Archive dans 11 février 2009

Université: les fainéants et les mauvais chercheurs, au travail!

Par Pierre Jourde, écrivain et universitaire
(http://bibliobs.nouvelobs.com/blog/pierre-jourde/20090210/10490/universite-les-faineants-et-les-mauvais-chercheurs-au-travail)

Une poignée de mandarins nantis qui ne fichent rien de leurs journées et refusent d’être évalués sur leur travail, manifeste contre la réforme Pécresse pour défendre des privilèges corporatistes et une conception rétrograde de l’université. Au travail, fainéants!

L’ignorance et les préjugés sont tels que c’est à peu près l’image que certains journalistes donnent du mouvement des chercheurs, des universitaires et des étudiants qui se développe dans toute la France. Au Monde, Catherine Rollot se contente de faire du décalque de la communication ministérielle, en toute méconnaissance de cause. Le lundi 9 février, Sylvie Pierre-Brossolette, sur l’antenne de France Info, défendait l’idée brillante selon laquelle, comme un chercheur ne produit plus grand-chose d’intéressant après quarante ans («c’est génétique»!), on pourrait lui coller beaucoup plus d’heures d’enseignement, histoire qu’il se rende utile.

Il aurait fallu mettre Pasteur un peu plus souvent devant les étudiants, ça lui aurait évité de nous casser les pieds, à 63 ans, avec sa découverte du virus de la rage. Planck, les quantas à 41 ans, un peu juste, mon garçon! Darwin a publié L’Evolution des espèces à 50 ans, et Foucault La Volonté de savoir au même âge. Ce sont des livres génétiquement nuls. Aujourd’hui, on enverrait leurs auteurs alphabétiser les étudiants de première année, avec de grosses potées d’heures de cours, pour cause de rythme de publication insuffisant. Au charbon, papy Einstein! Et puis comme ça, on économise sur les heures supplémentaires, il n’y a pas de petits profits.

Mais que Sylvie Pierre-Brossolette se rassure: le déluge de réformes et de tâches administratives est tel que son vœu est déjà presque réalisé. On fait tout ce qu’il faut pour étouffer la recherche. Les chercheurs et les enseignants-chercheurs passent plus de temps dans la paperasse que dans la recherche et l’enseignement. Ils rédigent les projets de recherche qu’ils auraient le temps de réaliser s’ils n’étaient pas si occupés à rédiger leurs projets de recherche. La réforme Pécresse ne fera qu’accroître cela.

Les journalistes sont-ils suffisamment évalués au regard de leurs compétences et de leur sérieux? Est-ce que c’est génétique, de dire des bêtises sur les antennes du service public?

On enrage de cette ignorance persistante que l’on entretient sciemment, dans le public, sur ce que sont réellement la vie et le travail d’un universitaire. Rien de plus facile que de dénoncer les intellectuels comme des privilégiés et de les livrer à la vindicte des braves travailleurs, indignés qu’on puisse n’enseigner que 7 heures par semaine. Finissons-en avec ce ramassis de légendes populistes. Un pays qui méprise et maltraite à ce point ses intellectuels est mal parti.

La réforme Pécresse est fondée là-dessus: il y a des universitaires qui ne travaillent pas assez, il faut trouver le moyen de les rendre plus performants, par exemple en augmentant leurs heures d’enseignement s’ils ne publient pas assez. Il est temps de mettre les choses au point, l’entassement de stupidités finit par ne plus être tolérable.
a) l’universitaire ne travaille pas assez

En fait, un universitaire moyen travaille beaucoup trop. Il exerce trois métiers, enseignant, administrateur et chercheur. Autant dire qu’il n’est pas aux 35 heures, ni aux 40, ni aux 50. Donnons une idée rapide de la variété de ses tâches: cours. Préparation des cours. Examens. Correction des copies (par centaines). Direction de mémoires ou de thèses. Lectures de ces mémoires (en sciences humaines, une thèse, c’est entre 300 et 1000 pages). Rapports. Soutenances. Jurys d’examens. Réception et suivi des étudiants. Elaboration des maquettes d’enseignement. Cooptation et évaluation des collègues (dossiers, rapports, réunions). Direction d’année, de département, d’UFR le cas échéant. Réunions de toutes ces instances. Conseils d’UFR, conseils scientifiques, réunions de CEVU, rapports et réunions du CNU et du CNRS, animations et réunions de centres et de laboratoires de recherche, et d’une quantité de conseils, d’instituts et de machins divers.

Et puis, la recherche. Pendant les loisirs, s’il en reste. Là, c’est virtuellement infini: lectures innombrables, rédaction d’articles, de livres, de comptes rendus, direction de revues, de collections, conférences, colloques en France et à l’étranger. Quelle bande de fainéants, en effet. Certains cherchent un peu moins que les autres, et on s’étonne? Contrôlons mieux ces tire-au-flanc, c’est une excellente idée. Il y a une autre hypothèse: et si, pour changer, on fichait la paix aux chercheurs, est-ce qu’ils ne chercheraient pas plus? Depuis des lustres, la cadence infernale des réformes multiplie leurs tâches. Après quoi, on les accuse de ne pas chercher assez. C’est plutôt le fait qu’ils continuent à le faire, malgré les ministres successifs et leurs bonnes idées, malgré les humiliations et les obstacles en tous genres, qui devrait nous paraître étonnant.

Nicolas Sarkozy, dans son discours du 22 janvier, parle de recherche «médiocre» en France. Elle est tellement médiocre que les publications scientifiques françaises sont classées au 5e rang mondial, alors que la France se situe au 18e rang pour le financement de la recherche. Dans ces conditions, les chercheurs français sont des héros. Les voilà évalués, merci. Accessoirement, condamnons le président de la république à vingt ans de travaux forcés dans des campus pisseux, des locaux répugnants et sous-équipés, des facs, comme la Sorbonne, sans bureaux pour les professeurs, même pas équipées de toilettes dignes de ce nom.
b) l’universitaire n’est pas évalué

Pour mieux comprendre à quel point un universitaire n’est pas évalué, prenons le cas exemplaire (quoique fictif) de Mme B. Elle représente le parcours courant d’un professeur des universités aujourd’hui. L’auteur de cet article sait de quoi il parle. Elle est née en 1960. Elle habite Montpellier. Après plusieurs années d’études, mettons d’histoire, elle passe l’agrégation. Travail énorme, pour un très faible pourcentage d’admis. Elle s’y reprend à deux fois, elle est enfin reçue, elle a 25 ans. Elle est nommée dans un collège «sensible» du Havre. Comme elle est mariée à J, informaticien à Montpellier, elle fait le chemin toutes les semaines. Elle prépare sa thèse. Gros travail, elle s’y consacre la nuit et les week-ends. J. trouve enfin un poste au Havre, ils déménagent.

A 32 ans, elle soutient sa thèse. Il lui faut la mention maximale pour espérer entrer à l’université. Elle l’obtient. Elle doit ensuite se faire qualifier par le Conseil National des Universités. Une fois cette évaluation effectuée, elle présente son dossier dans les universités où un poste est disponible dans sa spécialité. Soit il n’y en a pas (les facs ne recrutent presque plus), soit il y a quarante candidats par poste. Quatre années de suite, rien. Elle doit se faire requalifier. Enfin, à 37 ans, sur son dossier et ses publications, elle est élue maître de conférences à l’université de Clermont-Ferrand, contre 34 candidats. C’est une évaluation, et terrible, 33 restent sur le carreau, avec leur agrégation et leur thèse sur les bras. Elle est heureuse, même si elle gagne un peu moins qu’avant. Environ 2000 Euros. Elle reprend le train toutes les semaines, ce qui est peu pratique pour l’éducation de ses enfants, et engloutit une partie de son salaire. Son mari trouve enfin un poste à Clermont, ils peuvent s’y installer et acheter un appartement. Mme B développe ses recherches sur l’histoire de la paysannerie française au XIXe siècle. Elle publie, donne des conférences, tout en assumant diverses responsabilités administratives qui l’occupent beaucoup.

Enfin, elle se décide, pour devenir professeur, à soutenir une habilitation à diriger des recherches, c’est-à-dire une deuxième thèse, plus une présentation générale de ses travaux de recherche. Elle y consacre ses loisirs, pendant des années. Heureusement, elle obtient six mois de congé pour recherches (sur évaluation, là encore). A 44 ans (génétiquement has been, donc) elle soutient son habilitation. Elle est à nouveau évaluée, et qualifiée, par le CNU. Elle se remet à chercher des postes, de professeur cette fois. N’en trouve pas. Est finalement élue (évaluation sur dossier), à 47 ans, à l’université de Créteil. A ce stade de sa carrière, elle gagne 3500 euros par mois.

Accaparée par les cours d’agrégation, l’élaboration des plans quadriennaux et la direction de thèses, et, il faut le dire, un peu épuisée, elle publie moins d’articles. Elle écrit, tout doucement, un gros ouvrage qu’il lui faudra des années pour achever. Mais ça n’est pas de la recherche visible. Pour obtenir une promotion, elle devra se soumettre à une nouvelle évaluation, qui risque d’être négative, surtout si le président de son université, à qui la réforme donne tous pouvoirs sur elle, veut favoriser d’autres chercheurs, pour des raisons de politique interne. Sa carrière va stagner.

Dans la réforme Pécresse, elle n’est plus une bonne chercheuse, il faut encore augmenter sa dose de cours, alors que son mari et ses enfants la voient à peine. (Par comparaison, un professeur italien donne deux fois moins d’heures de cours). Ou alors, il faudrait qu’elle publie à tour de bras des articles vides. Dans les repas de famille, son beau-frère, cadre commercial, qui gagne deux fois plus qu’elle avec dix fois moins d’études, se moque de ses sept heures d’enseignement hebdomadaires. Les profs, quels fainéants.

Personnellement, j’aurais une suggestion à l’adresse de Mme Pécresse, de M. Sarkozy et accessoirement des journalistes qui parlent si légèrement de la recherche. Et si on fichait la paix à Mme B? Elle a énormément travaillé, et elle travaille encore. Elle forme des instituteurs, des professeurs, des journalistes, des fonctionnaires. Son travail de recherche permet de mieux comprendre l’évolution de la société française. Elle assure une certaine continuité intellectuelle et culturelle dans ce pays. Elle a été sans cesse évaluée. Elle gagne un salaire qui n’a aucun rapport avec ses hautes qualifications. Elle travaille dans des lieux sordides. Quand elle va faire une conférence, on met six mois à lui rembourser 100 euros de train. Et elle doit en outre subir les insultes du président de la république et le mépris d’une certaine presse. En bien, ça suffit. Voilà pourquoi les enseignants-chercheurs manifestent aujourd’hui.

Université : Pourquoi Valérie Pécresse (et d’autres) ne comprennent rien

Valérie Pécresse sort d’H.E.C. On y apprend plein de choses « enrichissantes ». Mais ce n’est pas un grand institut de recherche.
Elle a donc développé, dans sa ligne, une conception « commerciale » : la recherche est destinée à obtenir des brevets. Et à faire des affaires.

L’université s’est développée depuis des siècles autour d’un statut d’indépendance scientifique : les « franchises » universitaires qui garantissaient la liberté de penser, d’imaginer et de critiquer. Ce que les régimes totalitaires n’aiment guère. Ces régimes-là veulent qu’on pense dans le sens qu’ils indiquent. C’est bien sûr. Il fut un temps béni où la police n’entrait pas à la Sorbonne. La France a bien changé !
Mais les universitaires ne s’intéressent guère à la pensée « guidée ». Les universitaires recherchent la connaissance. La vraie. Pas celle des gourous. Celle qui est vérifiable ! Qu’elle soit agréable ou non à entendre. Qu’elle soit utile aujourd’hui, ou seulement demain. Ou dans cent ou mille ans. Car la connaissance n’est jamais inutile. C’est elle qui depuis les origines de l’humanité a fait le progrès.
Le progrès est « scientifique » (du verbe « savoir »).
Le progrès, c’est aussi, paradoxalement mieux connaître le passé de l’humanité.
Le progrès, ce n’est pas que seulement mettre des hommes sur la lune.
Le progrès, ce n’est pas que guérir certaines maladies.
Il y a d’ailleurs des progrès qui n’en sont pas, ceux qui font produire avec de bons brevets de bonnes armes de destruction massives.
Le progrès c’est tout ce qu’on découvre aujourd’hui et qu’on ne savait pas hier.
Les universitaires sont des hommes et des femmes de progrès, très souvent désintéressés qui ont le goût ou la passion d’un petit coin de connaissance. Ils savent bien que cela servira un jour. Mais ils ne savent pas quand. Ils savent aussi qu’il est aussi important de savoir ce qu’on ne sait pas ou qu’on ne sait pas encore. Ils n’ont pas honte de leurs ignorances. Ils ne les cachent pas. Ils les cultivent pour les vaincre.

Il y a aussi une autre chose qui énerve certains potentats : le principe de collégialité. Depuis des siècles, les universitaires se gouvernent entre eux. C’est vrai, cela peut sembler bizarre. Mais qui évaluera la recherche des astronomes, des physiciens, des médecins, des psychologues, des historiens, des exégètes de la Princesse de Clèves, sinon les autres astronomes, physiciens, médecins, psychologues, historiens, exégètes ? Ce n’est pas Madame Pécresse qui n’y connaît rien.
Évidemment, le principe de collégialité a ses défauts. Mais le moyen de faire autrement ? Les jeunes chercheurs sont aidés et évalués par des chercheurs plus anciens. Alors il y a des écoles de pensée, qu’on critique, à juste titre. C’est vrai qu’elle est parfois pesante, la pensée dominante. Mais il arrive toujours que d’autres esprits viennent lui tailler des croupières et orienter les recherches vers d’autres voies (« et pourtant, elle tourne »).
On finit bien par leur donner la parole, parce qu’on n’est pas si dogmatique qu’on croit. Et parfois ils surprennent. Au début. Au début seulement. Et c’est ainsi qu’apparaissent les grands précurseurs.
Mais est-ce en étant ministre ou Président qu’on devient un grand précurseur ?

Aujourd’hui, on voudrait qu’un certain mode d’organisation politique, économique et social pilote la recherche. Un modèle mondial qui vient de s’effondrer misérablement entraînant dans son sillage des millions d’hommes et de femmes dans la pauvreté… Parce qu’il était aux mains d’une poignée d’ignorants, dont un grand nombre sortis des grandes écoles commerciales du monde entier.

Madame Pécresse et Monsieur Sarkozy s’énervent inutilement, parce que les universitaires, enseignants et chercheurs, ne trouvent pas ou ne courent pas forcément après les brevets qu’on peut convertir en euros à court terme. Ils n’ont rien en commun. Les universitaires regardent plus loin.
Ils regardent l’avenir de la science, l’avenir du monde et l’avenir de l’humanité.
Et en plus, ils ont l’audace d’enseigner cela.
On comprend que les régimes autoritaires ne les aiment pas.

Capitalisme, libéralisme : ils n’ont rien compris

caissevide.1206056235.jpgVoilà que le capitalisme sauvage et le libéralisme dément ont conduit l’économie mondiale vers un trou sans fond. Voilà que ce qui valait 5000 euros en Bourse, il y a quelques mois, n’en vaut plus que 3000 aujourd’hui. Voilà que des millions d’épargants ont perdu leur épargne et ne savent plus comment financer leur retraite. Voilà qu’on lâche près de 100000 travailleurs par jour sur le carreau du chômage. banques.1233444963.jpgEt croit-on qu’il se passe vraiment quelque chose ? Les même continuent de spéculer à la baisse ou à la hausse ou à la n’importe quoi pour essayer de « se refaire », comme l’on dit.  Les mêmes dirigent là où ils dirigeaient avant et se font verser d’énormes rémunérations. On remarque que ces rémunérations étaient prétendument justifiés par la création de richesse et d’emplois. A-t-on entendu dire que la même bande qui s’entre échange les sièges dans les conseils d’administration, en se versant au passage d’incroyables pots de vin,… non, jetons de présence, s’est est retirée pour laisser la place à d’autres ? A-t-on ouvert les comptes anonymes de Suisse, des îles Caïman ou des autres « paradis » fiscaux ? Non ! Tout recommence. Ou plutôt tout continue comme avant, avec les mêmes règles, à de rares ajustements près, à la marge. Tout continue comme avant sauf pour ces pauvres cons de travailleurs auxquels on dit de « se retrousser les manches ». Putain, ils ont passé leur vie à se retrousser les manches pour ne récolter que des bribes de la richesse produite. et les voici à « l’assurance chômage ». Et il ne faut pas croire que ce sont ceux qui les ont exploités qui payent cette assurance-là. Ils se la sont payés eux-mêmes. Ou bien elle est financée par d’autres prolétaires qu’on fait cotiser de plus en plus sur leur salaire en cure d’amaigrissement. Tout continue. C’est la crise. La crise est un incident de parcours de la vie capitaliste et libérale qui se traduit par un léger appauvrissement des plus riches (et encore, pas forcément) et un fort appauvrissement des plus pauvres. Et que dire des endettés, des endettés à plus que raz la gueule auxquels on a fait croire en un avenir radieux: « mais oui, votre bien immobilier prendra une plus-value de 10% par an ! ». Et pendant de temps-là, les PDG pédègent tranquillement assis sur leurs coussins d’or des stock-options vendues au bon moment grâce à d’habiles tuyaux pas du tout percés. Même le Madoff, grand voyou qui ne se différencie d’Al Capone que par l’absence d’armes à feux, coule des jours tranquilles ailleurs que là où il devrait être. Encore qu’en matière d’armes à feu, on pourrait compter toutes celles que ceux qui se sont ruinés par sa faute, sont en train de se braquer sur la tempe.

A part des petits frémissements, tout continue comme avant. Oui, il est vrai que quelques chefs d’état parlent de réformer le capitalisme ! Les niais. Pensent-ils vraiment réformer le grand banditisme. Car tout cela est banditisme, d’une amoralité absolue et totale: tu bosse, je te pique ton blé, je fais le con avec et tu rebosse.

moutons.1230074438.jpgOn aurait pu penser que les états, qui ont pour rôle la protection du citoyen, seraient entrés en force dans le capital des banques et autres sociétés foireuses qui tendent la main sans le moindre amour propre. Point du tout. Les états aident ceux qui ont merdé et ruiné le monde à recommencer.

On aurait pu penser à un tas de choses pour moraliser et mettre en ordre tout cela. Les états comme les banquiers en sont toujours au capitalisme et au libéralisme: ils n’ont rien compris.

Comment disait-il, l’autre: « Travailleurs de tous les pays… » ?

 

Notes d’économie politique  41 – 1er février 2009

Le 2 février l’université et les laboratoires s’arrêtent !

Le mot d’ordre qui a été lancé le jeudi 22 janvier lors de la coordination nationale des universités est historique. C’est la première fois que se réunissent dans un même mouvement unitaire et avec une détermination commune des enseignants-chercheurs, des chercheurs et des membres du personnel de l’enseignement supérieur très différents par leurs affiliations syndicales, politiques ou disciplinaires mais tous convaincus que la bataille qui s’ouvre les concerne tous et peut être décisive. Nous n’avons pas voulu cette épreuve de force. Elle nous est imposée par le gouvernement : par la loi LRU, que nous avons toujours dénoncée sans ambiguïté et qui, sous couvert d’autonomie, renforce les féodalités locales et paupérise les universités ; par sa conception du pilotage autoritaire et centralisé de la recherche et par le démantèlement des grands organismes de recherche ; par une obsession de la concurrence sauvage de tous contre tous (individus, formations, laboratoires, universités) au nom d’une politique de spécialistes du marketing au petit pied, qui étend indéfiniment la précarisation des chercheurs, des doctorants et post-doctorants et de tous les personnels de l’enseignement supérieur ; par ses pratiques de « concertation » marquée, selon la feuille de route de leur mentor présidentiel, par la conviction qu’il est bon d’écouter tout le monde mais qu’il ne faut pas en tenir compte ; par son obstination à vouloir agir contre la majorité de la communauté universitaire, quelles que soient les envolées lyriques d’une ministre qui connaît bien mal le monde de l’université et celui de la recherche ; par son discours affiché sur les résultats de la recherche et sur son prétendu déclin, au prix de travestissements grossiers de la réalité.

Nous n’avons pas voulu cet affrontement mais nous ne le refuserons pas. Nous demandons que le gouvernement retire son projet de « réforme » du statut des enseignants-chercheurs et sa « réforme » de la formation et du recrutement des enseignants mais aussi qu’il revienne partout sur ses décisions de suppressions de postes statutaires, qu’il renonce à son projet de modification de statut des doctorants, qu’il dise comment il entend lutter contre la précarisation croissante dans le monde de l’enseignement et de la recherche. Nous savons bien que de vraies réformes sont nécessaires sur certains des points évoqués mais si l’on veut qu’elles soient efficaces et légitimes, elles ne sauraient être mises en place contre l’avis de la plupart des acteurs concernés. Une discussion peut s’ouvrir sur n’importe lequel de ces sujets mais elle ne doit comporter aucun préalable et s’inscrire dans le cadre de négociations et non dans celui d’une concertation ministérielle n’engageant à rien.

L’éloge incessant de la concurrence et de la « culture du résultat » tente de mettre à bas la collégialité et dédaigne les logiques propres à la production comme à la transmission des connaissances, hors desquelles il n’est pas d’Université. Nous ne sommes pas face à une « réforme » de plus mais face à une volonté de mettre à bas l’université et les organismes de recherche au moyen d’une attaque violente. Face à cette agitation dangereuse et à ce mépris affiché qui prétendent définir une politique, nous répondrons avec la sérénité et la détermination de ceux qui veulent que l’Université puisse demeurer une fois que Monsieur Sarkozy sera parti.

Plus que jamais, tous ensemble

 

Sauvons l’université !

 

P.S. : Lundi 2 février, organisez dans ou devant votre établissement, non sans en avoir auparavant informé la presse, un “freezing” matérialisant, affiches à l’appui, l’arrêt de l’université.

Notre métier d’enseignant

Vu sous cet angle…
Il faut reconnaître que seule une révolution pourrait changer les choses !!

Actuellement, le temps de travail d’un enseignant de Collège ou de Lycée est de 18 heures par semaine (20 heures pour l’EPS).
C’est, pour les professeurs certifiés, le seul élément fixe et clair relatif au temps de travail qui leur est demandé. Il a été fixé par un décret datant de 1950. 18 heures par semaine ! Quel salarié ne voudrait pas travailler aussi peu pour d’aussi bons salaires ? Comment le législateur a-t-il pu créer en 1950 un statut aussi avantageux ? En fait, ce temps a été conçu en prévoyant qu’un enseignant travaille 1,5 heures chez lui pour une heure devant élève afin de préparer ses cours, évaluer les élèves et actualiser ses connaissances dans sa  discipline. Cela fait 18 fois 2,5 heures (1 devant les élèves et 1,5 à la maison), soit 45 heures hebdomadaires.

En effet, le temps de travail légal de l’époque s’il était légalement de 40 heures par semaine, était en réalité d’environ 42h par semaine, sur 50 semaines.

Certes je l’avoue, je fais partie de ces privilégiés. Car comment peut-on parler de temps de travail sans parler des vacances ? Eh bien justement, le législateur a tout prévu et cela de deux façons:
D’abord, 45 heures dues quand les autres devaient 42, ça c’est pour les petites vacances (Toussaint, Noël, Pâques).
Donc notre temps de travail était annualisé.
Mais, et les 2 mois d’été alors ? Là, c’est un tout petit peu plus compliqué. Certains enseignants ne le savent même pas d’ailleurs. Cela se situe au niveau de la grille des salaires. Notre grille a été, elle aussi, fixée en 1950 au même niveau que les autres cadres de la fonction publique recrutés avec un concours au niveau Bac +3. Mais à cette grille, il nous a été retiré 2 mois de salaires, puis le résultat a été divisé par 12 (pour recevoir un salaire chaque mois). Par exemple si un inspecteur des impôts est payé 2000 Euros par mois il recevra 24000 Euros par an, alors que pour la même qualification, un enseignant recevra aussi 2000 Euros par mois mais sur 10 mois, soit 20000 Euros par an.
Cette somme est ensuite divisée par 12 et donne 1667 Euros par mois. Et oui, chers lecteurs, les enseignants ne sont pas payés pendant les grandes vacances.

Oui bon d’accord, peut-être que nous ne sommes pas si privilégiés que cela concernant le temps de travail. Mais côté salaires, quand même, nous ne sommes pas à plaindre ! Soit, comparons : Nous sommes nettement en dessous de la moyenne des cadres du privé comme du public.

Mais, à mes yeux, l’exemple le plus frappant de la dégradation de la valeur que la nation accorde à ceux qui éduquent ses enfants est le suivant :
Le salaire de départ d’un enseignant en 1970 était 2 fois supérieur au SMIC.
Aujourd’hui, il n’est plus que 1,2 fois plus élevé.
Autrement dit, si comme le PS  l’a écrit le SMIC augmentera de 25% au cours des 5 ans à venir (et l’UMP l’a augmenté au même rythme annuel dès cette année), un enseignant débutant gagnera moins que le SMIC. Faudra-t-il en arriver là pour que la société se rende compte de la dégradation de notre situation ?

Je n’évoquerais pas les conditions de travail, l’évolution des élèves, les réunions multiples. Alors oui, le décret de 1950 est vieux ! Il est vraiment temps de le toiletter comme le disent nos gouvernements !
Mais dans quel sens ? En travaillant plus pour gagner autant ?

Laurent TARILLON,
Enseignant de sciences économiques et sociales,
Grenoble

 

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Evaluer la recherche : 2- L’évaluation par les pairs ou par la « bibliométrie » ?

Désormais des évaluations supplémentaires sont demandées à une instance ad hoc : l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Mais concernent-elles vraiment la recherche ? Sont-elles  centrées sur la qualité de la découverte  ? Doivent-elles nécessairement et exclusivement conduire à des brevets sources de profits ?
Rien n’est moins sûr…Difficile de prédire sans aucun recul quelles seront les trouvailles les plus fructueuses.
Ces évaluations s’intéressent  essentiellement au classement de la France dans les  différents « Hit Parades » des universités (classement de Shangaï, par exemple). Elles sont fondées sur des critères « bibliométriques ». Il s’agit du nombre de publications et du nombre de citations de ces publications dans des revues à haut « impact factor », qui concernent quasi uniquement des revues anglophones considérées dans les bases de données internationales (ISI Web of Knowledge, Harzing Publish or Perish, PubMed..).
Ce qui compte, ce sont les articles comptabilisés. Le NOMBRE d’articles ! Ainsi, pour la carrière d’un enseignant-chercheur vaut-il mieux 100 petits articles en langue anglaise, à partir de travaux qui confirment ou développent des résultats déjà connus et/ou sur des problématiques rapides, qu’une petite dizaine bien étoffées sur des thèmes chronophages, innovants ou risqués.
Et les évaluateurs ne peuvent pas lire en détail. C’est plus rapide de compter. Et, bien qu’experts, ils n’ont souvent qu’une très idée très relative de la particularité de la thématique de chacun. Et puis… eux aussi doivent aller vite : ils doivent publier ! Sans compter qu’ils peuvent être juges et partie dans la compétition pour des financements.

 

Les « bibliométriciens » comptent alors que ces méthodes ont fait l’objet de plusieurs dizaines d’articles pour les dénoncer, même dans des revues internationales comme  « Nature » ou « Current Biology » réputées pour leur sérieux.
Veut-on être classé dans la compétition ? Toutes les dérives sont permises, sont encouragées. Personne n’est dupe, sauf les jeunes qui apprennent… très vite le mode d’emploi. On divisera un bon article complet pour en faire une série, comme à la télévision. On publiera les mêmes résultats sous des emballages différents de façon à convenir à différents types de revues (version courte, version allongée, version fondamentale, version pour les applications, version pour les médecins, version pour les biologistes…). Dans la publication on citera autant que possible les articles déjà parus dans cette revue, cela augmentera l’impact factor de la revue, et du même coup celui de l’auteur ! On n’oubliera pas de citer les évaluateurs potentiels et les collègues et amis, qui vous citerons en retour, voire même leur demander d’être co-auteurs. S’ils renvoient l’ascenseur, on doublera la mise (le nombre de publications).
Souvent moyennement intéressantes ou redondantes, nombre de publications sont comptabilisées mais jamais lues ! A quoi bon ? Certaines sont stériles (car les résultats ne sont pas reproductibles), voire même trafiquées et font perdre un temps considérable.
Des passionnés font de la recherche longue et innovante. Certains, ayant trouvé quelque chose de nouveau, préfèrent publier dans des revues dites de rang C (non comptabilisées), pendant que d’autres cachent certaines hypothèses ou procédures de peur qu’on les leur vole. De telles pratiques sont avérées ou soupçonnées au point que de nombreuses revues scientifiques internationales et agences de financement aient ajouté dans leur formulaire une rubrique « conflit d’intérêt » : les auteurs peuvent y faire figurer une liste d’experts à qui le manuscrit ou le projet ne doit pas être confié.
Qu’en est-il alors de l’avancement des connaissances et de la réflexion dans la méfiance, la compétition pour les publications et les financements, la prévalence des écoles de pensée dominante ?

 

La résistance sera difficile, les nouveaux codes de mauvaise conduite sont déjà très bien installés.
Enfin, quelques mots encore pour les enseignants-chercheurs, qui refusent d’être évalués. Il faut savoir qu’ils sont déjà évalués par leurs pairs dans des commissions élues démocratiquement à chaque étape de leur carrière : promotions, habilitations à diriger, demande de délégation auprès d’organismes de recherches, acceptation dans un Master ou une école doctorale,  demande de financement de leurs projets de recherches. Et à chaque fois qu’ils soumettent un article dans une revue scientifique, ou une communication dans un congrès scientifique national ou international, sans oublier par 100 voire jusqu’à 1000 étudiants (200 ou 2000 yeux et oreilles) différents chaque semaine. Il faudrait vraiment être très fort pour tromper tout ce monde-là !

 

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Evaluer la recherche : 1- L’évaluation par les pairs ou par l’agence ?

Faut-il évaluer la recherche ?
Le contexte actuel voudrait qu’elle le soit, et même qu’elle le soit de façon rigoureuse. Il est incontestable que, dans la mesure où celle-ci procède des fonds public que les chercheurs doivent rendre compte.
Oui, certainement. Mais…
Et voici que se posent d’immenses problèmes.
On traitera rapidement des recherches plus ou moins appliquées ou utilitaires dont l’intérêt industriel ou social va de soi. Personne ne pourra contester qu’une meilleure connaissance de la psychologie de l’enfant permettra d’améliorer les méthodes éducatives et pédagogiques. Il en sera de même pour la recherche pétrolière et, à l’opposé, tout ce qui touche à la protection de l’environnement. Personne ne mettra en cause la recherche médicale.
Oui, certainement. Mais…
Qu’en est-il de la recherche fondamentale ? Celle qui, apparemment ne sert à rien. Et qui, peut-être ne sert vraiment à rien. Et qui, peut-être, a contrario, ouvrira des perspectives gigantesques. L’histoire des sciences est pleine d’exemple de chercheurs originaux ou décalés qui ont eu toutes les peines du monde à convaincre.
Qui aurait pu évaluer les recherches des époux Curie ? Les recherches de Pasteur ? Les travaux de Freud ? Lesquels découlaient, il faut s’en souvenir, des expériences d’un original nommé Charcot qui travaillait sur l’hypnose. Qui aurait pu évaluer Charcot ? Toutes les disciplines ont leur chien galeux qui s’est un jour révélé apporteur d’hypothèses géniales.
Car les hommes sont ce qu’ils sont. Il y a des écoles de pensée. Il y a des pensées qui dérangent. Il y a des dérangements qu’on ne peut accepter. On peut même prévoir que l’hypothèse géniale a moins de chance de naître et/ou d’être reconnue dans l’univers scientifique dominant, forcément réductionniste, que dans le décalage par essence un peu saltimbanque.
Et puis il arrive que l’hypothèse « géniale » se révèle fausse. Mais on ne le saura que parce qu’on aura pris la peine de tenter de la vérifier. Perdu ! Il y a des fois où cela ne marche pas et on ne publie pas. Et sera-t-on déshonoré pour avoir imaginé une hypothèse non vérifiée ? Car c’est ainsi que fonctionne le travail scientifique.
Et puis il y a les autres recherches qui ne servent à rien. Quid des pièces de monnaie enlisées dans le limon du Nil ? Les astronomes qui cherchent des trous noirs peuvent intéresser l’humanité puisqu’ils essaient de nous expliquer l’origine de l’univers. Mais les pièces de monnaie du Nil ? Qui cela intéresse-t-il vraiment, à part quelques frénétiques passionnés. Et tous ces historiens, déchiffreurs de grimoires ? A part s’en inspirer pour un jeu télévisé ! Et pourtant, ces pièces de monnaie, ces grimoires médiévaux, sont autant de composants de notre civilisation, qui oublie assez souvent d’être civilisée.
Qui va évaluer les astronomes ? Des astronomes plus savants. Qui va évaluer les archéologues ? Des archéologues plus savants. Et plus on monte, moins il y a de chances de trouver un « plus savant ». Et qui va évaluer le plus savant de tous ? L’agence gouvernementale ?

L’histoire des sciences nous a appris qu’au final, elle ne se régulait pas si mal. La recherche est une histoire humaine, organisée par des humains, avec tout l’enthousiasme et toutes les faiblesses dont les humains peuvent être capables. Laissons donc les scientifiques chercher en paix, débattre, se disputer. Croire qu’ils sont indifférents à l’intérêt public et à l’argent public est une lourde erreur. On peut leur demander certains efforts. C’est évident. Mais il n’y a pas de quoi bouleverser et casser leurs structures de travail.

Le temps évalue les recherches. C’est le meilleur juge. Et ne faisons pas d’histoires pour quelques exemples qu’on peut très bien régler par des méthodes douces. Comme dans toute entreprise, il y a des moyens (primes, promotions, notoriété) pour valoriser ceux qui travaillent plus que d’autres.

Les recherches fondamentales, ne sont pas des actions boursières. Elles n’ont pas vocation à produire plus-values et dividendes.

 

 

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L’université qu’on nous promet: asservissement, inégalité et rivalité

Par Lomadono (http://psycho-descartes.over-blog.com/):
L’université que nous promet le gouvernement prône de nouvelles valeurs : Asservissement, inégalité et rivalité.
Voilà une excellente synthèse qui reflète merveilleusement le point de vue largement dominant des différents acteurs du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Cette réforme de nos institutions (au sens plus large car l’enseignement supérieur et la recherche ne sont pas, loin s’en faut, les seuls concernés) m’inspire 3 sentiments : asservissement, inégalité et rivalité.
Asservissement de notre pensée, asservissement à une rentabilité chiffrable en euros, asservissement à une économie de marché, comme si le savoir pouvait être réduit à une marchandise. Asservissement de notre pensée qui engendrera tout sauf la Découverte et l’évolution de nos connaissances.
Inégalité à tous les niveaux : entre les universités, entre les différentes composantes des universités et entre les personnels de ces différentes composantes (quel qu’en soit le corps), entre les doctorants. Inégalité en conséquence entre les étudiants en terme d’encadrement, de formation, de suivi, de droit d’entrée, de reconnaissance de diplôme, d’avenir…
Rivalité à tous les niveaux de l’université. Rivalité à cause de la modulation des services (en viendra-t-on à se dénoncer les uns les autres pour obtenir les faveurs de la présidence ?), rivalité à cause d’une répartition arbitraire des budgets, rivalité dans la recherche qui divisera nos forces, rivalité pour obtenir une prime, rivalité à terme pour avoir un stylo pour continuer à écrire un peu…
Sans doute trouverez-vous ma vision pessimiste mais je crains qu’elle ne soit le reflet de la réalité qui s’annonce. Certes notre monde actuel n’est pas un parfait modèle de liberté, d’égalité et de fraternité, mais ces 3 valeurs ne sont que davantage mises à mal dans l’idéologie que cherche à nous imposer le gouvernement. Personnellement je ne veux pas de cet avenir pour mes enfants, et vous ?

Révocation d’Eric Besson

 

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– Pour avoir dit un truc con: « je suis dans l’avion, on me propose d’aller dans le cokpit ». Il a oublié l’existence des pilotes automatarkosistes.

– Et surtout:pour avoir retourné sa veste.

– Et surtout, surtout pour se préparer à expulser sans contrainte.

Il faut être bien sale pour avoir si peu d’amour propre.

 

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