucoup d’entreprises. Et ce Président aura énormément de pouvoir. Naturellement, il sera sous surveillance de son C.A.. Mais la composition des C.A., elle même, ouvre la porte à d’autres que des universitaires. Donc rien n’est certain, sauf qu’il aura beaucoup de pouvoirs.

Ces pouvoirs seront très vastes; ils concerneront toute l’infrastructure, tout le personnel, tout l’enseignement. On peut imaginer une université ne remplaçant pas les enseignants partant à la retraite et augmentant sensiblement les salaires des enseignants, quitte à compléter par une augmentation des droits universitaires. On peut imaginer une politique de sélection sur toutes sortes de critères. On peut imaginer des diplômes cessant d’êtrenationaux. Oh, pas tout de suite, bien sûr, mais c’est juridiquement faisable, quitte à faire sauter discrètement un ou deux petits verrous dans quelques années.

Cette loi vient compléter le dispositif L (licence) M (Master) D (Doctorat), assez largement répandu en Europe, et qui s’inspire un peu (mais pas complètement) du modèle américain. Elle est à mettre en relation avec la forte demande de la tutelle pour la création de Licences Professionnelles. En même temps, on supprime les IUFM, on appauvrit, voire on supprime les IUT.

En ajoutant à cela la possibilité que certains universitaires soient moins ou pas du tout chercheurs, on voit donc se mettre en place, brique par brique, un dispositif qui tend à marquer la séparation entre la licence et le reste. On imagine alors volontiers qu’on pourrait, à moindre coût (puisque les enseignants pourraient effectuer jusqu’à deux fois plus d’heures pour le même salaire), recevoir un grand nombre d’étudiants en premier cycle. On crée ainsi le super-lycée. Un peu comme les colleges américains, à la mode européenne. Il y a longtemps que nos gouvernants en rêvent !

Mais, de plus, en raison d’une politique inévitable d’évaluation, puisque les universités seront concurrentes, en raison de l’abandon probable de la notion de diplôme national, on s’achemine vers une hiérarchie des universités, des mauvaises aux meilleures. Les « meilleures » bénéficieront facilement de l’argent complémentaire ou totalitaire du secteur privé pour former les cadres dont l’industrie et le commerce ont besoin. Les mauvaises seront les universités régionales…

La privatisation rampante est en route.

Saccage de l’université et des universitaires : une enseignante écrit

Passé-passons-dépassée

Je passe sur mon passé d’hier : enseignant-chercheur dans une université prestigieuse, et comme ma fonction l’indique, partageant mon temps entre enseignement et recherche.

Je passe sur mon présent : partageant mon temps entre enseignement, administration de l’enseignement et administration de la recherche, recherche de financements (bac plus 8 certes, mais pas de comptabilité ni de finances, on apprend à tout âge, passons…), et recherche pour ce qui reste = quelques bouts d’heures par ci par là, idéal pour entamer une réflexion approfondie ! Chapeau pourtant, malgré ça la recherche française, même universitaire, se défend bien au niveau mondial. Passons, encore, c’est de toute façon le passé.

Je ne passe pas sur mon futur annoncé, je suis dépassée : si j’ai de la chance, si mon président d’université apprécie ce que je fais, ou mes grimaces, j’enseignerais moins et aurais plus de temps pour faire de la recherche… super, mais sinon ? Si un autre a fait une plus belle grimace (préparez les miroirs dans tous les labos, moi je cacherai le mien, il faut toujours se méfier de ses collègues !!!) ou si mon président change et qu’il préfère d’autres grimaces ? Bravo à lui/elle (mince, j’aurais du lui casser son miroir l’autre fois) et dommage pour moi, c’est moi qui ferais les heures d’enseignement dont il/elle sera déchargé/e… plus le temps de m’entraîner aux grimaces…aïe äie aïe, l’an prochain, j’aurais encore plus d’heures d’enseignement à assurer pour récompenser les gagnants au concours de grimaces et moi qui aimais enseigner, ça devient ma punition…

J’arrête, si jamais mon président décidait vraiment de m’accorder une décharge sur la base du nombre de grimaces que je suis capable de faire, il faut que je m’entraîne !

Universités : actions contre le décret scélérat

Attention : les universités sont en ébullition. Un projet de décret destiné à modifier sérieusement les conditions de travail des enseignants chercheurs (cf. Ref.1 , Ref.2 et Ref.3 ) est en passe d’être signé. Mais voici que partout en France des comités d’action, des conseils de gestion et des conseils d’université prennent position contre ce décret. On peut donc s’attendre à des mouvements sociaux dans ce secteur dans les jours et semaines à venir. Universitaires de toute la France, unissez vous !

Ah ! Les bons flics !

Je me souviens d’une grande et noble police. Une bonne police qui accomplissait bien les missions qui lui étaient confiées avec tout le zèle qu’elle pouvait y mettre.
Cette police affectionnait les grands imperméables noirs. Elle aimait fort circuler dans des Citroëns Traction noires aussi. C’était le bon temps où l’on avait pas besoin de vouvoyer un sale juif. Comme les arabes de maintenant quoi. Cette police n’avait peur de rien. Elle ne méprisait pas l’idée de pénétrer chez un citoyen une fois la nuit tombée. Et en cassant la porte, c’était encore bien mieux. Comme on fait chez les nègres.
Ce que cette police adorait le plus, c’était de se payer un journaliste. Ah, les journalistes à qui on reprochait des trucs, même petits. Parce qu’il faut se méfier des journalistes. Surtout jeunes. Et ils ont une tendance à révéler des trucs quand ils feraient mieux de fermer leur gueule.
Le plus sympa, c’est de procéder à une arrestation au matin. Quand il y a les mômes, par exemple pour effrayer. On tape à la porte, on crie. Le type est terrorisé. même s’il n’a rien fait. Naturellement on l’attrape vivement et on lui met les menottes. C’est bon, les menottes. Dans le dos. Comme ça, s’il fait le con, le mec, s’il tombe en avant, il s’écrabouille la face.
Et le fin du fin, avec un journaliste, c’est de le foutre à poil. Et de regarder avec mépris sa petite bite froide qui pend mollement. Et aussi son trou du cul. Bien regarder son trou du cul, en le faisant se pencher en avant et écarter ses fesses avec ses mains. Ça c’est le fin du fin: regarder un trou du cul de journaliste avec ses couilles en arrière plan.
C’est bien dommage, cette police n’existe plus.

Lamentable Chérèque

chereque.1228167533.jpgCe matin, j’entends François Chéreque à la radio. Il n’a pas perdu son accent lamentable et dépressif. D’ailleurs, il donne vraiment dans le dépressif. C’est la « crise ». Alors il se lamente. Il se lamente sur le sort des travailleurs réduits au chômage technique. Il se lamente sur le fait que le RSA ne sera mis en oeuvre qu’au 1er juillet. Il se lamente en disant « qu’il faudrait bien » que les revenus des salariés, et patati, et que les patrons, et patata…
Lamentabilus cherecus morfondus!
Pas une seule fois, je ne l’ai entendu mettre en cause le système politique, économique et social qui domine le monde en général et la France en particulier. Pas une seule fois,je ne l’ai entendu, ne serait-ce qu’évoquer une possible réaction populaire. Baisse la tête, O peuple, devant la crise que tu n’as pas provoquée et dont seuls sont responsables ces gros et gras bien plus riches que toi.
Chérèque ne remet rien en cause. Il plie.Il s’insère dans le système.Il tend la main comme un mendiant. Il regarde impavide les millions et les milliards venir au secours des banques qui raflent l’aubaine sans contrepartie.
Chérèque, tu es lamentable.

Note sur la crise

Commentaire de: Liberalisme et économie de marché

« Dans une économie de marché, on ne peut blâmer des entrepreneurs d’être allés là où était le profit. Si faute il y a eu c’est celle des gouvernants »

On peut aussi avoir une autre vision de cette phrase:

Le libéralisme et la mondialisation ont générés la titrisation (transfert des risques de solvabilité) et l’apparition de normes comptables internationales privilégiant les aspects court terme aux investissements longs termes de sorte que l’optimum économique d’une compagnie va à l’encontre de sa prospérité. Car si elle privilégiait sa situation long terme, elle s’exposerait à une minimisation de sa valeur de marché et donc à un risque de rachat notamment de compagnie qui privilégieraient l’économie financière à l’économie réelle.

L’immaturité ce situe vraisemblablement plus au niveau des décideurs politiques internationaux, dont bon nombre d’entre eux ne peuvent pas justifier d’un niveau de DEUG en économie s’il existe encore.

Bertrand Dufoyer

La journée ordinaire d’un écolier

Texte reçu sur Internet:

« 

darcos.1227896613.jpgLa journée de Lou 3 septembre 2014

Lou est assis à sa place, parmi ses 32 camarades de CP. Il porte la vieille bLouse de son cousin, éculée, tachée, un peu grande. Celle de Jean-Emilien, au premier rang, est toute neuve et porte le logo d’une grande marque. La maîtresse parle, mais il a du mal à l’entendre, du fond de la classe. Trop de bruit. La maîtresse est une remplaçante, une dame en retraite qui vient remplacer leur maîtresse en congé maternité. Il ne se souvient pas plus de son nom qu’elle ne se souvient du sien. Sa maîtresse a fait la rentrée il y a 3 semaines, puis est partie en congés. La vieille dame de 65 ans est là depuis lundi, elle est un peu sourde, mais gentille. Plus gentille que l’intérimaire avant elle, il sentait le vin et criait fort. Puis il expliquait mal.

Du coup LOU ne comprend pas pourquoi B et A font BA, mais pas dans BANC ni dans BAIE ; ni la soustraction ; ni pourquoi il doit connaître toutes les dates des croisades.

On l’a mis sur la liste des élèves en difficulté, car il a raté sa première évaluation.

Il devra rester de 12h à 12h30 pour le soutien. Sans doute aussi aux vacances. Hier, il avait du mal à écouter la vieille dame pendant le soutien ; son ventre gargouillait.

Quand il est arrivé à la cantine, il ne restait que du pain. Il l’a mangé sous le préau avec ceux dont les parents ne peuvent déjà plus payer la cantine.

Il a commencé l’école l’an dernier, à 5 ans. L’école maternelle n’est plus obligatoire, c’est un choix des mairies, et la mairie de son village ne pouvait pas payer pour maintenir une école. Son cousin Brice a eu plus de chance ; il est allé à l’école à 3 ans mais ses parents ont dû payer. La sieste, l’accueil et le goûter n’existent plus, place à la morale, à l’alphabet ; il faut vouvoyer les adultes, obéir, ne pas parler et apprendre à se débrouiller seul pour les habits et les toilettes : pas assez de personnel.

Les enseignants, mal payés par la commune, gèrent leurs quarante élèves chacun comme une garderie.

L’école privée en face a une vraie maternelle, mais seuls les riches y ont accès.

Mais Brice a moins de mal, malgré tout, à comprendre les règles de l’école et ses leçons de CP. En plus, le soir il va à des cours particuliers, car ses parents ne peuvent pas l’aider pour les devoirs, ils font trop d’heures supplémentaires.

Mais LOU a toujours plus de chance que son voisin Kévin ; il doit se lever plus tôt et livrer les journaux avant de venir à l’école, pour aider son grand- père qui n’a presque plus de retraite.

LOU est au fond de la classe. La chaise à coté de lui est vide. Son ami Saïd est parti, son père a été expulsé le lendemain du jour où le directeur (un gendarme en retraite choisi par le maire) a rentré le dossier de Saïd dans Base élèves. Il ne reviendra jamais. LOU n’oubliera jamais son ami pleurant dans le fourgon de la police,) à coté de son père menotté. Il paraît qu’il n’avait pas de papiers…

LOU fait très attention : chaque matin il met du papier dans son cartable, dans le sac de sa maman et dans celui de son frère.

Du fond, LOU ne voit pas très bien le tableau. Il est trop loin, et il a besoin de lunettes. Mais les lunettes ne sont plus remboursées. Il faut payer l’assurance, et ses parents n’ont pas les moyens. L’an prochain LOU devra prendre le bus pour aller à l’école. Il devra se lever plus tôt. Et rentrer plus tard. L’EPEP (Etablissements publics d’enseignement primaire) qui gère son école a décidé de regrouper les CP dans le village voisin, pour économiser un poste d’enseignant. Ils seront 36 par classe. Que des garçons. Les filles sont dans une autre école.

LOU se demande si après le CM2 il ira au collège ou en centre de préformation professionnelle. Peut-être que les cours en atelier sont moins ennuyeux que toutes ces leçons à apprendre par coeur. Mais sa mère dit qu’il n’y a plus de travail, que ça ne sert à rien. Le père de LOU a dû aller travailler en Roumanie, l’usine est partie là -bas. Il ne l’a pas vu depuis des mois. La délocalisation, ça s’appelle à cause de la mondialisation. Pourtant la vieille dame disait hier que c’était très bien la mondialisation, que ça apportait de la richesse. Ils sont fous, ces Roumains !

Il lui tarde la récréation. Il retrouvera Cathy, la jeune cousine de maman. Elle fait sa deuxième année de stage pour être maîtresse d’école, dans la classe de Monsieur Luc. Il remplace Monsieur Jacques, qui a été renvoyé, car il avait fait grève. On dit que c’était un syndicaliste qui faisait de la pédagogie. Il y avait aussi madame Paulette en CP ; elle apprenait à lire aux enfants avec de vrais livres ; un inspecteur venait régulièrement la gronder ; elle a fini par démissionner. Cathy a les yeux cernés : le soir elle est serveuse dans un café car sa formation n’est pas payée. Elle dit : « A 28 ans et bac +5, servir des bières le soir, faire classe la journée, c’est épuisant». Surtout qu’elle dort dans un salon chez LOU, elle n’a pas assez d’argent pour se payer un loyer.

Après la récréation, il y a le cours de religion et de morale avec l’abbé Georges. Il faut lui réciter la vie de Jeanne d’Arc et les dix commandements par coeur. C’est lui qui organise le voyage scolaire à Lourdes, à Pâques. Sauf pour ceux qui seront convoqués pour le soutien.

LOU se demande pourquoi il est là ,

– Pourquoi Saïd a dû partir,

– Pourquoi Cathy et sa mère pleurent la nuit,

– Pourquoi et comment les usines s’en vont en emportant le travail,  – Pourquoi ils sont si nombreux en classe,  – Pourquoi il n’a pas une maîtresse toute l’année,  – Pourquoi il devra prendre le bus,  – Pourquoi il passe ses vacances à faire des stages,  – Pourquoi on le punit ainsi,  – Pourquoi il n’a pas de lunettes,  – Pourquoi il a faim.

Projection basée sur les textes actuels, les expérimentations en cours et les annonces du gouvernement trouvées sur le net.

 

Déflagration des conditions de travail des Enseignants-Chercheurs : quelques rappels

Au moment où un projet de décret tente de « moduler » la durée des services des enseignants-chercheurs des universités, il convient de faire quelques rappels.

 

On se contentera de remonter aux temps de la prise de service de la classe d’âge approximativement la plus âgée encore en fonction. En 1969, les « assistants » devaient effectuer 125 heures de service annuel, les « maîtres-assistants » 150 et les « professeurs » 75. Ces différences étaient liées à la différence des fonctions. Les professeurs étaient titulaires de « chaires », on dira maintenant responsables d’équipes de recherche et devaient donc diriger des thèses. A l’opposé, les assistants étaient de jeunes enseignants qui préparaient leur thèse. Le temps d’enseignement était donc allégé pour cela.

 

En ce temps-là, l’année universitaire était « normale ». La rentrée se faisait fin octobre début novembre et les examens étaient terminés assez tôt dans le mois de juin. Il restait donc un temps suffisant pour écrire des ouvrages, des articles scientifiques et participer à des congrès nationaux ou internationaux qui se déroulaient pendant la saison d’été. On pouvait mettre aussi cette période à profit pour effectuer les recherches qui demandaient une grande disponibilité et qui étaient incompatibles avec un temps partiel destiné à donner des cours.

 

Naturellement, la préparation des enseignements tenait une grande place. Il était coutumier de ne pas refaire le même cours d’une année sur l’autre. Au pire, il était indispensable d’actualiser les enseignements ce qui représentait une charge significative. Il faut aussi faire remarquer que les universitaires ne peuvent s’appuyer beaucoup sur des manuels ou des ouvrages de synthèse pour la bonne et simple raison que ce sont eux qui les écrivent. A charge pour eux de réunir toute la documentation, ce qui implique, on le comprend bien, un important travail de recherche bibliographique.
Contrairement à l’idée reçue, les universitaires ne bénéficiaient pas de « grandes vacances ». Leur sort était globalement comparable à d’autres emplois de la fonction publique.

 

Leur rémunération était assortie d’une « prime de recherche », correspondant grosso modo à un 13ème mois (quasiment non revalorisée depuis 30 ans), mais qui n’était versée qu’à ceux qui se consacraient totalement à l’université et excluait ceux qui exerçaient simultanément dans le cadre du statut une activité privée. Dans certaines disciplines, comme en Psychologie Clinique, cette activité pouvait être recommandée puisqu’elle contribuait à l’expérience, voire aux travaux de recherche, des enseignants

 

En 1984, tous les enseignants du supérieur sont passés à 192 heures (équivalent TD). Ceci veut dire que celui ou celle qui ne  « fait » que des enseignements en petits groupes de 40 doit y consacrer 192 heures, mais que celui qui « fait » des cours devant de grands auditoire peut faire moins d’heures (la règle étant dans ce cas : 1 heure de cours compte comme 1,5 heure de TD). Tout le monde fut perdant dans cette affaire qui représentait une augmentation de la charge d’enseignement de 30% pour les maîtres-assistants et beaucoup plus de 100 % pour les professeurs. Naturellement ceci ne pouvait se faire qu’au détriment du temps consacré à recherche et qu’au détriment de la qualité des enseignements.
Naturellement, les salaires n’étant pas très élevés (aujourd’hui, un maître de conférences débutant, qui a une thèse et a déjà publié quelques articles scientifiques, touche un peu plus de 1700 euros, nets par mois), les enseignants peuvent être tentés par des heures « complémentaires ». Souvent, il s’agit aussi d’une nécessité, voire d’une obligation, quand les postes statutaires ne sont pas assez nombreux ou que les recrutements tardent à venir.  Ceci arrange bien le Ministère des Finances, car, dans ce métier, ces heures sont moins bien payées que les heures normales. On notera qu’il ne s’agit point d’heures « supplémentaires », mais « complémentaires ».

 

Naturellement, il y a toutes les charges : charges légitimes de préparation des cours et des TD, charges de correction, charges de jury d’examen, charges de « tutorat » des chargés de cours. Aucune n’est indemnisée. Et certaines peuvent être très lourdes. Un enseignant qui fait un cours devant une promotion de première ou seconde année a généralement plusieurs centaines voire presque un millier de copies à corriger. Et ensuite faut-il établir et transmettre des bordereaux de notes à l’administration. Aujourd’hui, avec les enseignements semestriels et l’accroissement des contrôles continus, ces charges ont largement été triplées. Et cette brève énumération ne tient pas compte des multiples tâches de coordination pédagogique et de toutes les charges administratives associées…

 

Plutôt que d’augmenter les salaires, les lois Jospin offraient la possibilité aux enseignants qui s’investissaient ailleurs que dans le secteur privé, c’est-à-dire, dans l’administration universitaire, les responsabilités pédagogiques ou encore dans la recherche, de recevoir un supplément sous forme de primes. Malheureusement, on s’est vite rendu compte que cette prime n’était pas pour tous. Et voici qu’un décret en préparation prévoit que les universitaires auront l’obligation de fournir un certain nombre de publications scientifiques dans des revues tous les 2 ans (peu importeront l’importance de leur contenu et les difficultés matérielles et temporelles de l’approche utilisée) sous peine d’une part, d’être éliminé d’une structure de recherche et d’autre part, de voir augmenter les heures de leur service jusqu’à 100%, et ceci sans retour possible vers une activité de recherche !  Plus encore, ils devront publier dans des revues dites à fort « impact factor », chiffre qui représente le nombre d’articles cités dans la revue, et partant sous-représente un grand nombre de domaines de recherches  spécialisés.

 

Il faudra aussi valider les processus de l’évaluation dont on imagine bien qu’ils posent de nombreuses questions qui vont de la méthode à la compétence des évaluateurs.

 

Selon M-F Fave-Bonnet (2002), « si l’on se réfère aux rares statistiques sur les taux d’encadrement, la France, malgré le nombre remarquable de recrutements d’enseignants-chercheurs, reste un des pays où le nombre d’étudiants par enseignant est des plus élevé : selon l’OCDE ( 2002), la France se place derrière l’Italie ( 22,6) avec un taux d’encadrement de 18,3 en 2000, loin devant l’Espagne( 15,9), les États-Unis ( 13,5), l’Allemagne ( 12,1), le Canada ( 9,8) et la Suède ( 9,3) »…. Les enseignants chercheurs font face  « à une accumulation incontrôlable de tâches diverses. La conséquence a été l’allongement de l’année universitaire qui réduit le temps consacré à la recherche et déporte, de ce fait, celle-ci dans les périodes de vacances : « La recherche, pour beaucoup, devient une conquête permanente, gagnée de haute lutte contre soi-même et ses proches » (Berthelot, 1992). »

 

Dans les pays anglophones, l’expression « Publish or perish » a été largement remplacée par « Publish quick and dirty ». Est-ce bien cela que nous voulons ? La multiplication des articles « Kleenex », pour la plupart non lus et jamais cités, avec ses effets pervers dénoncés depuis plus de 10 ans ! Quid de l’innovation et de la créativité dans la recherche ? Hypothèses nouvelles, risquées, recherches à  long terme, quand on a une obligation de résultats… rapides.  Surprise des étudiants de Master qui apprendront qu’il faudra orienter leur travail comme ci, comme çà, pour pouvoir en faire une publication ! Des groupes d’experts réfléchissent et définissent des axes prioritaires pour les années à venir dans lesquels il sera obligatoire de se mouler pour obtenir un financement des travaux. Quelle méconnaissance des attributs du développement des connaissances !  Comme l’a écrit  un collègue,  « J’y vois surtout un appel formidable au développement de stratégies visant à optimiser la densité de publication en même temps qu’un retour à des modes de fonctionnement excessivement locaux et autocratiques. Serait ce au moins pour améliorer la qualité de la recherche et de l’enseignement ? Je n’ai pas clairement encore compris en quoi. »   Nous non plus.

 

– BERTHELOT, J.-M., PONTHIEUX, S. (1992). « Les enseignants-chercheurs de l’enseignement supérieur : revenus professionnels et conditions d’activités », Documents du CERC (Centre d’études des revenus et des coûts), n° 105, Paris, La Documentation française.
– FAVE-BONNET,  M.-F. (2002). Conflits de missions et conflits de valeurs : la profession universitaire sous tension, Connexions, 78, 31-45.
– OCDE-CERI. (2002). Regards sur l’éducation : les indicateurs de l’OCDE, Paris, OCDE.

 

(1) On trouvera en ligne un excellent aperçu de ces problèmes dans les revue de question de Peter A. Lawrence, concernant la recherche, intitulée « The mismeasurement of science » (Par exemple sur : http://www.dcscience.net/lawrence-current-biology-2007.pdf) et celle de Robert E. Haskell, concernant l’enseignement, intitulée « Academic Freedom, Tenure, and Student Evaluation of Faculty: Galloping Polls in the 21st Century. ERIC/AE Digest » (Par exemple sur : http://findarticles.com/p/articles/mi_pric/is_/ai_3749946279).

 

Carolyn Granier-Deferre
Jean Pierre Dufoyer
Maîtres de Conférences
Institut de Psychologie
Université Paris Descartes