La crise qu’on aurait pu éviter et qui se reproduira sans doute

La crise qu’on aurait pu éviter et qui se reproduira sans doute

Quand l’idée est-elle née dans nos esprits ? Il y a longtemps. Peut-être au moment où la Grèce est entrée dans le Marché Commun en se débarrassant de ses colonels. Et en tout état de cause, sûrement au moment de la chute du mur de Berlin. Il était alors évident pour nombre d’entre nous, que l’Europe n’était plus coupée en deux et qu’il était temps d’en faire l’unité.
Les institutions étaient étranges. Il y avait un parlement croupion qui n’était pas élu par les citoyens. La Commission était une institution technocratique et lointaine nommée on ne sait comment par on ne savait qui. Il était évident, pour nombre de citoyens qu’il fallait s’y prendre autrement.
Faire l’Europe c’était commencer par une Constitution. Pas le concordat de notaire que nous avons rejeté par référendum et qu’on a fait adopter par les députés, en douce, derrière notre dos. Non, une vraie constitution qui ne demande pas cent pages, mais qui, en quelques dizaines d’articles, définit les institutions et les règles de leur fonctionnement. La Constitution Française contient 89 articles et s’imprime en quelques pages. C’est bien suffisant. Elle définit l’organisation des trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire. C’est cela qu’il fallait faire.
Quelques pays auraient commencé, puis les autres, peu à peu, y seraient venus. Le Président aurait été élu au suffrage universel. Il y aurait eu un Parlement Européen disposant de tous les pouvoirs législatifs, etc..
On aurait laissé aux parlements des pays la possibilité de légiférer sur les questions locales, mais on aurait défini au niveau européen une politique sociale, économique, éducative, judiciaire, fiscale, etc. Sociale surtout. Sans doute, certains pays n’y seraient pas venus, ou pas tout de suite. Quelle importance ! Les Anglais seraient restés dehors et Madame Thatcher n’aurait pas eu l’occasion de s’exclamer « I want my money back ! ». En tout cas, ceux qui seraient entrés l’auraient fait de plein droit, mais avec les mêmes devoirs, et pas seulement dans la perspective d’aides juteuses.
Pour tout dire, on aurait créé les prémisses d’une nation, tout en conservant ses particularismes régionaux, comme c’est le cas avec les Bretons et les Catalans.
Mais avant de créer tout cela, les grands groupes, les banques, et tutti quanti se sont jetés sur la zone de libre échange et les bénéfices financiers qu’on espérait obtenir. Pas de politique sociale, pas de politique éducative, pas de politique énergétique, pas de politique fiscale, pas de gestion commune de l’emploi et du chômage. Pire, on a opposé l’ouvrier polonais à l’ouvrier français pour faire du profit. On a construit « l’Europe des Marchands », si bien nommée, avec des acrobaties fiscales, comme la TVA intra-communautaire ou éducatives comme Erasmus. On s’est jeté sur la monnaie unique, sans véritable projet économique et budgétaire commun. Alors chaque état a fait ce qu’il voulait en croyant parfois même que l’Europe paierait.
Aujourd’hui, c’est le foutoir. Ceux-là mêmes qui ont bien profité de la situation, notamment les organismes financiers, sont là à hurler avec les loups pour récupérer leur mise, alors qu’il aurait suffi d’une misérable taxe sur les opérations boursières pour couvrir et au-delà, ce déficit supposé abyssal.
Pire, il est à craindre que cet épisode pénible ne suffise pas à ceux qui gouvernent pour mettre en place un authentique et démocratique gouvernement de l’Europe. On va encore bidouiller et pressurer le peuple jusqu’au prochain désastre.
C’est désespérant.

Chroniques des abonnés du Monde 15/11/2011

Bakounine