Je lis avec intérêt dans Le Monde du 6 novembre des extraits d’une interview de Tommy Lee Jones à propos de la sortie du film « Dans la vallée d’Elah ». Et l’acteur y prononce des questions dont je retiendrai celle-ci: » Jusqu’à quel point l’Irak peut-il exister sans la main de fer d’un dictateur fasciste pour en maintenir l’unité ? »
Que peut dire notre sens démocratique de la situation de l’Irak avant l’invasion américaine ? Saddam Hussein était un sale tyran. Avec sa bande, il faisait vivre le peuple sous un joug incroyable, barbare et cruel. On sait bien qu’il y avait geôles, torture et disparitions. Et voici qu’une fois le tyran déchu, le pays se trouve toujours dans un bordel innommable voire pire!
On se souvient du dernier shah d’Iran. Question dictature, il n’avait pas grand chose à envier à Saddam. Sauf que c’était un tyran fréquentable qui ne crachait pas sur les puissances occidentales, loin de là Un bon tyran comme on les aime. Il avait une bonne tronche. Une bonne impératrice. Bien sûr, on avait été un peu étonné par la répudiation de sa première épouse. Mais comme on disait qu’elle ne pouvait lui donner d’enfants. Alors… Un empereur sans progéniture. Même les français républicains et toujours un peu royalistes trouvaient cela acceptable. Cependant, le gentil empereur avait une bonne police dénommée Savak et qui ne négligeait pas les bonnes méthodes pour faire taire les opposants. Ce n’était pas très bien. Et puis c’est nous, nous La France, qui avons nourri l’ayatollah Khomeiny en notre sein. Et quand il est parti pour Téhéran, nous pensions tous qu’il s’y rendait pour instaurer une démocratie, ou, au moins, quelque chose de plus démocratique que l’empire de Mohammad Reza Shah Pahlavi. Putain ! Depuis l’Iran est un drôle de merdier aussi. Question tyrans, le dernier n’est pas mal. Mais quelle décadence depuis Mossadegh !
L’axiome de Tommy Lee Jones s’applique bien pour l’Iran. Ce pays peut-il désormais exister sans la pression d’un bon dictateur?
Et puis il y a aussi l’exemple des Balkans. Tant que le camarade Tito tenait tout le monde en laisse, malgré ses accointances avec Moscou, la Yougoslavie était unie, au moins en apparence. Et voilà que Tito meurt et on connait la suite.
Ceci étant, voilà que j’ai envie d’évoquer le citoyen Robespierre. On ne torturait pas sous son « règne ». Mais on avait des tribunaux bien pourris qui expédiaient à la guillotine dans des formes juridiques que Saddam aurait bien aimées.
Mais voici qu’avec Robespierre, le doute s’installe en mon esprit. Est-il possible de penser que l’axiome de Tommy Lee Jones pourrait s’appliquer aussi à la France de 1789 ? Que pensait Robespierre ? Que l’accès à la République n’était possible qu’à travers un régime fort et coercitif (mais vertueux…) afin d’empêcher toutes les forces réactionnaires et toutes les forces corrompues et égoïstes de nuire.
Voilà qui fait penser aux bolchéviques. Sauf qu’ils oublient de rendrle pouvoir au peuple simplement parce que c’est en leur sein que se trouvent les forces qui aiment le pouvoir et en tirent avantages. Ce n’est pas une chose simple que de rendre le pouvoir au peuple. C’est comme la « libération » du Vietnam Sud par le Vietnam Nord. C’est comme l’indépendance de l’Algérie. La seule variable est la dose de tyrannie. Bourguiba c’était pas terrible, mais comparé à Khomeiny… Chez nous, il y a eu Bonaparte, puis Napoléon.C’était quand même mieux que Pol Pot ! On serait presque tenté de dire que lorsqu’on a gardé son roi, c’était plutôt mieux. Regardons l’exemple espagnol. Après Franco, la démocratie s’installe simplement. Vive le roi ! En Europe, les libérations de joug se sont plutôt bien passées. Espagne, Portugal, pays de l’Est. Il y a quelques cahots, mais ce n’est pas si mal.
Y aurait-il une différence entres ces peuples (de l’Europe de l’est, par exemple) qui passent relativement bien d’un régime fort, même ultra fort, à un régime démocratique et ceux qui éliminent un dictateur pour en voir un autre s’installer ? Est-ce la culture au sens de l’histoire et de la religion qui en est un facteur ? C’est vrai que la Hongrie, la Roumanie, les états Baltes, etc… sont fortement chrétiens, voire judéo-chrétiens. Dans les pays à majorité musulmane, ce n’est pas la même chose. Ce n’est certainement pas une explication suffisante, mais on est quand même tenté de donner un certain poids au symbole du Christ exécuté somme toute comme fomenteur de résistance à l’occupation par Rome. Mahomet, lui, n’est pas révolutionnaire. Mais ce n’est pas un grand tyran.
Peut-être peut-on trouver une ébauche d’explication dans l’épreuve de la contestation. Je pense au Protestantisme qui naît du rejet des dérives du clergé catholique (l’histoire de la vente des indulgences). Et là où une religion est toute puissante, là peut vivre la dictature, là où elle est ou a été contestée, ce n’est pas la même chose. Cela marche bien pour Franco et l’Opus Dei, mais pas pour les bolchéviques. Mais au moment où ces derniers ont pris le pouvoir, l’Eglise Orthodoxe était toute puissante en Russie. Sauf que Franco et l’Opus Dei ont fait cause commune alors que les bolchéviques ont rejeté totalement la religion
Et si l’on examine le cas de l’Afrique décolonnisée, on est tenté de penser que là où la culture judéo-chrétienne est la plus marquée, là est la probabilité de trouver un régime démocratique. C’est vrai pour le Sénégal. Mais cependant pas pour la Côte d’Ivoire. Mais c’était vrai aussi pour le Liban avant qu’il ne devienne la proie des flammes.
Voici que l’axiome de Tommy Lee Jones est un bon sujet de réflexion et d’analyse: la relation entre la culture, la religion et la démocratie. Peut-on admettre qu’il y a des peuples qui, au moins pour l’instant, n’ont pas droit à cette dernière parce qu’ils n’ont pas atteint la maturité nécessaire? C’est une idée philosophiquement désagréable à supporter. Ce qui ne veut pas dire qu’elle soit erronée.
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