Archive dans 15 février 2008

Tchad: Intervention militaire vs Arche de Zoé

Les témoignages de l’intervention de l’armée française au Tchad sont de plus en plus nombreux. Et si celle-ci n’a pas été physiquement utilisée sur le champ de bataille face aux rebelles, il semble bien qu’en matière de logistique, d’observation et de fourniture d’armes, le gouvernement français soit impliqué.

Une fois de plus, ceci pose la question du soutien à des régimes non démocratiques. De nombreux tchadiens ont été capturés. Beaucoup ont très probablement été tués ou torturés. Kouchner fait part de sa « grande préoccupation », mais il semble bien que qu’Hervé Morin, ministre de la défense, qui s’était rendu au Tchad le 6 février pour soutenir Idriss Deby, ne soit pas autant préoccupé.

Il semble aussi, curieusement, que cet affaire tombe bien pour la grâce des condamnés de l’Arche de Zoé. Pour faire propre, on va attendre un peu avant de les gracier.

Délivrance (Alan Stivell)

Voici venu le temps de délivrance
Loin de nous toute idée de vengeance
Nous garderons notre amitié avec le peuple de France
Mais nous abattrons les murailles honteuses
qui nous empêchent de regarder la mer
Les miradors qui nous interdisent nos plus proches frères
de Galles, d’Ecosse, d’Irlande
Et nous, dont le nom est connu des goélands et des cormorans,
fut banni de tous les langages humains,
de toutes les bibliothèques, de toutes les cartes terrestres
Nous ouvrirons nos cœurs
de paysans et de marins-pêcheurs à tous les peuples
de la planète Terre
Et nous offrirons nos yeux au Monde
Est-ce prétentieux de nous croire égaux ?
Est-ce trop demander que de vouloir vivre ?
Nous ferons tomber la pluie sur le monde meurtri
Et nettoyer le sang graisseux dont se nourrissent
les soi-disant puissants
Et donner à boire aux assoiffés de justice
Et les feuilles repousseront de Bretagne en Espagne
du Mali au Chili, d’Indochine en Palestine
Bretagne, centre du monde habité, tu seras un
refuge pour les oiseaux chassés pétrolés
Pour les femmes torturées en prison
Pour les vieillards bombardés
Celtie, au croisement des peuples du Nord
Et du Sud, aux confins du vieux monde et
du nouveau monde, aux frontières de la terre
et de la mer, à la limite du monde visible
et du monde invisible…

 

Alan Stivell

Monsieur Je-Sais-Tout et les enfants victimes de la Shoah

Monsieur Je-Sais-Tout a, tous les matins une idée quand il se rase. Pas une idée pour lui. Non ! Une idée pour les autres. Et comme Monsieur Je-Sais-Tout croit qu’il est le plus intelligent il éprouve le besoin absolu d’en faire part à tout le monde.

Hier, Monsieur Je-Sais-Tout a décidé qu’il fallait que chaque enfant de CM2 prenne en charge la mémoire d’un enfant victime de la Shoah. Monsieur Je-Sais-Tout qui est un grand et renommé psychologue de l’enfance et grand spécialiste de psychologie de l’éducation a, naturellement, pris soin d’évaluer l’impact psychologique de cette décision. Aucun risque de traumatisme quand on devra « s’occuper » d’un enfant raflé et passé à la chambre à gaz et incinéré dans les fours crématoires. C’est tellement simple à gérer pour un enfant de 11 ans les histoires de chambre à gaz et de four crématoire !

Ce qui est agréable dans la mesure de Monsieur Je-Sais-Tout, c’est qu’il va faire monter les revenus des psychologues et des psychothérapeuthes de l’enfant. Ils pourront faire des heures supplémentaires pour gagner plus.

Merci Monsieur Je-Sais-Tout de nous avoir donné cette belle leçon.

 

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Sarkozy et « une certaine idée de la France »

degaullebbc.1202982791.jpgOn sent que chacun est en train de se poser la question. Faut-il continuer à commenter les évènements plus ou moins privés du Président de la République, alors même que celui-ci en fait étalage avec complaisance ? L’affaire du SMS a probablement été le moment paroxystique. Et si l’on peut reprocher à ceux qui l’ont publié d’avoir, d’une certaine façon enfreint le secret de la correspondance, on peut aussi leur accorder de grandes circonstances atténuantes. Ce matin, un journaliste à la radio rappelait que Jacques Chirac avait eu nombre d’aventures et même que sa femme avait envisagé le divorce. Rien de tout cela n’a été divulgué en son temps, simplement parce que la Présidence ne communiquait pas sur ce sujet.

Le Président se comporte comme un adolescent qui vient de faire une conquête inespérée et qui ne peut s’empêcher de pavoiser devant ses petits copains. D’un adolescent, une telle conduite est très immature. D’un adulte, elle est typiquement phallocrate surtout quand elle s’applique à une femme bien plus jeune qui semble par là-même illustrer la mâle virilité du conquérant.

Quand, par ailleurs, le Secrétariat de l’Elysée nous informe que la baisse de popularité du Président est liée à des questions personnelles, on ne peut s’empêcher de faire des hypothèses. Faut-il imaginer que c’est parce qu’il était amoureux ? Car l’on sait bien que l’homme amoureux est distrait de ses affaires et les néglige souvent, surtout dans la phase de conquête incertaine. Doit-on penser que, maintenant, le mariage célébré, les choses seront plus ordonnées.

Ce que nous déclare Claude Guéant est quand même très inquiétant. Il semble dire que, lorsqu’il est amoureux, le Président est moins en mesure de diriger avec application les affaires de la France. Car c’est justement là que le bât blesse. Les électeurs ne l’ont pas élu pour qu’il soit un homme comme les autres. Il l’ont élu justement pour qu’il ne le soit pas. Pour que sens de l’Etat et du Devoir transcende ses éventuels sujets personnels. Et c’est bien ce modèle, inaccessible aux vicissitudes du quotidien que le Général de Gaulle avait, en son temps, créé et transmis. En faisant détruisant le mythe, Nicolas Sarkozy n’a pas servi la France. Et maintenant, il aura beau faire. C’est fini. C’est irrémédiable. Et c’est bien regrettable. Le peuple respecte la modestie (au moins apparente) du train de vie du chef de l’état. L’affaire du Fouquet’s a été la première entorse qui nous avait bien surpris à l’époque. Ce n’était qu’un début. Il y a eu le yacht, Louxor, Petra, la montre, que sais-je ? Cette exhibition devant le peuple auquel on vient de dire que les caisses de l’état son vides a quelque chose d’d’immoral.

Je crains que, pour la première fois dans la cinquième république, nous avons un chef d’état qui n’a pas « une certaine idée de la France ».

Les S.C.O.P.: une alternative sociale et productive au capitalisme et à l’étatisation

scop.1202856371.gifDans un article paru dans Le Monde daté du 7 février 2008, Bertrand Bissuel et Laetitia Clavreul s’interrogent sur les raisons qui poussent Unilever à appliquer une cure d’austérité à l’usine Cogesal-Miko de Saint-Dizier (Haute-Marne) qui va se concrétiser par la suppression de 250 emplois sur 500. Cette usine a dégagé 222 millions d’euros de bénéfice en 2006 et les indications sur l’exercice 2007 sont encore très favorables. Plus généralement, les résultats d’Unilever annoncés en 2007 étaient très bons. En août 2007 on annonçait que les bénéfices, comparés à la période précédente, étaient alors en hausse de 16 %, à 1,207 milliard d’euros.

Quelles raisons alors d’appliquer ce plan à l’usine ? Est-ce encore pour augmenter les dividendes des actionnaires ? Mais n’est-il pas probable que, délestée de la moitié de son personnel, la productivité de l’usine diminue ? Ou alors tout cela fait partie d’un machiavélique plan destiné à fermer l’usine après l’avoir mise dans des conditions impossibles.

Imaginons alors, qu’au lieu d’appartenir à Unilever, cette usine soit une entreprise du type d’une S.C.O.P. (Société Coopérative Ouvrière de Production). Les S.C.O.P. sont détenues et contrôlées par les salariés qui en détiennent des parts. Du coup, il n’y a pas de dividende pour des actionnaires extérieurs. On peut décider en Assemblée Générale d’en distribuer ou non selon la situation financière. De même pour la participation qu’elles versent à tous les salariés. Dans une S.C.O.P., évidemment, la préservation de l’emploi et de l’outil de travail est un objectif aussi important que l’équilibre financier, voire les bénéfices. Si l’usine Cogesal-Miko avait été une S.C.O.P., il n’y aurait pas besoin d’augmenter les dividendes des actionnaires lointains. Mieux encore, et si c’était urgent, les 220 millions d’euros de bénéfice annuels auraient pu être investis pour accroître la productivité et donc, la compétitivité.

Dans un article du Progrès de Lyon du 11 septembre 2007, il était indiqué qu’entre 2002 et 2007 les 245 SCOP de la Région Rhône-Alpes avaient créé 1000 emplois pour passer de 3 à 4000, soit une augmentation de 33% en 5 ans.
Il y a quelques années, le patron d’une société de papeterie et bureautique d’Amiens décida de prendre sa retraite. Il aurait pu vendre son entreprise au plus offrant et partir avec son magot. Il a cependant décidé de la vendre à ses salariés. Un certain nombre d’entre eux ont accepté et acheté des parts quitte à s’endetter. Aujourd’hui cet endettement tire à sa fin alors que les salariés se sont offerts leur outil de travail et la préservation de celui. N’ayant pas d’actionnaires, l’entreprise peut se contenter de bénéfices modérés et peut donc se présenter avec des prix un peu moins élevés que la concurrence.

Le modèle des S.C.O.P. se présente donc comme une alternative sérieuse à l’économie administrée et à l’économie libérale du capitalisme effréné. On peut donc être très étonné que les candidats aux élections ne s’intéressent pas davantage à cette forme d’organisation de la production. On est aussi étonné que les pouvoirs publics vite convaincus de venir au secours des multinationales en soi-disant péril, n’investissent pas davantage pour cette firme d’établissement.

Ceci ne s’explique que par l’imprégnation capitaliste de nos gouvernants incapables de s’arrêter sur des projets alternatifs qui combinent à la fois le progrès économique et le progrès social.

Notes d’économie politique 14 – 13 février 2008

Trombinoscope des hommes dangereux (catégorie dangereux dictateur): Vladimir Poutine

poutine.1202764217.jpgÉlevé dans la tradition tsariste puis KGbiste pour lesquelles l’homme n’est rien que le vassal à disposition du pouvoir absolu, cet homme, malgré le modernisme qu’il fait semblant de montrer, ne connaît rien d’autre. Sous son règne les anciennes méthodes n’ont pas disparu. Et l’on fait disparaître au goulag tous ceux qui risquent de faire de l’ombre à ce pouvoir, en les accusant, comme c’est l’usage, de crimes et délits imaginaires. Dans cet environnement, le peuple est tranquille s’il reste tranquille et se contente des parcelles de bien-être qu’on lui accorde.

Illustration: www.turgot.org

Le Sarko-roi, Martin et la Fronde

Dans l’ancien régime, le roi avait coutume de récompenser ses plus fidèles serviteurs. Il leur donnait des titres, des terres et, beaucoup plus rarement car, souvent, les « caisses de l’état étaient vides », des pensions. Parfois ces terres avaient été conquises sur l’ennemi, mais quand cela n’était pas possible, il arrivait que le roi cédât une partie des terres de la couronne. Mais il arrivait que ceci mécontentait les nobles déjà pourvus qui voyaient toujours d’un mauvais oeil tout ce qui pouvait renforcer le pouvoir royal et ses affidés. Et donner une terre à un fidèle serviteur n’était pas sans occasionner des inquiétudes.

Mais il arrivait aussi que les nobles réagissent. Cette contestation des faits et gestes du pouvoir royal prit un jour le nom de « Fronde » et elle compliqua fort la vie du roi d’alors.

Aujourd’hui, le roi voulut offrir son fief de Neuilly à son fidèle Martin qui avait été, en son temps soutenu par la deuxième femme du roi. Mais les nobles de l’endroit ne trouvèrent pas cela à leur goût. Même le Dauphin prit part à cette Fronde.

Le fidèle Martin dut se retirer.

Alternative à l’économie administrée: l’économie mutualiste et coopérative

Dans l’édition du 7 février 2008, Etienne Pflimlin, le Président du Crédit Mutuel raconte l’histoire de la Nothern Rock.

Jusqu’en 1997, Northen Rock est une mutuelle bancaire de détail du nord de l’Angleterre dont l’essentiel de l’activité est le crédit immobilier refinancé par les dépôts des sociétaires. En avril 1996, les dirigeants projettent de convertir la mutuelle en société par actions au motif d’une plus grande liberté (prêts diversifiés, refinancement sur le marché, etc… L’adhésion des sociétaires est obtenue par l’offre d’actions gratuites et la distribution des réserves accumulées depuis plus de cent ans ! Cette proposition obtient naturellement, sans débat, l’accord des sociétaires. Dès l’introduction en bourse les dirigeants tombent le masque. Augmentation de leur rémunération (32% en un an) et 17000 stock-options ! Pour la suite, qu’on imagine, je cite l’auteur de l’article: « Devenue une banque cotée, Northern Rock poursuit sa trajectoire ascendante sur le marché du crédit à l’habitat, au prix d’un virage stratégique : chute de moitié du nombre d’agences, licenciements, recours considérable aux intermédiaires de crédit (90 % des nouveaux prêts en 2007), explosion du refinancement sur les marchés (75 % du total en juin 2007) au détriment des dépôts clientèle (25 % du total en juin 2007). Grâce à ces leviers de profitabilité, Northern Rock devint la bête noire du marché : sa part de marché des prêts immobiliers passa de 2,3 % en 1997 (9e place) à 8,3 % en juin 2007 (5e place). La croissance fulgurante des crédits, largement refinancée sur les marchés et faiblement couverte par les fonds propres, sera stoppée par la brutale crise de liquidités de juillet 2007. La fin de l’histoire est connue : déconfiture, ruée des déposants dans les agences, et intervention de l’Etat. ».

Simplement par le désir de gagner davantage, les dirigeants de cette banque l’on conduite à la déconfiture. D’une banque proche de ses clients, déposants et emprunteurs, ils en ont fait une machine dépendante de la bourse en lui transférant les risques financiers. Quand la bourse a plié les genoux, la banque a suivi.

Le modèle mutualiste et coopératif offre donc une alternative solide et crédible à l’économie de marché comme à l’économie administrée. Dans ce modèle, le client, l’emprunteur, le consommateur de services, est aussi, d’une certaine façon propriétaire d’une part sociale, même si elle très petite. Les gestionnaires sont régulièrement amenés à rendre compte dans les assemblées générales devant les sociétaires, ce qui implique que tout ne leur est pas permis.

A cela, il faut ajouter que l’entreprise coopérative ou mutualiste n’a pas de dividende à distribuer. Elle n’a pas d’actionnaires. Elle appartient aux sociétaires. Une société mutuelle d’assurances en avait fait, il n’y a pas si longtemps, un argument publicitaire pour expliquer ses tarifs attractifs par cet état de fait.

La mutualité, en France, est l’héritière des sociétés de secours mutuel des ouvriers des corporations. Ce mouvement s’inscrit à contre courant du libéralisme et du capitalisme, puisque, par définition, il est social et a pour fonction d’apporter des services, voire protection, aux sociétaires. Sa réussite dans un certain nombre de domaine (assurance, protection sociale, banque, coopératives d’achat) en font un modèle stable et cependant compétitif.

 

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N.B.: cette « publicité » pour le Crédit Mutuel est une initiative désintéressée de l’auteur.

 

Notes d’économie politique 13 – 10 février 2008

Revenir à l’économie administrée

Le libéralisme a montré ses limites et ses dangers.

Pendant de nombreuses années, en France, des pans entiers de la production industrielle ont appartenu à l’état. Le secteur de l’énergie est emblématique de cette situation: Charbonnages de France, Gaz de France, Electricité de France. Cette position découlait, notamment après la seconde guerre mondiale d’une volonté stratégique. Qui contrôle ces domaines se trouve dans une bonne situation stratégique en cas de conflit.

D’autres domaines, pour des raisons comparables, ont été maintenues dans le giron de l’état: sont bien connus les cas des Chemins de Fer, la distribution du courrier, les télécommunications. D’autres le sont moins, comme la construction aéronautique (S.N.C.A.S.O. et S.N.C.A.S.E. fusionnant pour devenir, avec d’autres fusions la S.N.I.A.S. puis l’Aerospatiale). Aujourd’hui, alors que tout celà est devenu E.A.D.S. à force de fusions, ventes et prises de participations diverses nationales et internationales, l’état français détient encore directement et indirectement des parts dela construction aéronautique française. Sa participation vient d’ailleurs d’être augmentée, par le truchement de la Caisse des Dépôts au moment de la revente des parts et stock-options de plusieurs dirigeants et cadres (environ 1200) à un moment où le délit d’initié est probablement constitué.

La période de crise des années 70-80 conduit la sidérurgie française à des concentrations successives, qui s’organisent autour de 2 pôles : Usinor et Sacilor. En 1981, l’Etat français prend la majorité du capital des deux sociétés. L’Etat décide de réaliser leur fusion en 1986 pour en améliorer la performance : Usinor Sacilor est né. En juillet 1995 Usinor Sacilor est à nouveau privatisé. Le groupe prend le nom d’Usinor en juin 1997.

logo-sncf.1202602792.jpgD’autres secteurs qe la production industrielle se sont trouvés dans le giron de l’état. En 1945 le gouvernement du Général de Gaulle a nationalisé la Banque de France et les quatre premières banques commerciales disposant d’un réseau national : Crédit lyonnais, Société générale, Comptoir national d’escompte de Paris et BNCI. L’État a pris en main l’essentiel du crédit. Pendant une vingtaine d’années, les banques nationalisées se sont consacrées à la collecte de l’épargne à court terme, elles ont soutenu les émissions du Trésor tout en participant au financement de la reconstruction et de la modernisation de l’économie. Les banques nationalisées constituaient un secteur stratégique pour l’économie nationale, où on évitait de se faire concurrence.

D’un autre côté, c’est le Trésor qui a financé principalement la réalisation des premiers Plans et c’est la Caisse des dépôts qui a aidé les collectivités locales et financé la construction des logements populaires. Par contre, les banques « d’affaires » qui n’ont pas fait l’objet d’une nationalisation ont continué leur activité dans le développement des investissements industriels et financiers. Ce n’est qu’en 1987 que le processus de privatisation des banques de dépôt a commencé. Vingt ans après, il est à peu près terminé.

Pendant longtemps, en France, des entreprises qu’on croyaient privées appartenaient en tout ou partie à l’état. Il fallait être bien informé pour savoir que la radio Europe N°1 n’était pas une radio « libre ». Un certain Charles Michelson qui avait obtenu avant guerre une concession de radio à Tanger s’était fait donner le monopole de la radiodiffusion en Sarre en 1952 (à cette époque, la Sarre avait un statut particulier: province allemande, elle était cependant administrée par la France). Ainsi naquit Europe 1, station de radio de langue française échappant au monopole de l’état français, situation comparable à celle de Radio Luxembourg qui émettait depuis le territoire luxembourgeois. Puis la radio de M. Michelson fit faillite en 1955. A la demande du gouvernement français, Sylvain Floirat (un industriel exploitant des lignes aériennes sous convention de transport public) la reprit. Il en devint propriétaire en 1956. Puis, en 1959, l’état prit le contrôle d’une partie du capital par l’intermédiaire de la Sofirad (Société Financière de Radio-diffusion dont l’état était propriétaire et qui gèrait les participations de ce dernier dans les stations de radio et de télévision). C’est en raison de la puissance de l’état, qu’après 1968, et compte tenu du comportement de l’antenne pendant les évènements, la direction d’Europe 1 fut poussée vers la sortie. C’est alors qu’apparût Jean Luc Lagardère dans le capital. Mais sous la présidence de François Mitterand, l’état avait encore son mot à dire dans les choix éditoriaux. Ce n’est qu’en 1986, lorsque l’état vendit à Hachette (Lagardère) sa participation, que la chaîne devint entièrement privatisée.
Le cas d’Europe 1 n’est pas isolé. Pendant de nombreuses années l’état français a détenu, par exemple, jusqu’à 86% de Radio Monte Carlo par l’intermédiaire de la Sofirad.

C’est ainsi que, pendant de nombreuses années, l’état a investi, soit directement, soit indirectement, de façon importante dans l’économie. Ceci a probablement atteint un sommet en France après l’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981. Puis la tendance s’est inversée, y compris sous des gouvernements de gauche. Cette inversion motivée, pour une bonne part par des directives de la Communauté Européenne, l’a été aussi pour des raisons idéologiques. La gauche social-démocrate a fait sienne la notion d’économie de marché et de libre entreprise et, corrélativement, accepté la baisse du pouvoir régalien de l’état, a l’opposé de la gauche communiste ou révolutionnaire.

Pour une part, la notion de nationalisation repose sur la nécessité de contrôle stratégique de certaines activités économiques ou industrielles, en cas de conflit militaire. S’y retrouvent naturellement la production d’énergie, les télécommunications, les transports, etc., liste dans laquelle on retrouve les thèmes de grandes nationalisations de l’après-guerre. Peuvent s’y ajouter la métallurgie et certaines productions qui en dépendent comme les usines d’armement, la construction navale, aéronautique, routière dans les arsenaux ou de grandes usines d’état (Renault, par exemple).

logo-edf.1202602627.gifAu delà de la notion de contrôle stratégique en cas de conflit, le maintien dans le giron de l’état de certaines activités économiques répond aussi à la nécessité de « Service Public ». La notion de service public s’entend alors au sens de service destiné au public et donc à tout citoyen, quelle que soit sa position ou sa situation. S’y attache, en plus, une notion républicaine d’égalité de droit. Ainsi, dans cette optique, tout citoyen doit pouvoir, par exemple, disposer de l’énergie électrique à son domicile. Et sans qu’il lui en coûte plus qu’aux autres citoyens même s’il habite dans un lieu très retiré. Ceci implique qu’on installe pour son seul usage, à grands frais évidemment, des kilomètres de ligne. Dans les premiers temps, il en fut bien ainsi. Puis peu à peu, E.D.F. a demandé des contributions pour l’approvisionnement de demeures lointaines, ce qui contrevint à cette logique républicaine d’égalité de droits entre tous les citoyens.

La nationalisation peut être considérée aussi comme un élément de sécurité. Est-il raisonnable de permettre à des sociétés qui recherchent le profit de s’adonner à des activités dangereuses. On peut craindre que le désir de faire des bénéfices l’emporte sur la sécurité. C’est vrai pour divers domaines très sensibles comme la production d’électricité nucléaire, mais aussi pour le transport aérien ou ferroviaire, comme l’entretien des routes et autoroutes. C’est ainsi que, contrairement à ce que l’on croit, un biographe de Margaret Thatcher affirme qu’elle n’était pas partisane de la privatisation de British Rail. C’est d’ailleurs son successeur qui la fit.

La nationalisation peut être vue aussi, comme une façon de maîtriser les coûts. Ce débat a toujours animé les Conseils Municipaux à propos, par exemple, de l’attribution du marché de l’eau potable. On constate, en général, que le coût du mètre cube d’eau potable peut-être très différent selon que la distribution est ou non assurée par une régie municipale. On remarque aussi que les bénéfices des sociétés concessionnaires de service public versent des dividendes à leurs actionnaires qui sont plus élevés que ce qui est raisonnable dans un environnement industriel qui n’est évidemment pas spéculatif. Le recours à des sociétés privées pour des marchés aussi importants que la distribution de l’eau potable ou l’enlèvement des ordure ménagères font disparaître aussi, pour une bonne part les risques de corruption. En tout état de cause, un établissement industriel ou commercial qui n’a pas à verser de dividendes devrait avoir, à contraintes et objectifs comparables, des coûts de gestion moins importants.

On a parfois montré du doigt les moins bonnes performances de la gestion directe, au motif d’un manque de technicité ou d’un manque de productivité des agents. mais c’est confondre les choses. Rien n’empêche une collectivité de recruter des cadres compétents et de les motiver d’une façon convenable. Et il arrive bien souvent que l’ingérence des politiques à qui il arrive souvent de ne pas se comporter en bon gestionnaires utilisant la chose publique comme leur chose personnel à des fins électoralistes ou clientèlistes.

ptt.1202602553.jpgUne analyse simpliste conduit souvent à faire croire que la productivité d’une gestion nationalisée est inférieure à celle d’une gestion. Divers exemples montrent le contraire. On ignore souvent que c’est grâce à la recherche, en partenariat avec l’Ecole Nationale des Télécommunications que France Télécom a mis la France en état de passer vite et bien à l’ére numérique. C’est autant grâce à la SNCF qu’à Alsthom que fut créé le TGV, produit industriel modèle et exportable. On ignore souvent que la RATP dispose d’une société qui est intervenue dans la mise en oeuvre de divers métros de par le monde. Et peut-on considérer comme une réussite que tout ce qui reste dans la métallurgie française soit passé entre les mains de la Mittal Steel Company ? Et le coût social du démantèlement de celle-ci en France est-il moins ou plus élevé que les aides qu’on aurait pu apporter à ces industries pour qu’elles subsistent ? Lorsque les autoroutes, en France, ont été construites grâce au péage payés par les usagers, les gouvernants avaient promis qu’une fois amorties, celles-ci reviendraient dans le domaine public. Mensonges: elles ont été vendues. Seul le pont de l’Ile d’Oléron, construit par le département de la Charente Maritime, est devenu gratuit en 1991 une fois amorti.

Il n’y a aucune certitude que le privé fasse mieux que le public et réciproquement. Alors, pourquoi l’Etat n’investirait-il pas dans des activités économiques profitables pour que les retombées profitent aux citoyens ? Imaginons que les immenses bénéfices des banques devenues toutes privées abondent le Trésor Public, au lieu de tomber dans les poches de gros investisseurs ?

Au nom de l’Europe, l’économie est devenue totalement capitaliste et libérale. Le Parti Socialiste Français, s’y est converti, sans grande peine d’ailleurs. Et pendant ce temps, les riches, les consortiums, n’ont jamais fait autant de profits et ne se sont jamais tant enrichi sans cause. La pourcentage de ce profit est passé de 60% à 33% en 50 ans ! Le libéral-capitalisme avait montré ses sinistres effets dans la deuxième moitié du XIXème siècle. Instruits de cette expérience, les politiques du XXème siècle l’avaient maintenu en liberté surveillée. Notamment à l’issue de la seconde guerre mondiale. En France, ce fut sous De Gaulle, qu’on ne peut targuer d’être marxiste que ceci se fit. Et ce n’est pas cette question qui provoqua son départ. Il existe d’ailleurs toujours une droite souverainiste qui partage, au moins sur ce sujet, quelques idées de la gauche. C’est la raison pour laquelle, le référendum sur la Constitution Européenne fut rejeté aussi bien par des électeurs de droite que de gauche. Car, il faut vraiment faire la politique de l’autruche pour croire que l’Europe, tenue par des puissantes forces libérales, ne continuera pas dans cette mauvaise voie.

C’est d’ailleurs désolant, de constater comment l’idéal des créateurs de l’idée européenne qui était, au premier chef d’éviter le renouvellement des conflits, et au deuxième de créer un grand pays socialement et économiquement solidaire, se vautre maintenant dans la vase de la concurrence sauvage et inhumaine. Et ce mouvement est tellement fortement lancé qu’on s’achemine inévitablement vers une Europe des banquiers et du grand capital. Il en découlera nécessairement, à un moment, de grandes difficultés sociales car le grand capitalisme est incapable de maîtriser son avidité. L’exemple récent d’un jeune trader jouant en bourse un montant équivalent au P.I.B. d’un pays comme le Maroc en est un témoignage. L’appel « prolétaire de tous les pays unissez-vous » a toujours un sens. Il est affreusement dommage que l’application du marxisme, hélas devenu marxisme-léninisme, ait sombré dans d’épouvantables sociétés dictatoriales qui n’avaient rien à envier au fanatisme nazie. Mais cette évolution est une question d’hommes et non de philosophie. Il se trouve qu’après chaque révolution le pouvoir du peuple lui échappe. Triste routine contre laquelle les esprits libertaires ont du mal à lutter.

Le retour à l’économie administrée est une voie moyenne vers la réalisation d’une grande ambition sociale. Elles ne passe pas forcément par la nationalisation pure et dure. Il existe toutes sortes de formes d’économie mixte qui laissent aux états le pouvoir d’agir dans de nombreux domaines et particulièrement dans ceux dont dépend la vie quotidienne des citoyens. Les états, ce sont les gouvernements, et les gouvernements sont composés d’hommes. L’électeur devra donc prendre garde à choisir des représentants ayant une grande morale politique. Contrairement à ce que l’on croit, ils existent. Ils existent d’ailleurs aussi bien à droite qu’à gauche.

Notes d’économie politique 12 – 10 février 2008