Evaluer la recherche : 2- L’évaluation par les pairs ou par la « bibliométrie » ?

Evaluer la recherche : 2- L’évaluation par les pairs ou par la « bibliométrie » ?

Désormais des évaluations supplémentaires sont demandées à une instance ad hoc : l’Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur. Mais concernent-elles vraiment la recherche ? Sont-elles  centrées sur la qualité de la découverte  ? Doivent-elles nécessairement et exclusivement conduire à des brevets sources de profits ?
Rien n’est moins sûr…Difficile de prédire sans aucun recul quelles seront les trouvailles les plus fructueuses.
Ces évaluations s’intéressent  essentiellement au classement de la France dans les  différents « Hit Parades » des universités (classement de Shangaï, par exemple). Elles sont fondées sur des critères « bibliométriques ». Il s’agit du nombre de publications et du nombre de citations de ces publications dans des revues à haut « impact factor », qui concernent quasi uniquement des revues anglophones considérées dans les bases de données internationales (ISI Web of Knowledge, Harzing Publish or Perish, PubMed..).
Ce qui compte, ce sont les articles comptabilisés. Le NOMBRE d’articles ! Ainsi, pour la carrière d’un enseignant-chercheur vaut-il mieux 100 petits articles en langue anglaise, à partir de travaux qui confirment ou développent des résultats déjà connus et/ou sur des problématiques rapides, qu’une petite dizaine bien étoffées sur des thèmes chronophages, innovants ou risqués.
Et les évaluateurs ne peuvent pas lire en détail. C’est plus rapide de compter. Et, bien qu’experts, ils n’ont souvent qu’une très idée très relative de la particularité de la thématique de chacun. Et puis… eux aussi doivent aller vite : ils doivent publier ! Sans compter qu’ils peuvent être juges et partie dans la compétition pour des financements.

 

Les « bibliométriciens » comptent alors que ces méthodes ont fait l’objet de plusieurs dizaines d’articles pour les dénoncer, même dans des revues internationales comme  « Nature » ou « Current Biology » réputées pour leur sérieux.
Veut-on être classé dans la compétition ? Toutes les dérives sont permises, sont encouragées. Personne n’est dupe, sauf les jeunes qui apprennent… très vite le mode d’emploi. On divisera un bon article complet pour en faire une série, comme à la télévision. On publiera les mêmes résultats sous des emballages différents de façon à convenir à différents types de revues (version courte, version allongée, version fondamentale, version pour les applications, version pour les médecins, version pour les biologistes…). Dans la publication on citera autant que possible les articles déjà parus dans cette revue, cela augmentera l’impact factor de la revue, et du même coup celui de l’auteur ! On n’oubliera pas de citer les évaluateurs potentiels et les collègues et amis, qui vous citerons en retour, voire même leur demander d’être co-auteurs. S’ils renvoient l’ascenseur, on doublera la mise (le nombre de publications).
Souvent moyennement intéressantes ou redondantes, nombre de publications sont comptabilisées mais jamais lues ! A quoi bon ? Certaines sont stériles (car les résultats ne sont pas reproductibles), voire même trafiquées et font perdre un temps considérable.
Des passionnés font de la recherche longue et innovante. Certains, ayant trouvé quelque chose de nouveau, préfèrent publier dans des revues dites de rang C (non comptabilisées), pendant que d’autres cachent certaines hypothèses ou procédures de peur qu’on les leur vole. De telles pratiques sont avérées ou soupçonnées au point que de nombreuses revues scientifiques internationales et agences de financement aient ajouté dans leur formulaire une rubrique « conflit d’intérêt » : les auteurs peuvent y faire figurer une liste d’experts à qui le manuscrit ou le projet ne doit pas être confié.
Qu’en est-il alors de l’avancement des connaissances et de la réflexion dans la méfiance, la compétition pour les publications et les financements, la prévalence des écoles de pensée dominante ?

 

La résistance sera difficile, les nouveaux codes de mauvaise conduite sont déjà très bien installés.
Enfin, quelques mots encore pour les enseignants-chercheurs, qui refusent d’être évalués. Il faut savoir qu’ils sont déjà évalués par leurs pairs dans des commissions élues démocratiquement à chaque étape de leur carrière : promotions, habilitations à diriger, demande de délégation auprès d’organismes de recherches, acceptation dans un Master ou une école doctorale,  demande de financement de leurs projets de recherches. Et à chaque fois qu’ils soumettent un article dans une revue scientifique, ou une communication dans un congrès scientifique national ou international, sans oublier par 100 voire jusqu’à 1000 étudiants (200 ou 2000 yeux et oreilles) différents chaque semaine. Il faudrait vraiment être très fort pour tromper tout ce monde-là !

 

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Bakounine