Il faut sauver les « masterisés »

Il faut sauver les « masterisés »

Les « mastérisés » ? Ce sont ces nouveaux enseignants que l’Éducation Nationale est en train de fabriquer. Comment ? Selon un processus tout le moins incompréhensible.

D’abord, on a supprimé les I.U.F.M. (anciennement Écoles Normales). On pouvait, à juste titre, discuter de la formation qui y était dispensée, en améliorer les objectifs pédagogiques, les contenus, revoir les qualifications des formateurs. Mais on a préféré la chirurgie sauvage : on les a supprimés.

On a remplacé cette formation par des masters d’universités, construits ou plutôt bricolés à la va-vite pour préparer aux concours de recrutement des professeurs (CAPES, agrégation). Certaines universités se sont jetées sur ce fromage dans une grande impréparation.

Mais le plus remarquable fut la suppression du stage que les étudiants effectuaient dans le cadre de l’I.U.F.M. Comme ce stage était rémunéré, on discerne vite les intentions économiques.

Et voici qu’on vient de jeter la première promotion de ces « mastérisés » dans les établissements dont certains sont de vraies fosses aux lions. On trouvera sur divers sites des témoignages des souffrances de ces jeunes désillusionnés en quelques jours.

Citons : « Comme 16 000 autres enseignants, elle est la génération “master”. Elle s’est retrouvée en septembre devant une classe pour faire cours. Et elle n’y est pas arrivé. On ne le lui avait tout simplement pas appris. Depuis elle est sous anxiolytiques. Des histoires comme celle de Laurence, des histoires de jeunes profs en dépression après quelques semaines d’enseignement, il y en avait déjà plein, bien avant la réforme de la masterisation… Laurence a reçu une lettre. Une lettre de l’inspecteur d’Académie. Dans sa lettre l’inspecteur lui écrit : “Laurence, si vous ne vous sentez pas capable de faire ce métier, il faut démissionner.” C’est vrai quoi, les places sont chères, et il y a sûrement plein de postulants qui attendent un poste. Dans sa lettre l’inspecteur lui écrit aussi : “Laurence, les élèves ont le droit d’avoir devant eux des enseignants compétents”. C’est vrai quoi, surtout quand il s’agit d’élèves difficiles » (Affordance ).

Internet est plein de témoignages de ce genre, de jeunes qu’on a jetés sans préparation, de jeunes à qui on a donné des classes dans deux collèges distants de 50 kilomètres, de jeunes à qui l’on fait faire des remplacements, de jeunes submergés par le nombre d’heures de cours qu’on leur demande d’assumer du jour au lendemain, de jeunes à qui l’on a pas appris à « tenir » une classe et qui se font dévorer en quelques heures.

Voyons encore le témoignage de ce professeur de français publié par Le Monde, le 9 octobre 2010 malheureusement retiré du site gratuit (une jeune enseignante : « Il paraît qu’à la Toussaint on peut commencer à travailler » ). La voici dans une classe « difficile ». Et elle ne sait que faire. Alors, elle donne des punitions, elle écrit sur les cahiers de correspondance. Ce qu’elle ne devrait pas faire pour asseoir son autorité. Alors, elle se tue : « C’est la fin de ma 4e semaine, j’ai déjà perdu de mes illusions. Je ne croyais pas que ce serait si dur. Déjà, je traîne cinq petites minutes après la sonnerie en salle des profs… Je pense au petit boulot de fleuriste que je faisais pendant mes études. Je me dis que je ne vais pas faire de vieux os dans l’éducation nationale. »

Des témoignages de ce type, il y en a des dizaines (1), sans compter les centaines qui n’osent rien dire de peur d’être mal notés !

Et, cerise sur le gâteau, voici qu’à propos des remplacements de professeurs absents, on écrit que « Les étudiants en Master 2 volontaires peuvent également être mobilisés dans le cadre de leur stage en responsabilité » (Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale, 14 octobre 2010, page 33). Ce qui veut dire que des étudiants encore plus jeunes seront expédiés sur le terrain !

Il faut le dire, le crier : ce qui est en train de se passer est épouvantable ! Des dizaines de futurs professeurs et heureux de l’être vont être anéantis ou quitterons l’Éducation Nationale. Et de centaines, des milliers d’élèves feront les frais de cette ineptie.

Il faut sauver les mastérisés ! Il faut sauver nos enfants !

1.Voir, par exemple, les sites
de Stagiaire impossible, de Sauvons l’Université, Fabula,France Inter (Pascale & Karine )

Chronique rédigée en partie à l’aide des informations échangées sur slu-interne@googlegroups.com

Chroniques des abonnés du Monde, 15/10/2010

Bakounine