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Egypte : Peut-on être rassuré ?

Une armée qui prend le pouvoir, une assemblée dissoute, une constitution suspendue. Est-ce un bon symptôme. Nous avons déjà connu de semblables situations qui n’ont pas menées à la démocratie. L’exemple le plus connu est, naturellement, celui de Pinochet et de sa bande.

Une différence cependant : Pinochet était soutenu par les américains. Pour l’instant rien de tel en Egypte. Pour l’instant.

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Rythmes scolaires, gardons les vacances !

Il est une donnée de la chronobiologie qu’on ne souligne pas suffisamment, c’est que le «bon» rythme n’est pas une domination de la biologie du sujet sur l’environnement, mais une adaptation réciproque. L’exemple des spéléologues privés de l’alternance des jours et des nuits et qui dérivent leur propre rythme nycthéméral l’illustre bien.Le sujet s’adapte toujours. C’est donc le coût de cette adaptation qui doit être étudié. L’organisation de la journée de nombres de skieurs qui s’alimentent mal, commencent tôt et sont fatigués a midi est stupide. J’ai pu montrer personnellement (sur 720 préadolescents) qu’en adaptant alimentation et horaires, on réduisait à zéro les accidents de ski.(1).
Il faut considérer avec suspicion, les études «l’opinion» de ceux qui «pensent» que 4 jours et demi d’école valent mieux que quatre. Il ne s’agit pas de «penser», mais de prouver par des études scientifiques sérieuses. Et il y en a beaucoup. De très sérieuses.
Il y a plusieurs choses qu’on peut affirmer, d’autres qui relèvent davantage de «l’opinion».
Le premier principe est qu’en matière d’apprentissage il y a, au moins, deux règles. On apprend bien des questions auxquelles on s’intéresse et il n’y a pas de relation entre la durée d’un apprentissage et la qualité de celui-ci. Ce n’est donc pas parce qu’on réduit la durée de la journée scolaire qu’on doit forcément rallonger l’année scolaire.
On commencera donc par mettre en pièces, cette aberrante journée de sept, voire de huit heures, des collégiens et des lycéens, suivie d’une ou deux (ou trois) heures de travail personnel à la maison (et l’on voudrait que les sujets restent calmes derrière leur table ! Même les adultes les plus concentrés ne le peuvent pas, sauf de façon exceptionnelle).
On continuera par examiner les méthodes pédagogiques afin de faire disparaître l’ennui. Considérable chantier qui implique d’évaluer les contenus tant dans leur volume que dans la manière de les présenter. Et qu’on formera les professeurs pour qu’ils soient motivants (qu’on le veuille ou non, les instituteurs Freinet (2) n’ennuient jamais longtemps les élèves).
Voici donc avancé l’effroyable carcan des programmes. Mais fondamental, car toute l’organisation scolaire est construite pour les faire passer. Cette révision des contenus est préalable et enverra au diable la mesquine comptabilité du temps scolaire. On enverra aussi au diable cette aberration du travail à la maison. Une lycéenne de première me disait qu’après sept heures de cours, deux de travail à la maison, une pour le repas de midi, deux heures matin et soir pour toilette, repas et divers éléments de la vie quotidienne, les journées sont perçues comme un tunnel.
Donc, la journée scolaire, proprement dite, est trop longue.
Donc, cette journée doit comprendre plus de temps de loisirs éducatifs : encadrés, car si c’est pour ajouter deux ou trois heures de télévision, ce sera pire que tout.

Donc, l’éducation consiste à prendre en charge les élèves au moins aussi longtemps qu’actuellement. Cette prise en charge sera globale : apprentissages, loisirs éducatifs et pas seulement le sport (il y a tant d’autres choses : activités manuelles et artistiques, théâtre, jardinage, éducation citoyenne, conduite auto, soutien scolaire individualisé, participation au travail associatif, voire activités utiles et rémunérées, etc., etc.). Car si l’on écourte la journée en laissant la bride sur le cou des élèves, que feront-ils de ce temps gagné : Trainer ? Télé ? Révision déchirante de la politique de restriction en moyens techniques et en matériel ! Mais autrement tout ne sera que poudre aux yeux !

Après avoir réglé l’affaire de la journée scolaire, on pourra s’intéresser à l’organisation des trimestres et des vacances. Mais on sent bien qu’on sera plus détendu.
Faut-il s’adapter aux différences de climat entre le Nord et le Sud du pays ? Certainement.
Faut-il tenir compte des demandes de loisirs familiaux qui ont des contraintes climatiques et retombées économiques comme le ski ? Certainement.
Faut-il garder des unités de vacances intermédiaires à deux semaines ? Evidemment oui, car il faut aussi une adaptation pour passer du rythme des journées scolaires à celui des journées de vacances. Et pour cela il faut du temps.
Peut-on réduire la durée des vacances d’été sans retombées complexes sur les loisirsfamiliaux et données économiques ? Certainement pas. Dans sa jeunesse, l’auteur ce ces lignes a joui de «grandes vacances» du 15 juillet au 30 septembre, puis du 1er Juillet au 30 septembre (fabuleux !). Seule contrepartie, pas de «petites» vacances à la Toussaint et en février. Il n’a pas souvenir que ce rythme l’ait traumatisé. Par contre, il y avait ces cours mortels avec certains professeurs mortels…

1-Rythme temporel dans un environnement de loisir sportif éducatif péri-scolaire, Communication, Congrès d’Ergonomie Scolaire, Toulouse, 20-22 octo¬bre 1988.
2- Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9dagogie_Freinet
ou http://www.freinet.org/.

Pourquoi pas Ségolène ?

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N’essayez pas de me faire croire que les français auraient été plus maltraités si Ségolène avait été Présidente d e la République ! Elle a perdu parce que son camp a travaillé contre elle. C’est à vomir. On se tape Sarkozy parce que certains socialistes l’ont lis là.

N’essayez pas de me faire croire que DSK c’est mieux. C’est quoi ce DSK le silencieux qui ne veut pas lâcher le FMI s’il n’est pas certain de devenir Président. Et il compte faire quoi DSK ? Il se tait silencieux derrière le prétexte de sa position au FMI ! A-t-il un programme, le DSK qui essorille les démocraties et fait du FMI le valet du capital ! C’est quoi, DSK ? A peine la gauche de la droite. Bayrou est plus progressiste que lui.

Laissons le DSK à sa grasse position. Le peuple n’a pas besoin d’un type comme ça, avec une réputation imaginée on ne sait comment. Il ne dit rien, il n’écrit rien, et il monte dans les sondages. Plus il s’éloigne du peuple et plus il monte. C’est à n’y pas croire ! Mais il faudra bien qu’i se révèle.

Indignez vous !

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Quel beau texte ! Quel bel écrit que celui d’un homme qui vécut la dernière guerre dans la Résistance, qui fut pris, qui fut torturé, qui fut déporté et qui ne fut pas exécuté par une chance extraordinaire.

Quel beau texte que celui qui rappelle que des milliers d’hommes et de femmes ont combattu et sont morts pour un autre monde que celui dans lequel nous sommes et qui s’évertue à détruire le peu qui reste de ce que la France avait construit à l’issue du conflit.

Quel beau texte que celui qui demande des comptes à propos de ce qui est advenu de ces conquêtes : privatisations de ce qui avait été nationalisé, démantèlement des acquis sociaux, prise du pouvoir des puissances de l’argent dont les gouvernants sont devenus les complices, sinon les valets.

Indignez-vous ! Réveillez-vous ! Soulevez-vous ! Ils ne sont pas morts pour que la France, pour que le Monde, devienne ça !

Indigène éditions, Montpellier

Tous les deux mois dans une moissonneuse batteuse

livre_pinglaut.1289334531.jpgDans le langage des campagnes, on dit une « moissbat ». Une moissonneuse batteuse se déplace sur le champ de céréales, coupe, plie, écrase, et restitue le grain d’un côté et la paille de l’autre.

Tous les deux mois, je livre mon corps, à l’auteur du livre ci-joint. Cela se passe le matin, vers 8H20. Debout, assis, couché sur le ventre ou sur le dos, je subis diverses avanies façon étirements, pliages, et autres torsions et ratatinages. Heureusement, nous avons une conversation instructive, ce qui m’évite de porter une trop grande attention aux sévices dignes de la Sainte Inquisition qui me sont infligés (excepté le brodequin, l’entonnoir et le fer rouge).

A la fin, il me prie de me mettre debout, ce que je fais à grand peine. Il regarde son œuvre. Comme c’est de dos, je crains le pire, car il ne me dit rien, sauf « rhabillez-vous ». Chance. Les sujets de la Sainte Inquisition n’ont pas la possibilité de se rhabiller car les morceaux de leur corps sont épars, ici ou là. Moi, j’en sors entier.

C’est là que commence ma dure journée où j’ai l’impression d’avoir été avalé et charquepouillé par une moissonneuse batteuse. Ce qui me console c’est que mon bourreau est essoufflé. Chacun sa croix !

De deux choses l’une, me dit-on. Ou bien je suis masochiste, ou bien cela sert à quelque chose. Bon, je suis un peu masochiste, mais pas à ce point. Alors, je dois bien reconnaître que cela sert effectivement à quelque chose.

 

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Mélenchon: pourquoi pas ?

melenchon.1289663167.jpgLe point de doctrine qui fait toute la différence avec les autres est sa rupture avec l’économie de marché.

Car les socialistes, tout socialistes qu’ils sont, ne l’ont pas rejetée. Ce qui fait d’eux des tenants du libéralisme économique dont on a vu récemment les effets dévastateurs. Ce qui les conduira, s’ils parviennent au pouvoir, à atténuer par des mesures sociales les conséquences du capitalisme sauvage qui sévit ces temps ci sur la planète.

Mélenchon est ce que les communistes auraient pu être s’ils avaient été plus marxistes que staliniens. Et comme ni Lénine, ni Staline, ni Mao, ni tous les autres, étaient plus intéressés par la dictature que par les idées de l’auteur du Capital, les communistes se sont écrabouillés avec l’Est.

Ce n’est pas un hasard si Mélenchon fait bande avec ce qui reste des communistes. Cela ne les enthousiasme probablement pas, mais c’est probablement leur seule manière d’encore exister.

Du coup la frontière n’est pas entre les socialistes et le centre et la droite, elle est entre les socialistes et le Parti de Gauche. Ce dernier pourra trouver quelques alliances avec le NPA et certains « verts », notamment ceux qui sont bien pénétrés de la nécessité d’un changement altermondialiste. Et, de ce point de vue, il est probable qu’Eva Joly est moins loin de Mélenchon que de Strauss-Kahn

Mélenchon est-il « populiste » ?

« Le populisme met en accusation les  élites ou des petits groupes d’intérêt particulier de la société. Parce qu’ils détiennent un pouvoir, le populisme leur attribue la responsabilité des maux de la société : ces groupes chercheraient la satisfaction de leurs intérêts propres et trahiraient les intérêts de la plus grande partie de la population. Les populistes proposent donc de retirer l’appareil d’Etat des mains de ces élites égoïstes, voire criminelles, pour le « mettre au service du peuple ». Afin de remédier à cette situation, le leader populiste propose des solutions qui appellent au bon sens populaire et à la simplicité. Ces solutions sont présentées comme applicables tout de suite et émanant d’une opinion publique présentée comme monolithique. Les populistes critiquent généralement les milieux d’argent ou une minorité quelconque (ethnique, politique, administrative etc.), censés avoir accaparé le pouvoir ; ils leur opposent une majorité, qu’ils prétendent représenter. » (Wikipedia )

Voilà un populisme qui ne manque pas d’attraits.

Edwy Plenel : L’heure du peuple

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Cet article est paru sur Médiapart le 10 octobre 2010. Il n’est pas accessible aux non abonnés (http://www.mediapart.fr/journal/france/201010/lheure-du-peuple). Mais je juge que cette analyse appartient désormais à l’histoire. Qu’Edwy Plenet et Médiapart me pardonnent alors cette entorse au respect du droit d’auteur.

Où va la France ? Nul ne le sait, et les journalistes pas plus que les acteurs de l’actuel mouvement social. C’est une histoire non écrite qui s’invente au jour le jour, de rendez-vous en rendez-vous, de manifestations en grèves. Le pays se sent confusément au seuil de l’imprévu et de l’inattendu, pour le meilleur ou pour le pire, entre extension et reflux, surprise, accident ou épuisement. Depuis les premiers défilés du 4 et du 7 septembre, chacun sent bien que nous vivons l’un de ces moments où le peuple, dans sa diversité d’âge et de condition, entend faire valoir ses droits légitimes contre une légalité illusoire.

La démocratie est de son côté, sur l’asphalte des rues, dans les établissements scolaires ou dans les lieux de travail. Car la démocratie véritable suppose sa présence active. Elle n’est pas ce silence forcé auquel on voudrait le contraindre cinq ans durant, en le laissant seulement choisir, d’élection en élection présidentielle, un maître intouchable avant de l’obliger à retourner en servitude. En tentant de dérégler l’agenda que voudrait lui imposer autoritairement le pouvoir, le peuple défend donc bien plus que ses droits acquis. Il dit, tout simplement, qu’on ne décide pas de son sort sans le consulter. Qu’on ne modifie pas ses conditions de vie sans l’écouter. Qu’on ne lui impose pas des priorités dont il ne veut pas.

C’est ainsi toute la société qui gronde, consciente de l’enjeu symbolique de la bataille des retraites. Sera-t-elle abaissée et humiliée par un pouvoir arrogant qui diffuse peur et défiance, insécurités et divisions, pour mieux imposer les intérêts d’une minorité oligarchique ? Ou bien sera-t-elle relevée et rehaussée par sa propre volonté rassemblée, retrouvant confiance en elle-même afin d’imposer les exigences du plus grand nombre contre les privilèges de quelques-uns ? Deux interrogations qui n’excluent pas un troisième scénario : une société apparemment défaite mais secrètement victorieuse, offrant à ce pouvoir aveugle une victoire à la Pyrrhus tandis qu’elle entrerait durablement et profondément en dissidence, patiemment et paisiblement réfractaire.

Entre ces incertitudes, c’est le temps qui fera la décision. Non pas le temps comme durée ou impatience, mais le temps comme maîtrise et exigence. Trois temporalités s’affrontent ici.

Celle du pouvoir d’aujourd’hui, cette hyperprésidence césariste dont le temps est celui de l’urgence : que sa volonté passe, à tout prix, au plus vite, fût-ce en force et avec violence.

Celle du pouvoir de remplacement, cette opposition socialiste dont le temps est celui de l’attente : que rendez-vous soit pris avec elle pour 2012, sans précipitation ni radicalisation, en lui faisant crédit sans compter.
Celle, enfin, de ce peuple qui manifeste et proteste avec constance, dont le temps est plus essentiellement celui de la vie, de la vie vécue, de la vie sensible, de la vie partagée : que ses vies concrètes, au travail, à l’école et en famille, entre générations, entre voisins et entre collègues, soient défendues, protégées et améliorées ici et maintenant. Ce peuple-là sait bien qu’il ne doit compter que sur lui-même : ce qu’il réussira à prendre ou à sauver le garantira bien plus que des promesses lointaines et, d’expérience vécue, souvent illusoires.

Le temps des manifestations contre l’agenda de Mrs Tina

Nul hasard évidemment si cette citation se trouve en exergue du livre récent des sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Le Président des riches (Zones, 2010). Nul hasard non plus si, au tout début de la présidence de Nicolas Sarkozy, l’un des porte-voix du patronat, Denis Kessler, doté d’un franc cynisme, lâchait un aveu semblable, créditant le nouveau régime de vouloir « défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance » et, au fond, prendre ainsi une revanche historique sur le Front populaire de 1936 dont les idéaux inaccomplis inspirèrent nombre des réformes de 1945. Nul hasard enfin si, dans un lapsus à répétition, le patron des députés UMP, Jean-François Copé, a régulièrement exprimé sa crainte d’une France saisie par « une tentation de la nuit du 4 août dont il faut se débarrasser » (en 2009), voire d’une « ambiance malsaine de nuit du 4 août » (en juin 2010). Oui, cette nuit du 4 août 1789 qui pourtant marque le début de la fin de l’Ancien Régime avec l’abolition des privilèges. Ils ne se cachent donc pas de craindre pour leurs privilèges. Et s’ils ont peur du peuple, c’est parce qu’il n’est pas dupe de leurs intentions.

Car, toutes générations confondues, il sait que l’affaire des retraites n’est pas une question comptable mais un enjeu de société. En prétendant, contre toute rationalité économique, qu’il n’y aurait qu’une seule solution pour préserver les pensions, celle de contraindre les salariés à travailler et à cotiser plus longtemps, le pouvoir n’entend pas défendre nos retraites mais attaquer nos sécurités. MicrosoftInternetExplorer4 –> Comme la lettre volée de la nouvelle d’Edgar Poe, placée en évidence sur la cheminée, la vérité de la situation n’échappe qu’à ceux qui se laissent aveugler. Et c’est bien là le message du mouvement social : ne plus se laisser avoir, ne plus se laisser faire, ne plus se laisser tromper. D’où cette méfiance récurrente envers les médias dominants, au risque de confondre les journalistes avec leurs employeurs, tant leur responsabilité est grande dans ce moment particulier. Car ils ont le pouvoir de nommer les choses et, par conséquent, de nous tromper en les parant d’atours mensongers, très loin du réel et tout près de l’idéologie. Réforme ou contre-réforme ? Discours sécuritaire ou propos incendiaires ? Identité nationale ou pédagogie xénophobe ? Dans la filiation de George Orwell, l’auteur de 1984 qui avait démasqué la novlangue des dominations modernes, le collectif « Les mots sont importants » met en garde, à juste titre, contre ces lieux communs du langage médiatique où se donne à voir une « euphémisation de la violence des dominants » associée à une « hyperbolisation de la violence des dominé-e-s ».

« L’euphémisation consiste, étymologiquement, à positiver du négatif, rappellent ses initiateurs, Sylvie Tissot et Pierre Tevanian. Dans la sphère politique, elle consiste à essentiellement occulter, minimiser, relativiser et justifier une violence » (Les mots sont importants 2000-2010, Libertalia, 2010). Ainsi ne parlera-t-on que de réforme, de modernisation, d’assouplissement, etc., quand le droit du travail est affaibli, la protection sociale réduite et tel service public privatisé. A l’inverse, la révolte de ceux qui subissent ces mesures sera qualifiée de conservatisme, de corporatisme et de crispation, voire de provocation.
Les éditoriaux des médias dominants sont actuellement encombrés de ces raisonnements automatiques qui font fi des expertises syndicales ou associatives, vulgate dont le dernier exemple en date fut offert par l’actuel directeur du Monde. « There is no alternative », avait l’habitude de dire Margaret Thatcher pour justifier sa contre-réforme néo-libérale, ce qui lui valut chez ses opposants le surnom de Mrs Tina. Il n’y a pas d’autre solution, ne cessent de répéter après elle ses équivalents français, adhérents tacites de ce «cercle de la raison» qui unit droite et gauche supposées gestionnaires… dans leur irrationalité et leur irresponsabilité.–

La priorité à l’emploi contre la diversion des retraites

Car, entre-temps, une démonstration cinglante est survenue avec cette troisième crise historique du capitalisme dont nous sommes loin d’être sortis, aussi ample et profonde que celles de 1857 et de 1929. Le bilan de ces politiques sans alternative, ou plutôt niant toute alternative, est là : des richesses dilapidées, des inégalités accrues, un chômage en hausse, des sociétés affaiblies, des peuples inquiets, des pays désindustrialisés, des économies fragilisées, etc. Au grand dam des excellents « économistes atterrés », qui refusent de tourner la page de cette démonstration radicale toujours inaudible dans les discours dominants, Mrs Tina est donc de retour, en version tricolore. Elle l’est en fait depuis le début de ce feuilleton des retraites, depuis qu’au printemps dernier, le piège d’un agenda présidentiel aussi soudain qu’impatient s’est refermé sur des directions syndicales trop consentantes et sur une opposition socialiste trop complaisante.

En effet, en quoi les retraites étaient-elles l’urgence du moment ? Pourquoi fallait-il, toutes autres affaires cessantes, sur un dossier si complexe, trancher si vite, dans un calendrier si serré qui présageait de l’humiliation finale du Parlement via la censure de fait de l’opposition ? Comment en est-on venu à imposer à tout un pays de débattre d’un futur incertain – le fameux « trou » des retraites – sans aucunement discuter d’un présent évident – le chômage et la crise ?

Ce que la protestation actuelle s’efforce de nous faire comprendre, c’est que l’agenda présidentiel des retraites était en lui-même un piège. D’emblée, la méthode choisie fut celle de la revanche symbolique contre les syndicats et la gauche, plutôt que celle d’une recherche du compromis ou du consensus. Dans ses procédés (ce calendrier en forme de déclaration de guerre), comme dans ses objectifs (cet isolement d’un dossier pourtant indissociable de celui de l’emploi), cette offensive tenait du calcul partisan plutôt que de la responsabilité politique.

Car ce sont bien les emplois qui font les retraites et ce sont bien les actifs qui financent les pensions. Comment cette évidence a-t-elle pu disparaître à ce point du débat public alors que la France connaît un taux de non-emploi des moins de 25 ans qui bat des records en Europe ? Pourquoi ne pas avoir fait des mesures pour l’emploi des jeunes un préalable à toute discussion sur l’avenir des retraites ? Autrement dit, ce que rappelle le mouvement social aux directions syndicales comme à l’opposition parlementaire, c’est que, pour porter une alternative crédible, il faut d’abord être capable de promouvoir un agenda différent de celui du pouvoir, d’imposer dans la société un raisonnement qui ne soit pas pris au piège des préjugés gouvernementaux.

Aujourd’hui, l’emploi devrait être la question centrale d’une République authentiquement sociale. Le nombre des inscrits au Pôle emploi a augmenté de 1,1 million entre juillet 2008 et juillet 2010. Avec 4,6 millions d’inscrits, soit un actif sur six, le record enregistré il y a treize ans, en 1997, est battu. Les inscrits au Pôle emploi qui n’ont pas travaillé du tout étaient 2,7 millions en juillet dernier, soit un actif sur dix. Quant au nombre de chômeurs de longue durée, il ne cesse de croître, atteignant plus de 1,4 million, soit un actif sur vingt. Les plus touchés sont les ouvriers, mais les employés ont vu leur nombre de chômeurs augmenter d’un quart en deux ans, tandis que les jeunes de 15 à 24 ans sont évidemment les premières victimes de la crise.

A cette priorité de l’emploi, que l’offensive sur les retraites avait pour objet de reléguer au second plan, s’ajoute la question de la répartition des richesses, spectaculairement illustrée par l’affaire Bettencourt, durant l’été. Liliane Bettencourt gagne 550 euros par minute sans rien faire tandis que la moitié des salariés du pays gagnent moins de 1500 euros par mois. Toute la machinerie idéologique mise en œuvre voudrait faire porter aux travailleurs la responsabilité des déficits publics et, ainsi, évacuer toute interrogation sur une politique immensément favorable, depuis dix ans, aux plus fortunés. Tandis que le poids des dépenses publiques dans le PIB français restait stable (de 52% en 1985 à 53% en 2008), en revanche les politiques de réduction d’impôt mises en œuvre n’ont cessé d’appauvrir l’Etat, dans des montants astronomiques confirmés par le député UMP Gilles Carrez et détaillés par Mediapart.
Tandis qu’ainsi, certains s’enrichissent en dormant, sans faire grossir la richesse collective, le travail des Français restait parmi l’un des plus productifs au monde en 2009, seulement devancé par l’Irlande et le Danemark, comme le rappelle le dossier d’octobre d’Alternatives économiques, consacré à juste titre au chômage. Selon les calculs du mensuel, chaque Français qui occupe un emploi a produit l’an dernier 5% de richesses de plus qu’un Américain, 19% de plus qu’un Italien, 21% de plus qu’un Allemand et 28% de plus qu’un Britannique. La France cumule donc ce paradoxe d’être à la fois l’un des pays où ceux qui ont un emploi produisent le plus de richesses et où le nombre de demandeurs d’emploi est le plus élevé. C’est aussi, contrairement aux fredaines officielles, l’un des pays fiscalement les plus favorables aux plus fortunés dont le taux d’épargne est un des plus élevés au monde.

Notre droit à avoir des droits contre leurs privilèges
Partage des richesses, partage du travail, relance plutôt qu’austérité, confiance au lieu de défiance, solidarité contre inégalité : les quelques données ci-dessus rappelées suffisent à indiquer d’autres priorités, d’autres raisonnements,

d’autres solutions que celles aujourd’hui imposées au pays par le pouvoir. Dans un ouvrage très pédagogique, L’Enjeu des retraites (La Dispute, 2010), le chercheur Bernard Friot les détaille minutieusement, déconstruisant avec méthode tout l’argumentaire des prétendus réformateurs.

« Pourquoi ne sauve-t-on pas les retraites de la même manière qu’on a sauvé les banques ? demande-t-il ingénument. On vient de sauver les banques en leur donnant de l’argent, beaucoup d’argent d’ailleurs, tandis que, pour « sauver » les retraites, depuis vingt ans, on ne fait que leur ôter de l’argent, principalement par le gel du taux des cotisations patronales. N’est-ce pas étrange ? (…) Sauver par la saignée : Molière nous a appris à nous méfier de ces dangereux médecins et de leurs prétendus remèdes. D’autant plus qu’il y a trente ans que cette thérapeutique dure et que nous voyons bien que ces sauvetages ne sauvent que les actionnaires. »
Ce livre met à nu l’irrationalité de la réforme et, surtout, combien elle fait l’impasse sur les retraités eux-mêmes, leur rôle dans la société, leur contribution à la solidarité, leur rapport au travail. Sur Mediapart, Mathieu Magnaudeix a tôt détaillé les cinq grandes injustices d’une réforme qui taxe beaucoup le travail, très peu le capital ; qui occulte les inégalités d’espérances de vie ; qui pénalise les femmes et les plus modestes ; qui risque d’aggraver les conditions de travail ; et qui, enfin, fait un tri arbitraire entre les pénibilités.

Il faut sans doute y ajouter le déni de la retraite elle-même comme réussite sociale, épanouissement d’activités choisies, occasion d’entraides inter-générationnelles, invention d’une seconde vie libérée d’anciennes servitudes et contraintes, don à la collectivité de son temps libre, engagement dans le tissu associatif, etc.
On prête à la ministre de l’économie, Christine Lagarde, ce cri du cœur pour justifier l’obligation de rechercher un emploi faite désormais aux chômeurs de plus de 57 ans : « Mais, enfin, on n’est pas fichu à 57 ans ! » Comme s’il fallait être fichu, abîmé, blessé, épuisé, pas loin du cercueil, etc., pour avoir droit à la retraite et, ainsi, bénéficier de cette seconde vie qui, l’allongement de l’espérance de vie aidant, ne signifie aucunement un retrait de la société ! Sans doute inconsciente, cette morgue sociale exprime l’impensé profond de l’offensive gouvernementale : en culpabilisant ainsi ceux qui n’ont d’autre richesse que leur travail, une vie de travail dont la retraite est l’une des récompenses, c’est en fait notre droit d’avoir des droits que met en cause ce pouvoir.

Sa contre-réforme tourne le dos à la philosophie du « droit naturel » qui, depuis le dix-huitième siècle, a nourri l’espérance démocratique et sociale : cette idée que l’homme a naturellement des droits, tout simplement parce qu’il est homme et que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (Article 1 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789). Des droits donc, droit au travail, droit à la santé, droit à l’éducation, droit au repos, droit au logement, droit à la libre circulation, droit d’expression et d’opinion, etc. Des droits naturels, pas des droits conditionnels.
Dans la diversité de ses situations, le peuple qui s’ébranle a compris cet enjeu. On se tromperait en effet et, notamment, l’on ne comprendrait rien à l’irruption de cet acteur improbable qu’est le mouvement lycéen, si l’on voulait réduire l’actuelle protestation dont les retraites sont le point de ralliement à cette seule question. C’est une protestation bien plus vaste et profonde qui s’exprime, venue de tous les secteurs touchés par les dégâts des régressions en cours : non seulement l’éducation, mais aussi la santé, la justice, l’habitat, les territoires, l’immigration, les services publics, le transport, les équipements collectifs, etc. Partout, les revendications sont latentes tant les conditions de travail se sont dégradées. Partout, des colères rentrées cherchent l’occasion de s’affirmer. Partout, des humiliations accumulées espèrent leur revanche.

Le temps de la démocratie contre le présidentialisme

Pour l’opposition socialiste, qui prétend succéder à ce pouvoir d’ici un an et demi, ce paysage devrait être réjouissant. Or, loin de se saisir de cette opportunité, on sent la majorité du Parti socialiste prudente, voire méfiante. Certes, elle accompagne le mouvement, mais s’abrite derrière les directions syndicales alors même qu’elles sont elles-mêmes impuissantes à faire céder le pouvoir et à trouver une issue à la crise. Laissant les mobilisations se succéder sans chercher à leur offrir une perspective politique, le PS s’est empressé de mettre en garde contre la radicalisation et, à la vérité, renvoie le présent au futur : l’élection présidentielle de 2012.
Son attentisme est à la fois de conviction et d’opportunité : parti d’élus et non plus de masse, il s’alarme spontanément au spectacle de la rue manifestante, dans la mesure où elle est imprévisible et incontrôlable ; parti converti au présidentialisme bonapartiste, il a renvoyé à ses « primaires » de l’été 2011 l’arbitrage de ses compétitions internes.

En d’autres termes, tout cela vient trop tôt et il n’est pas encore prêt. A tel point que sa première secrétaire se comporte plus en syndic de la diversité socialiste qu’en leader d’une opposition de gauche rassemblée. A tel point, de plus, qu’au bout de trois ans et demi de présidence sarkozyste, cet inévitable parti central ou charnière de la gauche qu’est le PS n’a jamais cherché à réunir ou organiser un front commun unitaire des oppositions politiques.

Le PS prend ainsi le risque de se comporter avec une mentalité de propriétaire, comme si le pouvoir allait lui revenir naturellement sans qu’il fasse d’effort sur lui-même et auprès de la société. Il attend, et espère que le peuple voudra bien attendre avec lui, au point de lui demander d’arbitrer ses rivalités intestines en ouvrant largement le collège électoral du choix de son candidat. Mais c’est un pari discutable de croire que ledit peuple n’a pas de mémoire. De mémoire immédiate, d’abord : le moment venu, il se souviendra de ceux qui se seront vraiment opposés, sans relâche ni compromis, sans hésitations ni précautions, à cette hyperprésidence. De mémoire longue, ensuite : d’instinct, il sait bien que cette exacerbation de la crise démocratique française dont le sarkozysme est à la fois l’instrument et le produit a une histoire, dont les gouvernants socialistes d’hier sont aussi comptables. Bref, le peuple n’est pas incapable de faire lui-même l’inventaire, et notamment parmi ceux qui, justement, n’auront pas fait leur propre travail d’inventaire.

L’aile gauche du PS n’est certes pas insensible à ces arguments, et l’on sent qu’elle tente, ces jours-ci, d’ébranler sa lourde machine partisane. A l’opposé, le discours le plus symptomatique du conservatisme socialiste est aujourd’hui tenu par François Hollande qui, en ces temps de protestation sociale, a bizarrement fait de l’anti-sarkozysme sa cible politique favorite. L’ancien premier secrétaire du PS lors des deux dernières défaites présidentielles, celles de 2002 et de 2007, n’a de cesse de fustiger cette « paresse » ou cette « facilité » que serait l’anti-sarkozysme, posture, ajoutait-il le 26 septembre sur RTL, « à la portée du premier venu ».
Pourtant, c’est ne pas voir, ou plutôt se refuser à voir, que l’anti-sarkozysme populaire n’est pas une négation, mais une exigence. Que, loin d’exprimer seulement un refus, il affirme le désir de réponses radicalement nouvelles, et non plus la répétition de recettes éculées. La critique active, par la société elle-même, de cette présidence met la barre haut, qu’il s’agisse des pratiques démocratiques (un présidentialisme sans contrôle), des questions sociales (une politique de classe) ou des sujets internationaux (le refus du monde).

Or, à l’exception des questions fiscales dont François Hollande est un spécialiste indéniable, on attend toujours, dans ces trois domaines, les propositions concrètes des socialistes marquant une véritable rupture avec non seulement ce que nous subissons depuis 2007, mais aussi avec ce que nous avons vécu depuis que le PS revendique « une culture de gouvernement » qui, dans les faits, a souvent signifié sinon sa conversion à l’ordre existant, du moins son accommodement ou son arrangement avec le monde tel qu’il va, injuste et inégal.

Grand corps sans tête, le mouvement social actuel est confusément animé par l’espoir d’une opposition déterminée, témoignant d’une altérité véritable avec l’oligarchie sociale qui, aujourd’hui, prétend régenter notre République. Car ce que nous donne à voir cette présidence, dans toutes ses pratiques comme dans tous les domaines, c’est la confiscation du bien commun par une minorité qui, au croisement des mondes financiers et politiques, se croit au-dessus du peuple, plus compétente que lui, plus experte et plus clairvoyante, plus à même de choisir à sa place son avenir et de le conduire là où, sans doute, il ne voudrait pas aller. S’ils ont peur du peuple, c’est parce qu’au fond, ils n’aiment pas la démocratie, ce régime où n’importe qui peut prétendre s’exprimer, voter, se faire élire, voire gouverner, sans privilège de fortune, de naissance ou de diplôme. Tel est le scandale démocratique qu’ils veulent conjurer, en instituant durablement les nouveaux privilèges d’une oligarchie de la possession, de l’avoir et du pouvoir.

L’heure du peuple, c’est donc le temps de la démocratie. D’une démocratie vivante et réjouissante, inventive et curieuse, égalitaire et solidaire. D’une démocratie qui n’attend pas.

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Aidons Jérôme Kerviel

La condamnation de Jérôme Kerviel est tellement démesurée que je demande à tous de venir à son aide.

Déposez votre contribution au remboursement des dommages et intérêts, de 1 centime dans les agences de la Société Générale.

Des Hommes et des Dieux

Je me souviens – j’avais alors 15 ans – d’une dissertation en langue anglaise où je m’étais permis d’écrire « heroism is not heroism ». J’y expliquais quoique confusément, à cet âge, que les héros étaient probablement des hommes simples que leur déontologie, leur morale, leur philosophie, leurs croyances, avaient conduits, sans pouvoir déroger, sur des chemins dont ils connaissaient le danger et peut-être l’issue fatale.

En regardant le film « Des hommes et des Dieux », j’ai rencontré cette vérité. Voilà des hommes qui sont là, qui se sont enracinés dans ce village qui leur apporte à la fois une certaine joie de vivre dans un lieu paisible et l’accomplissement de leur naturelle vocation d’apporter un peu de bien à autrui. Et quand le péril vient, non sans hésitations, même pour ceux dont le chemin semble tout tracé, il devient naturel de continuer. Les expériences de la vie commune, de l’amour des autres, de la beauté du lieu, s’unissent pour tracer la seule voie compatible avec cette vie-là.

Et, ce qui est encore plus beau, dans le film, c’est qu’on nous montre que les héros sont êtres humains qui ont peur. Et c’est cette peur-là qui donne toute son humanité à cette histoire vraie. Pas d’invocations ! Pas de martyre ! Rien que la simple réalité d’hommes à la fois forts et faibles dans leur chair et dans leur esprit décidés à attendre là, parce que c’est leur place, que le futur se réalise comme il doit être.