Mai 1968 : 17 – Juin

Mai 1968 : 17 – Juin

[Mai 1968: commencer au début]

Comme chacun sait, juin n’est pas mai. Juin 1968 ne ressembla en rien au mois de mai. La manifestation du 30 mai avait rompu le charme.

Le lundi 3 juin, on sentait bien que l’athmosphère avait changé. Il y avait déjà des signes avant-coureurs de reprise. Il y avait bien toujours des négociations, des consultation de la base par les syndicats, mais il devenait évident, ce que je pressentais depuis déjà quelques jours, qu’une fois les améliorations des salaires obtenues, les ouvriers reprendraient le travail.

Fine la synergie ouvriers-étudiants. De toute façon, nous l’avions plutôt rêvée que vraiment vécue. La politique traditionnelle allait reprendre ses droits. A leur tour, les syndicats allaient rependre leurs habitudes. Naturellement, la « base » allait rechigner un peu. Il y avait des travailleurs qui avaient bien compris ce que le mouvement étudiant avait tenté de faire. Il en restera quelque chose dans les courants ou les mouvements autogestionnaires ou d’extrême gauche. Mais au final, l’ordre politico-syndical allait rependre ses droits.

La mort de Gilles Tautin va revéiller un peu la tendance protestatoire. Pour un moment seulement. Au fond, nous aurions bien voulu en imputer la cause aux forces de police. C’est vrai qu’il s’était noyé en fuyant et en se jetant dans la Seine pour échapper à ses poursuivants. Ce n’était quand même pas la même chose que s’il était mort entre leurs mains. Il ne serait pas le martyr. Maurice Grimaud, le Préfêt de Police qui s’est, pendant toutes ces semaines, dépensé sans compter pour qu’il n’y ait pas de mort, a rendu un grand service au régime gaulliste. Je ne crois pas qu’il en ait été remercié à la hauteur de son travail.

L’Université échappera à la reprise. Les examens ne sont pas organisés. Nous pouvons donc continuer à faire travailler nos méninges. Certes, au bout d’un moment, la Sorbonne sera évacuée, comme l’Odéon, mais il restera toujours de salles au Centre Censier où se tiendront toujours des commissions. Cela se passe bien. Certains enseignants y participent. J’en suis un peu, même si je dois me partager avec l’Institut Pédagogique National où le travail reprend très, très mollement. Toutes des A.G. ou toutes ces réunions sont très productives. Elles ont lieu dans un plutôt bon climat. Il en restera quelque chose.

A cette époque, j’avais été étonné que l’administration ne se lance pas dans une organisation des examens, en juillet par exemple. Mais à la réflexion, c’était une opération risquée. Elle pouvait démobiliser les étudiants en les amenant à réviser. Mais dans la mesure où nombre de cours n’avaient pas eu lieu, on risquait aussi un mouvement de protestation. En laissant les choses aller jusqu’en juillet, le ministère faisait le pari que les vacances d’été viendraient démobiliser tout le monde. Et il eût raison.

Autant mes souvenirs de mai sont forts et enthousiastes, autant ceux de juin sont tristes et un peu désespérés. C’est comme le début de la fonte des neiges avant que le Printemps ne vienne ensoleiller la montagne: il fait nuageux, la neige devient soupe grise en s’amalgamant à la terre pour, au final, produire de la boue. Ce mois de juin ne fut pas joli. L’enthousiasme fondait.

Et puis, il a ces souvenirs d’épuration. Je pense là, notamment, à l’O.R.T.F.. Des journalistes de talent, connus et réputés (comme Roger Couderc ou Claude Darget, par exemple), sont virés comme des malpropres devant des syndicats quasi impassibles et un peuple de France devenu collabo. Je n’ai jamais pardonné aux syndicats de nous avoir ainsi lâchés pour quelques centaines de francs d’augmentation de salaires qui seraient rapidement repris par l’inflation. Je n’ai jamais pardonné aux partis de gauche de nous avoir abandonnés pour se lancer dans une campagne pour des élections qu’ils allaient obligatoirement perdre. Je ne sais pas si le slogan « élections, piège à cons » date de cette époque, mais il s’applique bien.

Le mois de juin passa. On se parla beaucoup moins dans la rue. Puis pas du tout. Et puis vinrent les congés payés. La France redevenait normale. Pendant ce temps, à Prague, les chars soviétiques allaient entrer dans la ville.

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Bakounine