Mai 1968 : 16 – Le 30 mai ou l’horreur absolue

Mai 1968 : 16 – Le 30 mai ou l’horreur absolue

[Mai 1968: commencer au début]

Dans les derniers jours de mai, il se passe des choses du côté du pouvoir. D’abord, de Gaulle disparaît. On est enchanté. Il s’est enfui ! Hélas non. Il est juste allé s’assurer que l’armée marcherait sur le peuple s’il en était besoin. Mais cela, nous ne l’avons su que plus tard. Heureusement pour tout le monde.

Et voilà qu’il cause, à la radio, je crois. Etait-ce le 29 ou le 30 ? Je ne sais plus. Toujours est-il qu’il a des mots très durs pour les évènements. Mais surtout, il fait un appel au peuple pour aider au retour à la normalité, à l’ordre quoi. Le peuple a dû aimer.

Le soir du 30 mai a lieu cette manifestation sur les Champs Elysées dont on a dit qu’elle avait compté un million de personnes. Etait-ce plus ou moins que celle du 13 mai. Peu importe. Voici que mes illusions s’effondrent.

Mes illusions s’effondrent, parce que je croyais, naïvement, que le mouvement était populaire. En réalité, ma perception était faussée simplement parce que je fréquentais le Quartier Latin et le monde universitaire. Je savais aussi que les services étaient en grève, que les usines symboles comme Renault Billancourt étaient arrêtées. En fait, la radio (je n’avais pas accès à la télévision) racontait que ce quej’avais plaisir à entendre. J’ignorais que tout un peuple était hostile et faisait le gros dos. J’ai appris par la suite que mes parents étaient de ceux-là. Mon père dormait selon un tour de rôle à la Gare d’Austerlitz pour monter une espèce de garde comme si on allait s’emparer d’une gare ! Et il est vrai aussi que je n’avais aucun contact avec tous ces employés et tous ces commerçants silencieux qui attendaient sans doute, certains avec la peur au ventre du « bolchevisme » que de Gaulle remette tout cela en ordre.

manif-30-mai.1207431420.jpgLe 30 mai, il y réussit. A mon grand désespoir. Car ce jour-là je compris que c’était perdu. A vrai dire, je n’avais d’ailleurs pas la moindre idée de ce qui était perdu. J’attendais simplement que de Gaulle s’en aille et tous ses compagnons historiques ou de circonstance avec lui et que d’autres viennent au pouvoir. Je ne pensais pas du tout à un coup d’état ou quelque chose de ce genre. De Gaulle partirait. Il y aurait des élections et la gauche gagnerait. De Gaulle a été plus malin. Il dissoudra l’Assemblée Nationale et se fera élire fin juin une chambre à sa dévotion. Je me souviens de mon grand-père, vieux socialiste, éprouvé par l’énormité de cette majorité disant « Mon Dieu, qu’est-ce que vous avez fait ». D’une certaine façon, il avait raison, car cette chambre introuvable fut largement élue grâce à la peur de toutes ces catégories sociales que les évènements avaient terrifiés.

Le 31 mai, on fit les comptes de la manifestation de la veille. Le mois de mai était fini.

[Suite]

Bakounine