Université : Pourquoi Valérie Pécresse (et d’autres) ne comprennent rien

Université : Pourquoi Valérie Pécresse (et d’autres) ne comprennent rien

Valérie Pécresse sort d’H.E.C. On y apprend plein de choses « enrichissantes ». Mais ce n’est pas un grand institut de recherche.
Elle a donc développé, dans sa ligne, une conception « commerciale » : la recherche est destinée à obtenir des brevets. Et à faire des affaires.

L’université s’est développée depuis des siècles autour d’un statut d’indépendance scientifique : les « franchises » universitaires qui garantissaient la liberté de penser, d’imaginer et de critiquer. Ce que les régimes totalitaires n’aiment guère. Ces régimes-là veulent qu’on pense dans le sens qu’ils indiquent. C’est bien sûr. Il fut un temps béni où la police n’entrait pas à la Sorbonne. La France a bien changé !
Mais les universitaires ne s’intéressent guère à la pensée « guidée ». Les universitaires recherchent la connaissance. La vraie. Pas celle des gourous. Celle qui est vérifiable ! Qu’elle soit agréable ou non à entendre. Qu’elle soit utile aujourd’hui, ou seulement demain. Ou dans cent ou mille ans. Car la connaissance n’est jamais inutile. C’est elle qui depuis les origines de l’humanité a fait le progrès.
Le progrès est « scientifique » (du verbe « savoir »).
Le progrès, c’est aussi, paradoxalement mieux connaître le passé de l’humanité.
Le progrès, ce n’est pas que seulement mettre des hommes sur la lune.
Le progrès, ce n’est pas que guérir certaines maladies.
Il y a d’ailleurs des progrès qui n’en sont pas, ceux qui font produire avec de bons brevets de bonnes armes de destruction massives.
Le progrès c’est tout ce qu’on découvre aujourd’hui et qu’on ne savait pas hier.
Les universitaires sont des hommes et des femmes de progrès, très souvent désintéressés qui ont le goût ou la passion d’un petit coin de connaissance. Ils savent bien que cela servira un jour. Mais ils ne savent pas quand. Ils savent aussi qu’il est aussi important de savoir ce qu’on ne sait pas ou qu’on ne sait pas encore. Ils n’ont pas honte de leurs ignorances. Ils ne les cachent pas. Ils les cultivent pour les vaincre.

Il y a aussi une autre chose qui énerve certains potentats : le principe de collégialité. Depuis des siècles, les universitaires se gouvernent entre eux. C’est vrai, cela peut sembler bizarre. Mais qui évaluera la recherche des astronomes, des physiciens, des médecins, des psychologues, des historiens, des exégètes de la Princesse de Clèves, sinon les autres astronomes, physiciens, médecins, psychologues, historiens, exégètes ? Ce n’est pas Madame Pécresse qui n’y connaît rien.
Évidemment, le principe de collégialité a ses défauts. Mais le moyen de faire autrement ? Les jeunes chercheurs sont aidés et évalués par des chercheurs plus anciens. Alors il y a des écoles de pensée, qu’on critique, à juste titre. C’est vrai qu’elle est parfois pesante, la pensée dominante. Mais il arrive toujours que d’autres esprits viennent lui tailler des croupières et orienter les recherches vers d’autres voies (« et pourtant, elle tourne »).
On finit bien par leur donner la parole, parce qu’on n’est pas si dogmatique qu’on croit. Et parfois ils surprennent. Au début. Au début seulement. Et c’est ainsi qu’apparaissent les grands précurseurs.
Mais est-ce en étant ministre ou Président qu’on devient un grand précurseur ?

Aujourd’hui, on voudrait qu’un certain mode d’organisation politique, économique et social pilote la recherche. Un modèle mondial qui vient de s’effondrer misérablement entraînant dans son sillage des millions d’hommes et de femmes dans la pauvreté… Parce qu’il était aux mains d’une poignée d’ignorants, dont un grand nombre sortis des grandes écoles commerciales du monde entier.

Madame Pécresse et Monsieur Sarkozy s’énervent inutilement, parce que les universitaires, enseignants et chercheurs, ne trouvent pas ou ne courent pas forcément après les brevets qu’on peut convertir en euros à court terme. Ils n’ont rien en commun. Les universitaires regardent plus loin.
Ils regardent l’avenir de la science, l’avenir du monde et l’avenir de l’humanité.
Et en plus, ils ont l’audace d’enseigner cela.
On comprend que les régimes autoritaires ne les aiment pas.

Bakounine

5 commentaires

Pierre M Publié le18h41 - 7 février 2009

Amusant, mais réducteur:

1 tout d’abord il n’a pas dit « et pourtant elle tourne », mais « et pourtant elle bougera », en parlant de l’Eglise et de son dogme,

2 ensuite le principe de collégialité conduit les universités françaises à la médiocrité collective, parce qu’il n’y a plus de responsable, que les thésards sont abandonnés sans être autonomes, et que du coup souvent leur travail -immense- devient inutile -pas utile dans 1000 ans, non, juste inutile. Les directeurs de recherche sont ailleurs, en colloque, en bibliothèque ou au fond de leur lit, ils passent plus de temps à écrire sur leur blog qu’à faire des bibliographies. Et quand en plus on menace leur sacro-saint statut, ils s’arrêtent carrément de travailler pendant plusieurs semaines. Mais continuent a être payer, bien sûr.

3 et puis a propose d’enseignement de l’ignorance, je suis désolé de retrouver au sein de l’université française plus de mauvais enseignants de leur petite connaissance hyperspécialisée que de grands enseignants de leur ignorance avouée. Problème de recrutement des enseignants, uniquement cooptés, hors d’atteinte de toute critique estudiantine?

4 enfin le pouvoir politique n’est pas totalitaire, il est démocratiquement élu, et, qu’on soit pour ou contre, il représente des millions de citoyens qui en ont assez de payer (des impôts) pour pouvoir envoyer leurs enfants dans des facultés poubelles (les nôtres), qui ne dispensent que des diplômes-détritus. Combien de chômeurs dans vos 5 dernières promotions, Mr D. ? comment, vous ne le savez pas? vous pensez donc que la faculté est un aimable passe temps, au lieu d’être un lieu de savoir indispensable à l’épanouissement d’une société?

5 nouveauté: les étudiants partent, quittent leur ville, économisent et vont étudier ailleurs, en angleterre, italie, allemagne, canada… certains intellectuels de gauche prennent cela comme une ouverture d’esprit, quand ce n’est que l’aveux cinglant de l’échec d’un système. combien d’expatriation faudra-t-il pour que vous compreniez que vous menez la faculté française à sa perte?

florent Publié le22h21 - 8 février 2009

Je découvre votre blog et je sens que je vais y passer du temps… 😉
Merci pour cet article.

Gaveroche Publié le16h55 - 11 février 2009

Je souhaitais revenir sur le point 4 de Monsieur Pierre M. :

«Enfin le pouvoir politique n’est pas totalitaire, il est démocratiquement élu, et, qu’on soit pour ou contre, il représente des millions de citoyens qui en ont assez de payer (des impôts) pour pouvoir envoyer leurs enfants dans des facultés poubelles (les nôtres), qui ne dispensent que des diplômes-détritus.

Ce n’est pas parce que l’on a été démocratiquement élu que l’on n’est pas totalitaire il y a quelques précédents qui ne représentent pas la majorité des cas, un peu comme les étudiants qui partent à l’étranger car l’enseignement français serait mauvais.

Je pense que vous avez raison quand vous dites qu’il y a des parents qui en ont assez de voir se dégrader l’université. Il y a au moins une raison à cela : les conditions d’accueil, quant il faut prendre des notes dans un escalier c’est pas terrible.

Et puis lorsque vous parlez de diplôme détritus associé au paiement de l’impôt, cela pourrait être assimilé à un retour sur investissement. Mais le retour sur investissement c’est pour qui la société, l’étudiant, le contribuable ? Car je crains qu’un étudiant n’ait pas les mêmes objectifs qu’un gouvernement élu pour quelques années.

Et puis vous savez les diplômes poubelles comme vous dîtes cela a un avantage, lorsqu étudiant est à la faculté, il n’est pas au chômage, politiquement cela peut être utile…

Gaveroche Publié le16h55 - 11 février 2009

D’incompréhensions en incompréhensions.

Le fonctionnement des universités est un sujet complexe à appréhender. Le rôle des enseignants l’est tout autant. Si l’ignorance favorise les lieux communs et les inepties de tous ordres, elle donne pourtant à celui qui en fait usage un sentiment d’avoir compris le sujet puisqu’il n’en perçois pas tout le périmètre.

La volonté du gouvernement réside dans le pragmatisme résumant la problématique à un souci de comptabilité nationale. De ce point de vue, l’Etat identifie ses charges et ses produits et décide d’agir dans le sens de la rentabilité. Hors la rentabilité dogmatique, qui serait de définir les grandes règles pour toute l’Université, comporte deux difficultés. La première c’est qui faut trouver le dogme et la seconde c’est que l’on en est responsable au moins politiquement.

Une autre approche consiste à bénéficier des effets liés à la concurrence. La concurrence agit favorablement sur le compte de résultat à court terme, ce qui correspond aux échéances politiques du gouvernement. Pour qu’il y ait concurrence, il faut des acteurs clés, les Présidents d’Universités. La mise en concurrence favorisera dans un premier temps la réallocation des ressources et par conséquent plus d’heures de cours pour certains enseignants chercheur, c’est-à-dire ceux dont la rentabilité est floue. La notion de retour sur investissement prenant le pas sur la notion d’investissement tout court. Bien entendu, on peut considérer que les Présidents d’Universités ne vont pas avoir qu’une vision de rentabilité des investissements. Toutefois cela représentera une contrainte, et ils seront nécessairement évalués sur ces critères par l’exécutif.

A la limite, je pourrais comprendre cette position, si elle était accompagnée de dispositions afin de mieux valoriser le travail de recherche ce qui irait dans le sens de la rentabilité. Il est par exemple nécessaire de protéger les travaux de recherche, par le biais de brevets ou tout autre moyen qui assure le paiement de royalties en cas d’exploitation future.

Bien entendu, la recherche fondamentale a pour rôle d’apporter de la connaissance et de nous permettre d’appréhender un sujet en ayant la vue la plus exhaustive de la difficulté. Elle favorise aussi la décomposition du problème en éléments simples et unitaires comme l’expliquait Descartes il y a quelques temps déjà. La recherche fondamentale n’a donc que très peu de déboucher immédiats et pose un problème d’étique vis-à-vis de l’Humanité si elle n’est pas communiquée à l’ensemble la communauté scientifiques. De fait certains pays jouent des jeux non coopératifs en réutilisant le travail des autres sans communiquer le leur.

Est-ce à dire que la recherche fondamentale n’apporte rien à un Etat ? Bien au contraire car le déboucher de la recherche fondamentale c’est naturellement l’enseignement. En effet un pays à tout intérêt à ce que ses étudiants puisse bénéficier de cursus qui vous permettent, si ce n’est d’utiliser, au moins de comprendre les dernières découvertes de la recherche fondamentale. C’est sans doute le meilleur moyen de transmettre le savoir aux générations futures. Revers de la médaille, il est impossible de mesurer quantitativement ce gain et il est naturellement situé à une échéance qui n’a rien à voir avec celle d’un politicien. Toutefois, on peut considérer, pour cette raison, que la recherche fondamentale contribue à une partie du PIB Français. Pour illustrer ce propos, souvenons nous que nos pays voisins sont entrés en récessions fin 2008 et que pour quelques pouillièmes de pourcents la France ne l’a pas été, allez savoir si ce n’est pas du à la recherche fondamentale et son enseignement dispensé il y a dix ans !

La recherche fondamentale est par conséquent un investissement permettant de générer du PIB à horizon 5 à 10ans sous réserve d’un enseignement associé permettant de la valoriser. De fait le métier de l’enseignant chercheur prend tout son sens.

Cette conclusion n’est naturellement pas partagée par le gouvernement et on peut s’interroger sur sa capacité a appréhender cette vision long terme. A défaut on comprend sa position qui s’inscrit dans l’augmentation de la productivité qui elle-même induit naturellement la spécialisation et donc le détachement de la dualité enseignant chercheur. C’est ce même gouvernement, conscient des risques liés à la spécialisation, qui veut mettre en place la flexibilité du travail en incluant des sessions de formation tout au long du parcours professionnel.

On ne peut pas douter que le gouvernement ait conscience que la spécialisation au sein de l’Université associé à la mise en concurrence provoquera des gains de productivité à court terme et une réduction des charges, tout en sachant que, cette politique n’est qu’une conversion actuelle d’un PIB futur et quelle nécessitera la mise en place de formations des enseignants à la recherche fondamentale à l’extinction des générations d’enseignements chercheurs.

C’est la raison pour laquelle je soutiens tous ceux qui partagent ce point de vue même si je ne suis pas enseignant chercheur. C’est une raison fondamentale et qui suffit à elle seule de ne pas transiger. Toutefois, elle prouve aussi que la qualité de notre recherche et de notre enseignement est un capital pour les générations futures. Il est par conséquent nécessaire de l’adapter aux conditions d’aujourd’hui et une réforme de l’Université s’impose mais il serait souhaitable quelle soit accompagné par les enseignants eux mêmes.

Il est extrêmement difficile d’expliquer que ce projet aura sans doute plus d’impacts sur notre société future que sur les intérêts particuliers des enseignants chercheurs. Il est donc aisé de faire les écrans de fumés nécessaires qui occultent une autre réalité. Souvent ils sont exposés par l’emploi d’exemples qui pourraient se résumer à des exceptions. D’autres fois ils prennent l’apparence d’un bilan, exposant parfois des origines politiques et se réjouissent que les choses changes sans se rendre compte qu’une nouvelle fois on agit pour les mêmes raisons que précédemment, de la même manière, avec les mêmes objectifs politiques.

Les enseignants chercheurs doivent nécessairement partager un message clair et éviter toute digression. Vous savez être pédagogues, mais serez vous capable d’être unis en ayant un message commun?

gavroche Publié le17h20 - 18 février 2009

Comme quoi certains arrive à créer des interactions débouchant sur une valorisation des siences fondamentales

http://judson.blogs.nytimes.com/2009/02/17/the-absurdly-artificial-divide-between-pure-and-applied-research/