Les marchés pour les nuls: la crise des ânes (Mediapart 30/08/2011)

Les marchés pour les nuls: la crise des ânes (Mediapart 30/08/2011)

La crise des ânes par Victorayoli

Un homme portant cravate se présenta un jour dans un village. Monté sur une caisse, il cria à qui voulait l’entendre qu’il achèterait cash 100 euros l’unité tous les ânes qu’on lui proposerait. Les paysans le trouvaient bien un peu étrange mais son prix était très intéressant et ceux qui topaient avec lui repartaient le portefeuille rebondi, la mine réjouie.

Il revint le lendemain et offrit cette fois 150 € par tête, et là encore une grande partie des habitants lui vendirent leurs bêtes. Les jours suivants, il offrit 300 € et ceux qui ne l’avaient pas encore fait vendirent les derniers ânes existants. Constatant qu’il n’en restait plus un seul, il fit savoir qu’il reviendrait les acheter 500 € dans huit jours et il quitta le village.

Le lendemain, il confia à son associé le troupeau qu’il venait d’acheter et l’envoya dans ce même village avec ordre de revendre les bêtes 400 € l’unité. Face à la possibilité de faire un bénéfice de 100 € dès la semaine suivante, tous les villageois rachetèrent leur âne quatre fois le prix qu’ils l’avaient vendu et pour ce faire, tous empruntèrent.

Comme il fallait s’y attendre, les deux hommes d’affaire s’en allèrent prendre des vacances méritées dans un paradis fiscal et tous les villageois se retrouvèrent avec des ânes sans valeur, endettés jusqu’au cou, ruinés. Les malheureux tentèrent vainement de les revendre pour rembourser leur emprunt. Le cours de l’âne s’effondra.

Les animaux furent saisis puis loués à leurs précédents propriétaires par le banquier. Celui-ci pourtant s’en alla pleurer auprès du maire en expliquant que s’il ne rentrait pas dans ses fonds, il serait ruiné lui aussi et devrait exiger le remboursement immédiat de tous les prêts accordés à la commune.

Pour éviter ce désastre, le Maire, au lieu de donner de l’argent aux habitants du village pour qu’ils paient leurs dettes, le donna au banquier, ami intime et premier adjoint, soit dit en passant. Or celui-ci, après avoir rétabli sa trésorerie, ne fit pas pour autant un trait sur les dettes des villageois ni sur celles de la commune et tous se trouvèrent proches du surendettement.

Voyant sa note en passe d’être dégradée et pris à la gorge par les taux d’intérêts, la commune demanda l’aide des communes voisines, mais ces dernières lui répondirent qu’elles ne pouvaient en aucun cas l’aider car elles avaient connu les mêmes infortunes. Sur les conseils avisés et désintéressés du banquier, toutes décidèrent de réduire leurs dépenses : moins d’argent pour les écoles, pour les programmes sociaux, la voirie, la police municipale… On repoussa l’âge de départ à la retraite, on supprima des postes d’employés communaux, on baissa les salaires et parallèlement on augmenta les impôts. C’était, disait-on, inévitable mais on promit de moraliser ce scandaleux commerce des ânes.

Cette bien triste histoire prend tout son sel, quand on sait que le banquier et les deux escrocs sont frères et vivent ensemble sur une île des Bermudes, achetée à la sueur de leur front. On les appelle les frères Marchés. Très généreusement, ils ont promis de subventionner la campagne électorale des maires sortants.

Cette histoire n’est toutefois pas finie car on ignore ce que firent les villageois. Et vous, qu’auriez-vous fait à leur place ? QUE FEREZ-VOUS ?

L’original sur Médiapart

Bakounine

2 commentaires

Gavroche Publié le14h35 - 9 novembre 2011

Cette parabole me fait penser à l’album d’Astérix : Obelix et compagnie cité dans mon manuel d’économie de seconde.

Cette fable tend à démontrer le fonctionnement d’une bulle spéculative par amorce de la pompe et de la contagion sur l’ensemble du crédit.

Une première chose qui a son importance, le banquier ne peut pas exiger le remboursement des prêts si les arrérages sont correctement payés au moins en droit Français. Ce n’est pas une obligation de la commune de soutenir la banque d’autant qu’il y a deux hommes d’affaires qui disposent de liquidités. Le scénario de la contagion me parait exagéré, je lui préfère le risque d’inflation ou de disparition de l’activité, je m’en explique un peu plus loin.

1- Toutefois, dans le cas présent, les deux hommes d’affaires exercent un poids suffisant sur la demande pour créer le sentiment de pénurie. Ils représentent un monopôle d’achat (un peu à la manière des centrales d’achats des grands groupes agro-alimentaires). La fable ne dit pas comment ils disposent de cette puissance financière. Soit ils ont le cash, soit ils empruntent, soit ils vendent à découvert. Autre manque, on ne sait pas comment les ânes sont stockés et nourris pendant la phase spéculative.

Nous sommes typiquement dans un marché imparfait puisqu’il est de faible volume avec 1 intervenant monopolistique. La solution est d’ouvrir un marché commun inter-villages pour que le volume du marché dispose d’une taille suffisante. Ce sont les premières bases de la mondialisation.

Néanmoins pour être efficace, ce marché doit être réglementé c’est-à-dire que l’on centralise l’ensemble de l’offre et de la demande pour un prix d’équilibre. Ce faisant on interdit les transactions de gré à gré afin d’éviter les arbitrages structurels entre le marché officiel et le marché du gré à gré. Il faut donc créer le rôle de centralisateur afin de pouvoir donner un accès à tous à ces marchés (Brokers). C’est d’autant plus nécessaire pour les biens incorporels.

2- L’accroissement de la demande est tel que les agents de l’économie réels que sont les fermiers changent de rôle pour devenir eux mêmes des spéculateurs en vendant leurs outils de production. La fable dit implicitement que les fermiers ont ensuite l’obligation de racheter leurs ânes mais sur quel fondement ?

Ce comportement de vente puis d’achat de biens de production n’est pas cohérent dans un marché haussier. Et c’est normal puisque si du point de vue comptable prix d’achat du bien est inchangé, il faudrait prendre en compte sa valeur de marché dans l’établissement du bilan comptable. C’est bien le but de la norme IAS. Mieux, on pourrait prendre en compte une notion de valeur intrinsèque établi sur la meilleure estimation des cash-flows futurs. Dans ce cas autant faire varier les variables estimatrices afin d’en déduire un besoin de fonds propre de l’entreprise qui lui permette de résister à la conjoncture disons dans 99,5% des cas sur l’année qui suit (Traité de Bâle).

Sans aller jusqu’à faire un bilan prudentiel, la simple application d’un BFR prévisionnel imposerait de ne pas vendre son âne sauf en cas de cessation d’activité. S’il y a cessation de l’activité, cette dernière n’est pas nécessairement reprise par le marché local. On peut faire le choix d’importer.

Dans cette fable on ne parle pas de notion d’importations, situons nous dans ce cadre. Il y a donc d’autres agents économiques qui vont devenir fermiers. D’autre part, considérons que l’âne est un facteur de production qui n’est pas substituable. Ils vont acheter l’outil de production peut être emprunter pour cela. Mais en bons gestionnaires, ils vont faire un business plan afin de déterminer leur prix de vente. Il y a donc une pression sur l’offre de produit finis qui provoque une inflation en dehors d’une création monétaire, toutes choses égales par ailleurs. Cette pression va peut être faire que l’âne devient économiquement substituable ou que le bien fini est remplaçable. C’est le cycle de vie du produit. Cela détruit des entreprises, d’autres sont créées, d’autres rachètent et généralement la valeur ajoutée augmente il y a donc croissance avec plus ou moins d’inflation et plus ou moins de perte d’emploi nets ! Mais ce n’est pas parce que la valeur ajouté augmente qu’il n’y a pas de destruction d’emploi !

Donc cette fable n’est pas fondée si les agents économiques disposent de l’information, de la réglementation et d’une capacité de gestion cohérente. Elle est critiquable car elle s’applique à des biens de production, elle le serait moins sur des produits finis ce qui nous conduit aux problématiques de crédit à la consommation.

Mais finalement est ce bien un processus spéculatif ? En effet, si les deux frères étaient les représentants de l’État ne serait ce pas un processus de relance keynésien ?

Je le disais cette fable ne dit pas comment est financé cet afflux de liquidité pour acheter les fameux ânes. Planche à billets ? Emprunts ? Vente à découvert ? (http://www.latribune.fr/bourse/20110825trib000644546/l-interdiction-des-ventes-a-decouvert-prolongee.html)

Pour finir, cette fable ne prend pas en compte la fiscalité. Cette dernière ne doit pas être vue uniquement comme une source de financement, je pense quelle doit et peut avoir un rôle de régulation. Elle est d’autant plus efficace que le marché est local.

Vieux Pou Publié le22h22 - 9 novembre 2011

Bon d’accord, là on ne peut que s’incliner devant le spécialiste… toutefois la démonstration est vaine : il ne s’agit que d’une fable.
Je n’ai pas le souvenir qu’un vétérinaire n’ait jamais fait la démonstration qu’un loup ne s’abaisserait pas à parler à un agneau au bord de l’onde pure ou qu’un renard n’aurait pas la patience d’attendre qu’un corbeau ouvre son large bec et laisse tomber son camembert.
Bref la fable en question est par essence imparfaite. Son objectif est de vulgariser un cycle économique et financier par analogie, rien de plus… et je continue à penser qu’elle y parvient à merveille.
La démonstration de l’homme de l’art est néanmoins intéressante.