Mai 1968: 12 – Enfin, l’appel à la grève et le 13 mai

Mai 1968: 12 – Enfin, l’appel à la grève et le 13 mai

[Mai 1968: commencer au début]

Les évènements de la nuit du 10 au 11 mai ont marqué les esprits. Les barricades ont été nombreuses et ont résisté longtemps. La répression policière a été d’une violence inouïe. Les poursuites, matraque à la main, des manifestants et, parfois, de personnes se trouvant là par hasard, ont été sauvages. Nombre d’habitants de la rue Gay-Lussac ont témoigné de ces poursuites dans le escaliers des immeubles, voire jusque dans les appartements.

medium_crs_ss.1206145736.gifDes centaines de manifestants ont été arrêtés. Ils ont été matraqués avant de monter dans les cars ou dans les locaux du commissariat du cinquième arrondissement qui s’est acquis une fort mauvaise réputation. Ils ont été matraqués à la descente des cars. Les conditions de détention à Beaujon sont vite connues et l’on peut dire qu’elles ne sont pas bonnes. Il y a des récits de très mauvais traitements. Comme la plupart des interpellés finissent par être relâchés, on sait comment cela se passe. Et la presse publie les récits. Certains gestes des forces de l’ordre ressemblent fort à des tortures. On dit qu’il y a eu des viols.

En réalité, quarante ans plus tard, contrairement à l’opinion répandue, je crains que tout ceci n’ait été vrai. Il est certain que la violence de certains émeutiers (les pavés ne sont pas des projectiles anodins) puisse expliquer la violence des réactions.Mais il y a aussi cette manière inhérente à toutes les forces de police… Et ce que nous avons connu ensuite, comme l’assasinat de Malik Oussékine, en dit assez sur les pratiques des forces de l’ordre.

Après la nuit du 10 au 11 mai, la population est plus avertie de ce qui se passe et l’indignation commence à venir. La C.G.T. et les syndicats enseignants lancent un appel à la grève pour le 13 mai. Ce n’est pas et ce ne sera jamais un authentique rapprochement ouvriers-étudiants, comme beaucoup l’ont espéré. mais ce n’est déjà pas si mal.

On attend toujours la réouverture de la Sorbonne, promise par les ministres.

Le 13 mai est une date spéciale. C’est exactement 10 ans auparavant, le 13 mai 1958 que débutèrent les manifestations d’Alger qui ont conduit au retour du Général de Gaulle au pouvoir. Et cette coïncidence fait aussi ressentir que cela fait dix ans que s’impose ce pouvoir triste et froid que toute la classe ouvrière et tous les jeunes ressentent comme pesant. Les motivations ne sont évidemment pas les mêmes. Les dirigeant de la C.G.T. ne s’occupent pas de libération sexuelle. Mais les deux mouvements vont, pendant un temps, cohabiter très sympathiquement. Les ouvriers de Renault recevront patiemment les étudiants venus pour exposer leurs théories politiques. Mais les préoccupations ne sont pas les mêmes. Mais, quand même, trouve-t-on ici ou là des minorités plus ou moins libertaires qui contribueront à la naissance de la revendication d’un « socialisme autogestionnaire » notamment à la C.F.D.T..

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La manifestation du 13 mai est historique. Je n’y suis pas et je le regrette bien. Mon temps est très occupé. J’hésite à m’absenter complètement de mon emploi à mi-temps. Certains l’ont fait quoique un préavis de grève formel n’a pas été déposé. Je passe aussi un peu de temps dans le laboratoire de la Sorbonne auquel j’appartiens (je ne me souviens plus comment nous faisions pour entrer par la rue Saint Jacques). Et puis il y a les nécessités paternelles. Le bébé a dix jours et la maman est encore sous le coup d’un accouchement qui fut un peu difficile et a besoin de quelques soins.

 

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Empêchée de participer aux évènements, elle piaffe d’impatience. Je raconte évidemment ce qui se passe, les rencontre que j’ai faites, et tout cela. J’ai l’impression d’augmenter encore son impatience. Là, vraiment je n’y peux rien…

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C’est donc la manifestation du 13 mai, de la Place de la République à Denfert Rochereau. Un fleuve humain qui se déplace dans la capitale. Caroline de Bendern devient célèbre et, raconte-t-on, fut déshéritée par son grand père. On pense qu’il y avait un million de personnes. Naturellement la police donnait un chiffre ridiculement bas. Personnellement, je dirais raisonnablement au moins 500000. C’est un superbe succès. Ouvriers, étudiants, employés, hommes et femmes, tous fraternellement unis. Cette manifestation portera en elle les germes du grand mouvement de solidarité et d’échange qui se développera aussitôt.

Le 13 mai, la Sorbonne est ouverte.

L’imagination prend le pouvoir.

 

Découvrant la photo de Caroline de Bendern (je n’ai su que récemment, grâce à Internet, qu’elle s’appelait ainsi) quelque temps plus tard dans je ne sais quel journal, j’eus une grande émotion. Il m’a semblé reconnaître une jeune femme que j’avais beaucop aimé pendant plus de deux ans et qui m’avait congédié. Même visage (presque) et surtout coupe de cheveux identique et, pour compléter l’identification, la même veste longue rayée verticalement. Ce n’est que récemment, en découvrant le vrai nom de cette jeune femme, que j’ai dû renoncer à cette pourtant belle erreur.

[Suite]

Bakounine