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Enseignement supérieur et recherche: se défendre et proposer

Médiapart, 20 janvier 2009

 

Les principaux syndicats de la recherche et de l’enseignement supérieur appellent à une nouvelle journée de mobilisation mardi 20 janvier. Constatant que les enseignants et les chercheurs ont conduit leur propre réflexion que le gouvernement refuse d’entendre, Bertrand Monthubert, secrétaire national du PS chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, propose que son parti relaie ces idées au niveau des parlements européen et français, et dans les collectivités territoriales qu’il dirige.

 

Depuis plusieurs semaines, le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche se rebelle : IUT en grève, front très large hostile à la réforme de l’accès au métier des enseignants, motions en nombre contre le projet de décret transformant le statut des enseignants-chercheurs, protestations de présidents d’universités contre la dotation budgétaire prévue par l’Etat, lettre ouverte de la conférence des présidents d’universités à Nicolas Sarkozy, prises de positions des instances scientifiques d’organismes, moratoire des expertises.

 

Comment interpréter une telle levée de boucliers, alors que Nicolas Sarkozy et Valérie Pécresse ne cessent de se féliciter des milliards qui inonderaient ce secteur ? Après 18 mois de pouvoir, on peut mesurer le grand écart entre les discours et les réalités : Sarkozy et Pécresse sont face à l’épreuve des faits.

 

Ainsi, bien que le président se soit engagé à augmenter le financement de l’enseignement supérieur et de la recherche de 1,8 milliards par an (hors « plan campus »), c’est le secteur qui supporte les plus fortes annulations de crédits en 2008 (450 millions) ! Les budgets 2008 et 2009 stagnent en euros constants, exception faite des sommes pré-affectées pour combler le retard en matière de retraites. Plus de mille emplois seront perdus en 2009 : pour la première fois sans doute dans notre histoire, des suppressions toucheront aussi les universités, dans les plus prestigieuses comme dans les plus pauvres ; pendant ce temps la précarité explose pour tous les métiers des universités et de la recherche. Quant au très contesté « plan-campus », même les parlementaires UMP doutent que les sommes réellement débloquées soient celles qui ont été promises. Le seul financement en très forte croissance est le crédit-impôt recherche des entreprises, sans qu’on ait la moindre étude fiable montrant l’efficacité de ce dispositif pour la recherche privée. Il faudrait plutôt aiguiller correctement les aides de l’Etat pour qu’elles profitent pleinement à tous les stades du développement des PMI-PME.

 

La « réforme » Libertés et responsabilités des universités (LRU), passée dans l’urgence à l’été 2007, loin de répondre aux problèmes existants, en crée de nouveaux, ce qui avait conduit le Parti Socialiste à voter contre cette loi. Le contexte budgétaire aggrave cette situation. A la réception des dotations pour 2009, et des prévisions pour 2010 et 2011, et en raison des transferts de charges de l’état vers les universités induites par la mise en place de la loi LRU, la réalité telle que les universités la vivent est toute différente : de nombreuses universités vont voir leur budget baisser en 2009. Alors faut-il s’étonner de la crise des IUT ? Alors qu’auparavant les IUT (qui font partie des universités) bénéficiaient d’un budget qui leur était directement attribué, prenant en compte leurs spécificités, dorénavant c’est leur université de rattachement qui en dispose et peut donc décider des crédits alloués aux IUT… et éventuellement les raboter pour améliorer à la marge le financement d’autres filières encore plus sous-financées.

 

Le passage en force systématique du ministère a conduit à des protestations très larges contre le projet de réforme de la formation des enseignants, contre la reconnaissance des diplômes profanes des instituts catholiques comme diplômes nationaux et contre le projet d’un nouveau statut des enseignants-chercheurs. Ce dernier, sous couvert de « modulation », prévoit d’augmenter fortement le service d’enseignement des universitaires qui seraient moins bien évalués en tant que chercheurs. Personne n’est dupe : la décision finale, qui est l’apanage du Président d’Université, serait prise à n’en pas douter en fonction des tâches d’enseignement à assurer et non de la qualité de la recherche. Et ce, alors que la qualité des processus d’évaluation se dégrade. Non content de considérer l’enseignement comme une sanction, le gouvernement traite la recherche universitaire comme une variable d’ajustement. Résultat : dans ce contexte de suppressions de postes, on s’achemine vers une baisse du potentiel de recherche dans les universités et un accroissement des conflits internes, alors que le travail collectif, en équipes pédagogiques et de recherche, est la base de l’activité.

 

La « réforme » des organismes de recherche se fait sans la moindre concertation, alors que les instances scientifiques et les organisations représentatives ont fait nombre de propositions. Ils sont progressivement privés des moyens structuraux et financiers pour mettre en œuvre une politique scientifique dans la durée. Les UMR (Unités mixtes de recherche) entre organismes et universités sont mises en cause, et dans leur nombre, et dans leurs possibilités d’action. Le vieux projet de la droite de casser le CNRS est en marche. Cela converge vers une prise en main directe du pouvoir politique sur les orientations de recherche, laquelle est explicitement revendiquée par Nicolas Sarkozy, en contradiction avec les pratiques des grands pays de recherche.

 

Pour le Parti Socialiste, cette situation est insupportable à la fois du fait du profond mépris du gouvernement à l’égard de tous ceux qui ont à cœur de faire fonctionner les laboratoires, les universités et les organismes, et aussi en raison de la gravité de ses conséquences pour l’avenir du pays. Nous demandons instamment au gouvernement de rétablir la sérénité en acceptant de suspendre les réformes en cours, qui ne peuvent être mises en place dans un tel état de défiance. Nous exigeons la transparence sur les comptes, et que les sommes promises soient effectivement versées aux universités, en crédits leur permettant de fonctionner et non pas en placements hypothétiques. Nous réclamons le rétablissement des postes supprimés dans les universités et les organismes de recherche, et une réorientation du budget 2009 permettant les créations d’emplois nécessaires à la mise en oeuvre des missions de ces secteur d’avenir.

 

Nous voulons proposer un avenir à nos universités, nos laboratoires publics et privés et ceux qui en font partie. Cet avenir, il doit être construit collectivement, notamment au travers des batailles qui se mènent aujourd’hui. C’est pourquoi le Parti Socialiste a décidé d’initier une convention sur l’enseignement supérieur et la recherche. Nous souhaitons organiser ce processus largement ouvert en lien avec les autres partis de gauche, et en interaction avec toutes les associations et syndicats qui depuis longtemps font des propositions.

 

Tout d’abord, un audit de la situation réelle et concrète sera réalisé. Que sont devenues réellement les sommes promises ? Quelles sont les conséquences des réformes : pôles de compétitivité, plan campus, plan licence, emplois et précarité ? Ensuite, il s’agira de définir un programme d’action, au niveau européen, national et local. Le niveau européen, d’abord, car les élections européennes doivent permettre de redéfinir la politique conduite en matière de recherche. Il faut que le parlement se saisisse de ce dossier dont il a été trop souvent écarté.

 

Ensuite le niveau national, dans la perspective d’une alternance politique indispensable. Il ne faut pas que l’absence d’une perspective d’alternative soit un frein pour les luttes actuelles. Le niveau local enfin, car la gauche, majoritaire dans les conseils régionaux et généraux, peut y mettre en œuvre une politique ambitieuse, sans toutefois se substituer à un Etat défaillant.

 

Quels seraient les objectifs de cette convention ? D’abord, redonner au savoir la place qui doit être la sienne dans une société moderne, ce qui suppose la liberté d’initiative scientifique des chercheurs et des institutions d’enseignement supérieur et de recherche, dans le cadre des institutions nationales et locales, mais aussi élever le niveau de formation, en garantissant le cadre national des diplômes, et faciliter l’accès à ceux-ci pour les étudiants en difficulté sociale. Simultanément, redéfinir l’action de l’Etat en faveur de la recherche privée, prendre en compte la diversité des attentes de la société (santé, environnement, villes, etc.) et mettre en place un débat permanent entre scientifiques et citoyens. Ensuite, favoriser la coopération entre les établissements de recherche et d’enseignement supérieur, entre leurs personnels, et réduire la bureaucratie dont ils souffrent de plus en plus. Enfin, offrir les statuts qui permettent à la fois qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, et qu’ils attirent la jeune génération, ce qui passe par la réduction drastique de la précarité.

 

Depuis les états généraux de la recherche de 2004, les tentatives de lancer une nouvelle étape de réflexion ont échoué. Et pour cause : le gouvernement s’est moqué de ceux qui avaient conduit ce travail, en prenant le contre-pied de leurs propositions. Dès lors, à quoi bon s’user à nouveau s’il n’y a pas de débouché politique ? C’est ce que le parti socialiste veut offrir aujourd’hui : un débouché à la réflexion collective, qui se traduira par une action au niveau des parlements européen et français, et des collectivités territoriales qu’il dirige avec ses partenaires. Et un programme ambitieux pour la recherche et les universités, dans la perspective des prochaines élections qui devront conduire au pouvoir une équipe tournée vers notre avenir collectif.

La nudité au cinéma

Voici un sujet dont je veux traiter depuis très longtemps, alors que des tas d’évènementss viennent s’entremettre pour m’empêcher de m’exprimer sur cette question de société fondamentale: la nudité au cinéma. L’idée m’en est venue alors que, contemplant un certain nombre de films, il m’est apparu qu’il y avait toujours, ou presque toujours, au moins une scène avec femme nue. Même les américains s’y sont mis. Autrefois pudibond comme pape, c’était tout juste si l’on pouvait entrevoir une bretelle de soutien-gorge. Et voici qu’il y a peu, j’eus le privilège de contempler une femme nue, en entier… de dos.

 

venuscallipyge.1232240130.jpgOr, cette question est de la plus grande importance. Je m’étonne même que notre omniprésident, comme dit le journal volatile, n’ait pas proposé une réforme aussi importante que celle de la publicité sur la télévision publique, quelque chose comme « plus de foufoune avant 22 heures ». Comprenons nous bien: quand je dis « plus de », cela veut dire « davantage », puisqu’on sait qu’après une certaine heure, les chaînes de télévision sont déchaînées à un point tel qu’il devient difficile d’échapper à ces visions… particulières.

 

Tout d’abord, je dois préciser que je ne suis absolument pas hostile à la nudité au cinéma. Au contraire, je suis assez charmé par la beauté de ces corps féminins ainsi exposés aux délices de la contemplation et de l’imagination. Mais, il y a une chose qui ne va pas: hostile comme on sait que je le suis à toute forme de discrimination, je constate qu’il n’y a pas égalité des sexes sur ce sujet.

 

Quoique… Quoiqu’il faille une analyse plus approfondie.

 

La première question est celle de la nécessité artistique. Le réalisateur pourrait-il transmettre son message sans nudité ? Pendant des décennies, on a montré des couples au moment où ils s’allongeaient sur le lit, puis la caméra se tournait vers la fenêtre et… et l’on ne savait rien. Peut-être qu’une fois couché, les membres du couple découvraient leurs imperfections anatomique les rendant incapable de toute copulation. Ou peut-être que le sommier, de mauvaise qualité, s’effondrait sous le poids. Maintenant, aucune tricherie n’est possible. On voit bien que les partenaires sont dévêtus et se chevauchent la plupart du temps. Quoiqu’il reste encore une certaine incertitude: les organes sont-ils bien introduits là où ils devraient l’être et sans qu’on sache vraiment quel orifice est censé être utilisé. Le bénéfice, dans le sens du réalisme supposé, n’est donc pas total.

A propos de réalisme, je me souviens d’une séquence où l’on voyait un couple se partageant  une salle de bains, le matin, avant de partir au travail. Réalisme absolu avec seins et pénis qui pendent. Parfait, mais pour l’érotisme, tintin ! Ceci me ramène justement vers mon propos initial de la détermination de la quantification de la nudité. On va convenir qu’il n’y a pas nudité lorsqu’il n’y a pas un peu de transgression des usages. Ainsi, monter le pied, n’est pas nuditaire. Il en va de même évidemment pour la main, la tête, le dos, etc., etc.  On décidera donc qu’il devrait y avoir exposition nuditive lorsqu’on montrera certaines parties qu’il est usuel de cacher. Nous commencerons donc par le haut, les seins féminins, ceux des hommes pouvant être montrés à tout va sans qu’on y fasse la moindre observation. Il n’est guère de film où l’on ne voit pas une ou plusieurs paires de seins, de façon plus ou moins détaillée avec ou sans mamelon, ce qui peut tout changer. Lors, l’objection vient de suite: l’exposition de mamelles est maintenant affaire commune sur toutes les plages. Peut-on alors parler vraiment de nudité quand on filme des seins? Ou la chose serait-elle saisonnière, comme les « seins en hiver » ? Ou encore, filmer des poitrines féminines dans une chambre à coucher, serait considérée comme exhibition, mais ne le serait point si l’on filmait sur une plage, en été. Cette situation conduit à rejeter la question des seins. Montrer des seins n’est guère plus que de de montrer des genoux avec des jupes courtes ou longues, en hiver ou en été. Il n’ y a donc point de nudité quand on montre des seins. On passera vite sur les fesses. Car sur ce plan, il n’y a guère de différence. Car s’il y a bien des morceaux d’hommes que le cinéma nous montre volontiers, ce sont les fesses. On pourra donc considérer qu’il y a nudité, mais que celle-ci n’est pas traitée différemment pour les hommes et les femmes. femmenueetcochon.1232240896.JPGReste la question du devant. Les devants d’homme ne sont pas très fréquents. Ils sont d’ailleurs exposés en situation basse, ce qui enlève une partie de l’attrait de la chose. Et quant aux femmes, la question du devant est bien décevante. On n’observe rien, sauf une touffe plus ou moins fournie. Mais rien d’autre. Cette touffe sert de dernier vêtement et cache ainsi l’objet de tous les désirs, cet endroit qui, comme le dit Brassens « porte le même nom qu’une foule de gens ». Pourtant cette question du devant est fondamentale. Montrer un devant d’homme, c’est montrer un grand morceau de la bête. Montrer un devant de femme, c’est montrer… rien. Nous voici donc arrivés au terme de notre démonstration qui infirme notre hypothèse initiale. Sachant que montrer des seins de femmes au cinéma n’apporte rien de plus que ce qu’on peut communément observer à la plage, sachant que montrer des fesses ne constitue pas une discrimination car les fesses d’hommes sont traitées comme les fesses de femme, sachant enfin que montrer des devants de femme c’est ne rien montrer, on doit donc considérer que les quelques devants d’hommes qu’il nous arrivent de voir procèdent singulièrement davantage de l’exposition nuditive. La discrimination ne va donc pas dans le sens supposé. Ce sont les hommes qui sont l’objet d’un acharnement voyeuriste, car il sont malheureusement dans l’impossibilité de dissimuler leur organe derrière leur pilosité, hormis, peut-être, certains cas très rares de microscopie pénienne et testiculaire. Il faut donc prendre des mesures pour que soient protégés ces malheureux hommes objets des tendances odieuses de notre société. Où alors, il faut pourvoir à l’égalité de l’exhibition. Ce que réalisent les films diffusés très tard le soir. En raison de leur caractère démocratique et égalitaire, il devient donc nécessaire d’ordonner qu’ils soient projetés dès 20 heures.

Université et LRU : comment se faire mettre

Ce qu’il y a de remarquable, chez les universitaires, c’est qu’ils sont intelligents. Qu’ils sont intelligents et rationnels. Alors, ils votent de belles motions, intelligentes et rationnelles, ils écrivent de belles lettres, intelligentes et rationnelles.
Mais ils ne voient pas, ou font semblant de ne pas voir, que les puissants qui nous gouvernent n’ont rien à faire avec l’intelligent et le rationnel. Les puissants ont des idées, souvent toutes faites, souvent dogmatiques, souvent courtes, qu’ils sont allés pêcher on ne sait où, sinon à l’écoute de brillants conseillers qui les manipulent bien. Le mode de fonctionnement du puissant est animé par un petit nombre de principes. La popularité d’abord. Il faut bien être réélu pour entretenir son goût du pouvoir et son train de vie. Et quelques principes, bien profondément calés au fond de leur réflexion superficielle. Et c’est ainsi qu’on fait des « crises », et c’est ainsi qu’ont fait des guerres.
Ce qui se passe aujourd’hui à l’Université n’est pas une petite péripétie. C’est le choc violent entre deux cultures, humaniste et sociale, d’un côté, capitaliste et libérale de l’autre. Et l’on veut appliquer aux humanistes, les règles du libéralisme qui vient, une fois encore, à l’échelon mondial, de démonter son effet particulièrement nocif.
Demain, après l’Université, ils vont tuer l’Hôpital Public. C’est prévu. Ils ont d’ailleurs commencé en stigmatisant quelques malheureux accidents, et ils vont continuer en distribuant le gras aux cliniques privées et le maigre à l’hôpital, comme c’est déjà le cas pour l’enseignement privé et l’enseignement public. Les exemples anglo-saxons nous montrent déjà ce que va devenir le « meilleur système de santé au monde ! ».
Avant nous, les Présidents des diverses cours de justice ont déjà écrit de belles et cartésiennes lettres pour défendre un système, certes imparfait, mais bien moins stupide que celui qui se met en place. Et l’on assiste, impavides, au déferlement d’organisations insensées, de lois répréssives et même intrinsèquement criminogènes, presque sans broncher. Voilà la Justice complètement déglinguée, sans qu’on risque de découvrir le moindre bénéfice pour la société.

Des Présidents écrivent ! Quelle belle nouvelle ! Et la presse s’empresse… De tout simplifier.
Une fois éteint l’enthousiasme populaire lié à deux ou trois motions et lettres rationnellement écrites, il sera toujours temps d’en revenir peu à peu aux bonnes petites réformes scélérates.
Contre ces gens-là, il n’y a que deux moyens: les chasser ou leur faire peur.

 

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La LRU et le travail des enseignants chercheurs: « Questions d’Ethique » de Jacques Broda

Ceci est la reproduction d’un texte de Jacques Broda, Professeur de Sociologie à l’Université de la Méditerranée:

 

« Questions d’Ethique »

 

La déferlante normative, destructrice de l’esprit de la recherche et de l’enseignement, nous oblige à la Résistance, et à une riposte éthique, sans précédent.
Ceux qui nous gouvernent, nous évaluent, nous gèrent, ignorent manifestement le réel, le concret, de l’enseignement et de la recherche. Ils ignorent ce qui pousse chacun d’entre nous à travailler, inventer, innover, chercher, publier, transmettre, gérer, questionner, chercher encore, trouver parfois, consulter toujours, entendre, écouter, les étudiants, partager, les collègues, les colloques, les articles, les rapports, les thèses, les directions de recherche, les programmes pédagogiques, les corrections.
Le travail réel est sans commune mesure avec le travail prescrit.
Nous faisons tous autre chose et autrement, que ce que nous devons, et c’est pour cela que ça marche, que nous inventons, que nous co-opérons, que nous créons, nous écrivons, dans la norme et hors norme, heureusement.
La recherche est immersion, questionnement dans le réel, dans sa prise, sa surprise, l’étonnement, et le tâtonnement, la découverte enfin, individuelle, collective toujours, la joie, le bonheur de la trouvaille, et de son annonce.
Tout cela échappe aux critères d’une évaluation et d’une normalisation catastrophiques quant à la liberté d’inventer.
Le Ministère et bien des Présidents élus, croient nous tenir avec le ‘fric’, on va donner plus à ceux qui publient plus, à ceux qui se plient aux normes de la gestion capitaliste. Car il s’agit d’une gestion quantitative capitaliste, qui applique à l’Université les normes qualité de l’entreprise, la rationalisation des choix budgétaires, l’avancement au mérite pour casser les solidarités, la participation-collaboration des plus asservis. D’aucuns pensent que notre motivation c’est l’argent, la carrière, le pouvoir, ils manient la carotte et le bâton, pour faire avancer le troupeau des enseignants-chercheurs.
Mais la recherche et l’enseignement, c’est tout l’opposé, c’est la solidarité, la co-opération, le partage, le don, la transmission, l’engagement, la liberté, la liberté.
Comment peut-on imaginer une recherche sans liberté, sans indépendance, sans but de pouvoir, et de course au mérite ? Comment définir des revues, avec des comités de rédaction limités, sélectionnés, par qui ? Et laisser choir des pans entiers de créativité, d’inventivité hors champ de la concurrence et de la compétition acharnée.
Face à cette entreprise de destruction massive de l’éthique de l’EC, nous devons répondre par une exigence éthique supérieure. Pour l’enseignement supérieur une éthique supérieure, celle qui nous oblige dans le quotidien à bien faire notre travail, dans des conditions souvent difficiles, à être proches des étudiants, étrangement absents de tout le système d’évaluation, comme s’ils n’étaient pas les premiers usagers.
Des étudiants en santé, bien formés, écoutés, aidés, insérés, épanouis, ne figureront jamais dans le classement de Shanghai, ni dans les normes actuelles. Et pourtant, ils sont l’avenir, le but, et l’essence de nos actes. Certains vont même jusqu’à dire que nous sommes des éducateurs !
Nous voulons être appréciés, et non évalués. On n’est pas des minots.
On revendique le droit à participer aux critères et aux philosophies de l’appréciation,  et à en contester les résultats, et nous voulons faire du temps d’appréciation le temps de co-construction d’un projet dynamique, inventif, en co-opération, un engagement souple, concret de nos activités, humain, efficace.
Appréciés oui, évalués non !
Nous sommes ici à l’opposé du décret, de la loi L.R.U, mais nous sommes dans le réel de notre travail complexe, riche, permanent. Il est 20 heures, un Dimanche de Décembre, je travaille donc je suis. Combien d’heures les enseignants-chercheurs passent-ils à domicile, dans les labos, sur les terrains, dimanches compris, si l’on totalisait le nombre d’heures de ce travail invisible on serait ahuri !!!
Oui, nous avons réinventé le travail à domicile, oui nous travaillons parfois plus de cinquante heures par semaine, oui nous aimons chercher, enseigner, trouver, transmettre !
Oui, nous ne le faisons pas pour du fric, mais parce que nous avons une éthique, un désir, une volonté, autour du savoir, de la connaissance, de l’éducation, tout ce qui ne s’évalue pas, et qui échappe à la folie quantitative.
De nombreux collègues n’ont pas vu venir le coup, dont la loi L.R.U est l’avant goût, ils se sont pliés, ou ont adopté une politique de l’autruche. Aujourd’hui la révolte gronde, les étudiants manifestent, des collègues se jettent dans la grève administrative, des instituteurs entrent en désobéissance civile. N’y aurait-il pas quelques intérêts à unifier ces luttes qui ont pour fil rouge, le vol de l’éthique.
Les enseignants-chercheurs sont portés par des valeurs, ils portent des valeurs, ils en créent, ils ont donné, ils donnent à la civilisation et au travail, ce que l’homme peut donner de meilleur à l’autre homme : le savoir. Ce savoir, cette connaissance, ne s’achètent pas, ne s’évaluent pas, ils s’apprécient, se goûtent, s’épanouissent dans la sphère infinies des humanités.
Loin de tous les corporatismes et replis sectaires, j’en appelle à l’unité, à l’unification de nos revendications et de nos propositions, en alliance avec tout le secteur de l’enseignement, comme service public, ‘signifiant’ ô combien actuel quand il nous ramène au sens social de nos engagements, au sens personnel de nos désirs, au sens humain de notre travail. »

Jacques Broda
Professeur de Sociologie à l’Université de la Méditerranée