J’en ai assez qu’on critique les profs !

J’en ai assez qu’on critique les profs !

Un professeur est une femme ou un homme qui entre dans une classe plusieurs fois par jour. Il entre devant des spectateurs qui ont la dent dure. Ce n’est pas l’auditoire convaincu d’avance de la Comédie Française. Les élèves n’ont pas vraiment envie de l’écouter et ils manipulent leurs téléphones portables sous la table pour échanger des SMS.

Un professeur est un homme ou une femme qui sait qu’en un demi siècle le respect qu’on donnait autrefois à ceux qui exerçaient ce métier a disparu pour des raisons dont il n’est pas maître.

Un professeur est une femme ou un homme qui va devoir imposer sa parole. Mais il n’a pas forcément le choix du texte. Il n’a pas écrit le texte. Pour l’essentiel, on le lui a imposé dans les programmes. Il aimerait peut-être conquérir son auditoire avec des histoires amusantes comme dans les one man/woman show ou chanter en s’accompagnant à la guitare. Mais il doit parler de Montesquieu à des auditeurs fidèles de TF1, un endroit où le nom de Montesquieu n’a pas été prononcé depuis les origines du monde.

Un professeur est un homme ou une femme qui sait qu’il est observé par tout le monde. L’inspecteur le regarde, les élèves le regardent, les parents le regardent et tous sont prêts à se jeter sur lui à la moindre anicroche comme les chiens sur le cerf traqué à la fin de la chasse à courre.

Un professeur est une femme ou un homme qui sait qu’il n’a pas le droit à des réactions naturelles. Car s’il balance une claque à un jeune qui le traite de « sale con »,, il verra tout le monde lui donner tort, ses supérieurs, les élèves, les parents des élèves qui giflent leurs enfants à tour de bras, la police qui arrête les gens pour moins que ça, les mauvais journalistes pour pisser de la copie et TF1, évidemment, pour faire de l’audience. Et l’on s’empressera de le déclarer psychopathe ou alcoolique. Pour un peu, on le mettra en garde à vue. Car c’est bien connu. Tous les profs sont des ivrognes.

Un professeur est un homme ou une femme qui sait que la moindre disgrâce physique sera un handicap supplémentaire. Si elle est affligée d’un embonpoint voyant, s’il porte des lunettes épaisses, s’il est chauve, si elle ne s’habille pas à la mode du jour, s’il a des boutons, si elle est âgée, on devine quels sobriquets lui seront accolés.

Un professeur est une femme ou un homme qui sait que s’il exclut un élève, donne une retenue ou une mauvaise note, il ou elle sera qualifié de « grosse pute », « sale pédé » ou « enculé(e) ». Et ce sera la moindre des choses, car il se pourrait aussi qu’on crève les pneus de sa voiture et qu’il ne soit pas impossible qu’il reçoive un coup de couteau.

Un professeur est un homme ou une femme à qui l’on reprochera ses « vacances » parce qu’on ne sait pas ce qu’est l’effort physique nécessaire pour donner quatre ou cinq heures de cours par jour.

Il arrive qu’un professeur soit un homme ou une femme qui crève de peur en entrant dans sa classe et à qui personne n’a jamais tenu la main pour l’aider à affronter toute cette tempête.

Quand je demande autour de moi qui accepterait d’aller enseigner dans un collège de banlieue, il n’y a personne.

Alors, j’en ai assez qu’on critique les profs.

Chroniques des abonnés du Monde, 08/01/2010

Bakounine