Archive dans 12 octobre 2010

Profs de collège : « Si vous n’y arrivez pas, vous n’avez qu’à démissionner »

Voici un extrait de ce qu’a écrit un Inspecteur Pédagogique Régional à un jeune professeur balancé sans formation dans un collège et qui a fait état d’un arrêt maladie:

« Je vais maintenant être très franc: si le métier vous semble trop  dur, si vous ne supportez pas ses contraintes, il ne faut pas  persévérer, il faut démissionner. Les élèves ont le droit d’avoir un professeur fiable chaque semaine devant eux, si vous pensez ne pas y arriver, ne le faites pas. On peut faire toutes sortes de métier  dans la vie, l’enseignement n’est qu’une possibilité parmi d’autres. Il vous reste maintenant à bien réfléchir à la décision que vous  allez prendre, vous êtes la seule à pouvoir le faire. Personne ne  portera un jugement sur vous à partir de cette décision personnelle. Mais si vous décidez d’enseigner, il faut le faire correctement, par respect pour vos classes. Le premier devoir d’un enseignant est  d’être tous les matins devant ses élèves, sans s’écouter, en  le aissant sa vie privée hors du champ pédagogique. »

No comment !

Voir aussi

« Nous sommes un groupe de professeurs et CPE en collège et en lycée, des filières générales, techniques et professionnelles. Chaque jour plus nombreux à mesure que les rassemblements locaux se multiplient, nous souhaitons porter nos revendications avec l’appui de tous les syndicats mais sous le contrôle d’aucun »:
http://stagiaireimpossible.blogspot.com

Dire que je viens d’en prendre pour 40 ans ! (Le Monde, 8/10/2010)
Ecole :
« Il paraît qu’à la Toussaint on peut commencer à travailler » (Le Monde, 9/10/2010 )

La recherche universitaire dopée aux anabolisants

En ce temps là, les universitaires écrivaient des thèses. De longues thèses qu’ils voulaient exhaustives. L’auteur était supposé tout savoir sur le sujet.
A vrai dire, il y avait deux thèses. La thèse de « Troisième Cycle » qu’on écrivait assez vite. Et la grande thèse dite « Thèse d’Etat », qu’on ne présentait qu’au terme d’un long labeur.
Il arrivait qu’il faille cinq années pour rédiger une thèse de troisième cycle en lettres et sciences humaines. Quand à la grande thèse, le travail pouvait prendre bien plus. Pour certains, ce fut le travail d’une vie.
Quelques exigences de carrière poussaient cependant. Il était rare qu’un assistant devienne maître assistant sans thèse de troisième cycle et la grande thèse était indispensable pour postuler au prestigieux poste de « Professeur ». Toutefois les enseignants-chercheurs qui préparaient ces thèses disposaient de tout leur temps pour s’occuper de leurs enseignements (1).
Naturellement, certains étaient plus rapides ou plus productifs que d’autres. C’est comme partout.
Il me reste de cette époque le souvenir d’une grande sérénité dans mon travail.

Maintenant, la thèse de troisième cycle n’existe plus. Elle est remplacée par un Diplôme d’Etudes Approfondies qui n’en a pas la consistance. Les grandes thèses n’existent plus. Elles sont remplacées par une « Habilitation à Diriger les Recherches » qui n’en a pas la consistance.
La « carrière » est devenue une course. Il est indispensable de publier des articles dans des revues disposant d’un comité de lecture. Il est bien vu, parfois indispensable, de publier en anglais.
La pression est très forte. Au plan individuel. Pas de carrière, pas de passage d’un grade à un autre un certain nombre de publications (2). Publier, est un faire-valoir pour l’auteur, mais aussi pour l’institution pour les « classements », comme de Shanghai sur des critères discutables.
Plus de thèses approfondies, plus de livres, ce serait beaucoup trop long à écrire et à publier. Beaucoup, beaucoup, beaucoup, souvent au détriment de la qualité. Alors viennent les artifices : faire plusieurs publications sur un même sujet, signer à plusieurs, reproduire presque à l’identique un article dans une communication de congrès, etc..
L’enseignement en souffre. Les enseignants-chercheurs sont si accaparés par les publications de recherche dont dépend leur carrière, qu’ils n’ont pas un temps suffisant pour bien préparer leurs cours. Alors on enseigne au plus court. En licence, on se contente de reproduire des manuels. En master, on ne s’intéresse plus qu’à son petit pré carré de recherche. Les enseignants expérimentés préfèrent leur pré carré. Ils quittent le premier cycle, l’abandonnant à des enseignants débutants, voire à des vacataires.
Mais le plus grave est qu’il n’y a plus de thèses. Les thèses examinaient un sujet de façon très détaillée, voire exhaustive. C’était, une manière de faire connaître l’état de l’art sur une question. Ces travaux étaient analytiques et dialectiques, ce qu’on ne peut faire en un article qui comprend, au plus, quelques dizaines de pages. Alors, la science s’est mise à courir en avant sur la base de recherches pointillistes et discontinues sans que l’œuvre de sagesse qu’on trouvait dans les thèses soit accomplie.
Il devient urgent que cela cesse. Il n’y a plus de livres. Il n’y a plus que des publications trop nombreuses pour qu’on puisse les lire. Des centaines d’articles sont publiées chaque jour dans le monde par des centaines d’universités et organismes de recherche. Le classement de Shanghai et les autres (car il a fait des petits avec d’autres critères) sont devenus une dangereuse ânerie.
C’est comme les coureurs dopés aux anabolisants.
Mais il arrive qu’ils meurent au bord de la route.

1.A cette époque-là, il y avait trois corps d’enseignants :
– Les assistants qui préparaient leur thèse de troisième cycle. Cette position était limitée dans le temps (en principe, 5 ans).
– Les maîtres assistants qui préparaient une thèse d’état qui pouvait leur permettre d’atteindre le grade supérieur. Mais ces emplois n’étaient pas limités dans le temps. On pouvait rester maitre assistant jusqu’à la retraite. De toute façon, les postes de professeurs étaient en nombre limité.
– Les Professeurs qui avaient rédigé leur thèse d’état et avaient été choisis par leurs pairs.
2. Maintenant, il n’y a plus que deux corps :
– Les maîtres de conférences qui possèdent un D.E.A., un nombre substantiel de publications et une expérience d’enseignement comme vacataire. On peut rester maitre de conférence jusqu’à la retraite. De toute façon, les postes de professeurs sont toujours en nombre limité.
– Les professeurs, titulaires, au moins, d’une Habilitation à Diriger les Recherches et de publications nombreuses.
A l’intérieur de ces grades, il y a des échelons que l’on parcourt en fonction des recherches et/ou d’investissements importants dans l’enseignement

Chroniques des abonnés du Monde (7 octobre 2010)

 

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Aidons Jérôme Kerviel

La condamnation de Jérôme Kerviel est tellement démesurée que je demande à tous de venir à son aide.

Déposez votre contribution au remboursement des dommages et intérêts, de 1 centime dans les agences de la Société Générale.

Affaire Kerviel : la justice se déhonore

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Jérôme Kerviel n’est pas un personnage très sympathique. Il n’est pas certain qu’un trader arrivé à ce niveau de délire financier le soit. On aurait sans doute supporté qu’il soit condamné à une peine modérée, même à un peu de prison avec sursis.

Mais voilà. Il a été condamné à verser 4,9 milliards d’euros à la Société Générale. Rue 89 a fait le compte : c’est 177536 années de son salaire ! Et à 3 ans de prison !

Le moins qu’on puisse dire est que ce jugement ne fait pas preuve de modération. Et que veut dire une peine dont on sait pertinemment qu’elle ne pourra être accomplie ? Et comment pourrait-il même commencer à payer s’il est enfermé en prison ? Le principe de la relation entre la peine et la situation du condamné est tout simplement foulé aux pieds.

Et le jugement ne retient aucune responsabilité de l’employeur qui se frottait les mains, pourtant, quand les manipulations de Monsieur Kerviel étaient lucratives.

Ce jugement est stupide et déshonorant.

Et quand on compare la manière dont Jacques Chirac est traité et celle dont le trader est victime, il n’est pas possible de croire que ce n’est pas une justice de classe.

A moins que les juges n’aient voulu faire une bonne farce…

La course au photovoltaïque ou la preuve que l’économie doit être dirigée

Face à l’épuisement attendu des réserves mondiales de pétrole, l’état français a pris des mesures incitatives destinées à favoriser la production d’électricité photovoltaïque par les particuliers : incitations fiscales et fixation du prix de rachat du kilowatt heure par E.D.F.. Les résultats dépassent toutes les prévisions

Ces mesures interventionnistes n’ont pas été pilotées par des nécessités économiques, mais par une politique énergétique de remplacement des ressources fossiles par des ressources solaires. Mais le côté économique a été totalement négligé. Et si l’on s’attendait bien à voir progresser les emplois chez les installateurs, la question de la production des panneaux n’a pas été examinée.

panneaux-solaires.1289665217.jpgConcernant le premier point, on a vu apparaître des installateurs peu qualifiés se précipitant sur l’effet d’aubaine pour faire signer des contrats par les particuliers. Des organismes de crédit se sont impliqués dans la partie et l’on faisait croire que les déductions fiscales et le prix de rachat du kilowatt compenseraient largement les mensualités, ce qui dépend du prix de rachat qui n’est nullement garanti. De plus, la qualité des panneaux et la compétence des installateurs n’étant nullement certifiés, on se trouve déjà devant de nombreux recours, sans compter le nombre de citoyens bernés qui n’oseront déposer plainte à cause d’installations de mauvaise qualité. Aux jours d’aujourd’hui encore, on démarche des clients par téléphone sur la base de données fiscales et d’un prix de rachat dont on sait pertinemment qu’ils vont être modifiés sous peu.

Hormis l’intention écologique vertueuse, le laisser faire qui s’est ensuivi pout les contrats d’installation ne pouvait que conduire à des déboires significatifs pour certains clients. Cette activité professionnelle et les montages financiers auraient dû être soigneusement encadrés et certifiés.

Mais le plus grave est d’avoir laissé importer sans contrôle des composants et de panneaux d’origine chinoise. Du coup les principales retombées vont vers la Chine. Et comme les contraintes de la politique européenne interdisent de taxer l’importation de ces produits, les coûts de production français sont trop élevés. Les bénéfices pour le développement et industriel et l’emploi sont très inférieurs à ce qu’on aurait pu espérer.

Il est probable que les plus grands bénéficiaires de cette politique soient les chinois. Ceci mérite réflexion.

Notes d’économie politique 51 – 3 octobre 2010

Et la France ? Une dictature

Pourquoi sommes-nous en dictature ?

Le pouvoir judiciaire est entre les mains de l’exécutif. Une nouvelle preuve en est donnée par l’entêtement du juge Courroye refusant de passer la main à un juge d’instruction. Or, tout le monde sait bien que le juge Courroye est, non seulement un procureur dépendant in fine du Ministère de la Justice, mais qu’en plus il est proche du Président de la république.

Cette dépendance a été parfaitement illustrée par l’affaire Julien Coupat, dont on se garde bien de parler de nouveau tant elle fut lamentable au point que les avocats en sont à demander l’annulation de toute la procédure qui n’était fondée sur aucune charge, seulement par les « intuitions » des autorités de la justice.

On trouvera encore d’autres interventions de l’exécutif,  voire de la présidence elle-même dans l’affaire Clearstream dite aussi affaire Villepin, dans la mesure où il apparaît clairement que d’aucuns préfèrent nuire à l’ancien Premier Ministre, plutôt que de faire jaillir toute la vérité. En cette occasion, on se souvient que Nicolas Sarkozy avait employé le terme de « coupable » avant même qu’aucun jugement n’ait été rendu.

La disparition du juge d’instruction, juge libre et indépendant est annoncée.

Le pouvoir législatif est aux ordres. Les députés de la majorité votent tout ce qu’on leur demande de voter. Ils choisissent de « soutenir » la politique du gouvernement qui est celle du Président. Les critiques sont peu nombreuses. Quelques uns trouvent les couleuvres peu digestes, mais encore ne s’insurgent-ils pas fortement. Les discussions à l’Assemblée Nationale laissent peu de place à l’opposition. Il arrive que le Sénat résiste et forme un petit vote contraire aux intentions du pouvoir. Qu’importe ! Très vite, on fait revoter et tout passe.

Récemment, le Président de cette assemblée à outrepassé le règlement pour diminuer arbitrairement le temps de parole de l’opposition sur des explications de vote. Il a beau dire que ces explications n’étaient là que pour faire perdre du temps. C’est possible. Mais le règlement l’imposait. Et si l’opposition avait disposé d’un plus large temps de parole au moment des débats, peut-être que cet exercice n’aurait pas eu lieu.

En d’autres temps, Jean Louis Debré, assis sur le même fauteuil que Bernard Accoyer, s’était comporté de façon très différente. Mais à cette époque la, Nicolas Sarkozy n’était pas Président de la République. L’actuel président de l’Assemblée Nationale s’est simplement comporté comme on attendait qu’il le fasse :  « la voix de son maître ». D’aucuns demandent sa démission. A juste titre, car il ne représente plus ni ne protège les droits de tous les députés.

Le pouvoir exécutif est en piteux état. S’il lui restait une quelconque autonomie, on pourrait croire encore à quelques bribes de démocratie. Mais il n’en est rien. Le gouvernement est aux ordres, le Premier Ministre fait tapisserie et la flagornerie du chef suprême sert de projet politique.

Le Chef Suprême s’appelle Nicolas Sarkozy. Il décide de tout. Il arbitre tout. On ne dit pas « le gouvernement a décidé ». Non, on dit « le chef de l’état a décidé ». Ou encore, « on attend la décision du Président » ! En Conseil des Ministres, il distribue récompenses aux plus serviles et punitions à ceux qui se seront à peine écartés du chemin. Il infantilise les membres du Gouvernement, en fait ses choses et ses jouets. Il n’hésite pas à les traiter les ministres avec des noms d’oiseaux ou pire encore.

Jamais, dans toute l’histoire de la Cinquième République, un chef de l’état ne s’était ainsi comporté.

Le pouvoir judiciaire est sous la botte, le pouvoir législatif se vautre dans l’obéissance et la flagornerie, le pouvoir exécutif est aux ordres. La séparation des pouvoirs n’existe pas. Ce n’est donc pas une démocratie C’est une dictature.

Les « visites » présidentielles quotidiennes en province n’ont rien à envier, dans leur organisation, à celles de Kim Jong-il. Toutes les forces de sécurité sont priées d’y participer. Pendant ce temps, les délinquants sont en paix. Et malheur au Préfet qui ratera son affaire. L’exil sera sa récompense.

La Direction du renseignement prend des allures de « Stasi ». A l’occasion de l’affaire Woerth, on a ainsi découvert que les communications téléphoniques d’un journaliste du monde étaient épluchées. Des centaines de renseignements ont été fournis par les opérateurs de téléphonie sans l’aval de la commission de contrôle dont c’est la charge et sans la couverture d’une autorité judiciaire. Ces faits sont témoignages de pratiques abusives de l’exécutif. Il y a lieu de penser que, s’il en est ainsi pour la surveillance téléphonique, il ne peut en être autrement pour d’autres aspects de la vie publique ou privée. L’ombre de l’état policier s’étend sur la nation.

Le pouvoir économique est largement aux mains de quelques uns qui se trouvent, pour la plupart, avoir participer à la cérémonie obscène connue sous le nom de « Nuit du Fouquet’s » : Bernard Arnault (7ème fortune du monde), Martin Bouygues, Serge Dassault, Vincent Bolloré, Antoine Bernheim, Albert Frère, Jean-Claude Decaux, Paul Desmarais, Stéphane Courbit (Endemol), Jean-Claude Darmon (droits télévisuels du football) et l’inénarrable Alain Minc, conseilleur, faiseur et défaiseur de mariages économiques avec un succès très inégal, ce qui ne l’empêche pas de murmurer à l’oreille du Président de la République. Et ce dernier, subitement, prend des décisions inattendues et qui ne feront l’objet d’aucun débat, comme la suppression de la publicité dans les soirées de la télévision publique. Les dirigeants des autres chaînes se sont frottées les mains. Tout au long du quinquennat, on va retrouver les mêmes dans nombre de coups ou de combines financières.

L’Assemblée Nationale et le Sénat sont à genoux, la justice est aux ordres, l’exécutif est prosterné, la police est pilotée. Les puissances de l’argent sont comblées.

pathetique.1289665319.jpgIl ne reste que quelques rares points de résistance. Il s’en est fallu de peu que Le Monde soit investi, après que son directeur ait été convoqué à l’Elysée et menacé. Le Parisien est convoité par Dassault qui possède déjà le Figaro. Parmi tant d’autres choses ! La presse est en grand danger comme dans tous les pays où le pouvoir la verrait bien muselée. L’asphyxie économique menace. Il n’y a que quelques titres qui conservent encore leur autonomie avec quelques sites sur Internet. L’audiovisuel public est aux mains du Président qui en nomme les directeurs. L’audiovisuel privé est entre les mains de grands groupes capitalistes qui n’ont pas l’intention de déplaire. Leurs affaires en souffriraient à coup sûr.

Ainsi, tous les leviers de gouvernement sont entre les mains d’un seul assisté de quelques complices. « Chef d’État qui, s’étant emparé du pouvoir, gouverne arbitrairement et sans contrôle démocratique « ». C’est la définition de « dictateur » dans le dictionnaire Larousse.

Des Hommes et des Dieux

Je me souviens – j’avais alors 15 ans – d’une dissertation en langue anglaise où je m’étais permis d’écrire « heroism is not heroism ». J’y expliquais quoique confusément, à cet âge, que les héros étaient probablement des hommes simples que leur déontologie, leur morale, leur philosophie, leurs croyances, avaient conduits, sans pouvoir déroger, sur des chemins dont ils connaissaient le danger et peut-être l’issue fatale.

En regardant le film « Des hommes et des Dieux », j’ai rencontré cette vérité. Voilà des hommes qui sont là, qui se sont enracinés dans ce village qui leur apporte à la fois une certaine joie de vivre dans un lieu paisible et l’accomplissement de leur naturelle vocation d’apporter un peu de bien à autrui. Et quand le péril vient, non sans hésitations, même pour ceux dont le chemin semble tout tracé, il devient naturel de continuer. Les expériences de la vie commune, de l’amour des autres, de la beauté du lieu, s’unissent pour tracer la seule voie compatible avec cette vie-là.

Et, ce qui est encore plus beau, dans le film, c’est qu’on nous montre que les héros sont êtres humains qui ont peur. Et c’est cette peur-là qui donne toute son humanité à cette histoire vraie. Pas d’invocations ! Pas de martyre ! Rien que la simple réalité d’hommes à la fois forts et faibles dans leur chair et dans leur esprit décidés à attendre là, parce que c’est leur place, que le futur se réalise comme il doit être.

 

Il faut arrêter la dégradation du discours politique

Olivier Duhamel

Article paru dans l’édition du Monde du 25.09.10
Professeur de droit et de science politique à Sciences Po, Olivier Duhamel participe notamment à l’émission « Médiapolis » sur Europe 1 et à « Politiquement show » sur LCI. Il évoque, ici, la montée de la radicalisation populiste

Le discours politique s’est-il dégradé sous la présidence de Nicolas Sarkozy ?

Il ne cesse de se dégrader depuis un quart de siècle, principalement à cause de la « vidéocratie » : l’ère des écrans accentue dramatiquement la crétinisation du politique. La présidentialisation d’un certain nombre d’institutions est un facteur aggravant. Cela a commencé avec Ronald Reagan, a franchi une étape avec Bill Clinton et Tony Blair et a été porté à un point d’incandescence, de ridicule parfois, mais aussi d’efficacité, par Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy.

En France, cela a vraiment commencé avant Nicolas Sarkozy ?

Oui. Cela commence avec la combinaison « prédominance de l’image, personnalisation, présidentialisation ». Il existe deux modèles de pouvoir. Un modèle hiérarchique, vertical. L’homme politique, qui aspire à devenir homme d’Etat, veut être le guide, engageant un dialogue démocratique avec le peuple pour lui montrer un chemin. Dans sa version authentiquement démocratique et non présidentielle, c’est la conception qu’avait Pierre Mendès France. Elle ne peut plus fonctionner.

Mais il en demeurait des traces avec le général de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. Tony Blair, Silvio Berlusconi, Nicolas Sarkozy se placent, eux, dans un modèle horizontal, empathique. Ce leadership horizontal est en harmonie complète avec notre époque d’horizontalité, de réseaux. En outre, il a des aspects démocratiques sympathiques. Sarkozy prend le modèle postmoderne, télévisuel, d’identification du chef avec tout un chacun, et le pousse à un point extrême. D’où l’hyperprésidentialisme : « Je vais faire tout pour vous ». Et il ne fait rien.

Certains disent qu’il a désacralisé la fonction présidentielle et que les Français l’approuvent…

Au début, on pouvait apprécier le fait d’avoir ce président, dans notre pays engoncé dans des siècles de convention. Mais il a poussé son attitude au ridicule, dans l’exhibition people qui est le contraire de l’empathie. Si on gère bien la « vidéocratie », on peut mêler people et leadership empathique. Barack Obama sait le faire et le contrôler. Nicolas Sarkozy ne contrôle pas. De temps en temps, on lui dit qu’il faut se représidentialiser, il le fait, et le lendemain il fait le contraire. C’est comme si un acteur de cinéma décidait d’être tantôt Louis de Funès, tantôt Louis Jouvet. Cela n’aurait aucun sens.

Cette « libération » du discours au sommet de l’Etat a-t-elle changé pour tout le monde la notion de ce qui peut se dire ou non publiquement ?

Nicolas Sarkozy a de grandes qualités, qu’il a gâchées. Il a gâché la désacralisation contrôlée de la fonction présidentielle. Et la construction d’un nouveau discours politique, qui mènerait une discussion, non plus technique, mais simple et profonde. Il lui a substitué la légitimation de la vulgarité et de l’injure. Et c’est contaminant.

Ses propos à Bruxelles, le 16 septembre, à l’égard de la commissaire européenne Viviane Reding et de José Manuel Barroso, sont-ils une sorte de saut qualitatif dans cette dégradation du discours ?

Ce qui se passe depuis cet été est un saut qualitatif. Au bout d’un certain temps, presque inéluctablement, les gouvernants deviennent impopulaires. La question est alors : comment redevenir populaire ? En France on a deux exemples, François Mitterrand et Jacques Chirac. Certes, ils ont été aidés par la cohabitation qui a disparu, mais pas seulement. Quel principal facteur ont-ils su utiliser ? Le temps.

Sarkozy fait l’inverse, à un point inimaginable. Si l’on prend la séquence de fin juillet, il commence en développant un virage à l’extrême droite, avec la scandaleuse stigmatisation d’une population d’origine étrangère. Puis, le 20 septembre à l’ONU, il fait un virage à l’extrême gauche en prônant la taxe Tobin. Il ne sait pas où il va et se moque de nous. Ce ne sont que des mots. Il ne sait pas choisir entre deux stratégies : se faire réélire sur une ligne Berlusconi d’alliance avec le nouveau populisme, ou sur une ligne néo-blairiste d’alliance avec le centre et une partie de la gauche. Il est moins cohérent que Berlusconi.

Mettre en cause Angela Merkel, était-ce une tactique ?

Je pense qu’il ne se contrôle pas. Et qu’on lui conseille deux stratégies contraires. Certains l’encouragent à adopter la stratégie populiste berlusconienne et d’autres conseillent la stratégie merkelienne.

Chirac comme Mitterrand savaient choisir une stratégie. On dit que Chirac n’a rien fait. Peut-être a-t-il peu fait, mais à la fin du mandat de Sarkozy on pourra aussi se demander s’il a fait vraiment plus. Sur le sujet de la taxation, Chirac a fait celle sur les billets d’avion. Onze pays l’ont adoptée. Dans une société où tout incite de plus en plus à l’individualisme et à l’égoïsme, le vrai projet de la gauche devrait être de faire passer les gens à l’altruisme.

Nous vivons dans des temps où, à cause de la mondialisation et de la « vidéocratie », la stratégie de personnalisation outrancière du pouvoir et de populisme xénophobe fonctionne. Elle progresse dans beaucoup de pays. En Suède, pays riche, l’extrême droite vient d’entrer au parlement. En Norvège, encore plus riche, elle est à 15 %. En Italie, Berlusconi se fait réélire et dirige depuis longtemps.

Au Chili, le milliardaire Sebastian Pinera, qui a fait fortune sous Pinochet, est devenu président de la République en dépit de son passé. Il a été élu sur la ligne du nouveau populisme. Aujourd’hui il s’en prend aux résistants contre Pinochet. Par exemple, il demande l’extradition de Galvarino Apablaza Guerra, qui avait organisé l’assassinat d’un des théoriciens du fascisme pinochetiste et s’était réfugié en Argentine, pour qu’il soit jugé. Sur ce sujet, il faut lire le livre de Téo Saavedra et Anne Proenza, Les Evadés de Santiago (Seuil).

En France aussi, cela fonctionne. Alors comment réagir ?

C’est un énorme problème pour les démocrates. Rester dans la posture intellectuelle de l’analyse et de la dénonciation ne suffit pas. Il faut essayer de contenir ce populisme xénophobe qui l’a emporté en Italie. Et surtout ne pas le confondre avec les partis fascistes d’autrefois, sinon on ne comprend rien à son efficacité.

Ce sont des mouvements protestataires identitaires qui puisent une force considérable dans la mondialisation, l’inéluctable progression de l’immigration, la réduction de la démographie en Europe, la progression de l’islamisme radical. Il faut réfléchir vraiment à la manière d’arrêter la dégradation du discours politique, qui n’est pas seulement quelque chose de gênant à l’égard d’une époque, du reste un peu idéalisée, où les débats politiques demeuraient courtois, mais une radicalisation populiste très dangereuse.

La gauche n’est-elle pas enfermée dans un pur discours de protestation ?

Supposons que Sarkozy choisisse de manière cohérente la ligne populiste et une alliance avec Marine Le Pen, si elle fait un bon score au premier tour de l’élection présidentielle. Là, si la gauche se contente d’appeler à un front antifasciste, elle peut perdre. Car qu’est-ce qui mobilise un peuple ? Se voir offrir ce qu’il croit être une solution à ses angoisses et ses souffrances.

Pendant un siècle, la religion communiste a offert une réponse magnifique, qui s’est avérée catastrophique. C’est la droite populiste xénophobe qui offre aujourd’hui cette réponse simple aux souffrances, en disant « vous souffrez à cause de tous ces gens pas comme nous ». Et c’est efficace. La gauche ne peut pas offrir une réponse simple. Elle ne doit pas dénoncer, mais construire des réponses complexes, pour démontrer l’inanité du populisme xénophobe. Obama a réussi cela. D’autres aussi. Ce n’est pas impossible, à condition de ne pas se cantonner dans le discours, dans la dénonciation, si juste soit-elle. Il faut des propositions qui fassent sens pour les jeunes qui ne vont plus voter.

Propos recueillis par Josyane Savigneau

Politique de sécurité : Echec et lourd héritage annoncé

Voici bientôt dix ans que Nicolas Sarkozy est à la manœuvre sur les questions de sécurité, soit comme Ministre de l’Intérieur, soit comme Président de la République. Et les résultats ne sont pas là. Malgré les promesses de débarrasser certaines cités de leurs « voyous ». On observe, apparemment, une légère baisse des atteintes aux biens (cambriolages, vols de voiture), mais une augmentation des atteintes aux personnes. Donc rien de bien significatif.

Cet échec s’explique par une approche dogmatique de la question et non pragmatique comme cela aurait dû être.

D’abord, on a diminué le nombre de « médiateurs » au motif qu’ils pouvaient être trop près des délinquants voire délinquants eux-mêmes. Ce qui , pourtant, ne met pas leur rôle en cause, mais la manière selon laquelle ils pouvaient être recrutés. Il existe pourtant bien partout, des seniors qui ne partagent pas les positions des jeunes délinquants et qui peuvent apporter du lien social et des ouvertures de dialogues. Mais la théorie en vigueur est d’implanter des caméras vidéo. Voilà des décennies qu’on a installé des caméras dans beaucoup de pays et en France. La délinquance a-t-elle diminué pour autant ? La réponse est évidemment non. Tout au plus les enregistrements permettent-ils, avec un peu de chance, d’identifier les auteurs de délits. En tout cas, pas de rôle dissuasif. Et, très vite, les populations visées déplacent leurs activités hors de vue.

police-enfant.1285373114.jpgEn même temps, on diminue le nombre des policiers. Pour des motifs économiques à courte vue. La productivité des membres de la corporation peut, sans aucun doute, être améliorée. Mais, de là à de telles diminutions ! Peut-être imagine-t-on que les yeux stupides des caméras produisant des images devant lesquelles les opérateurs s’endorment tant elles sont monotones sont aussi performantes qu’une des paires d’yeux humains. Pas besoin d’une longue démonstration pour démontrer que cette opinion est stupide.

Ensuite, on s’intéressera à la politique du chiffre. Personne n’en nie l’existence. Là une arrestation d’un petit délinquant compte autant qu’un gros bonnet. Mais le petit est plus facile à prendre. L’enquête sera plus rapide et moins coûteuse. Alors, pourquoi s’en priver ? Mais il n’est pas rare que les dossiers communiqués aux juges ou au Parquet sont si insuffisants ou mal fichus que les intéressés sont aussitôt remis en liberté. Mais qu’importe ! L’arrestation aura compté pour un ! Même quand on compte des pommes de terre pour les frites, on ne donne pas la même valeur aux grosses et aux petites.

Il y a aussi la question récurrente de l’importance du commerce de la drogue qui prend une importance économique de plus en plus grande. A tel point qu’il est probable que les fruits de cet activité constitue une source non négligeable de revenus. Et, en période de récession économique et de chômage, ce n’est probablement pas marginal. Du coup, il est plus difficile d’obtenir des renseignements de personnes indirectement impliquées de cette façon. Mettre la police sur une piste, c’est risquer de perdre une source de revenus. Et la drogue apporte avec elle son cortège de délits, voire de crimes. Du point de vue des vendeurs pour se partager les produits et les territoires de vente. Du point de vue des consommateurs qui ont besoin d’argent pour acheter leur dose quotidienne (vols à la tire, à l’arraché ou à l’étalage, autos-radios, etc.).L’éradication du commerce de la drogue devrait être un objectif de premier ordre.

Pire encore : le commerce des armes est en pleine floraison. Celles-ci sont importées d’Europe de l’Est en provenance de stocks mal contrôlés, comme en Serbie, par exemple. Ce commerce est entre les mains de responsables puissants alimentant des revendeurs. C’est ainsi que les tirs contre la police lors d’opérations sont signalés de plus en plus souvent. Et les moyens mis en œuvre pour démanteler de tels réseaux doivent être considérables, adaptés et gérés par des enquêteurs chevronnées. Et là reviennent les questions d’effectifs et d’expériences des enquêteurs.

En matière de drogue et de trafic d’armes, il semble bien que les responsables de la police ou ceux qui les gouvernent n’ont rien vu venir. Ils étaient trop occupés avec les racailles, les voyous et le « karcher », l’esprit rivé sur la politique du chiffre et la pose des caméras.

Cet aveuglement, par esprit de système, est d’autant plus regrettable que les évènements de certains quartiers de France ressemblent à ceux qu’ont connu des quartiers d’autres pays d’Europe ou d’Amérique. De nombreuses méthodes et expérimentations ont été essayées avec plus ou moins de bonheur. Mais ceux qui nous gouvernent, trop imbus de leur pseudo savoir, ignorent totalement ces essais et ces recherches. Cette connaissance des observations venues d’ailleurs n’est certes pas une clé de la réussite. Mais l’ignorance est, à coup sûr, la voie garantie de l’échec.

Après toutes ces années d’impéritie, l’héritage sera pesant.