[Mai 1968: commencer au début]
J’ai l’impression que les étudiants dans ces années qui ont précédé 1968 étaient très politisés. Peut-être n’est-ce qu’une illusion parce que je fréquentais ces milieux ? Pourtant, il n’était pas rare de trouver, sur les marches de la Sorbonne, des vendeurs de Clarté ou de Rouge. Il y a avait aussi des groupes plus difficiles à cernés, ceux qui formèrent le bataillon des « groupuscules » maoïstes ou situationnistes… J’avoue que, ma culture étant ce qu’elle était, j’avais quelques difficultés à discerner les détails qui me semblaient un peu futiles, voire ridicules. Pour ma défense, je n’étais pas le seul. Mais cette effervescence entretenait notre réflexion. Et quand il s’agissait de monter un piquet de grève pour interdire l’accès à la Sorbonne, nous nous retrouvions sans ségrégation.
Il y avait aussi un lieu situé tout en haut de l’honorable bâtiment, au sixième étage par l’escalier A où se tenait le local de l’U.N.E.F.. Cette section se nommait F.G.E.L. (Fédération des Groupes d’Etudes de Lettres). Une salle relativement grande où on aurait pu tenir à 80. L’endroit n’était jamais balayé, mais n’était pas trop sale. Il y avait quelques tables et des chaises. Des affiches sur les murs (à cette époque, on ne taggait pas). Et là, il y avait presque toujours une discussion en cours. On pouvait donc se reposer, être chauffé et assister, voire participer, à un débat de politique nationale ou internationale.
Chaque discipline avait son local, mais il faut dire que celui de la F.G.E.L. était l’un des plus vivants. A côté, celui du G.E.P.U.P. (Groupe des Etudiants en Psychologie de l’Université de Paris), n’était pas aussi animé. Curieusement, les étudiants catholiques y étaient sensiblement représentés. Car il y avait aussi une organisation active et vivante d’étudiants catholiques. Ils faisaient plein de choses et ne craignaient pas de nous inviter au Pélé (i.e. pélerinage) de Chartres. Ils disposaient d’un pignon sur rue, Place de la Sorbonne, et cela avait pour nom le Centre Richelieu où officiait semble-t-il un prêtre du nom de Lustiger qui fit par la suite la carrière que l’on sait. Ainsi, un étudiant pouvait être à la fois membre des Jeunesses Etudiantes Chrétiennes, syndiqué à l’U.N.E.F. (car nous étions très nombreux à l’être) et, théoriquement, car je crois que c’était rare, membre d’un parti politique.
Je ne sais pas s’il y avait des étudiants de droite ou d’extrême droite à la Sorbonne. En tous cas ils ne se manifestaient pas. Ils étaient sagement cantonnés à la Fac de Droit et notamment à Assas. On annonçait souvent des descentes d’étudiants armés de gourdins pour rouer cette mouvance qu’on ne nommait pas encore gauchiste. Mais pour ma part, je n’en ai jamais été témoin. Peut-être un mythe ?
Les prises de parole, au début des cours, pour annoncer telle ou telle action, n’était pas très rares. Nous vivions donc dans une ambiance diversifiée, et même sans être extrêmement engagés, nous avions toujours le spectacle de ces différences et rivalités. Même pour moi qui me « contentais » d’être membre de l’U.N.E.F. et d’un cercle laïque de la Ligue de l’Enseignement, je ne manquais pas de sources d’information.
Dire que tout ce monde cohabitait de façon paisible serait travestir la vérité. Mais, globalement, dans l’enceinte la Sorbonne, les empoignades étaient principalement verbales. Il n’en fut malheureusement pas de même à Nanterre.
La vie politique était donc très active dans les Facultés. Bien plus qu’elle ne l’est actuellement où les étudiants semblent avoir l’oeil fixé sur la ligne bleue de leur horizon professionnel. Je pense, sincèrement, qu’on se fichait éperdument de notre avenir. Nous avions un objectif. Personnellement je désirais être professeur de lettres. Très bien. Mais en même temps mes yeux et mes oreilles étaient grands ouverts au monde qui s’agitait et aux idées qui circulaient. Cette façon d’exercer notre citoyenneté peut sembler aujourd’hui immature. Pour mon compte, je l’ai trouvée très riche. C’est grâce à elle que j’ai pu commencer à choisir mon camp.
Je n’avais que faire du communisme qui avait fait l’U.R.S.S.. Et si les contestations Trotskystes me semblaient intéressantes, je n’y voyais pas d’horizon vraiment alternatif. Quant au modèle maoïste et chinois, n’en parlons pas. J’avais trouvé légitime d’être syndiqué à l’U.N.E.F. quoique ce syndicat n’était pas apolitique et que bien des tendances s’en disputaient la maîtrise. J’avais trouvé pendant un temps, grâce à des relations qui m’avaient introduit, une certaine place dans un cercle laïque justement respectueux des différences. Mais j’avais déjà commencé à tracer ma voie hors des groupes idéologiques. Cette voie annonçait le lent cheminement qui allait me conduire vers une position socialiste autogestionnaire.
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