Archive dans 12 mars 2008

Mai 1968 : 8 – Avant le 10 mai

[Mai 1968: commencer au début]

Je garde de la semaine du 4 au 10 mai, des souvenirs parcellaires, tiraillé que j’étais entre mes obligations liées à ma paternité et mon désir de suivre de plus près, sinon de participer aux évènements.

liberez.1205356483.jpgJe crois me souvenir que c’est à la suite et à cause des évènements du 3 mai que le mouvement s’amplifia. La fermeture policière de la Sorbonne était choquante. Ce n’était pas qu’un simple prétexte. L’entrée des forces dites « de l’ordre » dans le coeur des franchises universitaires était vécu comme une profanation. L’autorité ne s’en est pas rendu compte. Pour nous, la police n’était JAMAIS entrée dans la Sorbonne (les historiens me donneront sans doute tort) et cette état de fait était vécu comme la liberté absolue du savoir et de la science sur la basse politique. Cet évènement choquant a contribué au rapprochement des étudiants venant d’horizons très éloignés.

Pourtant, depuis des mois, les agités perturbaient le fonctionnement de l’année universitaire. Plus ou moins selon les universités ou selon les disciplines. Mais le trouble était là. Les fauteurs de désordre n’étaient pas vraiment populaires. Ils troublaient, par leur discours extrémiste et par leur tenue vestimentaire volontiers mal soignée, les élèves de l’université qu’ils qualifiaient de « bourgeoise », ce en quoi ils n’avaient pas complètement tort. N’oublions pas ce qu’était la population étudiante dans ces années-là: les enfants d’ouvriers en étaient pratiquement exclus. Des filtres puissants sélectionnaient bien en avant. Moins le baccalauréat, d’ailleurs, que le B.E.P.C. qui marquait pour beaucoup la fin du programme proprement scolaire. Mais comme il y avait peu de chômage, les tensions étaient moins visibles qu’on pourrait le croire de nos jours. Ceci ne veut pas dire qu’elles n’existaient pas. La vie des ouvriers n’était pas facile, mais il y avait du travail. Quant à celle des travailleurs immigrés, notamment maghrébins, n’en parlons pas. Mais ces derniers restaient naturellement silencieux.

La majorité des étudiants n’avait donc pas grande estime pour ces groupes difficiles à classer puisqu’ils n’entraient pas les cadres classiques, notamment du Parti Communiste.

 » Les groupuscules gauchistes s’agitent dans tous les milieux. ” (…) Ces faux révolutionnaires (…) suivent les intérêts du pouvoir gaulliste et des grands monopoles capitalistes. Il s’agit, en général, de fils de grands bourgeois méprisants à l’égard des étudiants d’origine ouvrière.  » (Georges Marchais, L’Humanité, 3 mai 1968).

Ils étaient, de plus,souvent agressifs et très irrespectueux des usages, voire agressifs entre eux. Peu à peu, nous découvrions qu’ils étaient totalement hostile à l’organisation de l’Université et de la société. Je voudrais citer, pour l’exemple, un tract du 4 mai, signé du Mouvement du 22 Mars, dont j’ai trouvé le texte sur Internet et qui rend bien compte de cette position:

« Les journaux parlent des « enragés » d’une jeunesse dorée qui tromperait son oisiveté en se livrant à la violence, au vandalisme.
Non! Nous nous battons (des blessés, des emprisonnés, 527 arrestations, le conseil de discipline pour six camarades, des menaces d’extraditions, des amendes) parce que nous refusons de devenir des professeurs au service de la sélection dans l’enseignement dont les enfants de la classe ouvrière font les frais; des sociologues fabricants de slogans pour les campagnes électorales gouvernementales; des psychologues chargés de faire « fonctionner » les « équipes de travailleurs » selon les intérêts des patrons; des scientifiques dont le travail de recherche sera utilisé selon les intérêts exclusifs de l’économie de profit.
Nous refusons cet avenir de « chiens de garde », nous refusons les cours qui apprennent à le devenir.
Nous refusons les examens et les titres qui récompensent ceux qui ont accepté d’entrer dans le système.
Nous refusons d’être recrutés par ces « mafias ».
Nous refusons d’améliorer l’université bourgeoise.
Nous voulons la transformer radicalement afin que, désormais, elle forme des intellectuels qui luttent aux côtés des travailleurs et non contre eux
. »

C’est parfaitement clair… et particulièrement dur à avaler pour des jeunes comme moi qui, même s’ils partageaient et professaient des idées de gauche, n’imaginaient pas la possibilité dune transformation aussi radicale de la société qui, au demeurant, nous fournirait un certain niveau de vie. Et s’entendre dire que nous étions en train de poursuivre des études pour devenir les valets d’une organisation socio-politique, même si nous la combattions, voilà qui était une question audacieuse, mais gênante.

Je crois, pour ce qui me concerne, que cette prise de conscience s’est cristallisée entre le 3 et le 10 mai, en voyant que peu à peu, le mouvement s’amplifait et débordait dans des couches de la population étudiante de plus en plus larges. S’il est vrai que je n’avais aucune envie, comme la majorité, de combattre les CRS en face à face, je me mis, comme beaucoup d’autres, à écouter ce qui se disait dans des réunions qui commençaient à fleurir. De toute façon, vu mon âge, j’avais de grandes difficultés à pouvoir atteindre mon bureau dans la Sorbonne. Mais, je pouvais passer une partie de mon temps libre à l’annexe Censier.

cohn_bendit_1.1205356744.jpgMes journées étaient très pleines. Quoique distendu, je devais assurer mon temps de travail à l’I.P.N.. Mais le reste du temps était libre. Je me souviens, je crois que c’était le 9 mai,Place de la Sorbonne, à l’extérieur, puisque l’édifice était fermé, d’un grand meeting très chaleureux dans l’après-midi. Mais les soirées tournaient mal et j’étais animé de senstiments contraires. Je n’étais nullement tenté d’aller lancer le pavé, mais tout de même, ce qu’on commençait à savoir de la brutale répression policière était très mobilisateur. Heureusement, je n’avais pas à choisir, devant me rendre le soir auprès de mon fils et de sa mère qui piaffait d’impatience de ne pouvoir participer physiquement aux évènements.

Pendant ce temps-là, le pouvoir semblait sourd.

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Mai 1968 : 7 – Les 2 et 3 mai

[Mai 1968: commencer au début]

En 1968, je n’étais plus complètement étudiant. J’avais obtenu ma Licence en Psychologie en Juin de l’année précédente. J’étais inscrit en première année de Doctorat de 3ème Cycle. Mais j’étais marié et j’avais deux emplois. Pour un mi-temps j’étais embauché en raison de mes compétences en méthodologie et en statistique au Service de la Recherche de ce qui s’appelait à l’époque l’Institut Pédagogique National (devenu ensuite I.N.R.D.P.). Sous la houlette d’un titulaire, j’étais chargé de la préparation méthodologique et du traitement des données de quelques recherches. Par ailleurs, j’étais engagé pour diriger des travaux pratiques de Psychologie de l’Enfant dans le cadre d’un certificat de la Licence en Psychologie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris. J’avais donc aussi une petite base dans un laboratoire au quatrième étage de la Sorbonne, à l’angle de la rue des Écoles et de la rue Saint Jacques.

Quelques jours avant le 2 mai, nous avions provisoirement déménagé, ma femme et moi, dans l’appartement de mes beaux parents dans le 9ème arrondissement de Paris. Là, nous étions plus proches de la clinique d’accouchement où devait incessament naître mon fils. Le 2 mai, vers 16 heures, apparurent les signes annonciateurs. La future maman alla donc s’installer dans une chambre à la clinique. En fin de soirée, le personnel me congédia, en me disant que l’évènement n’arriverait probablement que le lendemain matin.

Le matin du 3 mai, je revins donc au petit matin, et au bout de quelques heures, l’heureux évènement se produisit. A partir de ce moment mon emploi du temps devint tendu: aller à l’état civil déclarer la naissance, déjeuner sur le pouce et me rendre dans une école, rue St Benoît dans le 6ème, près de St Germain des Prés. En effet, nos T.P. avaient lieu dans les écoles en présence et avec des enfants.

pave.1205279918.gifQuand j’en sortis 3 heures plus tard et prenant le Boulevard St Germain, je compris qu’il s’était passé des choses et qu’il s’en passait encore. Si je m’en souviens bien, il y avait peu de circulation automobile. Je revois aussi des grilles de pieds d’arbres sorties de leur position normale. Des débris sur la chaussée et sur les trottoirs. J’aurais bien poussé jusqu’aux carrefours St Michel – St Germain ou de l’Odéon, où, vu de loin, il semblait qu’il se passait quelque chose. Mais pressé par mes obligations de jeune père, à regret, je rentrai au plus vite par le métro. Ce n’est que bien plus tard, par la radio et par la télévision que j’appris ce qui s’était passé.

Le 3 mai, j’ai donc vu naître mon fils. Mais je n’ai pas vu naître les « évènements ».

On savait bien qu’il y avait de l’orage dans l’air. Depuis quelques semaines, la radio nous tenait au courant de la situation à Nanterre qui prenait parfois une coloration légèrement insurrectionnelle. Nos enseignements à la Sorbonne et à Censier n’étaient pas interrompus. Cependant, souvent, au début des cours, quelque chevelu demandait une prise de parole. On ne refusait jamais pour autant que ce soit relativement bref. S’ensuivait généralement une harangue pour tenter de mobiliser par solidarité avec Nanterre. Mais cela ne mordait pas vraiment.

Les autorité commirent plusieurs erreurs stratégiques. Fermer Nanterre ce qui provoqua l’occupation de la Sorbonne. Puis vider, à son tour, la Sorbonne, ce qui transporta l’agitation dans la rue. Pour la première fois, la police violait la Sorbonne avec ses gros godillots. Et comme cette évacuation se passa sans ménagements avec plusieurs centaines d’arrestation, on trouva là une autre raison légitime de protester. Le 3 mai, les premières barricades s’élevèrent. Paris n’avait pas vu cela depuis sa libération en 1944.

Quand j’appris ce qui s’était passé, ce fut un ravissement.

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Mai 1968 : 6 – Préludes et prolégomènes

[Mai 1968: commencer au début]

Il y eut un moment, probablement vers la fin des années cinquante ou au début des années soixante, où il devint évident, pour les pouvoirs publics, qu’il fallait construire des Facultés. Ce qu’on a oublié, c’est que l’Enseignement Supérieur, à Paris, n’était dispensé que dans trois ou quatre sites. Le droit se trouvait à la Faculté de Droit, en haut de la rue Soufflot, face au Panthéon. On étudiait la Médecine à la Faculté de Médecine, rue de l’Ecole de Médecine, près du Carrefour de l’Odéon et la Pharmacie à la Faculté de Pharmacie près du Carrefour de Port Royal. Enfin, les Lettres et Sciences se trouvaient à la Sorbonne. Tous ces locaux étaient, naturellement trop exigues pour la fréquentation. L’administration usait de divers expédients. En plus de la Sorbonne, j’ai, personnellement, à partir de 1961, suivi des cours à l’Institut d’Océanographie, au Conservatoire des Arts et Métiers et à l’Hotel des Sociétés Savantes qui deviendra l’Institut de Psychologie.

Les pouvoirs publics ont mené une campagne de construction. La nouvelle Faculté des Sciences, le long de la Seine, Quai St Bernard, première occupation de l’ancienne Halle aux Vins. L’expropriation ne se faisait pas sans résistances. Je me souviens d’une inscription sur les murs: « L’élite ou les litres »… Il y a eu la nouvelle Faculté de Droit, rue d’Assas, base logistique des groupes d’extrème droite, façon G.U.D…. Il y a eu aussi le Centre Censier destiné à recevoir le trop plein des étudiants en Lettres de la Sorbonne.

En même temps, naissaient des projets de Campus hors des murs de la grande ville. Il y eut Orsay…. Et, il y eut Nanterre.

La Faculté de Nanterre était destinée à recevoir une partie des étudiants en Lettres et Sciences Humaines comme en Droit et Sciences Économiques. Et si, en comparaison, l’expatriation des étudiants scientifiques vers Orsay se passa bien, il n’en fut pas de même vers Nanterre.

 

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Les causes des incidents de sont multiples et chacun a sa thèse. Je ne voudrais pas en ajouter une autre, car j’ignore comment comment tous les facteurs s’imbriquèrent les uns les autres. Vu du point de vue de l’étudiant de la Sorbonne que j’étais alors, je ferai cependant quelques observations. A la Sorbonne, nous n’étions guère retenus dans les locaux. D’abord parce qu’il n’y avait aucun endroit pour se mettre en dehors des cours, sauf les locaux des syndicats étudiants. Donc, nous fréquentions beaucoup les cafés, voire les cinémas, voire, quand le temps le permettait, les jardins publics comme celui qui jouxte le Palais de Cluny ou le Jardin du Luxembourg. Nous étions très dispersés géographiquement. A Nanterre, rien de ce genre. Un immense hall. Et dehors, le bidonville avec, m’a-t-on dit, un ou deux cafés maures. Donc les étudiants « ordinaires », j’entends ceux qui n’étaient pas forcément engagés, restaient sur le site et fréquentaient ce hall ou la cafétéria ce qui donne un nombre de lieux de vie assez limité. Étant là, ils devenaient, naturellement plus accessibles à toutes sortes de mobilisations.

Il y avait aussi la Résidence Universitaire. Comme dans toutes les résidences de l’époque, il y avait un bâtiment des filles et un bâtiment des garçons. La nuit, tout cela vivait dans sa zone. Il y eut des incidents dont au moins un viol. L’administration prit donc la décision d’interdire l’accès du bâtiment des jeunes filles aux garçons (mais pas le contraire). Ce qui provoqua des incidents au nom de la liberté sexuelle et du droit d’aller et venir à sa guise. A l’origine des troubles, des groupes ou groupuscules que les renseignements généraux ont certainement dû identifier précisément, mais qui pour nous, ne se présentaient que comme des extrémistes dangereux. Non pour leurs idées. Les idées n’ont jamais fait de mal à un étudiant. Mais leurs méthodes d’agression et de violence physique. Nous étions même étonnés qu’ils fussent étudiants.

J’ai connu Nanterre assez directement, puisque ma femme y était étudiante. On ne peut pas dire que l’ambiance y était parfaitement studieuse comme dans la dignité de la Sorbonne. Ce n’était, apparemment, pas dangereux pour autant, sauf pour les groupes ou groupuscules qui s’entre-combattaient. Mais il y avait toujours une dose d’effervescence. Nanterre était un chaudron en raison d’une implantation inadaptée dans un environnement désolant où fermentaient des esprits. Des esprits plus disponibles que des mathématiciens pour la fermentation: historiens, littéraires, philosophes, psychologues, sociologues. La guerre du Viet-Nam fournissait, pour une bonne part, une base de cette ébullition. S’y ajoutait la question de la liberté, notamment sexuelle. Revendication tout à fait en rapport avec le sentiment d’entrave au plaisir du régime politique et social de l’époque. D’autres raisons idéologiques relevant de la politique intérieure y contribuaient aussi: c’était le temps de la stigmatisation du pouvoir personnel de de Gaulle.

Tout ceci trouva une relative, très relative, organisation dans la création de ce qu’on a appelé Mouvement du 22 Mars. On décrit souvent ce mouvement comme libertaire ou anarchiste.

Contrairement à ce que pense le commun des mortels, l’anarchie de consiste pas à créer ou vouloir créer une immense désordre. L’anarchie qui a parfois comme slogan « Ni dieu, ni maître, ni état, ni patron » ne s’y limite pas. L’anarchie, c’est aussi une conception politique fondée sur la confiance en la capacité des citoyens à prendre en main l’organisation de leur vie politique et sociale dans des formes autogérées. Les délégations données à des représentants sont limitées et sous contrôle permanent des citoyens. Par définition, les anarchistes sont peu organisés, puisqu’ils ne peuvent se reconnaître dans une structure pyramidale et hiérarchique comme celle d’un parti. Pour éviter les confusions avec la signification populaire du mot, on utilise plus volontiers le terme « libertaire » qui est presque synonyme (voir par exemple l’article « libertaire  » de Wikipedia) et s’oppose à l’adjectif « libéral » du capitalisme.

De ce point de vue, il est probable que la philosophie personnelle de Daniel Cohn-Bendit pouvait être classée comme libertaire. Par contre, un certain nombre de membres du Mouvement du 22 Mars, naturellement composite, étaient par ailleurs plus ou moins engagés dans des groupes néo-marxiste ou pro-chinois ou trotskystes. Dans son organisation, le mouvement était libertaire puisque autogéré. Daniel Cohn-Bendit n’en était que le porte parole dans la mesure où il en était probablement le plus capable. mais il n’avait aucune autorité sur les membres.

A l’origine de tout: l’entrée pour la première fois dans l’histoire, au moins à ma connaissance, de la police dans un lieu universitaire pour expulser des garçons qui s’étaient introduits dans la résidence universitaire des filles. Il y eut aussi une position répressive de l’administration en vue de tenter d’exclure certains étudiants des cours (Cohn-Bendit était sur ces listes), car, naturellement, on ne peut être renvoyé d’une Faculté comme d’un lycée. Deux thèmes majeurs de revendication prirent donc corps: le rejet de la police des locaux universitaires et la liberté sexuelle. On y ajoute, naturellement le fond politico-syndical.

Si mes souvenirs sont excats, il se produisit, action comme une autre, une occupation de salle du conseil de la Faculté des Lettres qui n’était pas la première. Et d’autres incidents.Je dirai quand même, pour être honnête que ça « chauffait » bien. J’avoue que je ne souviens plus des revendications précises. Il me faut consulter des document pour me rappeler la convocation de divers étudiants (dont Cohn-Bendit) devant des Conseils de Discipline. Un incident aussi, à la Sorbonne où des groupes d’extrême droite saccagent un local de l’U.N.E.F.. On les attend aussi à Nanterre, mais ils ne viendront pas.

L’administration prend peur. Le 2 mai, elle décide la suspension des cours et la fermeture de la Faculté. En renvoyant les étudiants chez eux, elle espère évidemment la dispersion des sources d’agitation. Grave erreur de stratégie. Car, qu’à cela ne tienne, les étudiants s’en viennent aussitôt occuper la Sorbonne pour obtenir la satisfaction de leurs revendications.

Les « évènements » commenceront le vendredi 3 mai, date de la naissance de mon fils.

[Suite]

 

Infirmières bulgares : l’ambassadeur qui remet Sarkozy à sa place

pierini.1205071785.jpgDans un article paru aujourd’hui, Backchich publie un article de Maïté Labat intitulé « Infirmières bulgares : l’ambassadeur qui remet Sarkozy à sa place » . Cet article présente l’ouvrage de Marc Pierini, livre-témoignage, « Le Prix de la liberté. Libye, les coulisses d’une négociation », qui sort en librairie le 11 mars. « Marc Pierini, ancien chef de la délégation de la Commission européenne en Libye, raconte les vrais dessous de la libération des infirmières bulgares. L’enjeu, selon lui, était le retour de la Libye dans « le concert des nations » et son accès au nucléaire. »

Il est vérifié que, dans cette affaire, Nicolas Sarkozy n’est intervenu que tout à la fin du processus, au prix de très grands risques, en acceptant tout ou presque toutes les conditions lybiennes pour obtenir cette libération sans trop se préoccuper de la position des autre pays d’Europe.

Elections et démocratie: 10% d’électeurs flottants et pusillanimes

urne.1205020062.jpgVoilà une situation qui n’est pas sans m’inquiéter. Les changements de majorité, en France, reposent sur un petit pourcentage d’électeurs flottants. Et l’effet de leur changement de camp est démultiplié par le fait du scrutin majoritaire ou de la part importante qui lui est attribué. Voyez, dans les grandes villes, la liste qui l’emporte même sans majorité absolue, obtient de fait cette majorité absolue en sièges.

Posons maintenant quelques analyses. Il y a un fort pourcentage d’électeurs qui varient peu ou qui ne varient pas dans leurs choix. Ceux-là votent toujours à gauche ou toujours à droite. On dit même que le fond de commerce de la droite est un peu plus consistant que celui de la gauche, ce serait la raison pour laquelle la gauche gagne moins les présidentielles que la droite. Au jour d’aujourd’hui, un certain nombre d’électeurs qui avaient voté pour Sarkozy à la Présidentielle, vont voter à droite aux municipales comme aux cantonales. On peut faire ‘hypothèse que les raisons qui les poussent à faire ainsi, moins d’un an plus tard, sont à la fois le style de la Présidence et les promesses non tenues et qui ne semblent pas devoir l’être. En fait, ils votent pour ainsi pour montrer leur désillusion ou pour emmerdre. Ils ne votent pas pour la gauche, mais contre la droite. Ce sont donc des électeurs qui n’étaient pas enracinés à gauche et qui ont cru le candidat. Voilà qui est d’une grande naïveté, voire d’une certaine stupidité. Il ne fallait pas avoir effectué de longues études pour savoir que la situation économique ne permettait pas de tenir un grand nombre de promesses. Au passage, il est intéressant de remarquer que le reproche fait à Ségolène Royal de n’avoir pas de programme précis au moins sur les sujets « domestiques » comme le pouvoir d’achat, s’avère injustifié. Au contraire, sa prudence paraît de plus en plus légitime, car nul ne pouvait imaginer une évolution aussi significative du prix du pétrole et du cours de l’euro qui sont en train de plomber notre économie.

Voici dons que le rapport gauche/droite va s’inverser sous l’effet du vote des électeurs les moins convaincus et les plus superficiels. C’est la démocratie. Mais qu’est-ce que c’est difficile à supporter. On leur disait bien, à ces électeurs flottants, que presque tout ce que disait Sarkozy n’était que promesse sans fondement. On leur disait aussi que ce serait un Président inconstant, inconsistant et immature. On leur disait encore qu’il n’était mû que par son ambition personnelle même s’il jurait le contraire. Ils n’ont rien voulu entendre. Et au cause de cette surdité, il va falloir se taper ce Président-là pendant plus de quatre ans encore.

Et dire que la prochaine fois, ce sera pareil !

Municipales et les blogs des candidats: du caca mou

Décidément, les politiques sont tous les mêmes. Rue89 confirme une impression que j’avais: les commentaires des blogs des candidats sont « modérés ». En d’autres termes, ce n’est pas parce que vous avez posté un commentaire qu’il sera automatiquement affiché. On peut même dire que seuls les commentaires au moins un peu favorables seront mis en ligne.

Voilà bien les habitudes des candidats. Ils ne peuvent pas imaginer un vrai débat, contradictoire. Avec les risques que cela comporte, c’est certain. Mais vivre la démocratie, c’est vivre dans le risque permanent d’être contesté. Qu’à l’extrême rigueur, on expurge les commentaires injurieux. Et encore. Car l’injure sert rarement les intérêts de son auteur qu’on prendra vite pour ce qu’il est. Pour éviter le mélange, on pourrait même comprendre qu’on classe les commentaires en quelques catégories: dithyrambique, sympathique, critique, très critique, insultant ou ordurier. Et selon son humeur, l’internaute pourrait choisir de commencer par la catégorie de son choix.

Résultat de ces blogs convenus: fuite. J’avais moi-même décidé de ne plus m’y intéresser après l’élection présidentielle. Les deux-trois petits tours et puis je m’en vais de ces derniers jours m’on convaincu. Mesdames, messieurs les politiques, vous courrez droit à la palme des blogs les moins lus. Tant pis pour votre sale tronche. Vous avez encore des années de retard. En plus, quelle importance. On raconte que Jacques Chirac s’étant fait traiter de « connard », un jour au sortir de la messe, répondit quelque chose comme « enchanté, moi c’est Jacques Chirac ». Comme quoi.

On pourrait aussi imaginer des sites Internet du genre « Injuriez-moi », avec promesse de ne pas poursuivre devant un tribunal. Au fond, je pense que cela ferait beaucoup de bien au citoyens qui trouveraient ainsi un espace cathartique, et pour le coup voteraient pour le candidat magnanime.

Mai 1968 : 5 – Le poids du régime gaullien

[Mai 1968: commencer au début]

Les évènements de mai 1958 m’avaient beaucoup amusé. Comme j’étais, à l’époque, très partisan de l’Algérie Française, j’avais vu d’un très bon oeil des militaires s’opposer avec le concours enthousiaste de la population d’Alger à ce qui semblait bien être une politique d’abandon. Il était évident, même pour un gamin de 14 ans, que le gouvernement français ne faisait pas ce qu’il fallait. Personne n’était dupe des artifices de langage, façon « opérations de maintien de l’ordre ». On voyait bien que, depuis quatre ans, la France lâchait peu à peu du lest devant le F.L.N.. On savait bien qu’il y avait des combats. On savait bien qu’il y avait des tués. Et on commençait à se demander à quoi cela allait servir si c’était, au final, pour abandonner l’Algérie.

degaulle.1183309085.jpgOn a dit, après coup, que Massu et Salan avaient préparé un coup d’état. Je ne m’en étais pas rendu compte. Peut-être la longueur et le ton des émissions d’information à la radio m’avaient un peu fait dresser l’oreille. Mais, en vérité, je voyais l’affaire comme circonscrite à Alger, je ne pensais pas à des retombées en Métropole. Je voyais d’un bon oeil que s’installe en Algérie un pouvoir fort, décidé à mater la rébellion et à mettre en place l’Algérie Française. La venue du Général de Gaulle comme Premier Ministre m’apparaissait comme un cheveu sur la soupe. Mais bon, il avait eu ces mots superbes, « je vous ai compris ». Et comme beaucoup d’autres, je ne soupçonnais pas que les Pieds Noirs allaient se faire rouler dans la farine et que quatre ans plus tard, le même, liquiderait la question.

Pendant quelques années, j’ai assez bien supporté le régime Gaulliste. Mes conflits d’adolescents m’opposaient à ma famille et non à la société toute entière. Mais, les 20 ans venus, je ressentis tout autre chose. La Cinquième République était une république où on ne rigolait pas. L’information était contrôlée, voire censurée. La libéralisation des moeurs, telle qu’on la connaissait en Grande Bretagne ou au Benelux n’entrait pas en France. Le souvenir le plus fort de cette pesanteur concerne la vie sexuelle. A l’âge que j’avais, vivant une relation amoureuse forte et stable, la question de la contraception était, naturellement, importante. La libéralisation en Grande Bretagne et au Benelux n’avait pas affecté la gouvernance française. Sans parler de l’avortement qu’on savait sauvage pour les pauvres ou expatrié pour les plus aisés. On allait consulter des gynécologues qui vous prescrivaient des diaphragmes et des gelées spermicides qu’on commandait par la poste en Angleterre en priant le ciel que la douane n’aille pas y mettre… son nez.

L’image que j’ai encore du monde Gaullien est celle d’acteurs de la vie publique sévères, voire sinistres, vêtus de vestes et de pantalons sombres. Le ténébreux Préfet de Police, Maurice Papon. Roger Frey et Christian Fouchet, ministres de l’intérieur: des hommes sans joie. C’est tellement lourd que je me prends à regretter que l’attentat du Petit Clamart ait échoué. Quand ils guillotinent Bastien Thiry, j’écris un texte violent contre la peine de mort.

Le couvercle de la marmite Gaullienne pesait fort sur la jeunesse dont je faisais partie. Les libertés étaient limités. Le pourvoir contrôlait tout. La télévision était aux ordres. Des films étaient interdits. Les manifestations ouvrières paraissaient hors la loi tant elles étaient policièrement encadrées. Et puis, il y avait eu cette manifestation du F.L.N. du 17 octobre 1961 qui s’était soldée par des dizaines, voire des centaines de victimes. Et comme, en plus, la presse n’en disait presque rien, nous fîmes rapidement une analogie, sans un peu sommaire, mais bien compréhensible, entre le Nazisme et ces pratiques. Et puis il y eut Charonne. Le 7 février 1962. Là aussi, Papon donne l’ordre de réprimer la manifestation et ce fut le massacre que l’on sait (pour des détails, cliquer ici ).

Un peu d’exutoire vient de la culture: C’est Jean Vilar et le T.N.P.. C’est la rencontre avec la poésie (Liberté), avec Aragon. C’est Jean Ferrat. Et Brel, bien qu’il ne soit pas engagé de la même façon. Et naturellement Georges Brassens avec une prémonitoire description du marché de Brive la Gaillarde. C’est aussi, bien sûr, le jazz que j’aime autant pour ses qualités musicales intrinsèques que pour l’évocation de l’esclavage et de la question noire.

Les six années de pouvoir personnel, comme nous disions, qui vont suivre la fin de la guerre d’Algérie seront de plus en plus lourdes. Le sentiment d’être dans un pays qui n’est plus vraiment une démocratie, avec des ministres aux ordres, avec des députés aux ordres augmente sans cesse. En 1962, j’avais 18 ans. En 1968, j’en aurai 24. C’est toute ma jeunesse qui en prend plein la gueule. Et je ne suis pas le seul. Nous sommes prêts pour saisir la moindre occasion pour sortir de là.

[Suite]

 

Mai 1968 : 4 – Nous étions très « politisés »

[Mai 1968: commencer au début]

J’ai l’impression que les étudiants dans ces années qui ont précédé 1968 étaient très politisés. Peut-être n’est-ce qu’une illusion parce que je fréquentais ces milieux ? Pourtant, il n’était pas rare de trouver, sur les marches de la Sorbonne, des vendeurs de Clarté ou de Rouge. Il y a avait aussi des groupes plus difficiles à cernés, ceux qui formèrent le bataillon des « groupuscules » maoïstes ou situationnistes… J’avoue que, ma culture étant ce qu’elle était, j’avais quelques difficultés à discerner les détails qui me semblaient un peu futiles, voire ridicules. Pour ma défense, je n’étais pas le seul. Mais cette effervescence entretenait notre réflexion. Et quand il s’agissait de monter un piquet de grève pour interdire l’accès à la Sorbonne, nous nous retrouvions sans ségrégation.

 

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Il y avait aussi un lieu situé tout en haut de l’honorable bâtiment, au sixième étage par l’escalier A où se tenait le local de l’U.N.E.F.. Cette section se nommait F.G.E.L. (Fédération des Groupes d’Etudes de Lettres). Une salle relativement grande où on aurait pu tenir à 80. L’endroit n’était jamais balayé, mais n’était pas trop sale. Il y avait quelques tables et des chaises. Des affiches sur les murs (à cette époque, on ne taggait pas). Et là, il y avait presque toujours une discussion en cours. On pouvait donc se reposer, être chauffé et assister, voire participer, à un débat de politique nationale ou internationale.

Chaque discipline avait son local, mais il faut dire que celui de la F.G.E.L. était l’un des plus vivants. A côté, celui du G.E.P.U.P. (Groupe des Etudiants en Psychologie de l’Université de Paris), n’était pas aussi animé. Curieusement, les étudiants catholiques y étaient sensiblement représentés. Car il y avait aussi une organisation active et vivante d’étudiants catholiques. Ils faisaient plein de choses et ne craignaient pas de nous inviter au Pélé (i.e. pélerinage) de Chartres. Ils disposaient d’un pignon sur rue, Place de la Sorbonne, et cela avait pour nom le Centre Richelieu où officiait semble-t-il un prêtre du nom de Lustiger qui fit par la suite la carrière que l’on sait. Ainsi, un étudiant pouvait être à la fois membre des Jeunesses Etudiantes Chrétiennes, syndiqué à l’U.N.E.F. (car nous étions très nombreux à l’être) et, théoriquement, car je crois que c’était rare, membre d’un parti politique.

Je ne sais pas s’il y avait des étudiants de droite ou d’extrême droite à la Sorbonne. En tous cas ils ne se manifestaient pas. Ils étaient sagement cantonnés à la Fac de Droit et notamment à Assas. On annonçait souvent des descentes d’étudiants armés de gourdins pour rouer cette mouvance qu’on ne nommait pas encore gauchiste. Mais pour ma part, je n’en ai jamais été témoin. Peut-être un mythe ?

Les prises de parole, au début des cours, pour annoncer telle ou telle action, n’était pas très rares. Nous vivions donc dans une ambiance diversifiée, et même sans être extrêmement engagés, nous avions toujours le spectacle de ces différences et rivalités. Même pour moi qui me « contentais » d’être membre de l’U.N.E.F. et d’un cercle laïque de la Ligue de l’Enseignement, je ne manquais pas de sources d’information.

Dire que tout ce monde cohabitait de façon paisible serait travestir la vérité. Mais, globalement, dans l’enceinte la Sorbonne, les empoignades étaient principalement verbales. Il n’en fut malheureusement pas de même à Nanterre.

La vie politique était donc très active dans les Facultés. Bien plus qu’elle ne l’est actuellement où les étudiants semblent avoir l’oeil fixé sur la ligne bleue de leur horizon professionnel. Je pense, sincèrement, qu’on se fichait éperdument de notre avenir. Nous avions un objectif. Personnellement je désirais être professeur de lettres. Très bien. Mais en même temps mes yeux et mes oreilles étaient grands ouverts au monde qui s’agitait et aux idées qui circulaient. Cette façon d’exercer notre citoyenneté peut sembler aujourd’hui immature. Pour mon compte, je l’ai trouvée très riche. C’est grâce à elle que j’ai pu commencer à choisir mon camp.

Je n’avais que faire du communisme qui avait fait l’U.R.S.S.. Et si les contestations Trotskystes me semblaient intéressantes, je n’y voyais pas d’horizon vraiment alternatif. Quant au modèle maoïste et chinois, n’en parlons pas. J’avais trouvé légitime d’être syndiqué à l’U.N.E.F. quoique ce syndicat n’était pas apolitique et que bien des tendances s’en disputaient la maîtrise. J’avais trouvé pendant un temps, grâce à des relations qui m’avaient introduit, une certaine place dans un cercle laïque justement respectueux des différences. Mais j’avais déjà commencé à tracer ma voie hors des groupes idéologiques. Cette voie annonçait le lent cheminement qui allait me conduire vers une position socialiste autogestionnaire.

[Suite]

Mai 1968 : 3 – Mon apprentissage de la politique

[Mai 1968: commencer au début]

Il faut que je dise quelques mots sur mon état d’esprit dans les années qui ont précédé 1968. Il n’est probablement pas représentatif de tous les jeunes de cette époque. Cependant, il peut donner quelques indications.

Mon éducation « civique » a commencé très tôt. J’ai vécu mon enfance dans les souvenirs encore vivants de la Seconde Guerre Mondiale, de la dureté de la défaite et de l’occupation. Je garde toujours au fond de moi ce que me contait mon grand-père. Pendant l’occupation, il était alors employé des chemins de fer. Un métier qui n’était pas sans périls. Et les bombardements et les otages et la haine de Vichy… J’ai été élevé là-dedans. C’était si proche. J’ai été élevé dans un « Vive la France » qui n’était pas que circonstance. Je ressentais comme un honneur d’être citoyen d’un pays qui, après avoir subi quatre années d’une occupation sévère, s’était relevé, avec l’aide de ses alliés, il est vrai, mais aussi avec ses propres forces. Les résistants étaient des héros mythiques qui avaient donné leur vie pour une idée, un idéal de liberté et de démocratie.

dienbien.1204580703.jpgLe premier évènement discordant a été la chute de Dien-Bien-Phu. Je ne comprenais rien.

A cette époque, je lisais déjà beaucoup et j’étais tombé sur des vieux livres d’aventures datant de bien avant la guerre. De ces livres dans lesquels le bon blanc parcourt (et conquiert, mais cela, on ne le dit pas) l’Afrique pour apporter la civilisation, la médecine et Dieu à tous ces bons nègres primitifs trop contents de devenir les serviteurs de leurs conquérants. Et on lisait cela sans peine tant c’était plein d’aventures et d’exploits qui finissaient toujours bien pour le bon blanc et le bon nègre et mal pour le méchant.

Pourquoi voulait-on nous chasser d’Asie, alors que nous n’y étions que pour faire le bien ?

Et puis, à peine finie la guerre d’Indochine, voici que commençait la guerre d’Algérie. Je ne pouvais pas ignorer tout ce que j’avais appris à l’école : que l’Algérie était un ensembles de trois départements français. En voulant nous prendre l’Algérie, on voulait retirer quelque chose que j’avais de mon idée de la France.

Et puis sont venues toutes les contradictions.

La guerre d’Algérie était une sale guerre. Il y avait les attentats qui faisaient des victimes civiles. Il y avait des opérations militaires, qu’on nous dissimulait un peu. Mais on savait bien que c’était une saloperie. Et bientôt, en prenant de l’âge, à 16 ou 17 ans, nous commencions à nous demander si nous n’allions pas être envoyés là-bas. Et là-bas, il y avait des morts, des deux cotés.

Un souvenir marquant: celui d’un professeur de français que j’estimais fort qui nous conta, alors que je n’avais que 16 ans l’assassinat de l’instituteur Guy Monnerot et de son épouse le 1er novembre 1954. Ce dont je n’avais rien su auparavant. Et alors, comment ne pas être solidaire des Pieds Noirs victimes de la guerre ou contraints de quitter ce qu’ils croyaient être leur pays et leur sol d’autant plus que l’information dont nous disposions à l’époque était loin d’être objective. Mais, quand même, on finissait bien par savoir que les Pieds Noirs n’étaient pas seulement des épiciers, des fonctionnaires ou des artisans. Et qu’il y avait les « Gros Colons », ceux qui s’étaient appropriés une terre et qui s’enrichissaient en s’appropriant aussi le travail de ceux qui la cultivaient.

Et, en même temps, le prof d’histoire nous lisait « Le jour le plus long » !

Mais aussi, à cette époque, on lisait Marx en classe de philo. Peut-être n’était-ce pas au programme, mais moi, je l’avais lu. Des petits bouts du Capital et le Manifeste parce que ce n’était pas gros. Un peu, donc. Et puis les cours du prof. Assez pour comprendre les mécanismes généraux de l’oppression capitaliste et libérale et cette remarquable idée de la « plus value » que les patrons s’offraient sur le travail des salariés. Et voici que la colonisation s’expliquait en termes marxistes. Bien autre chose que l’apport de la culture et de la civilisation, comme les maîtres d’école me l’avaient laissé croire. Et quand furent clairs, pour moi, les liens entre ces grosses richesses et l’OAS, ma pensée devint très fortement dialectique.

En vrai, un profond malaise. En classe de 1ère, en 1960, quand on me racontait l’enfer de la famille Monnerot, mon coeur battait « Algérie Française ». En terminale, en trouvant Proudhon, Marx et Engels, en relisant comme par hasard Germinal, plus rien n’était simple.

Et puis une rencontre, un soir. C’était en 1964 ou 1965. Reçu à dîner, amené par une amie, chez un couple qui me dévoile, comme cela, simplement, alors qu’il n’ y avait sans doute pas prescription, avoir milité et porté des valises pour le F.L.N.. Oh, on sait bien que tout cela a existé, mais on le range loin, dans sa pensée. Mais quand on est là, comme cela, tout simplement, à table, avec des gens agréables et conviviaux, et qu’on en vient donc à voir, à palper cette réalité. Pour moi, je croyais que les français qui avaient fait cela étaient des communistes forcenés, des apatrides. Mais non. C’étaient des gens simples, gentils comme tout le monde, qui avaient pris les plus grands risques au nom de leurs convictions comme l’avaient fait les résistants contre le Nazisme. Les résistants pour lesquels je vouais une aussi grande admiration.

 

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Et puis viendra la guerre du Viet-Nam. Et à partir du moment où les américains s’en sont mêlés avec toute l’horreur des moyens guerriers qu’ils ont mis en oeuvre et ont su employer.

C’est ainsi que nous, les étudiants, avons été formés à la politique. Nous avions évité de peu d’être mobilisés en Algérie, ce qui ne nous laissait pas indifférents et avait donné au syndicalisme étudiant une importance certaine.

Quant à moi, j’étais plongé dans une profonde incompréhension. Où étais-je ? Où pouvais-je être lorsque ma culture humaniste complétée par un peu de marxisme lycéen me poussait à être favorable à la liberté des peuples ? Voici que les marxistes avaient installé en U.R.S.S. une dictature. Voici que les conquérants du Nord Viet-Nam avaient installé une autre dictature. Et que faisait le F.L.N. une fois venu au pouvoir ? Voici que les guerres de libération conduisaient partout à la même chose. En lieu et place du joug colonialiste un autre joug non moins cruel et encore plus sanguinaire s’installait.

Malgré toutes mes contradictions, ma culture d’adolescent philosophe me portait vers le socialisme. Mais le socialisme que le monde me donnait à voir n’avais pas visage humain.

[Suite]

Mai 1968 : 2 – Budapest 1956, Alger 1958

[Mai 1968: commencer au début]

Pour moi, tout a commencé en 1956, avec les évènements de Hongrie. J’avais 12 ans et le Communisme, ou plutôt le Stalinisme représentait pour moi le péril absolu. Ma conscience politique était en train de s’éveiller, lentement.

J’avais, bien entendu, écouté la radio à propos des évènements d’Algérie, mais je n’en saisissais pas toute la portée. Je n’étais pas du tout favorable à la rébellion, car j’avais été instruit pas des maîtres pour qui l’Algérie, c’étaient trois départements français. Je croyais donc que l’Algérie, c’était la France, sans soupçonner le moins du monde les méfaits du colonialisme. Et je ne parvenais pas à comprendre pourquoi ces populations un peu primitives ne voulaient pas du bonheur d’être français.

Mais Budapest, c’était autre chose ! Je savais que c’était bien contre leur gré que les pays d’Europe de l’Est se trouvaient sous le joug soviétique, suite aux traités de la Seconde Guerre Mondiale. De plus, Staline était le grand Satan. Quant au Communisme je n’en voyais que l’aspect de la privation de de liberté. Je n’avais pas encore lu la moindre ligne de Marx. Peut-être même en ignorais-je le nom. Comparativement, en face, les Etats Unis jouissaient d’un grand prestige parce que les Américains nous avaient libéré d’Hitler et qu’on y vivait bien.

pc-chateaudun.1204333547.jpgEt voilà qu’un peuple, dans une bouffée révolutionnaire affirmait sa liberté face à l’oppresseur. A l’époque, j’étais en classe au petit Lycée Condorcet, rue d’Amsterdam et ce n’était pas très loin du Carrefour de Chateaudun (devenu ensuite Place Kossuth) où se dressait l’immeuble d’architecture stalinienne, siège du Parti Communiste Français après avoit été celui de la Milice (!). Nous allions alors, après la classe, nous « promener » devant l’immeuble arborant une espèce de grand badge aux couleurs du drapeau hongrois. Les plus courageux sonnaient ou frappaient à la porte qui était un huis métallique avec guichet. Et quand celle ci s’ouvrait nous prenions la fuite comme des lapins. Ce furent mes premiers actes politiques.

C’est avec une grande tristesse que j’appris la répression de la rébellion de Budapest. Ma crainte et mon hostilité envers le Communisme augmenta fortement.

alger-1958.1204333565.jpgMa deuxième expérience de soulèvement populaire fut la tentative de mai 1958. Je n’avais pas compris tout de suite que c’était une tentative de coup d’état. Et ce que je trouvais formidable, c’était cette foule rassemblée à Alger devant le Gouvernement Général qui réclamait que l’Algérie reste française et se dressait face ou gouvernement de la métropole. J’aimais bien, à cause du côté spontané, populaire, un peu libertaire. Enfin, c’est ce que je croyais. Et face au désolant spectacle de la Quatrième République agonisante, je trouvais cela plutôt ensoleillé.

Et puis, il faut bien je le reconnaisse, à 14 ans, j’étais très « Algérie Française ». Aux raisons que j’ai évoqué précédemment, s’était ajouté une rencontre. J’étais interne en classe de seconde au Lycée Lakanal et était arrivé, avec un peu de retard dans l’année, un élève, interne évidemment, qui venait d’Oran. Sans doute ses parents l’avaient-ils envoyé là pour qu’il puisse poursuivre des études dans de bonne conditions. C’est devenu un copain. Je ne sais pour quelles raisons. Mais nous passions quelques moments à déguster des « montecao » qu’il recevait de là-bas. Et lui me racontait. L’ennui, pour mon ouverture culturelle, c’est qu’il était fort « ultra » et raciste de surcroît. C’est lui qui m’apprit qu’un melon n’était pas seulement un fruit. Il me racontait la guerre, naturellement dans ses aspects les plus convaincants de son point de vue, c’est à dire, massacres, mutilations, et tout ce qui s’ensuivait.

En y réfléchissant, je constate que, conjuguant mon hostilité au communisme et ma sympathie pour les putchistes d’Alger, j’étais bien parti pour devenir adhérent, sinon militant, d’un groupe d’extrême droite. Heureusement, un ami de la famille introduisit le livre d’Henri Alleg, La Question, alors qu’il était interdit ou tout comme. Je le lus et commençais à entrevoir que les réalités politiques étaient moins simples que ce que j’imaginais.

Je suivis avec intérêt le putsch des généraux, en 1961. Mais c’était moins exaltant que mai 1958. J’étais un peu moins chaud pour l’OAS. Et surtout, j’avais 17 ans. Le service militaire pouvait me prendre bientôt avec le risque de devoir partir faire la guerre en Algérie. Du coup, je me trouvais en position d’avoir envie de crier « Paix en Algérie ». C’était au départ, naturellement égoïste. Mais sur cet égoïsme une analyse plus objective se construisait. Ce n’étaient plus seulement contre des terroristes qu’on se battait là-bas, mais contre tout un peuple. Et en salopant tout par ses propres massacres et ses tortures, la France s’était déconsidérée à mes yeux. Pour le coup, j’étais plus disponible pour m’intéresser aux arguments des adversaires.

Je réalise, après coup, que j’ai toujours eu un grand intérêt pour les soulèvements populaires. J’ai étudié avec plaisir la Révolution Française, Les Trois Glorieuses, etc. Quand je pense aux évènements de Budapest ou d’Alger, j’y retrouve la même chose: des moments de l’histoire ou des peuples se soulèvent pour leur liberté. Je n’aurais plus aujourd’hui la naïveté qui fut longtemps la mienne, de croire que ces mouvements étaient totalement spontanés. Mais il y a toujours une part de spontanéité. J’ai une admiration comparable pour la Résistance, au cours de la Deuxième Guerre Mondiale. C’est dans cette admiration que j’ai pour ces peuples ou pour ces groupes qui se lèvent avec courage contre un oppresseur et qui s’efforcent, souvent en vain, de prendre en main leur destin que se trouvent les racines de mes tendances autogestionnaires et libertaires.

Passé la Guerre d’Algérie et après avoir eu l’occasion de crier « Paix au Viet-Nam », j’étais donc disponible pour rencontrer Mai 1968

[Suite]