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Chez Auchan, les chefs de rayon mangent les bonnes pommes

Un petit sujet de divertissement.

pink-lady.1205677579.jpgCe samedi, comme nombre de français, je fais mes courses au supermarché Auchan de Beauvais. Les pommes « Pink Lady » sont affreusement moches.

Arrive un responsable du rayon tirant une charge sur laquelle trônent deux plateaux de superbes pommes « Pink Lady ». Je commence à me servir, quand l’homme m’interpelle:
– Non, vous ne pouvez pas prendre ces pommes.
– Et pourquoi donc ? Les autres sont moches.
– Ces pommes sont destinées à la réunion des chefs de rayon.
– C’est une blague !
– Non, fait l’homme en retirant ces pommes.

Chez Auchan, à Beauvais, les chefs de rayon sont mieux traités que les clients.

Au passage, les 500 G de champignons de Paris « 1er prix » sont à 1.65 €. Les autres à côté, pas 1er Prix, sont à 1.50 €.

J’aime les supermarchés qui me prennent pour un con.

Mai 1968: 10 – La nuit du 10 au 11

[Mai 1968: commencer au début]

Depuis la fin de l’après-midi, la radio nous tient informés des rassemblements importants qui ont lieu au Quartier Latin. Je ne sais plus quelle ou quelles organisations ont appelé à manifester. Mais c’est plus dense que les jours précédents. Je longe la Seine sur la rive gauche dans ma 2CV depuis le Pont du Carrousel jusqu’à Notre Dame, avant de remonter par la rue Monge. La nuit est presque tombée. Et ce ne sont que cars de CRS ou de gendarmes mobiles, le long des quais. Il n’y a presque pas de voitures. La tension est perceptible. L’ampleur des forces de maintien de l’ordre massées là indique que la répression va être très dure.

Je ne suis ni un enragé, ni un casseur. J’ai déjà mis les pieds dans des manifs étudiantes pacifiques. Je me suis trouvé face à la police en tenant des piquets de grève aux porte de la Sorbonne. Mais je n’ai aucune envie d’aller me colleter aux forces de l’ordre, ce soir. Je traverse donc au plus vite ces zones où stationnent CRS et gendarmes mobiles et je rentre chez moi.

Là, j’allume la radio. Je me souviens que c’était un petit poste à transistors noir dont le son était un peu nasillard. Je suis calé sur Europe N°1. Naturellement pas la radio d’état. France Inter est contrôlée, même si elle ne peut ignorer la situation. Peut-être est-ce en souvenir de son passé de chaîne « pirate », à ses débuts, mais le ton d’Europe est très ouvert et semble un peu favorable aux manifestants. Ils ont des reporters sur des motos qui se déplacent rapidement. Mais ce soir, ils ne se déplacent plus. Ils sont peut-être quatre ou cinq, je ne m’en souviens plus, placés aux pieds des barricades qui s’élèvent dans de nombreux endroits.

Il est déjà fort tard dans la nuit. La police n’est pas montée à l’assaut. J’ai envie de croire qu’elle ne le fera pas, ce qui serait une espèce de victoire si les barricades sont encore en place demain matin. On aura par la suite, diverses interprétations de ce long délai. Négociations entre l’UNEF et la Préfecture de Police ? Attente d’un rassemblement très important de manifestants pour les écraser une fois pris au piège ? Hésitations sur la conduite à tenir ? Des mois plus tard, on apprendra que Maurice Grimaud, le Préfet de Police de Paris, négocie aussi avec le gouvernement qui voudrait une répression forte, voire sanglante.

barricade-nuit.1205543803.jpgFolle espérance. Le pouvoir ne laissera pas occuper un quartier de Paris par des forces révolutionnaires. Vient le moment où la police s’ébranle. Mais, avec tout ce temps passé, les barricades ont eu le temps de monter et leurs servants de s’organiser. Pour le coup l’assaut est difficile. Les grenades lacrymogènes sont lancées en nombre, mais la résistance est farouche. On a beaucoup parlé des barricades de la rue Gay-Lussac, car ce qu’on a découvert le lendemain au lever du jour était très spectaculaire. Mais plusieurs rue du 5ème arrondissement sont barrées, notamment la rue d’Ulm au niveau de l’Ecole Normale et la rue Royer Collard. Les reporters, à tour de rôle, font état de la violence des échanges.

Je suis en pleine contradiction. Dois-je y aller ou dois-je n’y point aller ? Il est bien évident que je n’irai pas me poster sur une barricade pour lancer des pavés. Ce n’est pas dans ma manière. Mais quelque chose me dit que je devrais être là, au moins comme témoin.

Le temps passe lorsque la radio relaie un appel de membres de l’équipe de recherche du Professeur Kastler à la Faculté des Sciences. Comme la Faculté de Jussieu est enceinte universitaire et qu’on croit à tort ou à raison que la police n’y entrera pas, un certain nombre de manifestants gazés ou blessées commencent à s’y retirer. La radio indique que le laboratoire va ouvrir pour donner des soins et qu’on fait appel à du personnel médical ou à des secouristes pour organiser les secours. J’ai un brevet de secouriste et enfin ma bonne raison pour trouver un rôle.

J’entre en voiture dans l’enceinte de la Faculté. On est à la queue leu leu. Le gardien se montre débonnaire. De mémoire, je ne sais plus comment j’ai trouvé le chemin, mais cela n’a pas dû être difficile. Quand j’arrive, avec d’autres, il y a une certaine activité point trop désordonnée. On recherche des gens ayant des voitures pour se porter aux limites géographiques des combats pour ramener les manifestants blessés. On nous dit que nombreux sont ceux qui ont été sévèrement gazés et qui ont de grandes difficultés pour se déplacer tant la gène respiratoire est importante. Il y a déjà des ambulances en place. Mais en nombre insuffisant. On nous propose donc de constituer des équipes, avec une voiture pour effectuer le transfert des blessés vers les locaux de Jussieu.

On nous habille avec des blouses blanches et l’on dessine tant bien que mal des croix rouges à la craie dans le dos. Je forme équipe avec un quidam et nous voilà partis. Le chemin le plus court pour aller vers les barricades est la rue Cuvier, puis la rue Lacépède. Là, nous sommes pris dans un embouteillage. Nous sommes près des combats. On entend nettement le bruit continu des tirs de grenades lacrymogènes. Finalement je parviens à grand peine jusqu’aux abords de la rue Mouffetard et je tombe au milieu de violents échanges. Vite demi-tour, par un sens-interdit – mais qui se soucie d’un sens-interdit, ce soir – et nous décidons de nous présenter par la rue Claude Bernard qui est plus large et où l’on trouvera plus facilement un endroit pour stationner.

En effet, pour de la place rue Claude Bernard, il y a de la place. Pas un véhicule en stationnement. Prudents, les propriétaires les ont retirés. Peu de monde. Rue presque déserte. Je parviens donc sans peine à l’angle de la rue des Feuillantines et de la rue Gay-Lussac. Mon compagnon part à la recherche des victimes. Je ne le reverrai jamais.

En y réfléchissant maintenant, je me dis qu’il aurait été vraiment plus fonctionnel de faire des groupes de trois, puisque le chauffeur devait rester naturellement aux pieds de son véhicule.

barricade-nuit-2.1205543868.jpgJ’attends où je suis. Bien forcé d’attendre, je ne vais pas abandonner la voiture. J’ai tout le temps de voir ce que je peux voir de la rue Gay-Lussac. C’est comme dans les films de guerre. Incendies, tirs, ombres qui courent devant des brasiers. Et comme il y a le bruit des tirs, on s’y croirait. D’ailleurs, plongé ainsi, presque au coeur de la mêlée, je suis bien persuadé qu’il y aura des morts et des blessés par balle.

A un moment, je me dis que je suis fait, car un détachement de CRS arrive par le sud, avec apparemment l’intention de se déployer pour prendre la rue Gay-Lussac par derrière. On me regarde avec suspicion, mais la blouse blanche et la croix gribouillée à la craie font apparemment leur effet. Puis ils repartent. Je reste là encore un long moment, frustré par mon rôle de chauffeur ambulancier qui me fige sur place alors que je pourrais aller prodiguer des soins. Mon compagnon m’a donné rendez-vous là. S’il revient et que je suis parti ? Plus d’une heure plus tard, il n’est toujours pas revenu. Je rentre à Jussieu.

Là, le poste de secours s’est transformé en antenne sanitaire importante et organisée. Il y a des salles de soin. Les plus gravement atteints sont dirigés vers l’hopital de la Pitié Salpétrière. Il y a des ambulances, des vraies, pour le faire. Ces ambulanciers sont naturellement bénévoles, ils ne seront jamais indemnisés.

On m’emploie dans un amphithéâtre. Nous recevons toutes sortes de dons que les gens apportent dont des tas de sandwiches qu’on porte à ceux qui sont en état de manger. C’est fou la solidarité qui se manifeste. Pour beaucoup , les manifestants sont épuisés, sales, noirs de fumée. Ils ont encore des difficultés pour respirer. Et les yeux sont terriblement irrités. Il y a là une personne qui semble qualifiée, médecin ou infirmière qui met des gouttes de collyre et s’assure que des soins plus intensifs ne sont pas indispensables. D’aucuns dorment. d’autres sont hagards comme le seraient les rescapés d’un naufrage ou d’un attentat.

Quand je n’ai plus de sandwiches à distribuer, je m’assieds et me rend compte que suis aussi épuisé. J’attends qu’on n’ait plus besoin de moi. Le jour est maintenant levé. Il n’y a plus d’arrivées. Il y a des journalistes, croit-on, qui prennent des photos. La mienne s’est retrouvée dans mon dossier aux renseignement généraux. Il y aura aussi celle de ma 2CV. 55 AA 91 ! Et qui de droit s’en souviendra plus tard.

Il fait grand jour. Je rentre dormir.

[Suite]

Mai 1968: 9 – Avant le 10 mai (suite)

[Mai 1968: commencer au début]

Jusqu’à présent, j’ai essentiellement évoqué les questions de politique intérieure, exception faite de la guerre du Viet-Nam qui est la toile de fond du monde d’oppression et colonialiste de ces années-là. Mais autant on peut s’insurger contre les pratiques inhumaines des américains, autant on reste sceptique sur les intentions des forces du Viet-Cong. Pas les groupuscules qui sont contre les américains par système et semblent peu se soucier de la suite qui, si l’on observe le Nord-Vietnam, ne s’annonce pas très heureuse. Nous sommes nombreux à être contre la guerre et hostiles au Viet-Cong. On sait bien que le Viet-Nam Sud se retrouvera comme le Nord, si les américains partent. Dure réalité des pratiques colonialistes qui ne laissent après leur départ que des champs de ruines politiques !

Depuis le début de l’année 1968, Alexandre Dubcek est Premier Secrétaire du Parti Communiste Tchécoslovaque. Ce sera le « Printemps de Prague » alternative au communisme stalinien qui domine toute l’Europe de l’Est et… le Viet-Nam. Mais les souvenirs de l’affaire de Budapest freinent l’enthousiasme que cette situation provoque en moi. Pourtant, chaque jour qui passe sans intervention soviétique, est un jour de plus. Pourvu que cela dure ! Je ne comprends pas pourquoi les chars soviétiques n’interviennent pas. Et ils ne le font pas. C’est donc que quelque chose a changé. Je ne sais pas quoi. Je ne sais pas si c’est la politique de Moscou qui a changé ou si la pression internationale est plus forte. C’est un élan. Les tchèques donnent un élan à toute l’Europe que, malheureusement, les autres « démocraties populaires » ne suivront pas. Ce qui est en train de débuter en France s’apparente, un peu, avec ce mouvement. J’y songe avec pudeur. Je sais bien que leur chemin sera plus dur et plus risqué que le nôtre1.

Le 4 avril, Martin Luther King a été assassiné. Après J.F. Kennedy, cela fait beaucoup. Il y a quelque chose de pourri dans l’Amérique qu’on nous présentait comme modèle. Chez nous, quelques années plus tôt,il y a eu aussi l’assassinat de Ben Barka. Ces crimes contribuent à renforcer l’image d’un monde corrompu gouverné par des forces obscures qui n’ont d’autre objectif que de s’emparer ou de conserver le pouvoir. Nous ne savons rien du complexe militaro-insustriel. Nous ne savons rien du pouvoir mondial de certain cartels capitalistes. Nous savons juste que le monde est divisé en deux. L’U.R.S.S. et la Chine, d’un côté et leurs possessions. L’Amerique de l’autre où le pouvoir est détenu par des puissances capables d’assassiner un Président.

Bien au delà des groupuscules maoïstes ou trotskystes, bien au delà du Mouvement du 22 mars et de ses excès, nous sommes des milliers de jeunes français à désirer que tout change, en France comme ailleurs. Nous n’irons probablement pas casser du CRS. Mais nous ne réprouverons pas ce qui le font et le feront. Et combien nombreux seront ceux qui, pris dans un tourbillon, ramasseront un pavé et le lanceront ! Juste une question de moment ou de circonstances. Il n’y aura pas que des « enragés » qui se livreront à des actes violents, ce qui étonnera fort les séides de l’état Gaullien.

Voici que la tension est montée, ces derniers jours. Chaque soir il y a eu des affrontements, plus ou moins violents, plus ou moins durables. Ce soir du 10 mai, quand je traverse Paris dans ma vieille 2CV après être allé dîner dans ma belle famille, je ne tarde pas, car la radio dit que les ponts sur la Seine vont être fermés. Et je dois aller du 9ème au 13 ème arrondissements.

En passant Place St Michel, je les vois là, CRS et gendarmes mobiles, troupes sombres et menaçantes assemblées près de leurs camions. Ils me font froid dans le dos.

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1-Survenant dans la deuxième quinzaine d’août, la liquidation du Printemps de Prague viendra s’ajouter au deuil de nos enthousiasmes de mai. Je m’en souviens bien. J’en ai eu connaissance au Col de l’Iseran. Je m’étais arrêté là pour contempler le paysage. Et un autre automobiliste était là, avec son poste de radio à transistors, qui rendait compte de l’évènement. La fin de la matinée était très ensoleillée et pourtant le spectacle des Alpes nous a paru bien fade.

[Suite]

Mai 1968 : 8 – Avant le 10 mai

[Mai 1968: commencer au début]

Je garde de la semaine du 4 au 10 mai, des souvenirs parcellaires, tiraillé que j’étais entre mes obligations liées à ma paternité et mon désir de suivre de plus près, sinon de participer aux évènements.

liberez.1205356483.jpgJe crois me souvenir que c’est à la suite et à cause des évènements du 3 mai que le mouvement s’amplifia. La fermeture policière de la Sorbonne était choquante. Ce n’était pas qu’un simple prétexte. L’entrée des forces dites « de l’ordre » dans le coeur des franchises universitaires était vécu comme une profanation. L’autorité ne s’en est pas rendu compte. Pour nous, la police n’était JAMAIS entrée dans la Sorbonne (les historiens me donneront sans doute tort) et cette état de fait était vécu comme la liberté absolue du savoir et de la science sur la basse politique. Cet évènement choquant a contribué au rapprochement des étudiants venant d’horizons très éloignés.

Pourtant, depuis des mois, les agités perturbaient le fonctionnement de l’année universitaire. Plus ou moins selon les universités ou selon les disciplines. Mais le trouble était là. Les fauteurs de désordre n’étaient pas vraiment populaires. Ils troublaient, par leur discours extrémiste et par leur tenue vestimentaire volontiers mal soignée, les élèves de l’université qu’ils qualifiaient de « bourgeoise », ce en quoi ils n’avaient pas complètement tort. N’oublions pas ce qu’était la population étudiante dans ces années-là: les enfants d’ouvriers en étaient pratiquement exclus. Des filtres puissants sélectionnaient bien en avant. Moins le baccalauréat, d’ailleurs, que le B.E.P.C. qui marquait pour beaucoup la fin du programme proprement scolaire. Mais comme il y avait peu de chômage, les tensions étaient moins visibles qu’on pourrait le croire de nos jours. Ceci ne veut pas dire qu’elles n’existaient pas. La vie des ouvriers n’était pas facile, mais il y avait du travail. Quant à celle des travailleurs immigrés, notamment maghrébins, n’en parlons pas. Mais ces derniers restaient naturellement silencieux.

La majorité des étudiants n’avait donc pas grande estime pour ces groupes difficiles à classer puisqu’ils n’entraient pas les cadres classiques, notamment du Parti Communiste.

 » Les groupuscules gauchistes s’agitent dans tous les milieux. ” (…) Ces faux révolutionnaires (…) suivent les intérêts du pouvoir gaulliste et des grands monopoles capitalistes. Il s’agit, en général, de fils de grands bourgeois méprisants à l’égard des étudiants d’origine ouvrière.  » (Georges Marchais, L’Humanité, 3 mai 1968).

Ils étaient, de plus,souvent agressifs et très irrespectueux des usages, voire agressifs entre eux. Peu à peu, nous découvrions qu’ils étaient totalement hostile à l’organisation de l’Université et de la société. Je voudrais citer, pour l’exemple, un tract du 4 mai, signé du Mouvement du 22 Mars, dont j’ai trouvé le texte sur Internet et qui rend bien compte de cette position:

« Les journaux parlent des « enragés » d’une jeunesse dorée qui tromperait son oisiveté en se livrant à la violence, au vandalisme.
Non! Nous nous battons (des blessés, des emprisonnés, 527 arrestations, le conseil de discipline pour six camarades, des menaces d’extraditions, des amendes) parce que nous refusons de devenir des professeurs au service de la sélection dans l’enseignement dont les enfants de la classe ouvrière font les frais; des sociologues fabricants de slogans pour les campagnes électorales gouvernementales; des psychologues chargés de faire « fonctionner » les « équipes de travailleurs » selon les intérêts des patrons; des scientifiques dont le travail de recherche sera utilisé selon les intérêts exclusifs de l’économie de profit.
Nous refusons cet avenir de « chiens de garde », nous refusons les cours qui apprennent à le devenir.
Nous refusons les examens et les titres qui récompensent ceux qui ont accepté d’entrer dans le système.
Nous refusons d’être recrutés par ces « mafias ».
Nous refusons d’améliorer l’université bourgeoise.
Nous voulons la transformer radicalement afin que, désormais, elle forme des intellectuels qui luttent aux côtés des travailleurs et non contre eux
. »

C’est parfaitement clair… et particulièrement dur à avaler pour des jeunes comme moi qui, même s’ils partageaient et professaient des idées de gauche, n’imaginaient pas la possibilité dune transformation aussi radicale de la société qui, au demeurant, nous fournirait un certain niveau de vie. Et s’entendre dire que nous étions en train de poursuivre des études pour devenir les valets d’une organisation socio-politique, même si nous la combattions, voilà qui était une question audacieuse, mais gênante.

Je crois, pour ce qui me concerne, que cette prise de conscience s’est cristallisée entre le 3 et le 10 mai, en voyant que peu à peu, le mouvement s’amplifait et débordait dans des couches de la population étudiante de plus en plus larges. S’il est vrai que je n’avais aucune envie, comme la majorité, de combattre les CRS en face à face, je me mis, comme beaucoup d’autres, à écouter ce qui se disait dans des réunions qui commençaient à fleurir. De toute façon, vu mon âge, j’avais de grandes difficultés à pouvoir atteindre mon bureau dans la Sorbonne. Mais, je pouvais passer une partie de mon temps libre à l’annexe Censier.

cohn_bendit_1.1205356744.jpgMes journées étaient très pleines. Quoique distendu, je devais assurer mon temps de travail à l’I.P.N.. Mais le reste du temps était libre. Je me souviens, je crois que c’était le 9 mai,Place de la Sorbonne, à l’extérieur, puisque l’édifice était fermé, d’un grand meeting très chaleureux dans l’après-midi. Mais les soirées tournaient mal et j’étais animé de senstiments contraires. Je n’étais nullement tenté d’aller lancer le pavé, mais tout de même, ce qu’on commençait à savoir de la brutale répression policière était très mobilisateur. Heureusement, je n’avais pas à choisir, devant me rendre le soir auprès de mon fils et de sa mère qui piaffait d’impatience de ne pouvoir participer physiquement aux évènements.

Pendant ce temps-là, le pouvoir semblait sourd.

[Suite]

Mai 1968 : 7 – Les 2 et 3 mai

[Mai 1968: commencer au début]

En 1968, je n’étais plus complètement étudiant. J’avais obtenu ma Licence en Psychologie en Juin de l’année précédente. J’étais inscrit en première année de Doctorat de 3ème Cycle. Mais j’étais marié et j’avais deux emplois. Pour un mi-temps j’étais embauché en raison de mes compétences en méthodologie et en statistique au Service de la Recherche de ce qui s’appelait à l’époque l’Institut Pédagogique National (devenu ensuite I.N.R.D.P.). Sous la houlette d’un titulaire, j’étais chargé de la préparation méthodologique et du traitement des données de quelques recherches. Par ailleurs, j’étais engagé pour diriger des travaux pratiques de Psychologie de l’Enfant dans le cadre d’un certificat de la Licence en Psychologie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Paris. J’avais donc aussi une petite base dans un laboratoire au quatrième étage de la Sorbonne, à l’angle de la rue des Écoles et de la rue Saint Jacques.

Quelques jours avant le 2 mai, nous avions provisoirement déménagé, ma femme et moi, dans l’appartement de mes beaux parents dans le 9ème arrondissement de Paris. Là, nous étions plus proches de la clinique d’accouchement où devait incessament naître mon fils. Le 2 mai, vers 16 heures, apparurent les signes annonciateurs. La future maman alla donc s’installer dans une chambre à la clinique. En fin de soirée, le personnel me congédia, en me disant que l’évènement n’arriverait probablement que le lendemain matin.

Le matin du 3 mai, je revins donc au petit matin, et au bout de quelques heures, l’heureux évènement se produisit. A partir de ce moment mon emploi du temps devint tendu: aller à l’état civil déclarer la naissance, déjeuner sur le pouce et me rendre dans une école, rue St Benoît dans le 6ème, près de St Germain des Prés. En effet, nos T.P. avaient lieu dans les écoles en présence et avec des enfants.

pave.1205279918.gifQuand j’en sortis 3 heures plus tard et prenant le Boulevard St Germain, je compris qu’il s’était passé des choses et qu’il s’en passait encore. Si je m’en souviens bien, il y avait peu de circulation automobile. Je revois aussi des grilles de pieds d’arbres sorties de leur position normale. Des débris sur la chaussée et sur les trottoirs. J’aurais bien poussé jusqu’aux carrefours St Michel – St Germain ou de l’Odéon, où, vu de loin, il semblait qu’il se passait quelque chose. Mais pressé par mes obligations de jeune père, à regret, je rentrai au plus vite par le métro. Ce n’est que bien plus tard, par la radio et par la télévision que j’appris ce qui s’était passé.

Le 3 mai, j’ai donc vu naître mon fils. Mais je n’ai pas vu naître les « évènements ».

On savait bien qu’il y avait de l’orage dans l’air. Depuis quelques semaines, la radio nous tenait au courant de la situation à Nanterre qui prenait parfois une coloration légèrement insurrectionnelle. Nos enseignements à la Sorbonne et à Censier n’étaient pas interrompus. Cependant, souvent, au début des cours, quelque chevelu demandait une prise de parole. On ne refusait jamais pour autant que ce soit relativement bref. S’ensuivait généralement une harangue pour tenter de mobiliser par solidarité avec Nanterre. Mais cela ne mordait pas vraiment.

Les autorité commirent plusieurs erreurs stratégiques. Fermer Nanterre ce qui provoqua l’occupation de la Sorbonne. Puis vider, à son tour, la Sorbonne, ce qui transporta l’agitation dans la rue. Pour la première fois, la police violait la Sorbonne avec ses gros godillots. Et comme cette évacuation se passa sans ménagements avec plusieurs centaines d’arrestation, on trouva là une autre raison légitime de protester. Le 3 mai, les premières barricades s’élevèrent. Paris n’avait pas vu cela depuis sa libération en 1944.

Quand j’appris ce qui s’était passé, ce fut un ravissement.

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[Suite] 

Mai 1968 : 6 – Préludes et prolégomènes

[Mai 1968: commencer au début]

Il y eut un moment, probablement vers la fin des années cinquante ou au début des années soixante, où il devint évident, pour les pouvoirs publics, qu’il fallait construire des Facultés. Ce qu’on a oublié, c’est que l’Enseignement Supérieur, à Paris, n’était dispensé que dans trois ou quatre sites. Le droit se trouvait à la Faculté de Droit, en haut de la rue Soufflot, face au Panthéon. On étudiait la Médecine à la Faculté de Médecine, rue de l’Ecole de Médecine, près du Carrefour de l’Odéon et la Pharmacie à la Faculté de Pharmacie près du Carrefour de Port Royal. Enfin, les Lettres et Sciences se trouvaient à la Sorbonne. Tous ces locaux étaient, naturellement trop exigues pour la fréquentation. L’administration usait de divers expédients. En plus de la Sorbonne, j’ai, personnellement, à partir de 1961, suivi des cours à l’Institut d’Océanographie, au Conservatoire des Arts et Métiers et à l’Hotel des Sociétés Savantes qui deviendra l’Institut de Psychologie.

Les pouvoirs publics ont mené une campagne de construction. La nouvelle Faculté des Sciences, le long de la Seine, Quai St Bernard, première occupation de l’ancienne Halle aux Vins. L’expropriation ne se faisait pas sans résistances. Je me souviens d’une inscription sur les murs: « L’élite ou les litres »… Il y a eu la nouvelle Faculté de Droit, rue d’Assas, base logistique des groupes d’extrème droite, façon G.U.D…. Il y a eu aussi le Centre Censier destiné à recevoir le trop plein des étudiants en Lettres de la Sorbonne.

En même temps, naissaient des projets de Campus hors des murs de la grande ville. Il y eut Orsay…. Et, il y eut Nanterre.

La Faculté de Nanterre était destinée à recevoir une partie des étudiants en Lettres et Sciences Humaines comme en Droit et Sciences Économiques. Et si, en comparaison, l’expatriation des étudiants scientifiques vers Orsay se passa bien, il n’en fut pas de même vers Nanterre.

 

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Les causes des incidents de sont multiples et chacun a sa thèse. Je ne voudrais pas en ajouter une autre, car j’ignore comment comment tous les facteurs s’imbriquèrent les uns les autres. Vu du point de vue de l’étudiant de la Sorbonne que j’étais alors, je ferai cependant quelques observations. A la Sorbonne, nous n’étions guère retenus dans les locaux. D’abord parce qu’il n’y avait aucun endroit pour se mettre en dehors des cours, sauf les locaux des syndicats étudiants. Donc, nous fréquentions beaucoup les cafés, voire les cinémas, voire, quand le temps le permettait, les jardins publics comme celui qui jouxte le Palais de Cluny ou le Jardin du Luxembourg. Nous étions très dispersés géographiquement. A Nanterre, rien de ce genre. Un immense hall. Et dehors, le bidonville avec, m’a-t-on dit, un ou deux cafés maures. Donc les étudiants « ordinaires », j’entends ceux qui n’étaient pas forcément engagés, restaient sur le site et fréquentaient ce hall ou la cafétéria ce qui donne un nombre de lieux de vie assez limité. Étant là, ils devenaient, naturellement plus accessibles à toutes sortes de mobilisations.

Il y avait aussi la Résidence Universitaire. Comme dans toutes les résidences de l’époque, il y avait un bâtiment des filles et un bâtiment des garçons. La nuit, tout cela vivait dans sa zone. Il y eut des incidents dont au moins un viol. L’administration prit donc la décision d’interdire l’accès du bâtiment des jeunes filles aux garçons (mais pas le contraire). Ce qui provoqua des incidents au nom de la liberté sexuelle et du droit d’aller et venir à sa guise. A l’origine des troubles, des groupes ou groupuscules que les renseignements généraux ont certainement dû identifier précisément, mais qui pour nous, ne se présentaient que comme des extrémistes dangereux. Non pour leurs idées. Les idées n’ont jamais fait de mal à un étudiant. Mais leurs méthodes d’agression et de violence physique. Nous étions même étonnés qu’ils fussent étudiants.

J’ai connu Nanterre assez directement, puisque ma femme y était étudiante. On ne peut pas dire que l’ambiance y était parfaitement studieuse comme dans la dignité de la Sorbonne. Ce n’était, apparemment, pas dangereux pour autant, sauf pour les groupes ou groupuscules qui s’entre-combattaient. Mais il y avait toujours une dose d’effervescence. Nanterre était un chaudron en raison d’une implantation inadaptée dans un environnement désolant où fermentaient des esprits. Des esprits plus disponibles que des mathématiciens pour la fermentation: historiens, littéraires, philosophes, psychologues, sociologues. La guerre du Viet-Nam fournissait, pour une bonne part, une base de cette ébullition. S’y ajoutait la question de la liberté, notamment sexuelle. Revendication tout à fait en rapport avec le sentiment d’entrave au plaisir du régime politique et social de l’époque. D’autres raisons idéologiques relevant de la politique intérieure y contribuaient aussi: c’était le temps de la stigmatisation du pouvoir personnel de de Gaulle.

Tout ceci trouva une relative, très relative, organisation dans la création de ce qu’on a appelé Mouvement du 22 Mars. On décrit souvent ce mouvement comme libertaire ou anarchiste.

Contrairement à ce que pense le commun des mortels, l’anarchie de consiste pas à créer ou vouloir créer une immense désordre. L’anarchie qui a parfois comme slogan « Ni dieu, ni maître, ni état, ni patron » ne s’y limite pas. L’anarchie, c’est aussi une conception politique fondée sur la confiance en la capacité des citoyens à prendre en main l’organisation de leur vie politique et sociale dans des formes autogérées. Les délégations données à des représentants sont limitées et sous contrôle permanent des citoyens. Par définition, les anarchistes sont peu organisés, puisqu’ils ne peuvent se reconnaître dans une structure pyramidale et hiérarchique comme celle d’un parti. Pour éviter les confusions avec la signification populaire du mot, on utilise plus volontiers le terme « libertaire » qui est presque synonyme (voir par exemple l’article « libertaire  » de Wikipedia) et s’oppose à l’adjectif « libéral » du capitalisme.

De ce point de vue, il est probable que la philosophie personnelle de Daniel Cohn-Bendit pouvait être classée comme libertaire. Par contre, un certain nombre de membres du Mouvement du 22 Mars, naturellement composite, étaient par ailleurs plus ou moins engagés dans des groupes néo-marxiste ou pro-chinois ou trotskystes. Dans son organisation, le mouvement était libertaire puisque autogéré. Daniel Cohn-Bendit n’en était que le porte parole dans la mesure où il en était probablement le plus capable. mais il n’avait aucune autorité sur les membres.

A l’origine de tout: l’entrée pour la première fois dans l’histoire, au moins à ma connaissance, de la police dans un lieu universitaire pour expulser des garçons qui s’étaient introduits dans la résidence universitaire des filles. Il y eut aussi une position répressive de l’administration en vue de tenter d’exclure certains étudiants des cours (Cohn-Bendit était sur ces listes), car, naturellement, on ne peut être renvoyé d’une Faculté comme d’un lycée. Deux thèmes majeurs de revendication prirent donc corps: le rejet de la police des locaux universitaires et la liberté sexuelle. On y ajoute, naturellement le fond politico-syndical.

Si mes souvenirs sont excats, il se produisit, action comme une autre, une occupation de salle du conseil de la Faculté des Lettres qui n’était pas la première. Et d’autres incidents.Je dirai quand même, pour être honnête que ça « chauffait » bien. J’avoue que je ne souviens plus des revendications précises. Il me faut consulter des document pour me rappeler la convocation de divers étudiants (dont Cohn-Bendit) devant des Conseils de Discipline. Un incident aussi, à la Sorbonne où des groupes d’extrême droite saccagent un local de l’U.N.E.F.. On les attend aussi à Nanterre, mais ils ne viendront pas.

L’administration prend peur. Le 2 mai, elle décide la suspension des cours et la fermeture de la Faculté. En renvoyant les étudiants chez eux, elle espère évidemment la dispersion des sources d’agitation. Grave erreur de stratégie. Car, qu’à cela ne tienne, les étudiants s’en viennent aussitôt occuper la Sorbonne pour obtenir la satisfaction de leurs revendications.

Les « évènements » commenceront le vendredi 3 mai, date de la naissance de mon fils.

[Suite]

 

Infirmières bulgares : l’ambassadeur qui remet Sarkozy à sa place

pierini.1205071785.jpgDans un article paru aujourd’hui, Backchich publie un article de Maïté Labat intitulé « Infirmières bulgares : l’ambassadeur qui remet Sarkozy à sa place » . Cet article présente l’ouvrage de Marc Pierini, livre-témoignage, « Le Prix de la liberté. Libye, les coulisses d’une négociation », qui sort en librairie le 11 mars. « Marc Pierini, ancien chef de la délégation de la Commission européenne en Libye, raconte les vrais dessous de la libération des infirmières bulgares. L’enjeu, selon lui, était le retour de la Libye dans « le concert des nations » et son accès au nucléaire. »

Il est vérifié que, dans cette affaire, Nicolas Sarkozy n’est intervenu que tout à la fin du processus, au prix de très grands risques, en acceptant tout ou presque toutes les conditions lybiennes pour obtenir cette libération sans trop se préoccuper de la position des autre pays d’Europe.

Elections et démocratie: 10% d’électeurs flottants et pusillanimes

urne.1205020062.jpgVoilà une situation qui n’est pas sans m’inquiéter. Les changements de majorité, en France, reposent sur un petit pourcentage d’électeurs flottants. Et l’effet de leur changement de camp est démultiplié par le fait du scrutin majoritaire ou de la part importante qui lui est attribué. Voyez, dans les grandes villes, la liste qui l’emporte même sans majorité absolue, obtient de fait cette majorité absolue en sièges.

Posons maintenant quelques analyses. Il y a un fort pourcentage d’électeurs qui varient peu ou qui ne varient pas dans leurs choix. Ceux-là votent toujours à gauche ou toujours à droite. On dit même que le fond de commerce de la droite est un peu plus consistant que celui de la gauche, ce serait la raison pour laquelle la gauche gagne moins les présidentielles que la droite. Au jour d’aujourd’hui, un certain nombre d’électeurs qui avaient voté pour Sarkozy à la Présidentielle, vont voter à droite aux municipales comme aux cantonales. On peut faire ‘hypothèse que les raisons qui les poussent à faire ainsi, moins d’un an plus tard, sont à la fois le style de la Présidence et les promesses non tenues et qui ne semblent pas devoir l’être. En fait, ils votent pour ainsi pour montrer leur désillusion ou pour emmerdre. Ils ne votent pas pour la gauche, mais contre la droite. Ce sont donc des électeurs qui n’étaient pas enracinés à gauche et qui ont cru le candidat. Voilà qui est d’une grande naïveté, voire d’une certaine stupidité. Il ne fallait pas avoir effectué de longues études pour savoir que la situation économique ne permettait pas de tenir un grand nombre de promesses. Au passage, il est intéressant de remarquer que le reproche fait à Ségolène Royal de n’avoir pas de programme précis au moins sur les sujets « domestiques » comme le pouvoir d’achat, s’avère injustifié. Au contraire, sa prudence paraît de plus en plus légitime, car nul ne pouvait imaginer une évolution aussi significative du prix du pétrole et du cours de l’euro qui sont en train de plomber notre économie.

Voici dons que le rapport gauche/droite va s’inverser sous l’effet du vote des électeurs les moins convaincus et les plus superficiels. C’est la démocratie. Mais qu’est-ce que c’est difficile à supporter. On leur disait bien, à ces électeurs flottants, que presque tout ce que disait Sarkozy n’était que promesse sans fondement. On leur disait aussi que ce serait un Président inconstant, inconsistant et immature. On leur disait encore qu’il n’était mû que par son ambition personnelle même s’il jurait le contraire. Ils n’ont rien voulu entendre. Et au cause de cette surdité, il va falloir se taper ce Président-là pendant plus de quatre ans encore.

Et dire que la prochaine fois, ce sera pareil !

Municipales et les blogs des candidats: du caca mou

Décidément, les politiques sont tous les mêmes. Rue89 confirme une impression que j’avais: les commentaires des blogs des candidats sont « modérés ». En d’autres termes, ce n’est pas parce que vous avez posté un commentaire qu’il sera automatiquement affiché. On peut même dire que seuls les commentaires au moins un peu favorables seront mis en ligne.

Voilà bien les habitudes des candidats. Ils ne peuvent pas imaginer un vrai débat, contradictoire. Avec les risques que cela comporte, c’est certain. Mais vivre la démocratie, c’est vivre dans le risque permanent d’être contesté. Qu’à l’extrême rigueur, on expurge les commentaires injurieux. Et encore. Car l’injure sert rarement les intérêts de son auteur qu’on prendra vite pour ce qu’il est. Pour éviter le mélange, on pourrait même comprendre qu’on classe les commentaires en quelques catégories: dithyrambique, sympathique, critique, très critique, insultant ou ordurier. Et selon son humeur, l’internaute pourrait choisir de commencer par la catégorie de son choix.

Résultat de ces blogs convenus: fuite. J’avais moi-même décidé de ne plus m’y intéresser après l’élection présidentielle. Les deux-trois petits tours et puis je m’en vais de ces derniers jours m’on convaincu. Mesdames, messieurs les politiques, vous courrez droit à la palme des blogs les moins lus. Tant pis pour votre sale tronche. Vous avez encore des années de retard. En plus, quelle importance. On raconte que Jacques Chirac s’étant fait traiter de « connard », un jour au sortir de la messe, répondit quelque chose comme « enchanté, moi c’est Jacques Chirac ». Comme quoi.

On pourrait aussi imaginer des sites Internet du genre « Injuriez-moi », avec promesse de ne pas poursuivre devant un tribunal. Au fond, je pense que cela ferait beaucoup de bien au citoyens qui trouveraient ainsi un espace cathartique, et pour le coup voteraient pour le candidat magnanime.

Mai 1968 : 5 – Le poids du régime gaullien

[Mai 1968: commencer au début]

Les évènements de mai 1958 m’avaient beaucoup amusé. Comme j’étais, à l’époque, très partisan de l’Algérie Française, j’avais vu d’un très bon oeil des militaires s’opposer avec le concours enthousiaste de la population d’Alger à ce qui semblait bien être une politique d’abandon. Il était évident, même pour un gamin de 14 ans, que le gouvernement français ne faisait pas ce qu’il fallait. Personne n’était dupe des artifices de langage, façon « opérations de maintien de l’ordre ». On voyait bien que, depuis quatre ans, la France lâchait peu à peu du lest devant le F.L.N.. On savait bien qu’il y avait des combats. On savait bien qu’il y avait des tués. Et on commençait à se demander à quoi cela allait servir si c’était, au final, pour abandonner l’Algérie.

degaulle.1183309085.jpgOn a dit, après coup, que Massu et Salan avaient préparé un coup d’état. Je ne m’en étais pas rendu compte. Peut-être la longueur et le ton des émissions d’information à la radio m’avaient un peu fait dresser l’oreille. Mais, en vérité, je voyais l’affaire comme circonscrite à Alger, je ne pensais pas à des retombées en Métropole. Je voyais d’un bon oeil que s’installe en Algérie un pouvoir fort, décidé à mater la rébellion et à mettre en place l’Algérie Française. La venue du Général de Gaulle comme Premier Ministre m’apparaissait comme un cheveu sur la soupe. Mais bon, il avait eu ces mots superbes, « je vous ai compris ». Et comme beaucoup d’autres, je ne soupçonnais pas que les Pieds Noirs allaient se faire rouler dans la farine et que quatre ans plus tard, le même, liquiderait la question.

Pendant quelques années, j’ai assez bien supporté le régime Gaulliste. Mes conflits d’adolescents m’opposaient à ma famille et non à la société toute entière. Mais, les 20 ans venus, je ressentis tout autre chose. La Cinquième République était une république où on ne rigolait pas. L’information était contrôlée, voire censurée. La libéralisation des moeurs, telle qu’on la connaissait en Grande Bretagne ou au Benelux n’entrait pas en France. Le souvenir le plus fort de cette pesanteur concerne la vie sexuelle. A l’âge que j’avais, vivant une relation amoureuse forte et stable, la question de la contraception était, naturellement, importante. La libéralisation en Grande Bretagne et au Benelux n’avait pas affecté la gouvernance française. Sans parler de l’avortement qu’on savait sauvage pour les pauvres ou expatrié pour les plus aisés. On allait consulter des gynécologues qui vous prescrivaient des diaphragmes et des gelées spermicides qu’on commandait par la poste en Angleterre en priant le ciel que la douane n’aille pas y mettre… son nez.

L’image que j’ai encore du monde Gaullien est celle d’acteurs de la vie publique sévères, voire sinistres, vêtus de vestes et de pantalons sombres. Le ténébreux Préfet de Police, Maurice Papon. Roger Frey et Christian Fouchet, ministres de l’intérieur: des hommes sans joie. C’est tellement lourd que je me prends à regretter que l’attentat du Petit Clamart ait échoué. Quand ils guillotinent Bastien Thiry, j’écris un texte violent contre la peine de mort.

Le couvercle de la marmite Gaullienne pesait fort sur la jeunesse dont je faisais partie. Les libertés étaient limités. Le pourvoir contrôlait tout. La télévision était aux ordres. Des films étaient interdits. Les manifestations ouvrières paraissaient hors la loi tant elles étaient policièrement encadrées. Et puis, il y avait eu cette manifestation du F.L.N. du 17 octobre 1961 qui s’était soldée par des dizaines, voire des centaines de victimes. Et comme, en plus, la presse n’en disait presque rien, nous fîmes rapidement une analogie, sans un peu sommaire, mais bien compréhensible, entre le Nazisme et ces pratiques. Et puis il y eut Charonne. Le 7 février 1962. Là aussi, Papon donne l’ordre de réprimer la manifestation et ce fut le massacre que l’on sait (pour des détails, cliquer ici ).

Un peu d’exutoire vient de la culture: C’est Jean Vilar et le T.N.P.. C’est la rencontre avec la poésie (Liberté), avec Aragon. C’est Jean Ferrat. Et Brel, bien qu’il ne soit pas engagé de la même façon. Et naturellement Georges Brassens avec une prémonitoire description du marché de Brive la Gaillarde. C’est aussi, bien sûr, le jazz que j’aime autant pour ses qualités musicales intrinsèques que pour l’évocation de l’esclavage et de la question noire.

Les six années de pouvoir personnel, comme nous disions, qui vont suivre la fin de la guerre d’Algérie seront de plus en plus lourdes. Le sentiment d’être dans un pays qui n’est plus vraiment une démocratie, avec des ministres aux ordres, avec des députés aux ordres augmente sans cesse. En 1962, j’avais 18 ans. En 1968, j’en aurai 24. C’est toute ma jeunesse qui en prend plein la gueule. Et je ne suis pas le seul. Nous sommes prêts pour saisir la moindre occasion pour sortir de là.

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