Qu’est-ce que la science ?

Qu’est-ce que la science ?

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Mes lecteurs fidèles (si j’en ai) savent que je suis universitaire et que j’enseigne à des étudiant en psychologie, pour l’essentiel des débutants. Et, depuis des dizaines d’années, je sais qu’ils s’imaginent qu’ils entreprennent des études peu ou pas scientifique. Il est vrai que, dans l’esprit public, les « Sciences Humaines » sont connotées « pas vraiment » scientifiques. Pour autant que ce public ait un peu forniqué avec la Psychanalyse, il a vite fait de rapprocher ce domaine de la divination. On m’a souvent demandé d’interprèter des rêves et quel n’est pas l’étonnement du demandeur à qui je répond que ce n’est pas moi qui interprète les rêves, mais le sujet lui-même.

Il y a, de surcroît, dans la Psychologie, une nécessité de rigueur. Car notre objet d’étude est singulièrement singulier puisque c’est l’être humain. Notre position se doit d’être aussi sérieuse que celle des médecins. Les Sciences Humaines, au bout du compte, doivent être plus scientifiques que d’autres sciences naturelles, voire d’autres sciences plus pures. Qu’un astronome se trompe de quelques milliers d’années lumière est beaucoup moins grave que de conduire malencontreusement un sujet vers une dépression plus profonde encore que celle qui l’a mené vers nous.

D’un autre côté, je suis frappé par l’usage ordinaire ou médiatique de la connaissance. Je hais des phrases comme « tout le monde le dit » ou encore « ils ont montré que… »

D’abord, mettons-nous d’accord: la science est incertaine. J’aime à me promener dans l’article « Certain, certitude  » du Dictionnaire Philosophique dont l’incomparable Voltaire est l’auteur. Sans être le premier à mettre en cause la solidité de notre entendement, il y résume en des termes familiers la relativité de la connaissance. La science est incertaine. Si l’univers est courbe (et il a de fortes chances de l’être), le théorème de Pythagore n’est plus vrai.

Or, que savons-nous de l’infini ? Si l’univers est courbe, quand je regarde à l’infini, je regarde dans mon dos alors que mon dos n’y est pas encore. Quand je regarde une planète ou, a fortiori, une lointaine étoile, je vois un état qui n’existe plus puisque la lumière me parvient avec retard qui peut être de millions d’années !

Quand je mélange de l’acide chlorhydrique et de la soude, je fabrique du sel et de l’eau. Mais que se passe-t-il si la température ambiante est de -40° ?

Et c’est parce que la science est imparfaite qu’elle a besoin d’être sérieuse.

Quand on me dit qu’il a été montré qu’il faut manger 5 fruits et légumes par jour, j’ai coutume de demander qui a publié l’étude qui le démontre et dans quelle revue à comité de lecture.

Car la science se trouve dans les articles qui sont dans les revues scientifiques qui ont un comité de lecture. Le chercheur fait une étude, réalise une expérience, puis écrit un article qu’il propose à une telle revue. Là, d’autres chercheurs de préférence aussi émérites que lui évaluent le travail et décident de l’accepter pour publication avec, éventuellement, des retouches. Cette évaluation collégiale est une garantie de sérieux du travail. Elle est toute relative, bien sûr, et des cas de résultats frelatés ont récemment été rendus publics. Mais c’est ce qu’on a trouvé de mieux pour l’instant et globalement cela ne marche pas trop mal.

De tels comités sont là, notamment pour éviter des erreurs de raisonnement. Le public non averti en fait souvent et j’ai coutume d’illustrer ce péril auprès de mes étudiants novices par un exemple de ce type:

– On sait que les mères qui fument ont des enfant prématurés plus souvent que celles qui ne fument pas. On est donc tenté de conclure que le tabac est une cause de prématurité.
– On sait aussi que les femmes qui ont une surveillance médicale insuffisante pendant la grossesse ont plus souvent un enfant prématuré. On est donc tout aussi bien tenté de rapprocher la non surveillance de la prématurité.
– On sait aussi que les femmes dont le niveau socio-économique est bas ont plus souvent aussi des prématurés. Mais on retrouve aussi, dans cette population, une surveillance médicale moindre et une plus forte consommation de tabac.

Au final où est la cause ? Ce qu’on prend pour une cause peut être un effet. On est en présence de phénomènes corrélés. On va supposer que l’un est la cause des autres, par exemple le niveau social. C’est probable. Mais encore n’est-il pas certain.

On voit toute la difficulté de parvenir à l’explication. Une méthode est d’expliquer le mécanisme. La chimie peut le permettre en montrant comment, par exemple, la nicotine atteint le foetus par voie transplacentaire et connaissant les effets de la nicotine par ailleurs, on peut raisonnablement supposer qu’elle produit des effets néfastes.

Ce simple exemple est là pour montrer, sur un sujet qui semble, au demeurant, simple et évident, combien il est difficile de confirmer de façon solide les hypothèses qu’on peut faire.

Au bout du compte, la science c’est le doute. Bien plus que la certitude. Contrairement à ce que l’on croit souvent, Descartes n’a pas écrit « je pense, donc je suis » qui n’est qu’une formule tronquée. Il écrivit, en latin, « dubito ergo cogito, cogito ergo sum » (je doute donc je pense, je pense donc je suis). Et c’est le doute qu’il a placé en premier.

Bakounine