Le grand écart des écologistes français

Le grand écart des écologistes français

Aux origines de l’écologie française était la préservation de l’univers dans lequel les hommes vivent (Dumont). Il n’y avait pas d’autre projet construit, encore moins de projet politique. Il y eut même une écologie de gauche (Lalonde), tiède, et une écologie de droite (Waechter) tout aussi tiède. Ces écologies-là ne s’aimaient pas trop et faisaient candidature séparément. Pas moyen de s’entendre sur un cadre de politique générale. A moins que tout cela n’eût été, au fond, qu’une querelle de personne.

Cela faisait désordre et les pourcentages de voix étaient ridiculement bas.

Cette perception de l’écologie comme préservation de l’environnement existe encore. Les candidats de gauche, comme de droite, ajoutent tous, désormais, un catalogue de mesurettes pour être dans le vent, catalogue opportuniste qui ne trompe personne. Mais à côté, le mouvement s’est organisé, plus ou moins, il est vrai, mais assez pour envoyer des candidats qui sortent des élections la tête haute. Ses alliances avec le Parti Socialiste signifient que le projet politique global sous-jacent est plutôt de gauche modérée.

C’est là que des questions se posent.

On peut facilement obtenir que les citoyens trient leurs déchets, économisent l’énergie, luttent contre les pesticides, préservent certaines espèces animales. Mais ils évident et patent que les économies générées par les conduites individuelles sont quasi symboliques comparées à ce qui se passe dans l’ensemble de la planète.

Les multinationales et les grandes entreprises se moquent éperdument de l’écologie tant que cela ne risque pas de nuire aux bénéfices. L’exemple de la légèreté de la sécurité de l’exploitation de ce puits de pétrole de BP qui pollua, deux mois durant, le Golfe du Mexique en est un témoignage. Sinon, l’incident ne se serait pas produit. Les constructeurs d’automobiles présentent des modèles moins polluants, mais sous la contrainte. Parallèlement, on voit aussi se développer la spéculation sur les « droits à polluer »! On en vient vite au constat que les plus grands pollueurs de la planète sont les grands groupes industriels. Et quand il s’agit, pour ces derniers, de verser du dividende aux actionnaires, la préservation de l’environnement est le moindre souci.

La limitation de la production de gaz à effet de serre, la préservation de l’énergie fossile, des forêts, de la qualité de l’eau, etc., ne peuvent être laissés au bon vouloir de ces groupes. Il faut en prendre le contrôle et diriger l’activité de production. Ce qui implique que les projets écologiques sont incompatibles avec le libéralisme économique.

Et c’est là que les écologistes qui n’ont pas rejeté l’économie de marché, comme leurs alliés socialistes, font le grand écart.

Le projet écologique ne peut aboutir que dans le cadre d’une économie administrée dans laquelle la production se fait au moindre coût environnemental et, bien sûr, au moindre coût social. L’administration se fait à travers une représentation politique des citoyens.

On peut objecter que la réussite totale impliquerait que tous les pays de la planète organisent leur économie de cette façon, ce qui semble, a priori, peu probable. C’est exact. Mais un état, voire un continent, est bien mieux placé que des particuliers pour effectuer les pressions nécessaires, voire en ne commerçant pas avec les pays qui ne respectent pas certaines règles. Quand on a un autre horizon que le profit à court terme, on dispose de marges de manœuvre.

Le projet écologiste refusera l’économie de marché. Il sera altermondialiste ou ne sera pas.

Chroniques des abonnés du Monde, 20/08/2010

Bakounine