Archive dans 21 mars 2008

Chantal Sébire

J’éprouve le besoin d’écrire quelques lignes au sujet de cette femme. Quelques mots d’admiration pour sa lucidité. A cette heure, j’ignore quel moyen elle a trouvé pour échapper à la cruelle réponse qui a été donnée par la Justice (au nom du peuple français !) à son souhait de finir en paix.

Dans ces circonstances, pour autant qu’elles soient médicalement établies, il me semble indispensable de laisser ceux qui assistent ces malades libres d’agir selon leur conscience sans que la justice s’en mêle. Accordons le droit à mourir, comme il y a le droit de vivre. Accordons le droit d’aider à mourir si le patient réclame cette assistance. Chantal Sébire avait sans doute besoin de cette participation pour l’aider à passer la porte. Je suis persuadé qu’elle n’a pas fini seule, « inexplicablement ». Elle a mis fin volontairement à sa douloureuse existence. J’espère simplement que ceux ou celles qui étaient près d’elle pour l’assister et ne l’on pas dit, se taisent à jamais.

Laissons dans leur ignorance ceux qui dénient tout droit à « l’euthanasie active », comme la Ministre de la Justice. Qu’ils sachent simplement qu’elle se pratique quotidiennement, en silence, dans le secret des hopitaux, des praticiens de la santé et des familles. Qu’ils sachent que nous n’avons pas besoin d’eux comme directeurs de conscience.

Et que le Procureur de la République de Dijon s’occupe d’autres affaires plus importantes.

La crise: capitalisme et libéralisme coupables

caissevide2.1206056180.jpgIl y a un certain nombre d’années, un ouvrage de François de Closets, intitulé « Toujours Plus« , avait provoqué un certaine émotion : il s’en prenait notamment aux syndicats et à leur clientèle habituelle, les fonctionnaires, par exemple, qui ne cessaient de vouloir s’attribuer des avantages, toujours plus nombreux et plus importants. D’autres prétendus parasites faisaient l’objet de ces mêmes analyses critiques, en fait, tout ce qui touchait, de près ou de loin, aux services publics: transports, radio-télévision, etc.

Aujourd’hui, « Toujours Plus » se rapporte au système bancaire et boursier international. Ces organismes avides n’ont de cesse de toujours vouloir engranger de plus en plus d’argent, leurs actionnaires de toujours vouloir des dividendes plus élevés, leurs dirigeants de toujours vouloir des rémunérations de plus en plus élevées. Hier encore, un « trader » pouvait jouer avec des instruments financiers auxquels 99% des citoyens ne comprennent rien et générer des profits sans cause simplement parce qu’on peut acheter quelque chose d’immatériel d’un côté du monde et le revendre plus cher deux heurs plus tard de l’autre côté. Et de s’acharner à acheter et vendre sans cesse des certificats financiers pour générer des bénéfices avec des commissions que se partagent, au passage, une palanquée d’intermédiaires et de courtiers dont le seul service est de recopier des ordres pendant que les traders sont déjà occupés à autre chose. Que de gens occupés, sur toutes les places financière du monde entier à acheter et vendre et revendre et acheter encore juste pour spéculer sans apporter la moindre plus-value aux peuples du monde !

Espérant encore gagner beaucoup et davantage et plus encore, les banques américaines ont prêté à tour de bras de l’argent à des emprunteurs dont la solvabilité était très improbable. Puis elles ont revendu le risque à d’autres banques qui ont acheté sans vraiment réfléchir tant l’appât du gain était puissant, alors qu’elles auraient pu investir dans des activités plus utiles: recherche et developpement, construction d’habitations pour les plus démunis, que sais-je encore, sans forcément prendre plus de risques ! Mais il faut croire que c’est tellement plus amusant de jouer dans cette loterie.

C’est comme l’affaire dite de la Société Générale. Un guignol gonflé de son importance qu’on a laissé enfler au point de se croire invincible parce que ses premières armes avait été bien profitables. Des supérieurs du guignol qui le laissent prendre des risques immodérés et irréguliers en regard de la latitude qu’on lui avait donné. Des supérieurs, donc, qui ne disent rien tant que le guignol fait du gras et du très gras. Puis vient le moment où le guignol, comme la grenouille de la fable, explose pour avoir pété trop haut.

Alors les banquiers se retrouvent dans une grosse merde et, après avoir, malgré tout, bien servi leurs actionnaires en dividendes, se mettent à tendre la main. La morale aurait voulu que les actionnaires se servent la ceinture. Voire qu’ils remettent la main au portefeuille.

logo-maif.1206056392.gifNote >> Quand la société mutuelle d’assurance dont je suis sociétaire se trouve devant une situation financière grave, elle demande à ses membres d’apporter une contribution. <<

Mais là, non. Les actionnaires touchent leurs dividendes et peuvent se désintéresser totalement des comptes de la société. Alors les banques se tournent vers les autres banques pour qu’elles prêtent. Mais les autres banques sont elles aussi dans la merde. Où alors, elles ne sont pas folles au point de prêter à des confrères dont la solvabilité est incertaine.

Le phénomène dépasse le cercle des banques. Pour arrondir leurs fins de mois ou pour combler leurs actionnaires, les entreprises ont été tentées de faire fructifier leur trésorerie sur le marché des outils financiers. Certaines, d’ailleurs, en raison de la cherté de leurs coûts de production, ne doivent leur santé, toute relative, qu’à ces manipulations. Elles ont été d’autant plus tentées que leurs banquiers se sont faits forts de leur présenter de mirobolants placements tels que les « swaps » qui, au final, se révèlent une formidable loterie (un « poker » dit une personne informée de ma connaissance) qui ne repose sur aucun des critères usuels du marché puisqu’il ne s’agit que « d’échanges de flux d’intérêts » !

Voici donc comment on pose les bases d’incidents monétaires majeurs. Et puis, simultanément, le prix du pétrole et de l’or montent quasi-mécaniquement, avec un coup de pouce spéculatif pour faire bonne mesure. Les sociétés pétrolières sont ravies. Elle vont faire du gras et les actionnaires seront bien joufflu. Mais elles vont aussi trouver, comme lors de la dernère « crise pétrolière » des fonds pour prospecter là où c’est difficile et onéreux.

Et puis, à 150 $ le barril, on pourra exploiter le pétrole dans les sables bitumineux ou dans les chiottes au lieu de dépenser tout cet argent pour investir vers des énergies moins productrices de CO2.

caissevide.1206056235.jpgEn même temps, les Etats Unis, gouvernés par un égoïste crétin, laissent filer la valeur du dollar pour favoriser leurs exportations, ce qui finit par produire une dévaluation de facto, et sévère. Alors cela devient une « crise« . C’est une crise qui montre bien le ridicule des manières capitalistes, car subitement, comme il n’y a plus d’argent pour acheter, ce qui valait hier 100 $ n’en vaut plus qu’un. La valeur des choses est élastique. L’argent se fait rare. Où est-il donc passé ? Ou est-ce à dire que tout cet argent qui circulait avant n’était que fausse monnaie ? Car si l’argent disponible est rare, c’est que les bas de laine sont remplis. Et pourtant les bas de laine sont vides. Voilà que je peux acheter une banque en faillite pour une poignée de dollars. Et on me dit que c’est bien moins que ce qu’elle vaut en réalité. C’est dire tout le côté bidon de tous ces mic-macs monétaires. Contrairement à ce que l’on croît, il semblerait que la maxime « rien ne se perd, rien ne se crée » n’est pas de Lavoisier mais d’Anaxagore de Clazomènes, mais de toute façon, elle ne se rapporte pas à la masse monétaire.

Alors les banques se tournent vers la puissance publiques selon le bon principe de la privatisation des profits et de la nationalisation des pertes.

Si les banques centrales s’y collent, alors ce sera l’argent des petits, des travailleurs, des salariés, des employés, de tous ces pauvres qui en demandent « Toujours Plus » et payent l’iompôt sur le revenu, la taxe foncière, la taxe d’habitation, la T.V.A, et la taxe sur les produits pétroliers, sans compter les taxes sur les cartes grises, les passeports et tutti quanti. Aujourd’hui la FED semble ne se laisser aller que sur les taux d’intérêts. Mais la France avait déjà montré l’exemple du communisto-libéralisme en pillant 130 milliards dans le Trésor Public pour renflouer le Crédit Lyonnais. Ce qui fait 26 unités-Bouton , selon la nouvelle échelle « métrique » proposée cette semaine par le Canard Enchaîné en références aux pertes récentes de la Société Générale.

Il ne fait aucun doute, qu’à un certain moment, l’argent public va « dépanner » ces messieurs et dames. On aurait pu penser que lorsque le Trésor a épongé les dettes du Crédit Lyonnais, on aurait, en compensation, vidé les poches des gras responsables et qu’on aurait nationalisé ladite banque pour qu’au moins, le Trésor touche les dividendes de sa mise.

En réalité, le libéralisme est une méthode de gestion qui permet la nationalisation instantanée et immédiatement réversible quand les pertes son abyssales.

Je n’ai pas besoin de dresser le tableau des conséquences de la cette crise. Des millions de personnes qui n’en sont absolument pas responsables en seront directement ou indirectement les victimes ( dépôts de bilan, délocalisations, licenciements, chômage,…) alors que ce sont ceux-là même qui, avec leur pauvre épargne et toutes les taxes payées, auront financé le sauvetage de tous ces riches soit-disant responsables.

Le capitalisme et le libéralisme sont coupables.

Condamnons-les !

 

 

Le « Bouton », nouvelle unité de compte

Dans son édition d’hier, le Canard Enchaîné propose une nouvelle unité de compte: le « Bouton ». Le Bouton vaut cinq milliards d’euros, soit ce que peut perdre le patron de la Société Générale sans perdre son siège. Le journal précise qu’avec cette unité de compte, le Crédit Lyonnais n’a coûté que 26 Boutons au contribuable français.

On attend maintenant une nouvelle édition de La Guerre des Boutons.

Les Velrans sont des peigne-cul, les Longevernes des couilles molles.

Mai 1968 : 11 – Le 11 mai

[Mai 1968: commencer au début]

Je ne dors pas beaucoup. L’excitation est à son comble. La vision de la scène de guerre de la nuit m’emplit. Auhourd’hui, 40 ans plus tard, je la vois encore. Le feu, les explosions, des ombres qui se déplacent devant les flammes, des tirs.

Je suis persuadé qu’il y a eu des morts. Pourtant, il n’y en eu point. Probablement grâce au sang froid de certains responsables des forces de l’ordre. Et l’on savait bien que tout mort serait un martyr. Il fallait donc qu’il n’y en eut point. Il y en aura plus tard, mais pas cette nuit-là. Par contre, on saura par la suite qu’il y a eu plus de mille blessés, de part et d’autre.

Je m’éveille et me dispose à retourner sur les lieux. Et j’y retourne. Plusieurs fois, je fais le chemin de la rue Gay-Lussac et des rues avoisinantes. C’est un spectacle de désolation. Les voitures calcinées placées en travers de la chaussée forment l’essentiel du spectacle. Mais il y a aussi toutes sortes de matériaux. Il devait aussi y avoir des pavés, mais ce sont les véhicule qui attirent le regard. L’odeur est forte, restes brûlées qui fument légèrement et aussi l’odeur pénétrante des gaz lacrymogènes.

 

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Les gens vont et viennent. C’est curieux comme ils sont silencieux.

Sur le moment, j’ai le sentiment de traverser le champ de bataille de la défaite. Ce spectacle déprimant, ajouté au souvenir des gazés que j’ai vu pendant la nuit, n’est pas encourageant. Les forces de l’ordre se sont emparés des barricades une par une. Bientôt on saura l’acharnement avec lequel elles ont poursuivi les manifestants jusque dans l’intérieur des immeuble sans se priver de matraquer des jeunes sans défense. Bientôt on saura aussi le nombre de personnes ayant été arrêtées.

Est-ce parce que j’ai mal dormi ? J’ai le sentiment que c’est fini. Que c’est perdu. Que l’ennemi a tout emporté.

[Suite] 

Et les communistes ?

drapeau-pc.1205748356.jpgJe n’ai jamais, au grand jamais, été membre du Parti Communiste. J’aurais pu l’être s’il avait été démocratique, s’il n’avait pas été inféodé au stalinisme soviétique. Mais tous ceux qui ont connu la passion et le travail des militants communistes au quotidien, notamment dans la gestion municipale peuvent regretter qu’ils perdent, peu à peu, leur initiative locale, départementale et municipale.

Les communistes que j’ai connu étaient de vrais citoyens, ayant un sens très fort de la solidarité. Ils étaient chaleureux et humains. N’ayant guère, à quelques exceptions, le goût du pouvoir. Leur vie était baignée par le militantisme. Et le militantisme se traduisait dans des actes de tous les jours. Ce n’est pas pour rien que le vrai peuple de gauche, au sens populaire, a donné sa voix pendant tant d’années avec une telle unanimité. Les communistes étaient proches des citoyens, proches des travailleurs ayant du mal à boucler leur fin de mois, près des mères et des familles en difficulté. Bientôt, il n’y aura plus de « Centre Social Jacques Duclos » ou de dispensaire « Staline ». On se moquait de ces patronymes. Mais derrière existait une authentique volonté sociale.

Je les regrette vraiment. Même si, parfois ils étaient irritants par leur côté parfois sectaire. Et je veux, au moment où ils disparaissent encore davantage de la vie politique leur adresser un signe d’amitié. Pas aux dirigeants, bien sûr, qui sont et étaient comme tous les dirigeants. Mais à ces milliers de militants qui avaient donné leur vie pour agir selon leurs idées.

Municipales ou le Sarko-splash

Voici que Sarkozy a sauté dans le bain des élections municipales. Et il a fait un beau plat ! Car, il y a, non seulement tout ceux qui ont voté à gauche et qui se sont bien étoffés, mais tous ceux qui avaient voté pour lui aux présidentielles et qui se sont abstenus. On aura le triomphe modeste, mais tout de même: se faire ramasser ainsi dans un pays qui est, traditionnellement plutôt à droite…

hoteldeville.1205746221.jpgEn même temps naît un grand sentiment de désolation. Car la démocratie en pend un sale coup. Ségolène Royal a perdu parce qu’elle n’avait pas voulu promettre ce qu’elle ne pouvait tenir alors que son concurrent, faisant tout le contraire, regagnait chaque jour du terrain. Et comme, il ne tient pas ses promesses (cf. par exemple, l’affaire des taxis), la déception est d’autant plus grande.

Maintenant, nous connaissons le style de présidence de Sarkozy, « l’autre style ». C’est tellement jouir de ce à quoi il est arrivé que tout le reste n’a pas d’importance. C’est la présidence de l’apparence, enrichie d’un mannequin aussi ambitieuse que lui et probablement au moins aussi dangereuse que lui.

C’est la dêche.

Les totalitaires prennent les gens pour des cons

A l’occasion des évènements du Tibet, voici, une fois de plus, les totalitaires à l’oeuvre. Et voici que, comme à l’accoutumée, l’Agence Chine Nouvelle, après n’avoir rien dit sur les évènements, se prend maintenant à les minimiser. Les manifestants sont présentés comme des mauvais sujets, des casseurs qui s’en prennent à la police. On ne dit pourquoi. Par désoeuvrement ?

Voici qu’on interdit à la presse de couvrir l’évènement. Voici qu’on fouille les bagages des touristes pour s’assurer qu’ils n’emportent pas des photos qui contrediraient ce magnifique échafaudage. Voici qu’on avoue une poignée de morts alors qu’il y en a eu certainement des dizaines, voire des centaines.

Toujours les mêmes méthodes stupides. Comment n’ont-ils pas encore compris que personne, sauf un minus habens, ne peut croire la moindre déclaration ainsi aseptisée des évènements. Il y a bien longtemps que tout le monde sait comment ce genre d’évènements se passe ! Alors, à quoi sert de mentir ? Celui qui agit ainsi se déconsidère en exposant sa propre bêtise dans le traitement de l’information. Il se déconsidère en annihilant la confiance qu’on pourraitibet.1205700896.jpgt lui apporter. Et c’est même contre-productif, car on a tendance à accorder une plus grande confiance à la partie adverse, même si celle-ci, à son tour, trafique un peu les informations.

Qu’ils ne se leurrent pas. A l’époque d’Internet, en plus, nous avons déjà des images et des témoignages. Alors, à quoi sert de mentir ?

Chez Auchan, les chefs de rayon mangent les bonnes pommes

Un petit sujet de divertissement.

pink-lady.1205677579.jpgCe samedi, comme nombre de français, je fais mes courses au supermarché Auchan de Beauvais. Les pommes « Pink Lady » sont affreusement moches.

Arrive un responsable du rayon tirant une charge sur laquelle trônent deux plateaux de superbes pommes « Pink Lady ». Je commence à me servir, quand l’homme m’interpelle:
– Non, vous ne pouvez pas prendre ces pommes.
– Et pourquoi donc ? Les autres sont moches.
– Ces pommes sont destinées à la réunion des chefs de rayon.
– C’est une blague !
– Non, fait l’homme en retirant ces pommes.

Chez Auchan, à Beauvais, les chefs de rayon sont mieux traités que les clients.

Au passage, les 500 G de champignons de Paris « 1er prix » sont à 1.65 €. Les autres à côté, pas 1er Prix, sont à 1.50 €.

J’aime les supermarchés qui me prennent pour un con.

Mai 1968: 10 – La nuit du 10 au 11

[Mai 1968: commencer au début]

Depuis la fin de l’après-midi, la radio nous tient informés des rassemblements importants qui ont lieu au Quartier Latin. Je ne sais plus quelle ou quelles organisations ont appelé à manifester. Mais c’est plus dense que les jours précédents. Je longe la Seine sur la rive gauche dans ma 2CV depuis le Pont du Carrousel jusqu’à Notre Dame, avant de remonter par la rue Monge. La nuit est presque tombée. Et ce ne sont que cars de CRS ou de gendarmes mobiles, le long des quais. Il n’y a presque pas de voitures. La tension est perceptible. L’ampleur des forces de maintien de l’ordre massées là indique que la répression va être très dure.

Je ne suis ni un enragé, ni un casseur. J’ai déjà mis les pieds dans des manifs étudiantes pacifiques. Je me suis trouvé face à la police en tenant des piquets de grève aux porte de la Sorbonne. Mais je n’ai aucune envie d’aller me colleter aux forces de l’ordre, ce soir. Je traverse donc au plus vite ces zones où stationnent CRS et gendarmes mobiles et je rentre chez moi.

Là, j’allume la radio. Je me souviens que c’était un petit poste à transistors noir dont le son était un peu nasillard. Je suis calé sur Europe N°1. Naturellement pas la radio d’état. France Inter est contrôlée, même si elle ne peut ignorer la situation. Peut-être est-ce en souvenir de son passé de chaîne « pirate », à ses débuts, mais le ton d’Europe est très ouvert et semble un peu favorable aux manifestants. Ils ont des reporters sur des motos qui se déplacent rapidement. Mais ce soir, ils ne se déplacent plus. Ils sont peut-être quatre ou cinq, je ne m’en souviens plus, placés aux pieds des barricades qui s’élèvent dans de nombreux endroits.

Il est déjà fort tard dans la nuit. La police n’est pas montée à l’assaut. J’ai envie de croire qu’elle ne le fera pas, ce qui serait une espèce de victoire si les barricades sont encore en place demain matin. On aura par la suite, diverses interprétations de ce long délai. Négociations entre l’UNEF et la Préfecture de Police ? Attente d’un rassemblement très important de manifestants pour les écraser une fois pris au piège ? Hésitations sur la conduite à tenir ? Des mois plus tard, on apprendra que Maurice Grimaud, le Préfet de Police de Paris, négocie aussi avec le gouvernement qui voudrait une répression forte, voire sanglante.

barricade-nuit.1205543803.jpgFolle espérance. Le pouvoir ne laissera pas occuper un quartier de Paris par des forces révolutionnaires. Vient le moment où la police s’ébranle. Mais, avec tout ce temps passé, les barricades ont eu le temps de monter et leurs servants de s’organiser. Pour le coup l’assaut est difficile. Les grenades lacrymogènes sont lancées en nombre, mais la résistance est farouche. On a beaucoup parlé des barricades de la rue Gay-Lussac, car ce qu’on a découvert le lendemain au lever du jour était très spectaculaire. Mais plusieurs rue du 5ème arrondissement sont barrées, notamment la rue d’Ulm au niveau de l’Ecole Normale et la rue Royer Collard. Les reporters, à tour de rôle, font état de la violence des échanges.

Je suis en pleine contradiction. Dois-je y aller ou dois-je n’y point aller ? Il est bien évident que je n’irai pas me poster sur une barricade pour lancer des pavés. Ce n’est pas dans ma manière. Mais quelque chose me dit que je devrais être là, au moins comme témoin.

Le temps passe lorsque la radio relaie un appel de membres de l’équipe de recherche du Professeur Kastler à la Faculté des Sciences. Comme la Faculté de Jussieu est enceinte universitaire et qu’on croit à tort ou à raison que la police n’y entrera pas, un certain nombre de manifestants gazés ou blessées commencent à s’y retirer. La radio indique que le laboratoire va ouvrir pour donner des soins et qu’on fait appel à du personnel médical ou à des secouristes pour organiser les secours. J’ai un brevet de secouriste et enfin ma bonne raison pour trouver un rôle.

J’entre en voiture dans l’enceinte de la Faculté. On est à la queue leu leu. Le gardien se montre débonnaire. De mémoire, je ne sais plus comment j’ai trouvé le chemin, mais cela n’a pas dû être difficile. Quand j’arrive, avec d’autres, il y a une certaine activité point trop désordonnée. On recherche des gens ayant des voitures pour se porter aux limites géographiques des combats pour ramener les manifestants blessés. On nous dit que nombreux sont ceux qui ont été sévèrement gazés et qui ont de grandes difficultés pour se déplacer tant la gène respiratoire est importante. Il y a déjà des ambulances en place. Mais en nombre insuffisant. On nous propose donc de constituer des équipes, avec une voiture pour effectuer le transfert des blessés vers les locaux de Jussieu.

On nous habille avec des blouses blanches et l’on dessine tant bien que mal des croix rouges à la craie dans le dos. Je forme équipe avec un quidam et nous voilà partis. Le chemin le plus court pour aller vers les barricades est la rue Cuvier, puis la rue Lacépède. Là, nous sommes pris dans un embouteillage. Nous sommes près des combats. On entend nettement le bruit continu des tirs de grenades lacrymogènes. Finalement je parviens à grand peine jusqu’aux abords de la rue Mouffetard et je tombe au milieu de violents échanges. Vite demi-tour, par un sens-interdit – mais qui se soucie d’un sens-interdit, ce soir – et nous décidons de nous présenter par la rue Claude Bernard qui est plus large et où l’on trouvera plus facilement un endroit pour stationner.

En effet, pour de la place rue Claude Bernard, il y a de la place. Pas un véhicule en stationnement. Prudents, les propriétaires les ont retirés. Peu de monde. Rue presque déserte. Je parviens donc sans peine à l’angle de la rue des Feuillantines et de la rue Gay-Lussac. Mon compagnon part à la recherche des victimes. Je ne le reverrai jamais.

En y réfléchissant maintenant, je me dis qu’il aurait été vraiment plus fonctionnel de faire des groupes de trois, puisque le chauffeur devait rester naturellement aux pieds de son véhicule.

barricade-nuit-2.1205543868.jpgJ’attends où je suis. Bien forcé d’attendre, je ne vais pas abandonner la voiture. J’ai tout le temps de voir ce que je peux voir de la rue Gay-Lussac. C’est comme dans les films de guerre. Incendies, tirs, ombres qui courent devant des brasiers. Et comme il y a le bruit des tirs, on s’y croirait. D’ailleurs, plongé ainsi, presque au coeur de la mêlée, je suis bien persuadé qu’il y aura des morts et des blessés par balle.

A un moment, je me dis que je suis fait, car un détachement de CRS arrive par le sud, avec apparemment l’intention de se déployer pour prendre la rue Gay-Lussac par derrière. On me regarde avec suspicion, mais la blouse blanche et la croix gribouillée à la craie font apparemment leur effet. Puis ils repartent. Je reste là encore un long moment, frustré par mon rôle de chauffeur ambulancier qui me fige sur place alors que je pourrais aller prodiguer des soins. Mon compagnon m’a donné rendez-vous là. S’il revient et que je suis parti ? Plus d’une heure plus tard, il n’est toujours pas revenu. Je rentre à Jussieu.

Là, le poste de secours s’est transformé en antenne sanitaire importante et organisée. Il y a des salles de soin. Les plus gravement atteints sont dirigés vers l’hopital de la Pitié Salpétrière. Il y a des ambulances, des vraies, pour le faire. Ces ambulanciers sont naturellement bénévoles, ils ne seront jamais indemnisés.

On m’emploie dans un amphithéâtre. Nous recevons toutes sortes de dons que les gens apportent dont des tas de sandwiches qu’on porte à ceux qui sont en état de manger. C’est fou la solidarité qui se manifeste. Pour beaucoup , les manifestants sont épuisés, sales, noirs de fumée. Ils ont encore des difficultés pour respirer. Et les yeux sont terriblement irrités. Il y a là une personne qui semble qualifiée, médecin ou infirmière qui met des gouttes de collyre et s’assure que des soins plus intensifs ne sont pas indispensables. D’aucuns dorment. d’autres sont hagards comme le seraient les rescapés d’un naufrage ou d’un attentat.

Quand je n’ai plus de sandwiches à distribuer, je m’assieds et me rend compte que suis aussi épuisé. J’attends qu’on n’ait plus besoin de moi. Le jour est maintenant levé. Il n’y a plus d’arrivées. Il y a des journalistes, croit-on, qui prennent des photos. La mienne s’est retrouvée dans mon dossier aux renseignement généraux. Il y aura aussi celle de ma 2CV. 55 AA 91 ! Et qui de droit s’en souviendra plus tard.

Il fait grand jour. Je rentre dormir.

[Suite]

Mai 1968: 9 – Avant le 10 mai (suite)

[Mai 1968: commencer au début]

Jusqu’à présent, j’ai essentiellement évoqué les questions de politique intérieure, exception faite de la guerre du Viet-Nam qui est la toile de fond du monde d’oppression et colonialiste de ces années-là. Mais autant on peut s’insurger contre les pratiques inhumaines des américains, autant on reste sceptique sur les intentions des forces du Viet-Cong. Pas les groupuscules qui sont contre les américains par système et semblent peu se soucier de la suite qui, si l’on observe le Nord-Vietnam, ne s’annonce pas très heureuse. Nous sommes nombreux à être contre la guerre et hostiles au Viet-Cong. On sait bien que le Viet-Nam Sud se retrouvera comme le Nord, si les américains partent. Dure réalité des pratiques colonialistes qui ne laissent après leur départ que des champs de ruines politiques !

Depuis le début de l’année 1968, Alexandre Dubcek est Premier Secrétaire du Parti Communiste Tchécoslovaque. Ce sera le « Printemps de Prague » alternative au communisme stalinien qui domine toute l’Europe de l’Est et… le Viet-Nam. Mais les souvenirs de l’affaire de Budapest freinent l’enthousiasme que cette situation provoque en moi. Pourtant, chaque jour qui passe sans intervention soviétique, est un jour de plus. Pourvu que cela dure ! Je ne comprends pas pourquoi les chars soviétiques n’interviennent pas. Et ils ne le font pas. C’est donc que quelque chose a changé. Je ne sais pas quoi. Je ne sais pas si c’est la politique de Moscou qui a changé ou si la pression internationale est plus forte. C’est un élan. Les tchèques donnent un élan à toute l’Europe que, malheureusement, les autres « démocraties populaires » ne suivront pas. Ce qui est en train de débuter en France s’apparente, un peu, avec ce mouvement. J’y songe avec pudeur. Je sais bien que leur chemin sera plus dur et plus risqué que le nôtre1.

Le 4 avril, Martin Luther King a été assassiné. Après J.F. Kennedy, cela fait beaucoup. Il y a quelque chose de pourri dans l’Amérique qu’on nous présentait comme modèle. Chez nous, quelques années plus tôt,il y a eu aussi l’assassinat de Ben Barka. Ces crimes contribuent à renforcer l’image d’un monde corrompu gouverné par des forces obscures qui n’ont d’autre objectif que de s’emparer ou de conserver le pouvoir. Nous ne savons rien du complexe militaro-insustriel. Nous ne savons rien du pouvoir mondial de certain cartels capitalistes. Nous savons juste que le monde est divisé en deux. L’U.R.S.S. et la Chine, d’un côté et leurs possessions. L’Amerique de l’autre où le pouvoir est détenu par des puissances capables d’assassiner un Président.

Bien au delà des groupuscules maoïstes ou trotskystes, bien au delà du Mouvement du 22 mars et de ses excès, nous sommes des milliers de jeunes français à désirer que tout change, en France comme ailleurs. Nous n’irons probablement pas casser du CRS. Mais nous ne réprouverons pas ce qui le font et le feront. Et combien nombreux seront ceux qui, pris dans un tourbillon, ramasseront un pavé et le lanceront ! Juste une question de moment ou de circonstances. Il n’y aura pas que des « enragés » qui se livreront à des actes violents, ce qui étonnera fort les séides de l’état Gaullien.

Voici que la tension est montée, ces derniers jours. Chaque soir il y a eu des affrontements, plus ou moins violents, plus ou moins durables. Ce soir du 10 mai, quand je traverse Paris dans ma vieille 2CV après être allé dîner dans ma belle famille, je ne tarde pas, car la radio dit que les ponts sur la Seine vont être fermés. Et je dois aller du 9ème au 13 ème arrondissements.

En passant Place St Michel, je les vois là, CRS et gendarmes mobiles, troupes sombres et menaçantes assemblées près de leurs camions. Ils me font froid dans le dos.

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1-Survenant dans la deuxième quinzaine d’août, la liquidation du Printemps de Prague viendra s’ajouter au deuil de nos enthousiasmes de mai. Je m’en souviens bien. J’en ai eu connaissance au Col de l’Iseran. Je m’étais arrêté là pour contempler le paysage. Et un autre automobiliste était là, avec son poste de radio à transistors, qui rendait compte de l’évènement. La fin de la matinée était très ensoleillée et pourtant le spectacle des Alpes nous a paru bien fade.

[Suite]