Ceci est un court extrait d’une oeuvre en cours d’écriture publié pour le divertissement de certains reptiles.
Malgré mes préoccupations, l’ascension me sembla toute aussi longue qu’à l‘accoutumée. Une fois le sommet atteint, j’empruntai un peu essoufflé l’étroit couloir où se succédaient les portes des chambres « de bonnes ». Cette expression était d’ailleurs fort convenue. Car, depuis des mois où j’habitais ce lieu perché, j’aurais bien aimé rencontrer une jeune bonne esseulée qui eût accepté d’être bonne avec moi. Peine perdue. Pas un être humain. Quelque fois, le bruit d’une clef qu’on tournait dans une serrure et d’une porte qu’on ouvrait et refermait. Sans doute quelque Barbe Bleue de l’immeuble qui venait contempler ses victimes desséchées. Et toutes mes espérances de partager mon lit froid avec la douce chaleur d’une jeune espagnole ou portugaise ou polonaise ou de quelque nationalité que ce soit, s’étaient évanouies.
Par contre, ce qui avait persisté, c’était l’odeur des W.C.. Vu les témoignages archéologiques d’anciennes et abondantes mictions et autres choses encore, il y avait donc eu un temps où ce couloir avait été habité. La pièce de ces commodités, devenues olfactivement fort incommodes, était pourtant agréablement située plein sud-est, agrémenté d’une grande fenêtre permettant au franc soleil matinal d’entrer sans honte et de réchauffer les parties dévêtues de l’usager. Et l’on ne craignait même pas l’indiscrétion de regards voyeurs, car il n’y avait point de vis-à-vis. Le regard portait même jusqu’à la montagne aux singes du Jardin Zoologique et je n’imagine pas que des babouins porteurs de jumelles puissent s’intéresser un seul instant à l’état matinal de mes pudenda. Et même si cela était, car j’ai remarqué que ces animaux ont une forte tendance copulatrice, l’éloignement me garantissait une totale sécurité.
Ce local eût donc présenté de fort grands avantages s’il n’avait présenté deux inconvénients majeurs. Le premier était la présence d’une cuvette dite « à la Turque », ce qui interdisait de longues stations assises à contempler le soleil du matin, voire le lever du soleil, sur le bois de Vincennes.
De longue date, j’ai développé une haine farouche envers ce type d’appareil. On me dit qu’il s’agit de dispositifs très hygiéniques qui évitent tout contact avec la peau et que, de cette façon, il n’y a pas de risque de transmission de maladies. Cet argument serait tout à fait recevable si les usagers des toilettes à la Turque perdaient l’habitude de répandre leurs productions ailleurs que dans le trou destiné à cet usage. On en retrouve généralement sur les espaces destinés à poser les pieds, ce qui oblige l’usager qui ne veut point continuer à conchier l’espace à mille contorsions. Il y a aussi les effets des chasses à « effet d’eau » qui s’obstinent dans un malin plaisir à promener tous les objets flottants dans les diverses rigoles et qui épuisent leurs cours avant même que la crue n’ait porté toutes ces choses immondes dans le trou.
Ceci me fit développer un fort a priori envers l’endroit. Toutefois, découvrant peu à peu que j’en étais probablement le seul usager, je décidai donc de l’améliorer et de le bichonner. Cette tâche fut ardue.
Sur toute la cuvette, et même au-delà, et, à dire vrai sur toutes les surfaces quasi horizontales, on pouvait observer des couches jaunes et peu ragoûtantes, témoignant, comme des strates paléontologiques des périodes de peuplement. Malheureusement, il n’y avait point de ces inscriptions qui ornent fréquemment les murs de ces lieux. Car si elles sont parfois d’une banalité éprouvante, certaines témoignent d’un goût littéraire prolongé, jamais pour la litote, mais parfois pour le néologisme. Je n’en veux pour preuve que ce message que j’ai trouvé un jour dans les toilettes de l’Hôtel des Société Savantes à Paris : « j’empoutâfre (sic) la connasse vierge ».
De même, toute peinture rupestre avait disparu. Il ne restait rien de l’histoire ancienne de ces lieux que ces dépôts calcaires et nitreux recouvrant toute la faïence, si jamais il y en eût, et tous les abords et même les derniers quarante centimètres du tuyau de la chasse d’eau. Ce n’était pas vraiment la saleté, car il y avait un bail ou plusieurs que les mictions et les défécations abandonnées hors du conduit, avaient été réduites, désagrégées et évaporées. Non, c’était surtout cette lourde épaisseur de tartre compissé qui répandait une forte odeur acre d’ammoniaque corrompu.
J’avais courageusement entrepris une rénovation ardente, à l’aide de produits adaptés. L’entreprise ne fût cependant pas complètement couronnée de succès tant les fossiles étaient anciens et résistants. Faute de pouvoir détruire, j’entrepris donc de masquer à l’aide de produits déodorants ce qui n’apporta qu’une très relative amélioration. De plus, il me semblait que tout nouvel usage du dispositif rénovait l’odeur comme s’il provoquait une renaissance des miasmes.
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