Je crois me souvenir qu’une nouvelle loi ayant pour objectif de dissuader du téléchargement « illégal », est en préparation. A ce propos, il me vient certaines observations.
La position de l’industrie du disque peut sembler, en première analyse, justifiée. On peut considérer que le fait de télécharger de la musique au lieu de l’acheter est une spoliation. Si l’on examine les choses avec cet écran brutal et superficiel, on peut, il est vrai, le reconnaître. Mais il y a diverses considérations.
Il faut bien prendre en compte l’évolution des moeurs. Ce sont ceux-là même qui se plaignent, qui ont « désacralisé » la musique. On remarque d’ailleurs que là où sa valeur culturelle est la plus forte, dans le cas de la musique dite classique, le téléchargement est plus rare. La musique classique repose sur des valeurs éprouvées et légitimées par le temps. J’imagine mal ne pas posséder physiquement un CD quand il s’agit de musique médiévale enregistrée par des artistes courageux et inspirés. On pourra télécharger une pièce ou deux « pour voir » si l’on aime. Au final, le client déterminé fera l’acquisition. Éventuellement, le téléchargement viendra en appoint pour le mélomane qui n’a pas les moyens de s’offrir des objets dont il faut bien dire aussi qu’ils sont fort chers.
A contrario, pour la variété contemporaine, le téléchargement est plus fréquent. Mais on ne peut nier aussi que ce sont les majors qui en ont fait des produits « jetables ». L’immoralité va même plus loin, puisque les jeunes interprètes sont aussi jetables parce qu’on ne se souciera point d’un échec durables qui aurait succédé à une réussite éphémère. Une présentation correspond bien à cet état de choses, le CD 2 titres qui est vendu proportionnellement encore plus cher à une clientèle dont les moyens sont encore plus faibles. Et ceci ne date pas d’hier. Le 45 tours a correspondu à cette démarche.
Les plaignants sont des gens qui ont entassé des montagnes de profits et qui se trouvent mis à mal par une évolution de la technologie que certains d’entre eux soutiennent en même temps d’une autre main, car elle apporte par d’autres chemins, des revenus considérables. Le cas de Sony en est un exemple, qui vend en même temps des CD et des baladeurs MP3. Ce n’est pas nouveau. Sony a « inventé » le « Walkman » et l’on ne me fera pas croire que toutes les cassettes qui tournaient dans les Walkmans étaient authentiques. C’étaient déjà des disque copiés ici ou là.
Le phénomène de la copie est aussi vieux que l’humanité. Ce fut même une istitution dans les monastères médiévaux. On se souvient aussi d’une redevance qu’un député imbécile voulut appliquer aux magnétoscopes. Il y eut, en leur temps, des crises d’urticaire économique et politique qui, au final n’on rien apporté. On a inventé quelques taxes qui ont ou non survécu. Et c’est tout. A propos de taxe, on rappellera ici que les supports sont déjà taxés, y compris les CD que les entreprises utilisent pour leurs données, donc sans rapport avec la musique. Tout achat de DVD enregistrable fait l’objet d’un impôt de un euro. On ne peut qu’être stupéfait par le lobbying et la réactivité stupide de ces grands groupes qui sont prêts à piétiner sans honte leurs valeurs économiques libérales et de libre concurrence dès lors qu’il s’agit de leurs gros sous.
On objecte aussi que, contrairement au support magnétique, la copie numérique se fait sans perte de qualité. Ce qui est vrai, mais cette perte n’a jamais été un obstacle dur. Les copies de cassettes à la limite du sonore infect ont tourné dans des Walkmans sans que cela semble gêner trop fort les auditeurs. Car, ce désir n’est pas technique. Certains mélomanes sont totalement réticents à ce qui n’est pas Hi-Fi. Les jeunes s’en fichent pour un usage qui ne dépassera pas quelques semaines.
Je voudrais, à ce propos, faire état de mon expérience personnelle.
Le disque entra chez nous quand j’avais peut-être 10 ans, sous la forme d’une platine surmontant un poste de radio. Histoire d’avoir quelque chose à écouter, mes parents firent l’acquisition d’un ou deux 78 tours avec des titres immortels de paso-doble. Il arrivait donc qu’on dansât fort longtemps sur le même morceau. Puis entra à la maison, un double 33 tours reproduisant un concert d’Yves Montand au théâtre de l’Empire. Les premiers microsillons que je vis de ma vie ! Pendant de longs mois, on en restât pratiquement là, tant les disques étaient chers. Ensuite c’est moi qui, à l’occasion de cours de musique, fit entrer Une nuit sur le Mont Chauve en 45 tours, qu’il fallait retourner au milieu de l’oeuvre. Un peu plus tard, la Symphonie Fantastique. Je me souviens que ma grand-mère que j’avais emmené me l’offrir chez un disquaire réputé à Paris, m’avait demandé au moins dix fois avant de passer en caisse si c’était bien cela que je désirais. Puis on en resta là pour longtemps au point que je suis capable, aujourd’hui encore, de chanter de mémoire toute la Symphonie de Berlioz. En ce temps-là, la musique était sacrée. Et ce ne sont pas les auditeurs qui l’ont désacralisée.
Que les temps ont changé !
La chasse au « pirate » va être ouverte. On va en attraper quelques uns qu’on va condamner à l’échafaud pour l’exemple. Et puis ce sera fini parce qu’il y a 65536 ports d’entrée sur mon ordinateur et qu’on ne pourra empêcher d’habiles informaticiens de tripoter les paquets d’octets qui se baladent sur Internet pour leur donner une honnête apparence. Tant pis pour ceux qui ont joui d’une position économiquement très confortable, mais, il faut bien le dire, assez injustifiée. Tant pis pour les actionnaires de Sony ou EMI. Je ne vais pas pleurer. Tant pis pour les artistes belges qui veulent s’enfuir au Liechtenstein pour ne pas payer leurs impôts en France.
Seuls les artistes peu connus et sincères qui travaillent à fond seront peut-être pénalisés. Mais, de toute façon, il y a longtemps que les « majors » n’en veulent pas.
Je ne peux aussi m’empêcher de penser à quelque chose. Il ya vingt ans, sous la pression technologique, je fis l’acquisition d’un lecteur de CD. Simplement parce qu’il était évident que c’en était fini du disque vinyle. Les platines commençaient à se faire rares, les têtes diamant aussi. Quant à l’industrie du disque, elle s’était tournée de façon résolue vers le numérique.
A partir de ce jour-là, j’ai non seulement acheté de nouveaux titre en CD, mais j’ai peu à peu refait ma discothèque en achetant des titres au format CD que j’avais déjà au format 33 tours. J’ai donc payé deux fois les droits. L’industrie du disque n’a pas versé une larme sur mon sort. Au contraire, elle s’est bien frottée les mains.
Chacun son tour…
Notes d’économie politique 26 – 5 juin 2008
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