Les universitaires brutalisés

Les universitaires brutalisés

D’aucuns se félicitent de l’autonomie des Universités sans se rendre compte que derrière cette notion de façade, inégalement applicable et inappliquée, se cache une entreprise inventée par esprit de système par des gens qui stigmatisent la recherche française en oubliant que le rapport entre sa production et les fonds qui y sont affectés est l’un de meilleurs du monde. Bien supérieur au « modèle » américain à coût égal. Mais cela, les dogmatiques théoriciens du moment ne le savent pas.

Ces grands prêtres plus volontiers issus d’HEC que de Normale Sup pour qui l’humanisme est un déchet ont décidé d’installer « l’excellence ». Ainsi y aura-t-il des « Labex » (laboratoires d’excellence), des « Equipex » (équipes de recherche d’excellence), des « Idex » (initiatives d’excellence), etc., etc..

Et voici donc que les universités, ou plutôt les PRES, les « Pôles de Recherche et d’Enseignement Supérieur » (que d’acronymes, que de jargon !), ont été appelés récemment à concourir pour les Labex, projets jugés par des spécialistes internationaux. Le résultat fit stupéfiant : des régions entières furent scotomisées au point qu’une deuxième campagne motivée, elle, par la basse politique, est prévue pour rééquilibrer cela.

Il y eut concours aussi pour les Idex qui étaient destinés à faire émerger entre 5 et 10 pôles d’excellence, susceptibles de concurrencer Harvard, Princeton ou Cambridge, comme si on pouvait décider cela en quelques mois…

Concurrence, compétition sont désormais les moteurs de la recherche française. C’est clair, c’est dit : « Valérie Pécresse a vivement félicité les acteurs du rapprochement des établissements au sein d’un PRES pour leur travail et leur engagement dans cette démarche commune, nécessaire à l’heure de la compétition mondiale de la connaissance » (communiqué de Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, 9 février 2010, dans lequel le mot « qualité » n’apparaît pas une seule fois [1]).

Pour concourir, des centaines d’enseignants-chercheurs ont passé de nombreuses heures à rédiger des projets, à participer à des réunions de concertation et de négociation, à rédiger de nouveau des projets amendés, à participer de nouveau à des réunions, au détriment de leur activité de recherche et d’enseignement. Temps et argent gâché. Pire encore, certaines universités ont fait appel à des sociétés de communication pour emballer tous ces projets dans des bas de soie en prenant bien soin de mettre en avant des thèmes à la mode, ou en fabriquant, par exemple, au forceps, une façon de pluridisciplinarité par concaténation, parce que c’est bien vu par les temps qui courent… Encore de l’argent gaspillé.

Au final, les projets ne sont ni bons, ni mauvais. Certains sont quand même tirés par la perruque qui se décollera vite. Tant pis. L’important c’est d’être d’excellence, mais surtout, surtout, d’avoir de l’argent. Car, évidemment, derrière tout cela, il y a l’argent !

Du volcan de l’excellence jaillit la lave de l’excellence qui s’écoule ici ou là, de façon parfois inattendue. Des disciplines politiquement vilaines, comme la psychologie ou la sociologie ou les sciences de l’éducation, sont rarement retenues dans les projets, et encore rarement en tant que telles. Les problèmes de société ne relèvent pas de l’excellence. Plus grave encore, le fleuve en fusion s’écoule partout, épargnant certaines structures et en cramant d’autres. Certaines équipes de recherche et d’enseignement sont proprement reléguées au-delà de l’Achéron. Et dans les équipes, il y a des hommes et des femmes de valeur qui se sentiront dévalorisés et qui seront sanctionnés dans leur travail comme dans leur carrière et leur rémunération.

Le management est désormais irrésistiblement tendu vers des objectifs qui ne sont pas forcément ceux de l’enseignement et de la recherche et dont les méthodes ne sont absolument pas évaluées en termes de fonctionnement managérial. Dès lors devient perceptible cette organisation du travail ne visant que des objectifs compétitifs et exogènes, à côté desquels les bonnes pratiques que la Psychologie du Travail et des Organisations ont mis en valeur ces dernières décennies sont oubliées ou inconnues des acteurs de ce puissant bouleversement : la course à la recherche d’excellence se fait en piétinant les connaissances issues de la recherche en Sciences Humaines.

La similitude avec ces entreprises mortifères qui ont collectionné les pendaisons, les immolations et les défenestrations éclate devant nos yeux. Bientôt, l’Université Autonome et Compétitive comptera ses premiers suicides.

Les responsables ne pourront pas dire qu’ils n’ont pas été prévenus.

(1):http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid50540/200-millions-d-euros-pour-le-pres-universite-paris-cite.html

Publié dans les Chroniques des Abonnés du Monde . (13.05.2011)

Bakounine