L’office HLM de Creil, rempart des services publics

L’office HLM de Creil, rempart des services publics

Dans cette ville pauvre, Oise Habitat lutte seul contre le vandalisme dont sont victimes ses locataires.
LE MONDE | 06.03.2018 à 11h24 • Mis à jour le 07.03.2018 à 12h00 | Par Isabelle Rey-Lefebvre
Depuis son élection, Emmanuel Macron n’a pas hésité à critiquer le monde HLM. Il a dit et répété que le nombre d’organismes – près de 800 – nuisait à leur efficacité, les sommant de se regrouper d’ici à deux ou trois ans. Mais de telles concentrations risquent de laisser de côté les offices HLM très impliqués dans la vie locale, notamment dans les territoires les plus défavorisés. « Pour nous, le logement social, ce n’est pas un marché, mais un outil au service des habitants et des territoires, et qui ne se pilote pas depuis Paris. Venez chez nous », invitait ainsi Bernard Domart, directeur général de Oise Habitat, lors d’une conférence de presse organisée à Paris, mi-janvier, à l’initiative de cinq offices publics HLM des Hauts-de-France.
Oise Habitat est à la tête de 13 700 logements dont la moitié à Creil (Oise, 36 000 habitants). Avec ses 65 % de logements sociaux, Creil est une ville pauvre, saignée par la désindustrialisation et le chômage de masse (20 % en moyenne et jusqu’à 40 % aux Hauts de Creil), aux frontières de l’Ile-de-France, un « terminus de la banlieue », comme la désigne Floriane Louison, dans le livre qu’elle lui a consacré, Des gens à part (Seuil, 2017).
Elle est entourée de villes riches, Chantilly, Senlis, Gouvieux. « Deux mondes qui ne se côtoient pas sauf dans l’immense zone commerciale Cora, où s’alignent les enseignes à vendre et les chaînes de restaurants, un aspirateur à clients, qui a désertifié et fait disparaître beaucoup des commerces de centres-villes », explique Jean-Marie Grignon, de l’association locale Consommation logement et cadre de vie (CLCV).
Locataires pauvres
« Nos locataires sont victimes de nombreuses incivilités, dénonce Bernard Domart, qui coûtent, à l’office, plus de 100 000 euros par an : des incendies, des actes de vandalisme. Sans oublier le stationnement anarchique, des points de trafic de pièces détachées automobiles et de drogue… Nous sommes bien seuls pour y faire face, aucun service de l’Etat ne s’intéresse à cela », déplore-t-il. Les habitants partagent ce constat : « A chaque jour son “sapin de Noël”, c’est-à-dire une voiture brûlée », s’insurge une locataire dont le mari, pompier, est régulièrement caillassé au cours de ses interventions.
D’autant que si les loyers sont faibles – 3 à 4 euros le mètre carré –, la taxe d’habitation est très élevée, 1 500 euros pour un appartement de 80 mètres carrés. « Nos locataires sont de plus en plus pauvres, la moitié d’entre eux bénéficient de l’aide personnalisée au logement, observe M. Domart, et la moitié des arrivants ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté. »
Daniel Plessier, élu représentant CLCV des locataires au conseil d’administration du bailleur social, inlassable et efficace porte-parole des petites et grandes misères des locataires, témoigne aussi, en tant qu’éboueur, sa profession, des encombrants et déchets abandonnés n’importe où.
Dégradations divisées par trois
Oise Habitat a pourtant rénové presque tous ses immeubles, en particulier ceux du quartier du Plateau Rouher, qui relève de la politique de la ville. Eddy Flamant, directeur adjoint chargé de la gestion, est fier de présenter les bâtiments fraîchement refaits et équipés de conteneurs blindés antifeu : « La réhabilitation a permis de diviser par trois le nombre de dégradations, se félicite-t-il, d’éradiquer les squats et les occupations de parties communes. » Cette amélioration a été obtenue sans augmentation de loyer, et les charges ont même baissé grâce au raccordement à un système de chauffage urbain parmi les moins chers de France.
« Au moment des régularisations de charges, l’office nous rembourse quasiment 200 euros par an, confirme M. Plessier, et même si on n’est pas d’accord sur tout, même si on a quelques petits désaccords, par exemple sur le prix des parkings, on sent une vraie écoute. Oise Habitat est resté proche des gens » et a d’ailleurs installé son siège social au milieu de ses locataires du Plateau Rouher.
L’Etat a, il est vrai, peu à peu gommé sa présence à Creil. Tout d’abord, l’antenne locale du tribunal d’instance, pourtant juridiction de proximité qui traite des affaires quotidiennes de crédit, de rapports locatifs ou de consommation, a été rapatriée d’autorité à Senlis – la sous-préfecture –, ville pourtant deux fois moins peuplée. Les services fiscaux ont réduit leur présence, la police est en sous-effectif chronique…
Et aujourd’hui, c’est la maternité que l’Agence régionale de santé veut fusionner avec celle de Senlis « alors que cet établissement réalise plus de 1 500 accouchements par an et qu’il n’existe, le week-end, aucun transport public entre Senlis et Creil [15 kilomètres] », tempête le maire (PS), Jean-Claude Villemain. Comme toujours, après le départ du public, le privé suit : les médecins libéraux se font rares, partant les uns après les autres à la retraite sans être remplacés, avec pour conséquence un engorgement des urgences à l’hôpital de Creil.
Oise Habitat est aussi le principal instrument d’aménagement du territoire auquel les élus peuvent faire appel, même pour de petites opérations : agrandir la maison de retraite, transformer une ancienne ferme en logements, réaliser de petits ensembles… « Pour les opérations de moins de 30 logements, aucun bailleur national ou promoteur privé ne répond à l’appel d’offres », constate M. Domart.
La ponction financière décidée par le gouvernement dans les finances des offices HLM inquiète beaucoup les dirigeants d’Oise Habitat : « Elle va nous obliger à renoncer aux deux tiers des rénovations que nous envisagions, prévoit M. Domart. Quant à vendre nos logements à leurs occupants pour faire rentrer de l’argent, comme nous le suggère le gouvernement, nous tentons de le faire mais les banques refusent, dans huit dossiers sur dix, de prêter à nos éventuels acheteurs, bien souvent des smicards sans apport personnel », explique-t-il.

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