L’absentéisme scolaire en otage (Thibault Gajdos CNRS)

L’absentéisme scolaire en otage (Thibault Gajdos CNRS)

Le Monde 27/4/10
Nicolas Sarkozy souhaite rendre systématique la suspension du versement des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire. Si la mesure n’est pas très originale, la motivation l’est davantage. En effet, la lutte contre l’absentéisme scolaire est en général conçue comme un instrument de politique éducative. Or, le titre du discours contenant cette proposition ne laisse aucun doute : « Discours sur le thème de la sécurité à l’occasion de la prise de fonctions du nouveau préfet ». L’objectif est de l’ordre de la sécurité publique.

Le raisonnement du président de la République est le suivant. Des actes de délinquance sont commis par des enfants. Si ceux-ci étaient à l’école, ils ne seraient pas dans la rue. Donc une baisse de l’absentéisme scolaire entraînera un recul de l’insécurité urbaine. Enfin, la suspension du versement des allocations familiales est une menace suffisante pour obtenir des parents qu’ils contraignent leurs enfants à aller à l’école.

Les choses ne sont toutefois pas si simples. Ainsi, en Grande-Bretagne, entre 2002 et 2007, malgré la suspension des allocations, le taux d’absentéisme est passé de 0,7 % à 1 %. Rien ne dit non plus qu’accroître la participation scolaire réduira instantanément l’insécurité.

Dans une étude parue en 2003, Brian Jacob et Lars Lafgren ont évalué l’effet de l’absentéisme scolaire sur la criminalité (« Are Idle Hands the Devil’s Workshop ? Incapacitation, Concentration and Juvenile Crime», American Economic Review). Ils se sont, pour cela, appuyés sur les fermetures ponctuelles des établissements scolaires. En analysant les taux de criminalité juvénile locale quotidiens dans 29 grandes villes américaines entre 1995 et 1999, MM. Jacob et Lafgren ont observé que, les jours d’ouverture des écoles, les atteintes aux biens chutaient de 14 %, tandis que les agressions augmentaient de 28 %.

Le premier effet s’explique sans doute par l’absence des jeunes dans les rues, tandis que le second pourrait être lié aux interactions entre les jeunes au sein des établissements. A supposer, donc, que la suspension des allocations familiales permette de lutter efficacement contre l’absentéisme, il se pourrait que cette mesure ait l’effet inverse de celui recherché.

Les enfants ont néanmoins d’autant moins de chances de devenir délinquants qu’ils auront quitté l’école tardivement. Ainsi, en exploitant les variations des durées de scolarité obligatoire aux Etats-Unis, Lance Lochner et Enrico Moretti ont montré qu’une année de scolarité supplémentaire réduisait le taux d’incarcération de 11 % (« The Effect of Education on Crime : Evidence from Prison Inmates, Arrests, and Self-Reports », American Economic Review).

Les politiques de scolarisation permettent donc de lutter efficacement contre l’insécurité. Evidemment, il ne peut s’agir que d’un investissement à long terme, laissant peu de place aux annonces spectaculaires. L’absentéisme scolaire est un défi majeur, qui concerne d’abord et avant tout les élèves des lycées d’enseignement professionnel (12,6 % d’absentéisme en mars 2006, contre 2,8 % au collège), et dans une moindre mesure les élèves des lycées d’enseignement général et technologique (5,8 % d’absentéisme). De ces élèves en déroute, le président de la République n’a pas dit un mot.

Thibault Gajdos CNRS, Le Monde, 27/4/2010

Bakounine