L’économie libérale : dogme et illusion des vertus de la concurrence

L’économie libérale : dogme et illusion des vertus de la concurrence

Aujourd’hui la concurrence est présentée comme un moyen d’assurer le dynamisme économique et les meilleurs prix. Ce dogme est partagé par de nombreux pays, dont la France, et les instances de la Communauté Européenne qui se montrent très sourcilleuse sur cette question. Mais est-on assuré, pour le moins, que la méthode permette d’atteindre les objectifs poursuivis ?
On commencera, tout d’abord, que l’économie de marché et la concurrencent furent bien avant les nationalisations. Le développement industriel au XIXème siècle fut assuré par des entreprises privées dont le capital était familial ou composé par des participations d’actionnaires. Ainsi furent des secteurs qu’on nationalisera par la suite, tels les charbonnages ou les chemins de fer, par exemple.
Après le Front Populaire et la Seconde Guerre Mondiale, en France, un certain nombre de secteurs se retrouvèrent nationalisés pour plusieurs raisons.
La première était l’aspect stratégique, au sens militaire du terme : ainsi, en était-il de la production d’énergie, des transports, du service postal, des télécommunications. On en comprend aisément le sens : il aurait été tout à fait pernicieux qu’en cas de conflit, des secteurs aussi déterminants pour la conduite des opérations puissent être entre des mains mercantiles et même<étrangères.
Un autre aspect concerne la recherche et le développement. Il est, en effet, très facile d’obtenir d’entreprises nationales qu’elles mettent en œuvre des programmes de recherche même si l’intérêt économique n’apparaît pas immédiatement. Le TGV aurait-il été inventé si la SNCF n’avait pas été entreprise publique ? Et quid de la filière nucléaire française, réputée par sa qualité et sa sécurité, si EDF avait été privée ? France Telecom aurait-elle déroulé tant de kilomètres de fibre optique et développé le réseau RNIS ? On n’aurait certainement pas construit Concorde si l’état n’avait pas été autant impliqué dans l’industrie aéronautique. Car même si le programme Concorde a été abandonné en raison du coût des carburants, on ne peur faire l’impasse sur les technologies dérivées.
Par nature, dans un état raisonnable et non corrompu, l’industrie nationalisée vise autant l’intérêt général que les profits évidemment nécessaires.
Un troisième aspect concerne l’aspect social. Tout le monde a lu Germinal et se représente donc très bien l’impact terrible sur les ouvriers de la fermeture des puits d’extraction charbonnière non rentables. Dans un environnement libéral, la situation des ouvriers débauchés est laissée à la charité publique où à la conscience, rare, des maîtres des entreprises. Face à Germinal, on peut se souvenir de ce que fut la liquidation progressive de Charbonnages de France. Certes, ceci ne fût sans conflit. Même sans dur conflit. Mais, au demeurant, la puissance publique eut à cœur d’atténuer autant que faire se pouvait l’impact social de la fermeture des puits.
Naturellement, sur la base de l’industrie métallurgique française, on peut gloser sur les nombreuses aides de l’état qui n’ont pas empêché la fin prévisible. Mais on pourrait aussi se poser la question du maintien de certaines industries, même si elles ne sont pas tout à fait rentables, en mettant dans la balance des coûts sociaux tels que le chômage ou les pré-retraites et toutes les conséquences telles que la précarité sociale, l’alcoolisme, la délinquance, la drogue, etc..
Privatisation et concurrence sont devenus des dogmes.
On va même jusqu’à des positions délirantes. Quel intérêt peut-on trouver à faciliter la création de fournisseurs virtuels de communications téléphoniques ? Voilà des sociétés qui ne possèdent rien, par un mètre de paire de cuivre ou de fibre optique ! On pourrait au moins leur imposer de s’impliquer dans les investissements ! Car si les vendeurs de minutes se bousculent, rares sont ceux qui s’impliquent auprès de France Télécom ou de Cégétel ou de la SNCF pour tirer de la fibre. Et quand ils le font (voir l’exemple de Free) c’est dans des secteurs à rentabilité rapide. Tout ceci au détriment de l’aménagement du territoire.
Car avant d’être privatisées, EDF, la SNCF, La Poste, France Télécom, ont contribué à cet aménagement en apportant leur service dans les endroits les plus reculés. Qu’en sera-t-il bientôt des agriculteurs du Massif Central ?
La notion de Service Public est indissoluble de celle d’Aménagement du Territoire. En privatisant, on laisse les situations peu ou non rentables à la charge de la collectivité. C’est ainsi que certains Conseils Généraux en sont à poser de la fibre optique pour distribuer Internet dans un maximum de communes. Est-ce vraiment la mission des Conseils Généraux ?
Enfin, il y a l’illusion de la concurrence censée faire baisser les prix. Et là, il y a plein de contradictions. Ainsi, France Télécom doit faires des bénéfices pour distribuer du dividende. Si la concurrence conduit à baisser au plus bas les prix de vente, alors le dividende baisse ou devient nul. Pour le coup, c’est le cours de l’action qui baisse aussi et la valeur de l’entreprise passe en dessous de sa valeur réelle permettant l’achat massif par des spéculateurs. La concurrence ne peut donc jouer pleinement. Et comment y parvenir : l’entente.
Il est remarquable que, dans le secteur des télécommunications, les trois opérateurs ont été condamnés pour entente illicite. Ils ont payé l’amende ou procédé d’appels en appels. Au final, le consommateur est loin d’être gagnant. Il n’est pas rare que des infractions de ce genre soient relevées, dans la grande distribution, par exemple, où « l’alignement » des prix fait sourire. On relèvera aussi l’exemple de l’optique (secteur mutualiste à part) où les différences de prix s’appuient, pour l’essentiel, sur des différences de qualité ou des artifices tels qu’il est impossible de s’y retrouver (comme dans les forfaits de téléphone et bientôt d’électricité).
Privatisation et concurrence sont des dogmes. Des centaines de contre-exemples peuvent être avancés tant dans la question des ententes que dans celle des coûts non intégrés et laissés à la charge de la collectivité. Il serait bon que les citoyens en prennent conscience et exercent des pressions corrélées sur les élus.

Notes d’économie politique 25 – 1er juin 2008

Bakounine