Maurice Allais est le seul Prix Nobel d’Economie que la France ait jamais eu (1988). A ce titre, on aurait pu penser que tous les commentateurs et exégètes de la crise auraient pu l’interroger. Et si l’on pensait (à tort) qu’il était trop âgé pour ce faire, on aurait pu, au moins, consulter son oeuvre. Dans un article dans le journal Le Monde, paru le 25 janvier 2009, l’auteur, Pierre Antoine Delhommais, faisait rappel de son livre La Crise mondiale d’aujourd’hui (1999).
Je cite:
« De profondes similitudes apparaissent entre la crise mondiale d’aujourd’hui et la Grande Dépression de 1929-1934 : la création et la destruction de moyens de paiement par le système du crédit, le financement d’investissements à long terme avec des fonds empruntés à court terme, le développement d’un endettement gigantesque, une spéculation massive sur les actions et les monnaies, un système financier et monétaire fondamentalement instable (…).
Ce qui est éminemment dangereux, c’est l’amplification des déséquilibres par le mécanisme du crédit et l’instabilité du système financier et monétaire tout entier, sur le double plan national et international, qu’il suscite. Cette instabilité a été considérablement aggravée par la totale libération des mouvements de capitaux dans la plus grande partie du monde.
(…) Depuis 1974, une spéculation massive s’est développée à l’échelle mondiale. A New York, et depuis 1983, se sont développés à un rythme exponentiel de gigantesques marchés sur les «stock-index futures», les «stock-index options», les «options on stock-index futures», puis les «hedge funds» et tous «les produits dérivés» présentés comme des panacées (…).
Qu’il s’agisse de la spéculation sur les monnaies ou de la spéculation sur les actions, ou de la spéculation sur les produits dérivés, le monde est devenu un vaste casino où les tables de jeu sont réparties sur toutes les longitudes et toutes les latitudes. Le jeu et les enchères, auxquelles participent des millions de joueurs, ne s’arrêtent jamais. Aux cotations américaines se succèdent les cotations à Tokyo et à Hongkong, puis à Londres, Francfort et Paris. Sur toutes les places, cette spéculation, frénétique et fébrile, est permise, alimentée et amplifiée par le crédit. Jamais dans le passé elle n’avait atteint une telle ampleur (…).
L’économie mondiale tout entière repose aujourd’hui sur de gigantesques pyramides de dettes, prenant appui les unes sur les autres dans un équilibre fragile. Jamais dans le passé une pareille accumulation de promesses de payer ne s’était constatée. Jamais sans doute il n’est devenu plus difficile d’y faire face. Jamais sans doute une telle instabilité potentielle n’était apparue avec une telle menace d’un effondrement général. »
Mais comment cette déraison est-elle devenue possible ?
A cela, une seule réponse : le dogme du libéralisme et le refus de l’encadrement de l’économie et du protectionnisme.
Cet encadrement n’aurait ouvert les barrières douanières qu’entre les pays ayant atteint un niveau de développement comparable Et si le Traité de Rome avait un sens lorsqu’il était signé par les six pays fondateurs, il n’en a aucun quand le coût du travail est si différent entre la France et la Roumanie. Ce qui veut dire que le traité de Lisbonne est insensé ! Pire encore, lorsque la différence est celle de la Chine et de l’Europe. La Chine est devenue l’usine du monde parce que ses coûts de production, ses coûts salariaux notamment, sont dérisoires. En voulant trouver le meilleur prix pour le téléviseur à écran plat, l’ouvrier français n’est probablement pas conscient qu’il y trouve en même temps la disparition de l’emploi en France.
C’est une vue à court terme, voire illusoire, que de croire que la concurrence peut être un moteur universel de l’économie. Sans aller loin, il suffit de s’intéresser à quelques exemples nationaux :
– La libéralisation du marché des télécommunication a-t-elle été profitable ? Sur le plan des tarifs ? Très peu puisque les opérateurs s’entendent entre eux. Sur le plan du service ? Absolument pas. Su le plan des emplois ? Encore moins. On est passé d’un service public imparfait à des entreprises au service très imparfait, alors qu’il aurait suffi à l’état patron d’imposer à France Télécom les changements nécessaires
– La libéralisation du marché de l’électricité a-t-elle été profitable ? Sur le plan des tarifs, on craint le pire. Sur le plan de la sécurité, notamment des centrales nucléaires ? On crait le pire. Sur l’investissement à long terme et la sécurité des approvisionnements ? C’est le brouillard.
– Qu’apportera la privatisation du transport ferroviaire ? Si l’on en croit l’exemple britannique, des morts !
Dans le monde privatisé, l’égalité du citoyen devant les services publics n’existe plus : pas de téléphone dans les lieux retirés (ou très cher) , pas d’électricité, etc.. Superbe dispositif d’aménagement du territoire ! En matière d’Internet ce sont souvent les départements qui investissent. En matière de transport ferroviaire, ce sont les régions. Au final c’est le contribuable qui paye pour que soit maintenue un relative égalité de service, pendant que les société privées concessionnaires s’empifrent. Sur le long terme, on a déjà l’expérience de la distribution de l’eau ou des pompes funèbres.
Par ailleurs, l’encadrement n’aurait pas permis la gigantesque partie de poker menteur mondiale que sont l’augmentation frénétique du crédit et la folie des marchés spéculatifs. Comme le disait très justement Maurice Allais, les dettes s’empilent sur les dettes.
Et pire encore : on se rend compte qu’une fois la tempête passée, et pas encore la crise, les mêmes recommencent les mêmes jeux de cons qui ne font qu’entretenir la misère des trois quarts de la population mondiale. Il serait temps que les hommes politiques en prennent conscience. a moins qu’ils ne soient déjà complice pour avoir sablé le champagne avec les patrons des multinationales au Fouquets, un soir d’élection. Et si les politiques n’en prennent pas conscience ou sont complices, il faut qu’on les change. Vite.
Un article paru sur le site de Solidarité et Progres proposait de délocaliser Pascal Lamy. Voilà une bonne idée. Mais il n’est pas seul. On pourrait faire un ou deux charters.

Notes d’économie politique 44 – 14 novembre 2009
>